Jean de la Croix - Cantique spirituel
1 Que Jean
de la Croix désigne par le Cantique ou les Cantiques.
En 1583-1584, à la demande d'Anne de Jésus,
il a rédigé un premier commentaire, et le Cantique spirituel est l'oeuvre qui
suit de plus près son poème. Ce commentaire, le Cantique A est vénérable eu
égard à sa destinataire, Anne de Jésus, fille privilégiée du Père, coadjutrice
de sainte Thérèse, fondatrice des carmels de Paris et de Bruxelles, qui
d'ailleurs considérait le Cantique spirituel comme une sorte de testament
spirituel du Père, à elle confié, et qui interdisait qu'on le publiât2. Mais
Jean de la Croix n'était pas asservi à son premier jet.
2 Certains
furent si attachés à ce Cantique dit A qu'ils s'efforcèrent de démontrer que le
Cantique B était apocryphe. Après les travaux minutieux et irréfutables des
Espagnols en vue de V ediciôn critica, on ne peut plus tenir compte de ces
tentatives françaises.
En 1590,
privé brutalement de toute responsabilité, parvenu au sommet de sa vie mystique
et aux portes du face à face, enrichi de six ans d'expérience supplémentaire,
Jean de la Croix revoit certains de ses écrits. Pour le Cantique spirituel, il
ne se contente pas d'ajouter le onzième couplet, de corriger des dissonances
entre le poème et le commentaire, de compléter le commentaire, il remanie avec
bonheur l'ordre des couplets afin de retracer de façon plus logique la
progression de l'âme fidèle. Il n'est plus question aujourd'hui de contester
l'authenticité de cette rédaction définitive3. Nous avons traduit p. 127-135 le
Poème A dont les trente et un premiers couplets ont été composés dans le cachot
de Tolède, mais nous ne jugeons pas nécessaire de reproduire son commentaire
qui selon l'expression du Saint est son borrador, son brouillon, d'autant que
borrar signifie effacer, puisque le Cantique B, dernière rédaction, reprend
tout le contenu du Cantique A - sauf un passage que nous reproduirons en note
-, est plus complet de plus d'un quart, et conserve même la dédicace à Anne de
Jésus. Bref, selon la règle générale, nous considérons la rédaction définitive
comme le meilleur message du Saint.
3 Voir
Eulogio Pacho, Initiation à Saint Jean de la Croix, p. 207-213.
Le
Cantique spirituel B prend le disciple au moment où commence son don à Dieu et
l'itinéraire est annoncé dès le sommaire et précisé au § 3 du couplet 22. Jean
de la Croix a déjà distingué trois étapes (1NO 1,1) de la vie spirituelle: les
commençants qui méditent, les progressants qui contemplent, les parfaits qui
jouissent de l'union. Ici il complète : les commençants sont dans la voie
purgative, les progressants dans la voie illuminative4, les parfaits dans la
voie unitive.
4 La voie
illuminative ou contemplation infuse est déjà notée en (1NO 14,1).
Les
couplets 1 à 4 sont réservés aux commençants qui non seulement méditent mais
qui ont besoin de mortification.
Les
couplets 5 à 13 concernent les progressants qui parviennent ainsi aux
fiançailles spirituelles.
Les
couplets 14 à 35 célèbrent les parfaits qui accèdent alors au mariage spirituel
avec la confirmation en grâce.
Les
couplets 36 à 40 anticipent sur l'état béatifique de l'au-delà. Ce qui prouve
que Jean de la Croix à la fin de sa vie au moins a véritablement un pied sur
terre et l'autre au ciel.5
5 Comme toujours, Jean de la Croix fixe des
points de repère, il n'en est pas prisonnier. Exemple : « ceux qui commencent à
entrer en l'état d'illumination et de perfection » (CSB 14 ; 15, 21).
Pour traduire une expérience en soi ineffable,
Jean de la Croix, il l'indique dans le prologue d'ailleurs admirable, use de
figures, comparaisons, similitudes qui laissent déborder les richesses de son
union d'amour avec Dieu, car tout se joue dans l'amour, de Dieu pour l'âme et
de l'âme pour Dieu. Ce n'est pas un traité de philosophie, ni de théologie, il
faut se laisser porter par le jeu de la poésie, par le chant d'une âme qui vit
cet amour intensément. La symbolique est d'une richesse étonnante, parfois
déconcertante et même à l'occasion, à l'instar du Cantique des Cantiques
choquante pour les prudes.
On est
submergé par le nombre des images, leur audace, surpris par la facilité avec
laquelle on passe de l'une à l'autre, contrepoint de la profusion des textes de
l'Écriture. C'est une symphonie, et quel souffle ! La sensibilité du Saint loin
d'être étouffée sous l'emprise divine est au contraire exaltée. Les cinq sens
vibrent tour à tour : les parfums, la nourriture, les embrassades, les yeux
grands ouverts et les oreilles charmées. Toutes les créatures, toutes les
sensations au contact de la nature de jour et de nuit, sous la harpe du poète
célèbrent un amour et un bonheur supérieurs, et chantent la gloire de Dieu.
À foison,
les éléments de la nature matérielle : hauteurs, vallées, îles et rivages,
fleuves et sources, cavernes ; vents glacés ou agréables.
Tous les
vivants : arbres, vigne, fleurs ; fauves, lions et renards, cerfs, daims, la
colombe et la tourterelle, le passereau et le rossignol.
Les
éléments sociaux : la cité et ses faubourgs, les voleurs et la guerre avec les
ennemis, les cavaliers et le siège ; le concert, la couronne, les bijoux.
La
médecine et le jardinage ; la nourriture et les fruits, la pigne, les grenades
et la boisson enivrante.
Des
aspects plus intimes : le lit, le nid. Toutes les parties du corps, du cheveu
au ventre, le cou, les bras et surtout le visage et son teint et les yeux, les
yeux surtout. Les fiançailles et ses cadeaux; l'union charnelle des époux qui
n'est qu'une image de l'union de l'âme avec Dieu, fin ultime de l'homme ;
retrouvant ainsi un des sens profonds, allégorique, du Cantique des Cantiques.
Cependant,
la symbolique n'incline pas à de fades effusions, mais implique une forte
doctrine faite d'expérience personnelle et de confidences des âmes, d'une
pensée philosophique et théologique parfaitement maîtrisée, et par-dessus tout
du message biblique pris en son message essentiel, c'est-à-dire spirituel,
riche d'une tradition séculaire dans la sécurité du dogme catholique.
Notons
quelques enseignements de ce commentaire :
- Dès le
début, l'âme aspire au face à face.
- CS 31,8
se réfère à la Vive Flamme, le Cantique B est donc postérieur.
- Le Prologue (2) précise que chacun
profitera de l'exposé à sa façon. Le lecteur pourra parfaitement estimer que
tel passage ne le concerne pas et au contraire que tel autre semble écrit pour
lui. Ce qui vaut pour l'ensemble de l'oeuvre.
- Jean de
la Croix note que les souvenirs font partie de notre patrimoine personnel et ne
disparaissent pas. La contemplation ne fait pas perdre les habitudes de
science, l'acquis intellectuel, au contraire (26,16). Le souvenir des péchés
est ineffaçable ; il est même assez utile (33,1).
- La
formule dogmatique exprimée par la foi donne Dieu, mais à l'obscur; elle est un
tremplin pour l'union.
- Alors
qu'avant, l'âme fidèle était obligée de réprimer les premiers mouvements, quand
elle parvient à l'union, les premiers mouvements spontanément se meuvent vers
Dieu (27,7).
- Dieu est
toujours en nous, mais de façons différentes (1 8).
-
Généralement, vie active et vie contemplative sont nécessaires, elles se
complètent (3,4) ; sauf au sommet où l'âme ne sait plus qu'aimer.
- (CSB
24,5) rappelle (1NO 13,5) : les vertus sont liées, elles dépendent les unes des
autres.
- Jean de
la Croix parle rarement des dons de l'Esprit Saint; en 26,3, il les fait
correspondre aux sept degrés d'amour.
- L'âme en
la perfection de l'amour est d'une certaine manière comme Adam en l'état
d'innocence, non seulement elle est belle, mais d'une force prodigieuse en
raison de son union à Dieu (26,14).
- Le
leitmotiv c'est l'amour. Dès C 1, l'âme part à la quête amoureuse de Dieu ; en
CSB 7 et 8, l'âme est blessée d'amour; en 10,1, il est ardent comme celui de
Marie-Madeleine ; en 27 8, l'âme est tout amour.
- Il
n'oublie pas les âmes qui s'égarent: Ô âmes, créées pour ces grandeurs, que
faites-vous ? (39,7).
Cantique spirituel
TEXTE DÉFINITIF]
EXPLICATION DES CANTIQUES QUI TRAITENT DE
L'EXERCICE D'AMOUR ENTRE L'ÂME ET L'ÉPOUX CHRIST,
OÙ L'ON ABORDE ET EXPLIQUE QUELQUES POINTS ET EFFETS D'ORAISON À LA DEMANDE
DE LA MÈRE ANNE DE JÉSUS, PRIEURE DES DÉCHAUSSÉES À SAINT-JOSEPH DE GRENADE.
L'AN 1584.
PROLOGUE
1. Pour
autant que ces cantiques6, religieuse Mère, semblent être écrits avec quelque
ferveur d'amour de Dieu, dont la sagesse et l'amour sont si immenses, que,
comme il est dit au livre de la Sagesse, ils atteignent d'une extrémité jusqu'à
une autre extrémité (8,1), et que l'âme qui en est informée et mue, a en
quelque manière cette même abondance et impétuosité en ses paroles, je ne pense
pas moi déclarer maintenant toute l'ampleur et l'abondance que le fécond esprit
d'amour produit en eux; ce serait plutôt ignorance de penser que les dits
d'amour en intelligence mystique, qui sont ceux des présents Cantiques, avec
quelque
façon de parler peuvent bien s'expliquer; car l'Esprit du Seigneur qui aide
notre faiblesse, comme dit saint Paul (RM 8,26), demeurant en nous,
demande pour nous avec des gémissements ineffables, ce que nous, nous ne
pouvons bien entendre ni comprendre pour le manifester. Car qui pourra écrire
ce qu'il fait entendre aux âmes amoureuses dans lesquelles Il demeure ? et qui
pourra déclarer avec des paroles ce qu'il leur fait sentir? et qui, finalement,
ce qu'il leur fait désirer? certainement personne ne le peut; certainement, pas
même celles en qui cela se passe ne le peuvent ; et c'est la raison pour
laquelle plutôt avec des figures, des comparaisons et similitudes, elles
laissent déborder quelque chose de ce qu'elles sentent et épanchent de
l'abondance de l'esprit des secrets et des mystères, qu'elles ne les déclarent
par raisons. Ces similitudes si elles ne sont pas lues avec la simplicité de
l'esprit d'amour et l'intelligence qu'elles contiennent, semblent plutôt des
extravagances que des paroles de raison, selon ce qu'on peut voir dans les
divins Cantiques de Salomon et en d'autres livres de l'Écriture Sainte, où
l'Esprit Saint, ne pouvant donner à entendre l'abondance de leur signification
par des termes communs et usuels, exprime des mystères en des figures étranges
et des similitudes. D'où vient que les saints docteurs, bien qu'ils en disent
beaucoup et encore plus, jamais ne peuvent achever de l'expliquer par des
paroles, comme aussi non plus par des paroles cela ne peut se dire ; et ainsi
ce qu'on en déclare d'ordinaire est le moins que ce qui y est contenu.
6 Rappel :
Cantique. dans un style élevé toute espèce de chant (Littré, 3).
2. Ces
cantiques, pour avoir été composés en amour d'abondante intelligence mystique,
ne pourront donc s'expliquer parfaitement, et telle ne sera pas mon intention,
mais seulement de donner quelque lumière générale, puisque V. R.7 l'a ainsi
désiré. Et cela me semble être pour le mieux, parce que les dits d'amour, il
vaut mieux les exposer en leur étendue, afin que chacun en profite à sa façon
et selon la richesse de son esprit, que de les restreindre à un seul sens
auquel ne s'accommode pas tout palais ; et ainsi bien qu'on les explique d'une
certaine manière, il ne faut pas s'arrêter à cette explication, car la sagesse
mystique - qui est par amour et dont traitent les présents cantiques -n'a pas
besoin d'être entendue distinctement pour faire un effet d'amour et d'affection
en l'âme, car elle est comme la foi, en laquelle nous aimons Dieu sans le
comprendre.
7 Votre
Révérence.
3. Pour
autant, je serai très bref; bien que je ne pourrai moins faire que de m'étendre
en quelques endroits où le réclamera la matière et où s'offrira l'occasion de
traiter et d'expliquer quelques points et effets de l'oraison, car les
Cantiques touchant à beaucoup, nous ne pourrons moins faire que d'en traiter
quelques-uns ; mais, laissant les plus communs, je parlerai brièvement des plus
extraordinaires qui arrivent à ceux qui ont dépassé avec la faveur de Dieu le
stade de commençants. Et ceci pour deux raisons : l'une, parce que pour les
commençants il y a beaucoup de choses écrites; l'autre, parce qu'en ceci je
parle avec V. R. à sa demande, à qui notre Seigneur a fait la grâce de l'avoir
tirée de ces commencements et mise plus intimement dans le sein de son amour
divin; et ainsi j'espère que, bien qu'on écrive ici quelques points de
théologie scolastique concernant la relation intime de l'âme avec son Dieu, ce
ne sera pas en vain d'avoir dit quelque chose du plus pur de l'esprit de cette
manière, puisque, même si V. R. n'a pas la pratique de la théologie scolastique
avec laquelle se comprennent les vérités divines, il ne lui manque pas celle de
la mystique, qui se sait par amour et dans laquelle non seulement on sait, mais
aussi conjointement on savoure.
4. Et
parce que ce que je dirai - et que je veux soumettre à un meilleur jugement et
totalement à celui de la sainte Mère Église - soit plus digne de foi, je ne
pense affirmer rien de moi en me fiant à l'expérience que j'ai vécue, ni en ce
que j'ai connu en des personnes spirituelles ou entendu d'elles (bien que de
l'un et de l'autre je pense profiter), sans qu'avec les autorités8 de
l'Écriture divine je le confirme et le déclare, au moins en ce qui sera plus
difficile à comprendre. Pour ces autorités, je procéderai ainsi : d'abord je
mettrai les sentences à partir du latin et ensuite je les exposerai selon le sujet
qui sera traité; et je mettrai d'abord ensemble tous les couplets, et ensuite
dans leur ordre, je mettrai chacun séparément afin de l'expliquer; de chaque
couplet j'expliquerai chaque vers, en le mettant au début de son exposé, etc.
8 Les
textes qui font autorité.
FIN DU
PROLOGUE
Chants
entre l'âme
et
l'Époux52
52 Les
poèmes précédents et le Cantique spirituel en ses trente et une premières
strophes ont été écrits dans la prison de Tolède. Jean de la Croix y ajoutera
les strophes 36 à 40. Il les commentera sur la demande d'Anne de Jésus ; c'est
la version A. Plus tard, il réécrira l'ensemble ; c'est la version B que nous
trouverons aux pages 857-869.
L'épouse
1.Où
t'es-tu caché,
Aimé, et
m'as laissée dans le gémissement ?
Comme le
cerf tu as fui,
m'ayant
blessée ;
après toi
je sortis en clamant,
et tu
étais parti. (5)
2. Pâtres,
qui vous en irez
là-bas par
les bergeries vers le sommet,
si
d'aventure vous voyez
celui que
moi j'aime le plus,
dites-lui
que je suis malade,
souffre et
meurs. (10)
3.
Cherchant mes amours
j'irai par
ces monts et ces rivages ;
ni ne
cueillerai les fleurs,
ni ne
craindrai les fauves,
et
passerai les forts et les frontières. (15)
Demande
aux créatures
4. Ô
forêts et fourrés épais
plantés
par la main de l'Aimé ;
ô pâturage
de verdures de fleurs émaillé,
dites si
par vous il est passé ! (20)
Réponse
des créatures
5. En
répandant mille grâces
il est
passé par ces bois touffus en hâte,
et, les
regardant, avec sa seule figure
il les
laissa vêtus de beauté. (25)
L'épouse
6. Hélas !
qui pourra me guérir ?
Achève de
te livrer enfin pour de vrai,
ne veuille
plus m'envoyer
désormais
d'autres messagers,
qui ne
savent me dire ce que je veux. (30)
7. Et tous
ceux qui s'attachent à toi
de toi me
rapportent mille grâces,
et tous
davantage me blessent,
et me
laisse mourante
un je ne
sais quoi qu'ils balbutient. (35)
8. Mais
comment persévères-tu,
ô vie ! en
ne vivant pas où tu vis
lorsque
tendent à te faire mourir
les
flèches que tu reçois
de ce que
de l'Aimé en toi tu ressens ? (40)
9.
Pourquoi, puisque tu as blessé
ce coeur,
ne le guéris-tu pas?
Et,
puisque tu l'as dérobé,
pourquoi
le laissas-tu ainsi
et n'as-tu
pas pris le vol que tu volas ? (45)
10. Éteins
mes tourments,
puisque
personne ne peut y mettre fin ;
et
puissent mes yeux te voir,
puisque tu
es leur lumière,
et pour
toi seul je les veux avoir. (50)
11. Ô
source cristalline,
si sur tes
faces argentées
tu me
laissais voir soudain
les yeux
désirés
que je
porte en mes entrailles dessinés ! (55)
12.
Détourne-les, Aimé,
voici que
je m'envole.
L'Époux
Reviens, colombe,
car le
cerf blessé
apparaît
sur le sommet
prenant
l'air de ton vol, et la fraîcheur. (60)
L'épouse
13. Mon
Aimé, les montagnes,
les
vallées solitaires ombreuses,
les îles
étrangères,
les
fleuves tumultueux,
le
sifflement des souffles d'amour, (65)
14. la
nuit apaisée
proche des
levers de l'aurore,
la musique
silencieuse,
la
solitude sonore,
le dîner
qui récrée et énamoure. (70)
15. Notre
lit fleuri
de
cavernes de lions entouré,
de pourpre
tendu,
de paix
édifié,
de mille
écus d'or couronné. (75)
16. À la
quête de ta trace
les jeunes
filles courent sur le chemin
sous la
touche de l'étincelle,
du vin
aromatisé ;
émissions
d'un baume divin. (80)
17. Dans
le cellier intime
de mon
Aimé j'ai bu, et quand je sortais
par toute
cette plaine
chose ne
savais plus
et je
perdis le troupeau
qu'avant
je suivais. (85)
18. Là il
me donna son coeur,
là il
m'enseigna une science très savoureuse,
et à lui
je me donnai vraiment
moi, sans
rien garder ;
là je lui
promis d'être son épouse. (90)
19. Mon
âme s'est employée
et tout
mon bien à son service.
Je ne
garde plus de troupeau
ni n'ai
plus d'autre office,
car
désormais seulement d'aimer
est mon
exercice. (95)
20. Ainsi
donc si au pré public
de ce jour
on ne me voit ni ne me trouve,
dites que
je me suis perdue ;
et
qu'allant énamourée,
je me suis
faite perdante,
et je fus
gagnante. (100)
21. De
fleurs et d'émeraudes
dans les
fraîches matinées cueillies
nous
ferons les guirlandes
en ton
amour fleuries
et avec un
de mes cheveux entrelacées. (105)
22. En ce
seul cheveu
que sur
mon cou tu as observé voler,
tu le
regardas sur mon cou,
et en lui
tu restas pris,
et à l'un
de mes yeux tu te blessas. (110)
23. Quand
tu me regardais
leur grâce
en moi tes yeux imprimaient ;
pour cela
tu me chérissais,
et en cela
les miens méritaient
d'adorer
ce qu'en toi ils voyaient. (115)
24. Ne me
méprise pas,
car, si tu
m'as trouvé le teint brun,
maintenant
tu peux bien me regarder
depuis que
tu me regardas,
car grâce
et beauté en moi tu as laissées. (120)
25.
Attrapez-nous les renards
car elle
est déjà fleurie, notre vigne,
cependant
qu'avec des roses
nous
faisons une pigne,
et que
personne ne paraisse sur la montagne. (125)
26.
Arrête, bise de mort.
Viens,
auster, qui réveilles les amours ;
souffle
par mon jardin
et courent
ses parfums
et l'Aimé
se rassasiera parmi les fleurs. (130)
L'Époux
27.
L'épouse a pénétré
dans le
jardin charmeur désiré,
et
délicieusement elle repose
le cou
appuyé
sur les
doux bras de l'Aimé. (135)
28. Sous
le pommier
là avec
moi tu fus fiancée ;
là je te
donnai la main
et tu fus
restaurée
là où ta
mère avait été violée. (140)
29.
Oiseaux légers,
lions,
cerfs, daims bondissants,
monts,
vallées, rivages,
ondes,
souffles, ardeurs,
et
craintes des nuits d'insomnies : (145)
30. par
les lyres charmeuses
et le
chant des sirènes, je vous conjure
que
cessent vos colères
et ne
touchez pas au mur,
pour que
l'épouse dorme
plus
sûrement. (150)
L'épouse
31.Ô
nymphes de Judée,
tandis que
parmi les fleurs et les rosiers
l'ambre
donne son parfum,
demeurez
dans les faubourgs
et
veuillez ne point toucher nos seuils. (155)
32.
Cache-toi, Chéri,
et regarde
avec ton visage vers les montagnes,
et ne
veuille point le dire ;
mais
regarde les compagnes53
de celle
qui va par des îles étrangères. (160)
53 La poésie porte campanas. Le commentaire
dira companas. Le Cantique B corrigera.
L'Époux
33. La blanche colombe
à l'arche
avec le rameau est revenue ;
et enfin
la tourterelle
le
compagnon désiré
sur les
rives verdoyantes elle l'a trouvé. (165)
34.En
solitude elle vivait,
et en
solitude elle a déjà placé son nid,
et en
solitude la guide tout seul son amoureux
lui aussi
en solitude d'amour blessé. (170)
L'épouse
35. Réjouissons-nous, Aimé,
et allons
nous voir en ta beauté
au mont et
à la colline,
où jaillit
l'eau pure ;
entrons
plus avant dans l'épaisseur. (175)
36. Et
bientôt aux hautes
cavernes
de la pierre nous irons,
qui sont
bien cachées;
et là nous
entrerons
et nous
goûterons le moût des grenades. (180)
37. Là tu
me montrerais
ce que mon
âme désirait ;
et bientôt
me donnerais
là, toi,
ma vie,
cela que
tu me donnas l'autre jour : (185)
38. le
souffle de l'air,
le chant
de la douce philomèle,
le bocage
et son enchantement
en la nuit
sereine,
avec la
flamme qui consume
et ne
donne pas de peine. (190)
39. Car
personne ne regardait...
Aminadab
non plus ne se montrait ;
et le
siège s'apaisait,
et la
cavalerie
à la vue
des eaux descendait. - Fin. (195)
(40).
Découvre ta présence,
et que me
tuent ta vue et ta beauté ;
prends
garde que la maladie
d'amour ne
se guérit
qu'avec la
présence et la personne54. (200)
54 Cette
strophe est d'une composition plus tardive.
Chants
dans lesquels l'âme chante
l'heureuse aventure qu'elle a eue
de passer
par la NUIT OBSCURE de la foi...
à l'union
de son Bien-Aimé
On trouvera le poème de la nuit obscure pages
218-220.