PROCES
DE BEATIFICATION ET CANONISATION DE
SAINT
JEAN MARIE BAPTISTE VIANNEY
CURE
D'ARS
PROCES
INFORMATIF ORDINAIRE
Sommaire
III. Sur l'Espérance de Mr Vianney.
IV. Sur la charité de Mr Vianney.
V. Sur la Prudence de Mr Vianney.
VI. Sur la vertu de Justice de Mr Vianney.
VII. Sur la force de Mr Vianney.
VIII. Sur la Tempérance de Mr Vianney.
IX. Dons extraordinaires accordés à Mr Vianney. - Réputation
de sainteté pendant sa vie.
X. De la précieuse mort de Mr Vianney.
TÉMOIN I –
ABBÉ JOSEPH TOCCANIER
TEMOIN II - ALIX HENRIETTE DE BELVEY
TEMOIN VI - CATHERINE
LASSAGNE
TEMOIN VII - FRANCOIS DUNOYER - (FRERE JEROME)
TEMOIN VIII - JEAN
BAPTISTE MANDY
TEMOIN XI - JEANNE MARIE CHANAY
TEMOIN XIII - LAURE JUSTICE FRANÇOISE - COMTESSE DES
GARETS D'AR
TEMOIN XIV - CLAUDE PROSPER COMTE DES GARETS
TEMOIN XVI - MARGUERITE VIANNEY
TEMOIN XVII - ABBE LOUIS MERMOD
TEMOIN XVIII - ABBE ALFRED MONNIN
Tenor
articulorum a Postulatore exhibitorum sequens est, nimirum:
Bellicen.
Beatificationis
et Canonizationis Servi Dei Ioannis Mariae Baptistae Vianney parochi vici Ars.
Positiones et articulos
infrascriptos dat, facit, exhibet atque producit Rmus. Dnus. Jacobus Estrade
causae postulatur constitutus prout in Actis ad docendum de fama sanctitatis,
virtutum et miraculorum Servi Dei Ioannis Mariae Baptistae Vianney parochi vici
Ars, ac ad omnem alium bonum finem et effectum, petens et instans illas et
illos ad probandum admitti, et super his testes servatis servandis examinari,
et quatenus opus fuerit, jura ad causam facientia exhibenda extrahi, produci et
compulsari, deducens etc. Non se tamen astringens ad onus superfluae
probationis, de quo solemniter protestatus fuit et protestatur non solum isto
sed et omni meliori modo.
Ponit itaque gallico
idiomate ad faciliorem testium intelligentiam, et probare vult atque intendit
1. La vérité est que Jean Marie
Baptiste Vianney, fils de Matthieu Vianney et de Marie Beluse naquit à Dardilly
Diocèse de Lyon le huit Mai dix sept cent quatre vingt-six et qu'il fut baptisé
le jour même de sa naissance, ainsi qu'il sera déposé dans le cours du procès
par des témoins bien informés et capables de répondre sûrement sur chaque
circonstance dont ils seront requis dans l'Interrogatoire.
2. La vérité est qu'il fut élevé
chrétiennement par sa pieuse mère, qu'il répondit admirablement à toutes les
leçons qu'il recevait, et aux bons exemples qu'il avait sous les yeux. Il
aimait dès son bas âge à se dérober aux regards des hommes pour s'entretenir
seul avec son Dieu et prier devant une petite statue de la sainte Vierge que sa
vertueuse mère lui avait donnée et qu'il portait toujours avec lui. Sa piété
déjà si tendre s'accrut encore lorsqu'il eut le bonheur d'être admis à la
sainte Table. Le jeune Vianney en allant travailler, pendant le travail, en
revenant à la maison paternelle, adressait à Dieu de ferventes prières, ainsi
qu'il sera déposé &.
3. La vérité est qu'à l'âge de 18
ans, se sentant appelé au sacerdoce, il commença auprès d'un saint prêtre, Mr
Balley, Curé d'Ecully, les études nécessaires pour la carrière ecclésiastique;
mais il se vit forcé de les interrompre pour obéir à la loi qui l'appelait sous
les drapeaux parce qu'on avait omis de le porter comme élève ecclésiastique.
Lorsqu'il put les reprendre, il continua comme auparavant à édifier la paroisse
d'Ecully. Pendant son séjour à Verrières et au Grand Séminaire, il sut
s'attirer l'estime et l'affection de ses condisciples par ses grandes vertus.
Grâce à des efforts constants et généreux, il parvint à acquérir la science
nécessaire au ministre des autels, et après avoir reçu successivement la
Tonsure, les ordres moindres, le sous-Diaconat et le Diaconat, il fut promu au
sacerdoce le neuf Août mil huit cent quinze, ainsi qu'il sera déposé &.
4. La vérité est que Mr Vianney,
aussitôt après l'ordination à la prêtrise, fut envoyé comme vicaire à Ecully
auprès de son ancien maître, qui fut heureux de l'avoir auprès de lui. Sa vie
simple et mortifiée lui gagna tous les coeurs: aussi de nombreux pénitents
vinrent chercher auprès de lui le remède à leurs maux. Il se montra en tout un
si bon prêtre que la paroisse toute entière le demanda pour Curé à la mort de
Mr Balley; mais rien ne put vaincre son humble résistance, parce qu'il se
croyait indigne de remplir un poste aussi important, ainsi qu'il sera déposé
etc.
5. La vérité est que deux mois
après la mort du Curé d'Ecully en mil huit cent dix-huit, Mr Vianney fut nommé
Curé de la petite paroisse d'Ars, qui alors dépendait du diocèse de Lyon, et
qui aujourd'hui se trouve dans le diocèse de Belley. Il en prit possession le
neuf février mil huit cent dix-huit. En lui donnant ses pouvoirs, le-Vicaire
Général lui avait dit: Allez, mon ami, il n'y a pas beaucoup d'amour de Dieu
dans cette paroisse; vous y en mettrez. La paroisse d'Ars demandait en effet
les efforts généreux d'un vertueux pasteur: les danses et les cabarets étaient
la source de beaucoup d'abus; le travail du Dimanche et le peu d'empressement
aux offices attristaient le coeur du zélé ministre des autels. La vérité est
que Mr Vianney, avant d'entreprendre la réforme des abus, commença par supplier
le Dieu de toutes miséricordes de toucher le coeur de ses nouveaux paroissiens.
Il redoubla dans cette intention ses prières, ses jeûnes, ses mortifications et
ses austérités; il portait le cilice, se donnait la discipline, ne prenait
presque point de nourriture, n'accordait à son corps que trois ou quatre heures
de repos pendant la nuit, ainsi qu'il sera déposé, &.
6. La vérité est que le nouveau
Curé d'Ars semblait avoir choisi l'église pour sa demeure; il y passait chaque
jour plusieurs heures prosterne devant le Saint Sacrement. Ses paroissiens ne
tardèrent pas à être frappés de ses longues oraisons et surtout de la piété
qu'il montrait au saint autel. "Avez-vous remarqué notre nouveau Curé, se
disaient-ils entre eux? Comme il prie avec ferveur! Ce n'est pas un homme comme
un autre; on nous a envoyé un saint." Ainsi qu'il sera déposé etc.
7. La vérité est que Mr Vianney
savait d'ailleurs se concilier tous les coeurs, il visitait souvent ses
paroissiens, et il le faisait avec une bonté, une affabilité qui gagnait tout
le monde: aussi parvint-il à obtenir tout ce qu'il demandait: les offices
furent fréquentés, les cabarets supprimés; le travail du dimanche ne vint plus
attrister son coeur; après beaucoup d'efforts, les danses finirent par
disparaître, ainsi qu'il sera déposé etc.
8. La vérité est que Mr Vianney
portait ses paroissiens aux exercices de la piété chrétienne en même temps
qu'il faisait disparaître les abus. Il institua les confréries du Saint
Sacrement et du saint Rosaire, fit la prière du soir, exhorta à la fréquente
communion et engagea plusieurs personnes à passer aux pieds des autels le plus
de temps qu'elles pourraient; quelques unes même imitèrent si bien son exemple
qu'elles ne sortaient presque plus de l'église, ainsi qu'il sera déposé, etc.
9. La vérité est que Mr Vianney,
persuadé que l'instruction religieuse est la base d'une vie vraiment
chrétienne, songea à doter sa paroisse d'une école gratuite de filles. C'est ce
qu'il fit par l'érection de sa Providence, et Dieu daigna montrer plus d'une
fois, en multipliant le blé et la farine, que ce n'est pas en vain qu'on place
en lui toute sa confiance. Les secours arrivaient comme à point nommé et d'une
manière merveilleuse, ainsi qu'il sera déposé, etc.
10. La vérité est que Mr Vianney
put aussi plus tard établir une école gratuite pour les garçons, en confier la
direction à une congrégation religieuse, comme il l'avait déjà fait pour sa
providence, et assurer ainsi pour l'avenir les bienfaits que ces deux établissements
sont appelés à rendre à la paroisse d'Ars, ainsi qu'il sera déposé.
11. La vérité est que Mr Vianney,
dévoré du zèle pour le salut des âmes, ne put renfermer son action dans les
étroites limites de sa paroisse. Il visitait les malades des paroisses
voisines, lorsque les curés étaient absents ou malades. Il fut successivement
appelé à partager les travaux de la mission de Trévous, de Saint Bernard, de
Saint Trivier, et à prêcher dans plusieurs paroisses à l'occasion du jubilé de
mil huit cent vingt-six. Partout il le fit avec un succès vraiment
extraordinaire, joignant à la prédication de la parole de Dieu l'exemple de
toutes les vertus et d'une vie d'abnégation et de sacrifices, ainsi qu'il sera
déposé, etc.
12. La vérité est que lorsque Mr
Vianney eut été comme cloué au confessionnal où il passait presque toutes les
heures de la journée pour entendre les nombreux pèlerins venus de toutes les
parties du monde, il songea à fonder l'oeuvre admirable des missions
diocésaines. Près de cent missions ont été établies par ses soins et se
donneront de dix en dix ans dans les paroisses qu'il a désignées, sans que les
fidèles aient à supporter aucune dépense. Une société de douze missionnaires
est chargée du service de ces missions, de la paroisse d'Ars et du pèlerinage,
et perpétue ainsi le bien que le bon curé avait eu en vue en faisant ses
fondations, ainsi qu'il sera déposé, &.
13. La vérité est que les
missions auxquelles Mr Vianney prit part et les prédications qu'il fit dans les
paroisses voisines à l'occasion du jubilé de mil huit cent vingt-six firent
naître le pèlerinage d'Ars. On apprit à connaître le bon Curé; beaucoup de
personnes qui avaient r eu le bonheur de s'adresser à lui, voulurent recevoir
encore ses sages avis ou lui confier la direction de leurs âmes. De là se forma
peu à peu ce concours qui a donné naissance au pèlerinage d'Ars, ainsi qu'il
sera déposé, etc.
14. La vérité est que le bruit
des vertus, de la vie sainte et mortifiée de Mr Vianney se répandit de proche
en proche et que bientôt le petit village d'Ars offrit un spectacle vraiment
extraordinaire; des personnes de tous les pays, de tous les rangs, de toutes
les conditions venaient à Ars voir le saint Curé, comme on le nommait, et lui
demander, les uns la guérison de leur corps, les autres, celle de leur âme,
d'autres différentes grâces temporelles ou spirituelles. Le nombre des pèlerins
alla toujours en augmentant et atteignit dans les dernières années de la vie du
curé d'Ars le chiffre de quatre vingt mille, ainsi qu'il sera déposé, etc.
15. La vérité est que Mr Vianney,
au milieu du concours qu'attirait sa réputation, se faisait tout à tous,
recevait et accueillait tout le monde sans jamais rebuter personne. Cependant
que n'a-t-il pas dû souffrir de l'importunité d'un grand nombre de pèlerins, de
la vue de toutes sortes d'infirmités, du rude ministère qu'il s'était imposé en
faveur des pauvres pécheurs? Il passait en moyenne quinze heures au
confessionnal chaque jour. Ce labeur quotidien commençait à une heure ou deux
heures du matin, et ne finissait qu'à la nuit. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
16. La vérité est que Mr Vianney
renvoyait à Ste Philomène ceux qui lui demandaient quelque grâce particulière
et leur faisait faire une neuvaine en son honneur. Plus d'une personne a obtenu
avant la fin de la neuvaine ou la guérison du corps ou toute autre grâce
particulière, ainsi qu'il sera déposé, etc.
17. La vérité est que des
conversions nombreuses et signalées se sont opérées à Ars par le ministère de
Mr Vianney. Il priait et il faisait prier pour la conversion des pécheurs. La
conversion des pécheurs était le but vers lequel convergeaient toutes les
pensées du Curé d'Ars et l'oeuvre pour laquelle il dépensait tout son temps et
toutes ses forces. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
18. La vérité est que tout le
bien qui s'est opéré à Ars, ne s'est pas fait sans contradiction. L'épreuve
semble être le cachet que Dieu imprime à ces oeuvres qui doivent durer
longtemps et faire beaucoup de bien. Dans le commencement, plusieurs des
confrères de Mr Vianney ne comprenant pas son genre de vie extraordinaire, ou
trompés par de faux rapports, se montrèrent peu favorables à notre bon Curé et
lui firent des reproches qui quelquefois affligèrent son tendre coeur sans
jamais ralentir son zèle; mais lorsqu'ils eurent connu sa sainteté, ils
n'eurent tous qu'une voix pour la publier partout. Ainsi qu'il sera déposé etc.
19. La vérité est que le démon,
jaloux de tout le bien qui s'opérait à Ars, ne cessa de persécuter Mr Vianney;
il cherchait à l'empêcher de prendre le repos dont il avait tant besoin après
des journées si accablantes pour la nature; il le tourmentait encore davantage
lorsque quelque grand pécheur était sur le point de déposer aux pieds du Curé
d'Ars le fardeau de ses crimes. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
20. La vérité est que Mr Vianney,
préoccupé bien souvent de la pensée des jugements de Dieu, ne soupirait
qu'après le moment où, comme il le disait, il pourrait dans la solitude pleurer
sa pauvre vie. Il sollicita plus d'une fois cette faveur auprès de l’autorité
diocésaine; mais Dieu permit que malgré deux tentatives de fuite, le bon Curé
ne put réaliser son dessein. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
21. La vérité est que Dieu, qui
Se plaît à élever les humbles, accorda à son serviteur plusieurs grâces
particulières. Plus d'une fois, il a été donné à Mr Vianney de lire au fond des
coeurs, de prévoir l'avenir, d'opérer des guérisons miraculeuses dont son
humilité attribuait l'honneur à Ste Philomène. Ainsi qu’il sera déposé, etc.
22. La vérité est que c'est au
milieu de l'exercice du zèle et de la pratique de toutes les vertus que notre
bon Curé vit arriver le terme de son long combat et de ses rudes travaux. Après
une courte maladie, il s'endormit en paix dans le Seigneur le quatre Août mil
huit cent cinquante-neuf. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
23. La vérité est que dès sa plus
tendre enfance Mr Vianney se montra disposé à recevoir toutes les leçons de sa
vertueuse mère. Son bonheur était de pouvoir s'instruire des vérités de notre
sainte religion. A trois ans il recherchait déjà la solitude par amour de la
prière. Il savait à peine parler qu'il voulait se mêler à tous les exercices de
piété qui avaient lieu en sa présence. Dès qu'il entendait sonner l'Angelus, il
donnait l'exemple à toute la maison, et s'agenouillait le premier pour réciter
l'Ave Maria. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
24. La vérité est que l'amour de
la prière allait en se développant avec l'âge. Le premier cadeau qu'il reçut
fut une image en bois de la très sainte Vierge, que sa mère lui avait donnée.
"Oh! que j'aimais cette statue, disait-il, à plus de soixante ans de
distance. Je ne pouvais m'en séparer ni le jour ni la nuit, et je n'aurais pas
dormi tranquille si je ne l'avais eue à coté de moi, dans mon petit lit."
Sa vue était la plus gracieuse de ses distractions et le plus sûr remède à ses
larmes. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
25. La vérité est que Mr Vianney
encore enfant ne quittait les genoux de sa mère que pour aller se prosterner
devant sa chère image de Marie, dans un angle retiré du logis, et c'est alors
que la prière jaillissait de son coeur, avec une abondance toute céleste, dont
ses parents étaient parfois bienheureux de surprendre le secret. Un jour à
l'âge de quatre ans, il disparut sans qu'on pût savoir ce qu'il était devenu.
Sa mère craignant un malheur, le chercha longtemps avec une anxiété croissante.
A la fin, elle l'aperçut immobile, à genoux dans un coin de l'étable, priant
avec ferveur. Cette mère chrétienne, tout en lui témoignant la peine qu'elle
avait ressentie de son absence, ne put s'empêcher d'admirer les heureuses
dispositions que Dieu avait mises en son fils. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
26. La vérité est que le jeune
Vianney ne semblait avoir aucun des goûts de son âge. Avec quelle angélique
piété, avec quel recueillement au-dessus de son âge il assistait au saint
sacrifice! Loin de se faire presser pour l'accomplissement de ce devoir comme
il arrive à tant d'autres, il était le premier à solliciter cette faveur.
Témoins de cet empressement et de sa piété, les voisins disaient aux parents de
Mr Vianney: Il faut faire de votre fils un
prêtre. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
27. La vérité est que Mr Vianney
appelé à son tour à garder le petit troupeau de son père, savait tout en
veillant sur les animaux i confiés à ses soins, s'occuper de Dieu et des choses
de Dieu. Après avoir déposé sa chère madone sur un autel de gazon et lui avoir
offert le premier ses hommages, il invitait ses camarades à en faire autant. Il
ne se sentait pas de joie quand il voyait ses compagnons à genoux autour de
l'image vénérée. Après avoir, récité la salutation angélique avec une ferveur
communicative, il se levait gravement et se mettait à prêcher à la troupe
recueillie la dévotion à la très sainte Vierge. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
28. La vérité est que pour prier
plus à son aise, il se retirait souvent à l'écart, et après avoir installé sa
chère statue dans le creux d'un arbre, il se mettait à genoux et passait à ses
pieds de longues heures en prières. Souvent pour le faire avec plus de
recueillement et de liberté d'esprit, il confiait son troupeau à la garde du
plus raisonnable de ses compagnons, à qui il promettait de rendre une autre
fois le même service; puis il cherchait l'endroit le plus retiré du vallon,
s'enfonçait dans les taillis et les hautes herbes afin d'être à l'abri de
toutes les surprises et de satisfaire son amour de la prière et de la
contemplation. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
29. La vérité est que Mr Vianney
un peu plus âgé et occupé aux travaux de la campagne ne perdait pas de vue la
présence de Dieu; il priait en allant au travail et en revenant à la maison
paternelle; il priait encore pendant le travail. "Quand j'étais seul aux
champs avec ma pelle, ou ma pioche à la main, a dit souvent le Curé d'Ars, je
priais tout haut; mais quand j'étais en compagnie, je priais à voix
basse." Souvent il répétait combien il était heureux dans ce temps-là, parce
qu'il pouvait tout à son aise prier Dieu. "Je n'avais pas la tête cassée
comme à présent, ajoutait-il; c'était l'eau du ruisseau qui n'a qu'à suivre sa
pente." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
30. La vérité est que quoiqu'il
eût été pendant le jour occupé à des travaux très pénibles pour son âge, on le
voyait, le soir, étudier au flambeau son catéchisme, ses évangiles des
Dimanches et ses prières, et quand il les savait par coeur, les méditer
gravement, et ne suspendre sa studieuse application que lorsque, vaincu par le
sommeil, il était forcé d'accorder à la nature quelque soulagement. Ainsi qu'il
sera déposé, etc.
31. La vérité est que dans ce
temps, Mr Vianney entendait la sainte Messe toutes les fois qu'il le pouvait.
On le voyait à genoux dans un coin, les yeux baissés, le corps immobile, abîmé
dans une profonde contemplation. Sa dévotion était si sensible, qu'il lui
arrivait souvent de répandre d'abondantes larmes. Après la messe, il ne
manquait jamais de faire une petite action de grâces, tourné vers l'autel où repose
le Saint-Sacrement; puis il allait s'agenouiller devant l'image de la Sainte
Vierge, et il revenait à son ouvrage le visage épanoui, le coeur content. Ainsi
qu'il sera déposé, etc.
32. La vérité est que Mr Vianney
fit sa première communion avec de grands sentiments de foi et avec une tendre
piété. On était alors à la fin de cette grande révolution qui avait proscrit le
culte de Dieu. Il fallait encore prendre des précautions et célébrer en secret
l'auguste sacrifice de nos autels. Mais ces précautions qu'il fallait prendre
pour se dérober aux soupçons, en rappelant l'ère des persécutions, n'en
impressionnait que plus fortement l'âme du jeune homme qui était admis pour la
première fois à la participation du pain des forts. C'est ce qui arriva pour
notre jeune Vianney, et après sa première communion on le vit plus fervent
qu'auparavant. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
33. La vérité est que Mr Vianney,
aussitôt après sa première communion, avait senti se raviver dans son coeur le
désir de se consacrer à Dieu dans la carrière ecclésiastique. "Si j'étais
prêtre un jour, disait-il, je voudrais gagner bien des âmes au bon Dieu."
Il s'en ouvrit à ses parents, mais les temps paraissaient mal choisis pour
réaliser ce projet. On lui dit d'attendre. Le jeune Vianney attendit, bien
convaincu que ce que Dieu voulait, arriverait tôt ou tard. Il plaça donc sa
vocation sous la garde de l'obéissance et de la prière. Ainsi qu'il sera
déposé, etc.
34. La vérité est que le jeune
Vianney sentant se réveiller plus fortes que jamais ses aspirations à la
carrière ecclésiastique, sollicita et obtint de ses parents la permission de
commencer les études nécessaires auprès de Mr Balley, Curé d'Ecully. Le
Concordat de mil huit cent un venait de rouvrir nos églises. Le jeune Vianney
se mit à l'étude avec toute l'ardeur que la foi et le désir, de sauver les âmes
peuvent inspirer. Mais comme si Dieu eut voulu rendre plus impossible à son
serviteur toute tentation de vaine gloire, pour le détacher encore plus de
lui-même, il permit qu'il rencontrât beaucoup de difficultés dans la carrière
où sa voix l'appelait, et qu'il se heurta contre des obstacles presque
insurmontables. Sa conception était lente, sa mémoire ingrate, ses progrès peu
sensibles. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
35. La vérité est que le jeune
Vianney se trouvant si dénué des facultés sans lesquelles il ne pouvait espérer
de voir s'ouvrir pour lui la sainte carrière à laquelle il aspirait, songea à
recourir à l'emploi direct des moyens surnaturels, pour triompher des obstacles
qui entravaient la marche de ses études. Après avoir pris conseil de son
directeur, il fit voeu d'aller à pied, en donnant l'aumône, au tombeau de St
François-Régis, afin d'intéresser en sa faveur l'apôtre du Vivarais, et
d'obtenir la grâce d'en savoir assez pour devenir lui aussi un bon et fidèle
ouvrier du Seigneur. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
36. La vérité est que les prières
du jeune Vianney furent exaucées. St Jean François Régis, auquel, par
reconnaissance, il a depuis voué un culte spécial, lui obtint de Dieu la grâce
qu'il demandait, au point d'étonner son maître et ceux qui avaient le plus
désespéré du succès. A dater de ce jour, l'élève fit assez de progrès pour
persuader son maître qu'il pourrait acquérir le suffisant. Le jeune Vianney se
remit à l'étude avec toute l'ardeur dont il était capable. Ainsi qu'il sera
déposé, etc.
37. La vérité est que Dieu
ménageait à son serviteur bien d'autres épreuves avant qu'il pût atteindre le
but de ses études. Il se vit d'abord tout à coup obligé de les interrompre. On
avait omis de porter son nom parmi les aspirants au sacerdoce... Il se vit
forcé de partir pour rejoindre son régiment, et il l'aurait rejoint de fait,
sans le concours de plusieurs circonstances, qu'il est inutile de mentionner.
Dieu permit sans doute sa retraite aux Noës pour faire éclater la foi et les
autres vertus de son serviteur. Tout le monde en effet dans cette paroisse
n'eut qu'une voix pour proclamer les vertus du jeune Vianney. Ainsi qu'il sera
déposé, etc.
38. La vérité est que rentré dans
sa famille après quatorze mois d'absence, Mr Vianney put reprendre ses études.
Il sut édifier de nouveau la paroisse d'Ecully par sa grande foi et sa piété.
Il sut pareillement édifier ses condisciples au petit et au grand séminaire par
la pratique de toutes les vertus et surtout par sa grande foi. C'est à son
grand esprit de foi, qui se montrait dans toute sa conduite, qu'il dut d'être
admis aux ordres sacrés. Sa science acquise semblait ne pas être au niveau que
les directeurs exigeaient: aussi hésitaient-ils sur son appel. Le Vicaire
Général consulté là-dessus, demanda si le jeune Vianney était pieux. Quand il
sut de la bouche, des directeurs qu'il était un modèle de piété; "Eh bien,
je le reçois, reprit-il; la grâce divine fera le reste." Ainsi qu'il sera
déposé, etc.
39. La vérité est que Mr Vianney
montra pendant les ordinations un si grand esprit de foi que ses condisciples
en ont été singulièrement frappés. Mr Millon, Curé de Bény, eut le bonheur
d'être à côté de lui pendant l'ordination du sous-diaconat. Tout le temps que
dura la cérémonie, le spectacle de la piété de son condisciple agit puissamment
sur son coeur; sa présence lui fut une exhortation vivante et sa physionomie un
miroir où se réfléchissaient les joies du ciel. Quand les ordinands se
relevèrent après la prostration, le visage de Mr Vianney lui parut
resplendissant. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
40. La vérité est que Mr Vianney
aussitôt après son ordination à la prêtrise fut nommé vicaire de la paroisse
d'Ecully. Son arrivée fut un jour de fête pour la paroisse. Riches et pauvres
s'estimaient heureux de retrouver dans le nouveau vicaire ce jeune, homme
qu'ils avaient vu si modeste et si pieux quand il étudiait chez leur bon Curé.
"Nous l'aimions bien alors, disaient-ils; il nous édifiait par toute sa
conduite: que sera-ce maintenant qu'il est prêtre?" Ils ne se trompaient
pas. La réception du sacerdoce avait produit dans Mr Vianney une augmentation
de foi, de charité et des autres vertus, et il en donna bien des preuves pendant
son séjour à Ecully. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
41. La vérité est que Mr Vianney
nommé à la Cure d'Ars en prit possession le neuf février mil huit cent
dix-huit. On assure qu'en apercevant les toits des maisons de sa paroisse, il
se mit à genoux pour appeler sur elle les bénédictions du Ciel. Malgré le soin
que le nouveau Curé prenait de se cacher, ses nouveaux paroissiens ne tardèrent
pas à remarquer ce qu'il ne pouvait cacher, la vivacité de sa foi, sa piété au
saint autel et son recueillement dans la prière. "Avez-vous remarqué notre
nouveau Curé, se disaient-ils? Comme il prie avec ferveur! Comme il est pieux!
Ce n'est pas un homme comme un autre; il y a quelque chose d'extraordinaire; on
nous a envoyé un saint." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
42. La vérité est que Mr Vianney,
pour renouveler sa paroisse, eut recours, dès son arrivée, aux moyens que nous
fournit la foi. Il commença par la prière. Il sembla choisir l'église pour sa
demeure. On le voyait passer de longues heures prosterné au milieu du sanctuaire
dans l'immobilité la plus complète. Il se baignait, suivant son expression,
dans les flammes de l'amour, devant Notre Seigneur présent au saint autel. Il
entrait à l'église avant l'aurore et il n'en sortait qu'après l'angelus du
soir. C'était là qu'il fallait aller le chercher; on était sûr de l'y trouver.
Ses paroissiens remarquaient qu'avant de commencer son office, et de temps en
temps pendant la récitation de son office, il fixait ses regards sur le
tabernacle avec un sourire qui faisait plaisir. On aurait dit qu'il voyait
Notre Seigneur. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
43. La vérité est que dans ses
longues oraisons devant le St Sacrement, le Curé d'Ars ne cessait de prier pour
la conversion des pécheurs et pour la persévérance des justes. Il conjurait
sans cesse le Dieu de toutes miséricordes de répandre ses grâces sur ceux qui
ont le malheur de ne pas le connaître, et il souffrait en esprit de sacrifice
pour leur conversion. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
44. La vérité est que pour
ramener ses paroissiens à la pratique des devoirs religieux, le Curé d'Ars
joignit à la prière, la prédication de la parole de Dieu, qui est ce glaive à
deux tranchants qui pénètre jusqu'au fond du coeur. Il attachait à cette
fonction du saint ministère une très grande importance. Il s'y préparait par un
travail opiniâtre. Rien ne lui coûtait pour se mettre en état de le faire avec
la force et l'éloquence dont il était capable. Comme il prêchait aussi
d'exemple, il impressionnait fortement ses auditeurs. Ainsi qu'il sera déposé,
etc.
45. La vérité est que le Curé
d'Ars connaissant les richesses immenses que Notre Seigneur nous a préparées
dans le très saint Sacrement, chercha dès le commencement à établir dans son
église l'adoration perpétuelle. Grâce au concours que lui prêtèrent quelques
personnes, il parvint à réussir dans une entreprise qui paraissait impossible
dans une aussi petite paroisse. On vit donc bientôt dans la petite église
d'Ars, naguère abandonnée comme le sont tant de pauvres églises de campagne,
des personnes à toute heure du jour rendre à Notre Seigneur dans l'auguste
sacrement de nos autels les hommages qui lui sont dus. Ainsi qu'il sera déposé,
etc.
46. La vérité est que le Curé
d'Ars non content d'avoir amené ses paroissiens à fréquenter les offices du
Dimanche, à assister à la prière du soir, qui dès lors devint un exercice, de
tous les jours, voulut aussi les porter à s'approcher plus souvent du St
Sacrement de l'autel. Il avait joui de ce triomphe à Ecully; mais à Ars la
pratique de la fréquente communion n'était pas connue. Le zélé pasteur en
gémissait: "Ah! disait-il, si je pouvais voir une fois notre divin Sauveur
connu et aimé! Si je pouvais distribuer son très saint corps tous les jours à
un grand nombre de fidèles, que je serais heureux!" Cette consolation, il
l'eut bientôt, et ses voeux furent exaucés au-delà de ses espérances. Ainsi
qu'il sera déposé, etc.
47. La vérité est que pour
assurer le bien commencé et le faire croître, le Curé d'Ars eut soin de faire
ériger dans sa paroisse les deux confréries du Saint Sacrement et du St
Rosaire. Il finit par enrôler dans ces confréries un très grand nombre de ses
paroissiens, et c'est par ce moyen qu'il vint à bout de détruire plus
promptement et plus efficacement les abus qui régnaient dans sa paroisse. Ainsi
qu'il sera déposé, etc.
48. La vérité est que Mr le Curé
d'Ars put encore assez facilement faire supprimer les deux cabarets qui étaient
dans sa paroisse. Il eut plus de peine à obtenir la cessation des oeuvres
serviles le Dimanche. Il en vint cependant si bien à bout que personne ne
travaillait à Ars le dimanche. On ne vendait pas et on n'achetait pas. Les
voitures publiques elles-mêmes n'arrivaient pas et ne repartaient pas le
Dimanche. Lorsque cependant la trop grande affluence des pèlerins eut rendu
l'arrivée et le départ des voitures nécessaires, elles n'arrivaient qu'à
l'entrée du village et c'est de là aussi qu'elles repartaient. Mr Vianney avait
obtenu ce résultat par l'ascendant que sa sainteté lui donnait sur tout le
monde. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
49. La vérité est que le bon Curé
eut plus de peine à détruire l'usage de la danse. Connaissant combien
l'entreprise était difficile, il eut recours à son grand moyen, quand il
voulait obtenir de Dieu quelques grâces
importantes de conversion et de salut. Il redoubla ses mortifications, passa
les journées et les nuits en oraison, se prosterna avec une grande abondance de
larmes aux pieds de Jésus crucifié, lui demandant par ses cinq plaies d'avoir
pitié de son peuple, de faire mourir à l'amour du monde ceux pour l'amour de
qui il a daigné mourir sur la croix. Puis il ne craignit pas de dire à son
peuple tout ce que la foi et un zèle prudent peuvent dicter, et ses paroissiens
finirent par se rendre à la voix de leur pasteur. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
50. La vérité est que Mr Vianney
pour en venir là ne se contenta pas de prier et de parler. Un jour il apprend
qu'un ménétrier est arrivé dans sa paroisse, et qu'il s'apprête à faire danser.
"Mon ami, lui dit-il, vous faites là un vilain métier que le bon Dieu ne
peut pas bénir. - Monsieur le Curé, il faut bien vivre. - Oui, mon ami, mais il
faut mourir aussi et j'ai quelque crainte qu'à la mort vous ne vous trouviez
pas bien d'avoir vécu de la sorte. Tenez, nous allons faire un marché nous
deux. Combien vous donne-t-on par jour? - Vingt francs. - En voici quarante; et
laissez-nous tranquilles." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
51. La vérité est que Mr Vianney
après avoir comme renouvelé sa paroisse, ne pouvant plus pour ainsi dire
contenir le feu de l'amour de Dieu qui le consumait et désirant le communiquer
aux autres, se rendit très volontiers à l'invitation de ses confrères et
assista à différentes missions qui se donnaient dans les environs, et prêcha
lui-même dans plusieurs paroisses pour le jubilé de mil huit cent vingt-six.
Partout il s'acquit la réputation d'un saint. Ce furent ses différents travaux
évangéliques hors de sa paroisse, qui le firent connaître et lui amenèrent à
Ars d'abord les personnes qui avaient eu le bonheur de s'adresser à lui pendant
les missions et les jubilés, puis une multitude d'autres. Le pèlerinage d'Ars
était fondé, et le nombre des pèlerins devait s'augmenter chaque année et
atteindre les dernières années le chiffre de quatre vingt mille. Ainsi qu'il
sera déposé, etc.
52. La vérité est qu'en même
temps que le pèlerinage se fondait, le Curé d'Ars travaillait à orner son
église et lui donner un autel convenable. Il consentait bien pour sa part à
n'avoir rien; il se complaisait dans la pauvreté; mais sa foi lui faisait
désirer pour son divin Maître le luxe et l'éclat des ornements. Il avait la
passion du beau dans les choses qui touchaient-au culte divin. Peu à peu il fit
construire les différentes chapelles de son église et acheta différents ornements
pour le Saint Sacrifice, les plus beaux qu'il pouvait trouver. Ainsi qu'il sera
déposé, etc.
53. La vérité est qu'en apprenant
tout ce que son bon Curé avait fait en vue de relever l'honneur du culte dans
sa petite église, Mr d'Ars ne voulut pas rester en arrière d'un si beau zèle.
Il envoya de Paris pour l'ornement du nouveau maître-autel six chandeliers,
deux grands reliquaires et un tabernacle en cuivre doré. Puis vinrent un dais
magnifique, de riches bannières, de superbes chasubles et enfin un grand
ostensoir en vermeil. Rien ne saurait peindre la joie du bon Curé, lorsqu'il
reçut tous ces ornements. Il pourrait donc désormais donner au culte l'éclat
convenable. Cette pensée le faisait tressaillir d'allégresse. Ainsi qu'il sera
déposé, etc.
54. La vérité est que Mr Vianney,
animé par son grand esprit de foi, chercha toujours à donner à toutes les
cérémonies la pompe convenable. Parmi toutes les solennités de l'année, il
aimait surtout la fête du St Sacrement. Il voulait que l'on fît les plus beaux
reposoirs possibles, qu'on n'épargnât rien pour donner à la procession toute la
solennité possible. Son grand bonheur était de pouvoir porter lui-même le très
Saint Sacrement. Sa figure paraissait radieuse et indiquait assez les
sentiments de foi et d'amour qui pénétraient son âme. Ainsi qu'il sera déposé,
etc.
55. La vérité est que Mr Vianney
célébrait le saint sacrifice avec de si grands sentiments de foi qu'il
paraissait un Ange au saint Autel. Beaucoup de personnes en suivant les
différents sentiments qui paraissaient se presser dans son coeur surtout après
la consécration et au moment de la communion ont cru que bien souvent Mr le
Curé avait le bonheur de voir Notre Seigneur lui-même. Plusieurs paroles
prononcées par le Curé d'Ars sembleraient confirmer cette appréciation. Ce qui
est certain, c'est qu'il est impossible de célébrer la sainte Messe avec plus
de sentiments de foi, de piété et de religion. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
56. La vérité est que le Curé
d'Ars était si pénétré de la présence réelle de Notre Seigneur au très saint
Sacrement, qu'il en parlait dans presque toutes ses instructions dans des
termes qui arrachaient des larmes à ses auditeurs. Il répétait souvent:
"Que nos yeux sont heureux de contempler le bon Dieu!" et il disait
ces mots avec un accent si profond et un visage si rayonnant de plaisir qu'on
pouvait croire qu'il jouissait de la vue de Notre Seigneur. On voyait de temps
en temps passer dans ses yeux des éclairs d'un bonheur que ne saurait donner
l'aspect des choses créées. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
57. La vérité est que lorsque Mr
Vianney prêchait du pied de l'autel, il était tellement impressionné par la
pensée de la présence réelle de Notre Seigneur au saint Sacrement qu'il en
perdait presque la respiration et la voix. Son embarras était visible et
quelqu'effort qu'il fît pour parler d'autre chose, il en revenait toujours à ce
grand objet. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
58. La vérité est que Mr Vianney
administrait tous les sacrements avec de si grands sentiments de foi que tous
les assistants en étaient frappés. Combien de pécheurs ont dû leur conversion
aux paroles pleines de feu qu'ils entendaient de la bouche du Curé d'Ars au
saint tribunal! Ce que Mr Taillade dit dans ses notes, combien d'autres
pourraient le répéter après lui! "J'ai eu le bonheur d'assister à deux
administrations qu'il a faites des derniers sacrements, et je puis assurer,
dit-il, que je n'ai jamais entendu discourir de l'autre vie avec une telle
conviction, une telle foi. On eût dit qu'il apercevait des yeux du corps les
choses dont il parlait. Il inspirait à tous les assistants le désir de mourir
entre ses bras. Ses paroles de feu faisaient passer les sentiments de son coeur
dans l'âme des pauvres malades, qui voyaient arriver avec une sainte confiance
le moment de leur délivrance." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
59. La vérité est que c'est par
suite de ce même esprit de foi que le Curé d'Ars parlait si souvent du prêtre
et des bienfaits que les fidèles en reçoivent. Après avoir montré la puissance
du prêtre dans l'administration des sacrements, il ne craignait pas de dire:
"Le prêtre ne se comprend bien que dans le ciel... Si on le comprenait sur
la terre, on mourrait, non de frayeur, mais d'amour, le sacerdoce, c'est
l'amour du coeur de Jésus. Quand vous voyez le prêtre, pensez à Notre Seigneur
Jésus Christ." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
60. La vérité est que Mr Vianney
en parlant de Dieu, du Ciel, semblait voir ce qu'il disait. Dans les
catéchismes qu'il faisait chaque jour, dans les instructions de chaque
dimanche, il ne cessait de revenir sur ces sujets favoris. Il disait souvent:
"Être aimé de Dieu, être uni à Dieu, vivre en la présence de Dieu, vivre
pour Dieu: oh! belle vie... et belle mort!" "Tout sous les yeux de
Dieu, tout avec Dieu, tout pour plaire à Dieu... Oh! que c'est beau! Allons,
mon âme, tu vas converser avec le bon Dieu, travailler avec lui, marcher avec
lui, combattre et souffrir avec lui. Tu travailleras, mais il bénira ton
travail; tu marcheras, mais il bénira tes pas; tu souffriras, mais il bénira
tes souffrances. Qu'il est grand, qu'il est noble, qu'il est consolant de tout
faire en la compagnie et sous les yeux du bon Dieu! De penser qu'il voit tout,
qu'il compte tout." En disant ces paroles et d'autres semblables, il semblait
n'être déjà plus sur la terre. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
61. La vérité est que vaincu par
son émotion, le bon Curé était souvent obligé de s'arrêter. Quelquefois son
discours n'était qu'un cri sublime d'amour, de joie ou de douleur. Un jour
qu'il expliquait l'évangile du deuxième dimanche de Carême, le ravissement des
apôtres sur le Thabor réveillant en lui l'idée du bonheur de l'âme appelée à
jouir de la sainte humanité de notre Seigneur dans la claire vision du Ciel, il
s'écria, transporté hors de lui-même: "Nous le verrons! Nous le
verrons!... O mes frères, y avez-vous jamais pensé? Nous verrons Dieu! Nous le
verrons tout de bon! Nous le verrons tel qu'il est, face à face!" Et
pendant un quart d'heure, il ne cessa de répéter: Nous le verrons! nous le verrons!!!
et il versait des larmes de bonheur. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
62. La vérité est qu'en 1830,
ayant appris que sur plusieurs points de la France on avait abattu les croix:
"Ils auront beau faire, s'écria-t-il au milieu de son catéchisme, dans un
mouvement de sublime indignation, qui impressionna vivement son auditoire, ils
auront beau faire! La croix est plus forte qu'eux, ils ne la renverseront pas
toujours: Quand Notre Seigneur paraîtra sur les nuées du Ciel, ils ne
l'arracheront pas de ses mains!" Ainsi qu'il sera déposé, etc.
63. La vérité est que sa grande
foi lui faisait trouver les comparaisons les plus gracieuses pour peindre le
bonheur d'une âme en état de grâce. Il disait par exemple: "Comme une
belle colombe blanche qui sort du milieu des eaux et vient secouer ses ailes
sur la terre, l'Esprit Saint sort de l'océan infini des perfections divines, et
vient battre des ailes sur les âmes pures, pour distiller en elles le baume de
l'amour. Le Saint Esprit repose dans une âme pure, comme, sur un lit de roses.
Une âme pure est comme une belle perle. Tant qu'elle est cachée dans un
coquillage au fond de la mer, personne ne songe à l'admirer. Mais vous la
montrez au soleil, cette perle brille et attire les regards. C'est ainsi que
l'âme pure, qui est cachée aux yeux du monde, brillera un jour devant les
anges, au soleil de l'éternité." Il se servait de beaucoup d'autres
comparaisons. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
64. La vérité est que la foi
inspirait à Mr Vianney les plus belles pensées sur l'action du St Esprit dans
les âmes. C'était un des sujets qu'il traitait avec une sorte de prédilection,
et sur lequel on peut dire qu'il a été le plus magnifiquement inspiré. Selon le
Curé d'Ars, le St Esprit est notre conducteur. L'homme n'est rien par lui-même,
mais il est beaucoup avec l'Esprit Saint. L'homme est tout terrestre et tout
animal; il n'y a que l'Esprit Saint qui puisse élever son âme et le porter en
haut... Une âme qui a le Saint Esprit ne s'ennuie jamais en la présence de
Dieu: il sort de son coeur une transpiration d'amour. Sans le Saint Esprit nous
sommes comme une pierre du chemin... Prenez dans une main une éponge imbibée
d'eau, et dans l'autre un petit caillou; pressez-les également. Il ne sortira
rien du caillou, et de l'éponge vous ferez
sortir de l'eau en abondance. L'éponge, c'est l'âme remplie du Saint Esprit, et
le caillou, c'est le coeur froid et dur où le St Esprit n'habite pas... Le bon
Curé d'Ars avait dans ses catéchismes et ses homélies d'autres pensées non
moins remarquables. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
65. La vérité est que sur la
prière le Curé d'Ars trouvait les plus aimables et les plus ingénieuses
comparaisons. La prière est une rosée embaumée, mais il faut prier avec ferveur
et avec un coeur pur pour sentir cette rosée. La prière dégage notre âme de la
matière; elle l'élève en haut comme le feu, qui gonfle les ballons. Plus on
prie, plus on veut prier. C'est comme un poisson, qui nage d'abord à la surface
de l'eau, qui plonge ensuite, et qui va toujours plus avant. L'âme se plonge,
s'abîme, se perd dans les douceurs de la conversation avec Dieu. Le temps ne
dure pas dans la prière. Je ne sais pas si on peut désirer le Ciel? Oh! oui...
Le poisson, qui nage dans un petit ruisseau, se trouve bien parce qu'il est
dans son élément; mais il est encore mieux dans la mer... Le Curé d'Ars avait
sur ce sujet beaucoup d'autres pensées également belles. Ainsi qu'il sera
déposé, etc.
66. La vérité est que Mr le Curé d'Ars
repoussait les tentations avec les pensées de la foi. Au milieu des
contradictions auxquelles il était en butte, il s'appuyait sur les pensées de
la foi pour se consoler et se donner du courage. Il faut demander l'amour des
croix, disait-il: alors elles deviennent douces. J'en ai fait l'expérience
pendant quatre où cinq ans. J'ai été bien calomnié, bien contredit, bien
bousculé. Oh! j'avais des croix... J'en avais presque plus que je n'en pouvais
porter! Je me mis à demander l'amour des croix... Alors je fus heureux. Je me
dis: Vraiment il n'y a de bonheur que là... Il ne faut jamais regarder d'où
viennent les croix: elles viennent de Dieu. C'est toujours Dieu qui nous donne
ce moyen de lui prouver notre amour. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
67. La vérité est que le Curé
d'Ars disait encore sur le même sujet: "Les contradictions nous mettent au
pied de la croix, et la croix à la porte du ciel. Pour y arriver, il faut qu'on
nous marche dessus; que nous soyons vilipendés, méprisés, broyés... Il n'y a
d'heureux dans ce monde que ceux qui ont le calme de l'âme, au milieu des
peines de la vie; ils goûtent la joie des enfants de Dieu... Toutes les peines
sont douces, quand on souffre en union avec Notre Seigneur. Souffrir!
Qu'importe? ce n'est qu'un moment. Si nous pouvions aller passer huit jours
dans le Ciel, nous comprendrions le prix de ce moment de souffrance. Nous ne
trouverions pas de croix assez lourde, pas d'épreuve assez amère." L'amour
des souffrances est un sujet sur lequel le Curé d'Ars revenait souvent et sur
lequel il disait des choses magnifiques. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
68. La vérité est que Mr Vianney
semble avoir pendant toute sa vie pratiqué à la lettre ce que le Saint Esprit
dit du juste. Mon juste vit de la foi. La foi était le grand mobile de toutes
les actions du Curé d'Ars; c'était toute sa science. Elle lui expliquait tout,
et il expliquait tout par elle. Un prêtre venant d'entendre le catéchisme de Mr
Vianney ne put s'empêcher de dire: "Quelle foi! Il y aurait de quoi enrichir
tout un diocèse." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
69. La vérité est que Mr Vianney
dans sa première maladie de 1843 entendant les quelques ecclésiastiques réunis
autour de lui décider qu'ils assisteraient seuls à l'administration des
derniers sacrements qu'on allait lui faire, et qu'on ne sonnerait pas les
cloches pour ne pas augmenter le trouble et la désolation des habitants: Allez
faire sonner, dit le malade, ne faut-il pas que les paroissiens prient pour
leur Curé? Et il reçut les derniers sacrements avec les plus grands sentiments
de foi. Le lendemain le bon Curé se trouva mieux, il fut même bientôt rétabli.
Sa guérison parut à tous merveilleuse; la voix publique l'attribua à Ste
Philomène. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
70. La vérité est que Mr Vianney
montra les plus grands sentiments de foi, la piété la plus tendre, lorsque dans
sa dernière maladie il eut le bonheur de recevoir les derniers sacrements. Ceux
qui en ont été témoins n'en perdront jamais le souvenir. Ainsi qu'il sera
déposé, etc.
71. La vérité est que Mr Vianney
montra, dès sa plus-tendre enfance la plus ferme espérance, et que cette vertu
alla toujours en grandissant dans le coeur du serviteur de Dieu. Elle éclata
d'une manière particulière lorsqu'à l'âge de dix-huit ans il résolut
d'embrasser la carrière ecclésiastique. Une fois qu'il eut connu que sa
résolution était la volonté de Dieu, il courut vers le but proposé sans que
rien pût jamais l'arrêter, ni le peu de talent qu'il se reconnaissait, ni les
difficultés de tout genre que nous avons déjà signalées. Sachant que ce que
Dieu veut arrive tôt ou tard, il plaçait en lui toute sa confiance, et tout en
faisant ce qu'il pouvait pour réussir, il abandonnait le succès entre les mains
de la Providence, Ainsi qu'il sera déposé, etc.
72. La vérité est que Mr Vianney
sut entreprendre les travaux les plus rudes à Ecully et surtout à Ars, grâce à
son grand abandon de lui-même et à sa grande confiance en Dieu. Il avait
compris toute la mission du prêtre. Il avait compris que le prêtre doit être
avant tout l'homme de la prière, qu'il a été choisi, comme dit
l'Ecclésiastique, ch. 45, v. 20, pour offrir à Dieu les sacrifices, les parfums
et la bonne odeur qui appellent sa miséricorde sur le monde. Aussi voyait-on le
Curé d'Ars entre le vestibule et l'autel prier le Dieu de toutes miséricordes
de toucher le coeur de ses paroissiens et de convertir les pécheurs; le
supplier de répandre ses bénédictions sur l'univers tout entier. Ainsi qu'il
sera déposé, etc.
73. La vérité est que Mr Vianney
qui avait reçu de Dieu, en même temps que la grâce de s'a vocation,
l'intelligence de ce que doit être le prêtre, savait combien il pouvait peu
compter sur lui-même. Toutefois la connaissance qu'il avait de lui-même ne le
décourageait point. Le découragement est un orgueil souffrant; il naît dans les
âmes faibles d'un excès de confiance en Dieu (sic). Le Curé d'Ars n'espérait
rien de lui-même et attendait tout de Dieu; il s'adonnait pour cela à la piété,
parce qu'il savait par la vie des saints qu'elle peut opérer des prodiges, et
que Dieu se plaît souvent à se servir des instruments les plus faibles. Ainsi
qu'il sera déposé, etc.
74. La vérité est que Mr Vianney
voulant réformer sa paroisse trouva bien des difficultés. La paroisse d'Ars
ressemblait malheureusement à beaucoup d'autres; la vertu était peu connue et
peu pratiquée; presque tout le monde négligeait le soin de son âme et de son
salut. Les jeunes personnes n'avaient en tête que les amusements et les plaisirs,
et elles s'y abandonnaient avec une joie folle et bruyante, sans retenue et
sans frein. Qui saura jamais ce que le coeur du saint prêtre eut à souffrir
d'un pareil état de choses! Combien l'inutilité apparente de son ministère, au
milieu de la population où il devait passer sa vie, a dû dans le commencement
désoler son âme! Cette douleur n'allait pourtant jamais jusqu'au découragement.
Le Curé d'Ars, tout en reconnaissant la difficulté de l'entreprise, crut qu'il
en viendrait à bout par les prières, les soupirs, les gémissements et les
larmes devant Notre Seigneur. Dès lors, il résolut de passer les jours et les
nuits à conjurer la miséricorde divine d'agir elle-même sur l'esprit de ses
paroissiens. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
75. La vérité est que Mr Vianney
sachant que l'église est pour tout le peuple; que c'est sa vie, sa foi, son
espérance, sa gloire et comme sa famille, parce qu'elle lui rappelle tous les
dogmes de notre sainte religion et cette cité du Ciel où tous réunis avec les
anges et les saints nous chanterons pendant toute l’éternité les louanges de
Dieu; sachant que pour mieux rendre ces mystères sensibles, il faut que le lieu
de la prière soit orné d'une manière convenable et qu'aux grandes solennités on
puisse étaler la richesse des ornements, résolut d'embellir la pauvre église
d'Ars, et de faire pour elle tout ce qu'il pourrait. Tout le monde sait qu'à
force d'efforts et de patience, il vint à bout de décorer son église d'une
manière convenable, de construire différentes chapelles, et d'acheter des
ornements très riches. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
76. La vérité est que la grande
espérance jointe à la grande foi de Mr Vianney lui mettait dans la bouche des
paroles de feu toutes les fois qu'il parlait du péché. "Le péché,
disait-il, est le bourreau du bon Dieu et l'assassin de l'âme. C'est lui qui
nous arrache du ciel pour nous précipiter en enfer. Et nous l'aimons!... Quelle
folie! Si on y pensait bien, on aurait une si vive horreur du péché qu'on ne
pourrait le commettre. O mes frères, que nous sommes ingrats! Le bon Dieu veut
nous rendre heureux et nous ne le voulons pas! Nous nous détournons de lui, et
nous nous donnons au démon! Nous fuyons notre ami et nous cherchons notre
bourreau! Nous commettons le péché, nous nous enfonçons dans la boue; une fois
engagés dans ce bourbier, nous ne voulons plus en sortir. S'il y allait de
notre fortune, nous saurions bien nous tirer de ce mauvais pas; mais parce
qu'il n'y va que de notre âme, nous y restons... Voyez, mes frères, le bon
chrétien parcourt le chemin de ce monde, monté sur un beau char de triomphe,
assis sur un trône, et c'est Notre Seigneur qui conduit la voiture. Mais le
pécheur est attelé lui-même au brancard; c'est le démon qui est dans la
voiture, et qui frappe sur lui à grands coups pour le faire avancer." Le
Curé d'Ars avait sur ce sujet beaucoup d'autres pensées non moins remarquables.
Ainsi qu'il sera déposé, etc.
77. La vérité est que l'espérance
des biens à venir faisait estimer à Mr Vianney les grâces et les bienfaits
spirituels à leur juste valeur. Il y eut une époque où deux jubilés se
suivirent d'assez près. Il ne manqua pas de gens pour se plaindre de la
fréquence des jubilés et de la monotonie de leur répétition. Le retentissement
de ces plaintes arriva jusqu'à Mr le Curé qui le dimanche au prône, en
annonçant l'ouverture des exercices, eut soin d'ajouter: "On dit qu'on a
déjà eu un jubilé l'année dernière, et on demande pourquoi il y en a encore un
cette année?... Mais, mes amis, si un roi ou un grand seigneur vous avait donné
trois mille francs et que, quelque temps après, il jugeât à propos de doubler
la somme, cela vous ennuierait-il? Mépriseriez-vous les trois derniers mille
francs à cause des trois premiers que vous auriez déjà reçus?" Ainsi qu'il
sera déposé, etc.
78. La vérité est que pour juger
de la grande espérance du Curé d'Ars, il suffit de l'avoir entendu parler du
Ciel et du bonheur du Ciel. On se rappelle ce jour où pendant un quart d'heure,
il ne put que dire; Oui nous le verrons! Nous le verrons! Tous ses auditeurs
ont été si profondément impressionnes qu'ils n'en perdront jamais le souvenir.
Un jour en parlant du Ciel, après avoir dit que la foi et l'espérance
n'existeront plus, il ajouta: "Mais l'amour! Oh! nous en serons enivrés,
nous serons noyés, perdus dans cet océan de l'amour divin, anéantis, confondus
dans cette immense charité du coeur de Jésus!... Aussi la charité est un
avant-goût du Ciel. Si nous savions la comprendre, la sentir, la goûter, oh!
que nous serions heureux!" Ainsi qu'il sera déposé, etc.
79. La vérité est que Mr Vianney
ne cessait au saint tribunal, en chaire, dans ses catéchismes de parler de la
grande miséricorde du Seigneur, de la facilité que nous avons d'aller au Ciel
par le moyen de la grâce. Ce que d'autres n'auraient pu que par de longs
discours, le Curé d'Ars l'opérait par un seul mot. Ce mot était ordinairement
si plein de grâce et d'onction, qu'il lui suffisait pour entrouvrir une âme et
y faire pénétrer les rayons de la lumière éternelle. Ainsi qu'il sera déposé,
etc.
80. La vérité est que le Curé
d'Ars avait reçu de Dieu un don tout particulier pour consoler les âmes. Qui
pourrait dire toutes les confidences qu'il a reçues, tous les pleurs qu'il a vu
répandre! Mr Vianney entendait des choses, qui fendaient l'âme. Alors il s'arrêtait;
il joignait les mains; il levait au Ciel ses yeux mouillés de larmes; puis il
les rabaissait sur les malheureux qu'il avait à ses pieds. Il disait quelques
mots, et voilà que le calme revenait dans ces âmes troublées. Tous emportaient
de leur visite des pensées plus sereines, une attente plus douce et plus
paisible de l'avenir, plus de courage à supporter les tristesses présentes.
Ainsi qu'il sera déposé, etc.
81. La vérité est qu'en
travaillant incessamment au bien des âmes, Mr Vianney ne négligeait pas la
sienne. Il se sanctifiait lui-même pour être plus apte à sanctifier les autres.
Il n'oubliait pas le repos dans la prière que le Maître conseille à ses
disciples. Il avait acquis cette habitude des hommes apostoliques de sortir de
Dieu par l'action, quand ils le doivent, et de rentrer en Dieu par la prière,
dès qu'ils le peuvent. Il satisfaisait son besoin d'oraison par les élévations
continuelles de son âme vers Dieu. Il consacrait un temps considérable à la
méditation, sans parler de celui qu'il donnait à la lecture de la Vie des
Saints; il faisait de longues visites au saint Sacrement. Si au moment de la
trop grande affluence de pèlerins il les rendait plus courtes, c'était
uniquement pour entendre les nombreuses personnes qui réclamaient son ministère.
Il s'en dédommageait par de fréquentes élévations de son coeur vers Dieu. Ainsi
qu'il sera déposé, etc.
82. La vérité est que Mr Vianney
s'abandonnait entièrement entre les mains de la Providence. Il disait un jour:
"Quand je pense au soin que le bon Dieu a pris de moi, quand je récapitule
ses bontés et ses miséricordes, la reconnaissance et la joie de mon coeur
débordent de tous côtés. Je ne sais plus que devenir... Je ne découvre de toute
part qu'un abîme d'amour dans lequel je voudrais pouvoir me perdre et me
noyer... Je l'ai reconnu particulièrement deux fois. Lorsque j'étudiais,
j'étais accablé de chagrin; je ne savais plus que faire. Je vois encore
l'endroit; je passais à côté de la maison de la Bibot; il me fut dit, comme si
c'était quelqu'un qui m'eût parlé à l'oreille: "Va, sois tranquille, tu
seras prêtre un jour..." Une autre fois que j'avais beaucoup d'inquiétude
et d'ennui, j'entendis la même voix qui me disait distinctement: "Que
t'a-t-il manqué jusqu'à présent?" En effet, j'ai toujours eu de quoi
faire... Il fait bon s'abandonner uniquement, sans réserve et pour toujours à
la conduite de la divine Providence... Nos réserves tarissent le courant de ses
miséricordes, et nos défiances arrêtent ses bienfaits... Vivons donc doucement
dans le sein de cette bonne Providence si attentive à tous nos besoins. Dieu
nous aime plus que le meilleur des pères, plus que la mère la plus tendre. Nous
n'avons qu'à nous soumettre et à nous abandonner à sa volonté avec un coeur
d'enfant." C'est par ces paroles et d'autres semblables que Mr Vianney
savait relever le courage des directrices de sa Providence, quand, dans les
moments difficiles, leur espérance venait à chanceler. Ainsi qu'il sera déposé,
etc.
83. La vérité est que pour
éprouver la vertu de son Serviteur, Dieu permit que le Curé d'Ars fût presque
continuellement pendant la nuit en butte aux attaques du démon, qui tantôt
d'une façon, tantôt d'une autre, empêchait le bon Curé de prendre le repos
nécessaire à son corps après les pénibles travaux de la journée. Il y avait six
ans que Mr Vianney était à Ars lorsque des bruits étranges commencèrent à
troubler le repos de ses nuits et le silence de son presbytère. Dans le
commencement, il eut peur d'avoir affaire à des voleurs, mais quand il comprit
la cause de ces bruits, il se recommanda à Dieu, à la Sainte Vierge et à son
bon ange gardien. Les missionnaires lui disaient un jour: "Ces bruits, ces
voix que vous entendez dans la nuit, tout ce tintamarre ne vous fait pas peur?
- Oh! non, répondit-il, je sais que c'est le grappin (nom qu'il donnait au
démon): ça me suffit. Depuis le temps que nous avons affaire ensemble, nous
nous connaissons; nous sommes camarades... D'ailleurs, le bon Dieu est meilleur
que le démon n'est méchant; c'est lui qui me garde. Ce que Dieu garde est bien
gardé!" Ainsi qu'il sera déposé, etc.
84. La vérité est que Mr Vianney
eut à soutenir d'autres attaques de la part des hommes et même de ses
confrères; qui le contredirent de différentes manières. A leurs yeux le Curé
d'Ars était un ignorant, un hypocrite, un illuminé, un extravagant, un
fanatique. Les choses allèrent si loin que plus d'une fois on le dénonça à son
Évêque. "Je m'attendais d'un moment à l'autre, disait-il, à être mis à la
porte à coups de bâton, interdit et condamné à finir mes jours dans les
prisons. Il me semblait que tout le monde aurait dû me faire les cornes pour
avoir osé demeurer si longtemps dans une paroisse où je ne pouvais être qu'un
obstacle au bien." Que faisait le Curé d'Ars en attendant sa disgrâce, qu'il
croyait inévitable? Il priait et s’abandonnait entre les mains de Dieu. A
mesure que tout lui manquait dans le monde, il se donnait et s'unissait
davantage à son Seigneur. L'injustice des hommes ne servit qu'à briser tous les
liens qui pouvaient encore le retenir à la terre et à le faire avancer dans
l'amour de Dieu. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
85. La vérité est que Dieu permit
encore que Mr Vianney ressentît de très grandes peines intérieures. Afin
d'augmenter ses mérites et de désintéresser son zèle, Notre Seigneur lui
mettait un voile sur les yeux, en sorte qu'il n'apercevait pas le bien immense
qui s'opérait par lui. Il se croyait un être inutile; il se voyait sans foi,
sans piété, sans intelligence, sans savoir, sans discernement, sans vertu. Il n'était
bon qu'à tout gâter, à tout compromettre, à malédifier tout le monde; il était
un obstacle au bien. "Dieu m'a fait, disait-il, cette grande miséricorde
de ne rien mettre en moi sur quoi je puisse m'appuyer, ni talent, ni science,
ni sagesse, ni force, ni vertu... Je ne découvre en moi, quand je me considère,
que mes pauvres péchés. Encore le bon Dieu permet-il que je ne les voie pas
tous, et que je ne me connaisse pas tout entier. Cette vue me ferait tomber
dans le désespoir. Je n'ai d'autre ressource, contre cette tentation du
désespoir, que de me jeter au pied du tabernacle comme un petit chien aux pieds
de son maître." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
86. La vérité est que Mr Vianney
laissait parfois dans ses conversations intimes transpirer quelque chose de la
profonde tristesse, qui était au fond de son coeur. Une chose le fatiguait plus
que le reste, c'était le péché. La vue du mal excitait en lui les mouvements
d'un fils qui voit outrager son père. "Je sèche d'ennui sur cette terre,
disait-il un jour à un confrère; mon âme est triste jusqu'à la mort. Mes
oreilles n'entendent que des choses pénibles et qui me navrent le
coeur..." "Mon Dieu, s'écriait-il un jour, que le temps me dure avec
les pécheurs! Quand donc serai-je avec les saints!... On offense tant le bon
Dieu, disait-il d'autres fois, qu'on serait tenté de demander la fin du
monde!... S'il n'y avait pas par là quelques belles âmes pour reposer les yeux
et consoler le coeur de tant de mal qu'on voit et qu'on entend, on ne pourrait
pas se souffrir en cette vie... Quand on pense, ajoutait-il en pleurant à
chaudes larmes, quand on pense à l'ingratitude de l'homme envers le bon Dieu,
on est tenté de s'en aller de l'autre côté des mers, pour ne pas la voir. C'est
effrayant! Encore, si le bon Dieu n'était pas si bon! mais il est si bon!... O
mon Dieu! mon Dieu! quelle honte nous aurons, quand le jour du dernier jugement
nous fera voir toute notre ingratitude. Nous comprendrons alors, mais ce ne
sera plus temps." Le Curé d'Ars avait sur ce sujet beaucoup d'autres
pensées. Dans ces moments de peine, il se jetait aux pieds de Notre Seigneur,
comme un petit chien aux pieds de son maître. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
87. La vérité est que Mr Vianney
était sans cesse poursuivi de la crainte des jugements de Dieu. On le remarqua
d'une manière particulière dans sa première maladie. Il montra aussi une vive
appréhension, de la mort. Quoique la crainte des jugements de Dieu fût son idée
dominante et le désespoir sa tentation: néanmoins le Curé d'Ars désirait la mort
et l'appelait de tous ses voeux: "C'est, disait-il, l'union de l'âme avec
le souverain bien." Il a parlé souvent d'écrire un livre sur les délices
de la mort. Il y avait des moments où, dans sa conversation, on sentait que,
comme St Paul, il souhaitait de sortir bientôt de la tente de son corps, afin
que ce qu'il y avait de mortel en lui fût absorbé par la vie. Ainsi qu'il sera
déposé, etc.
88. La vérité est qu'une autre
pensée poursuivait partout le Curé d'Ars, c'était le désir d'aller dans la
solitude pleurer sa pauvre vie, comme il le disait. Cette idée qu'il n'était
bon à rien, qu'il n'était propre qu'à tout gâter, qu'il était pour l'Église un
fardeau inutile, idée qui chez lui avait pris le caractère d'une profonde conviction,
et que rien ne pouvait chasser, ni la multitude des pèlerins qu'Ars voyait
affluer, ni les témoignages de respect qu'il recevait, cette idée lui faisait
souhaiter l'heureux jour où il pourraient briser les liens qui le retenaient à
Ars. Après sa première maladie, voyant le nombre des pèlerins augmenter, il
crut le moment favorable pour réitérer à l'Évêque de Belley la demande qu'il
avait déjà faite, de quitter la paroisse d'Ars. La paroisse ne devait pas
souffrir de son absence, puisqu'il y laissait un jeune prêtre, qui la
conduirait mieux que lui. En attendant la réponse, il quitta Ars ou plutôt il
s'enfuit d'Ars (car s'il n'avait pas caché son dessein, on ne l'aurait jamais
laissé partir), et alla se reposer dans sa famille à Dardilly. Mais déjà il n'était
plus dans la solitude à Dardilly, lorsqu'il reçut la réponse de son Évêque.
Monseigneur de Belley, tout en lui offrant deux autres postes où il pouvait le
placer, manifestait le désir qu'il restât à Ars. Mr Vianney, en compagnie de Mr
l'abbé Raymond, se dirigea vers la chapelle de Beaumont, un des postes indiqués
par son Évêque. Mais lorsqu'il y eut dit la sainte messe, se penchant tout à
coup, pendant son action de grâces, vers Mr Raymond, il lui dit du ton le plus
résolu: "Retournons à Ars". Il y retourna en effet et y fut reçu
comme en triomphe. Il réitéra bien des fois sa demande de quitter Ars pour
aller dans la solitude. Il chercha même à s'enfuir une seconde fois à l'arrivée
des missionnaires. Mais Dieu ne permit pas qu'il pût réaliser son dessein. La
divine Providence voulait sans doute qu'en sacrifiant son goût à l'obéissance,
son plaisir au devoir, Mr Vianney eût sans cesse l'occasion de se vaincre
lui-même, de fouler aux pieds son esprit, son jugement et sa volonté propre.
Ainsi qu'il sera déposé, etc.
89. La vérité est que Mr Vianney
poursuivit jusqu'à la fin de sa vie les travaux qu'il avait entrepris pour la
gloire de Dieu. Comme on le voyait très fatigué dans le courant de l'année
1859, on le pressait mais en vain de prendre un peu de repos; il répondait
toujours: "Je me reposerai en paradis." D'autres fois il avait dit
lorsqu'il était plus rompu et plus exténué qu'à l'ordinaire: "Ah! les
pécheurs tueront le pécheur!" Et encore: "Je connais quelqu'un qui
serait bien attrapé, s'il n'y avait point de paradis." "Ah! je pense
souvent, reprenait-il, que quand même il n'y aurait point d'autre vie, ce
serait un assez grand bonheur d'aimer Dieu dans celle-ci, de le servir et de
faire quelque chose pour sa gloire." Lui qui avait tant redouté les jugements
de Dieu et tant craint la mort, vit arriver ses derniers moments avec cette
assurance que donne l’espérance de voir bientôt son Dieu et de recevoir la
récompense de ses travaux. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
1° Charité envers Dieu.
90. La vérité est que Mr Vianney
dès sa plus tendre enfance montra un grand amour pour Dieu. A dix-huit mois, il
savait déjà mettre ses petites mains jointes dans les mains de sa mère et dire
après elle: Jésus, Marie! et toutes les syllabes dont sa langue s'enrichissait
chaque jour étaient autant d'emprunts aux formules de prières. A l'âge de trois
ans, il recherchait déjà la solitude pour prier avec plus de liberté. Oh! comme
il correspondait admirablement aux leçons que lui donnait sa vertueuse mère,
qui lui disait souvent: "Vois-tu, mon petit Jean-Marie, si je te voyais
offenser le bon Dieu, cela me ferait plus de peine que si c'était un autre de
mes enfants." Le jeune Vianney se gardait bien de causer cette peine à sa
mère, qui, comme il le répétait si souvent, était si sage. Il s'efforçait tous
les jours de bien prier et de bien aimer le bon Dieu. Ainsi qu'il sera déposé,
etc.
91. La vérité est que le jeune
Vianney devenu plus grand aimait tellement le bon Dieu, qu'il ne le perdait pas
de vue, même pendant les travaux. "Si maintenant que je cultive les âmes,
disait-il, quand il était Curé d'Ars, j'avais le temps de penser à la mienne,
de prier et de méditer, comme quand je cultivais les terres de mon père, que je
serais content! Il y avait au moins quelque relâche dans ce temps-là; on se
reposait après dîner, avant de se remettre à l'ouvrage. Je m'étendais par terre
comme les autres, je faisais semblant de dormir, et je priais Dieu de tout mon
coeur. Ah! c'était le beau temps!" "Que j'étais heureux, répétait-il,
moins d'un mois avant sa mort, lorsque je n'avais à conduire que mes trois
brebis et mon âme!... Dans ce temps-là, je pouvais prier Dieu tout à mon
aise." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
92. La vérité est qu'il fallut au
jeune Vianney un grand amour de Dieu pour persévérer dans ses études, malgré
les difficultés qui semblaient naître sous ses pas et devoir décourager les
plus forts. En entrant dans la carrière ecclésiastique, il ne se proposait que
de faire aimer Dieu en sauvant les âmes. Il triompha de tous les obstacles pour
suivre sa vocation, parce qu'il crut que telle était la volonté de Dieu. Ainsi
qu'il sera déposé, etc.
93. La vérité est que soit à
Ecully, soit à Verrières, soit au Grand séminaire, notre jeune étudiant sut se
faire remarquer par la pratique de toutes les vertus, et surtout par sa grande
piété. Son amour pour Dieu brilla encore d'un plus vif éclat lorsqu'il fut
appelé à recevoir les ordres. Il n'en pouvait pas être autrement. Sa foi jointe
à sa grande charité, devait nécessairement réagir sur tout son extérieur dans
un moment aussi solennel. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
94. La vérité est qu'aussitôt
après la réception du sacerdoce, Mr Vianney, nommé vicaire à Ecully, se sentit,
dès les premiers jours, une ardeur qu'il ne se connaissait pas. Il lui semblait
qu'il n'avait encore rien fait pour Dieu. Les prières et les pénitences qu'il
faisait ne répondaient plus à son nouveau besoin d'aimer Dieu et de s'immoler
pour lui. Il y eut donc un redoublement d'ardeur pour le service de Dieu. Ainsi
qu'il sera déposé, etc.
95. La vérité est que Mr Vianney
menait avec Mr Balley, qui avait conservé au milieu du siècle les habitudes du
cloître, la vie la plus sainte et la plus exemplaire. Par exemple, il avait été
convenu entre Mr Balley et son vicaire que, tous les jours, l'office canonial
se dirait en commun, à une heure fixe et invariable; qu'on ne découcherait
jamais; qu'on ferait chaque mois, un jour de récollection et chaque année, les
exercices spirituels. "J'aurais fini par être un peu sage, disait le Curé
d'Ars, si j'avais eu le bonheur de vivre avec Mr Balley. Pour avoir envie
d'aimer le bon Dieu, il suffisait de lui entendre dire: Mon Dieu, je vous aime
de tout mon coeur." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
96. La vérité est qu'à Ars, Mr
Vianney se montra tel qu'il avait paru à Ecully, tout plein de l'amour de Dieu
et ne désirant que sa gloire. Il s'efforçait tous les jours d'exciter en lui le
feu de la charité. Comme dans le commencement le ministère lui donnait, à son
grand regret, peu d'occupation, le Curé d'Ars sembla choisir l'église pour sa
demeure. Il y passait presque toute la journée. "Que nous aimons à voir Mr
le Curé à l'église, disaient les habitants d'Ars, surtout le matin, au petit
jour, quand il dit ses prières! Avant de commencer, et de temps en temps
pendant la récitation du saint office, il regarde le tabernacle avec un sourire
qui fait plaisir." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
97. La vérité est que Mr Vianney
avait parfaitement compris la mission du prêtre en ce monde. Mais il avait
aussi parfaitement compris que pour remplir cette mission, c'est-à-dire pour
purifier les âmes, les éclairer, les consoler, les amener à vouloir les choses
les plus hautes et les plus difficiles, les arracher à la tyrannie des passions
et à la fascination des faux biens de la terre, pour les faire vivre de la vie
de J.-C., il faut avoir Dieu pour soi et pratiquer à la lettre ce que dit Notre
Seigneur: Je me sanctifie moi-même, afin qu'ils soient sanctifiés. Ainsi qu'il
sera déposé, etc.
98. La vérité est que Mr Vianney,
pour atteindre ce double but de sa sanctification personnelle et de la
sanctification de ses paroissiens, choisit 1° pour lui une vie mortifiée et
pénitente. Il avait médité bien des fois cette parole de Notre Seigneur: Si
quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renonce lui-même, qu'il prenne sa
croix et qu'il me suive, et il tâchait de la mettre en pratique. Persuadé que
les fidèles tôt ou tard finissent par régler leur conduite sur celle de leur
pasteur, il s'efforça 2° de donner en tout le bon exemple, d'administrer les
sacrements avec un grand esprit de foi, d'annoncer la parole de Dieu avec toute
l'onction et toute la force que donne le zèle du salut des âmes. Ainsi qu'il
sera déposé, etc.
99. La vérité est que Mr Vianney,
dès qu'il crut le terrain suffisamment préparé, essaya d'établir les
confréries, la prière du soir en public, l'adoration perpétuelle et la pratique
de la fréquente communion. Il était convaincu par tout ce qu'il avait vu et
senti lui-même, que la sainte Eucharistie est le fondement de la vie
chrétienne; le secret de toutes les merveilles que l'esprit de foi,
d'abnégation et de dévouement fait enfanter tous les jours aux vrais fidèles;
le foyer où s'allume le désintéressement des Apôtres, la constance des martyrs,
la générosité des Confesseurs, la pureté des vierges. Aussi recommandait-il la
fréquente communion dans les termes les plus propres à porter les fidèles à
embrasser cette pieuse pratiqué. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
100. La vérité est que le Curé
d'Ars sachant que les abus, qu'il avait trouvés dans sa paroisse, s'ils
persévéraient, pourraient paralyser tout le bien qu'il avait eu en vue en
établissant les confréries, etc., après avoir prié longtemps, déploya pour les
détruire tous les moyens qu'un zèle prudent fait employer. Dieu couronna ses
efforts d'un plein succès. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
101. La vérité est que le Curé
d'Ars n'avait qu'une seule pensée: aimer et faire aimer Dieu, Dieu et rien que
Dieu! Dieu toujours, Dieu partout, Dieu en tout! Toute la vie du Curé d'Ars est
là. Trente ans de cette sublime monotonie! Trente ans d'une existence toujours
semblable à elle-même! Toujours l'oeuvre de Dieu; jamais il n'y a mis du sien;
jamais il ne s'est accordé la plus petite jouissance. Ainsi qu'il sera déposé,
etc.
102. La vérité est que pour juger
cette grande charité du Curé d'Ars, il faut le suivre dans les différentes
fonctions de son ministère.
Sa dévotion envers le très saint
sacrement était admirable. Avant que la foule des pèlerins fût si nombreuse, il
disait toujours son office à genoux, sans aucun point d'appui; souvent il
faisait des pauses et regardait le tabernacle avec des yeux où se peignait une
joie si vive, qu'on aurait pu croire qu'il voyait Notre Seigneur. Lorsque le
saint sacrement était exposé, il ne s'asseyait jamais, excepté quand il y avait
quelque prêtre étranger, pour ne pas faire autrement que lui. Alors il se
tournait vers l'autel avec un sourire extatique. Un de ses confrères le surprenant
un jour dans cette attitude, porta instinctivement ses regards vers le
tabernacle, comme s'il avait dû voir quelque chose. Il ne vit rien; mais
l'expression du visage de Mr Vianney l'avait tellement frappé, qu'il dit:
"Je crois qu'il viendra un temps où le Curé d'Ars ne vivra que de
l'Eucharistie." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
103. La vérité est que Mr Vianney
paraissait un ange au saint autel. La pensée qu'il voyait Notre Seigneur à
l'autel venait à tous ceux qui avaient le bonheur d'assister à sa messe. Il
n'était pas possible de contempler une figure exprimant mieux l'adoration, ou
s'illuminant à un si haut degré de cet éclat céleste, qui manifeste l'action du
Saint Esprit. On aurait dit qu'il tombait sur lui un rayon de la gloire divine.
Le coeur, l'esprit, l'âme et les sens semblaient également absorbés, et ils
l'étaient effectivement. On ne pouvait saisir une seconde de distraction dans
sa prière. Au milieu de la foule, et sous l'influence de tant de regards attachés sur lui, il
communiquait avec Notre Seigneur aussi librement que s'il avait été dans la
solitude de sa pauvre chambre. Il répandait en sa présence des pleurs d'amour.
Ordinairement ses larmes ne tarissaient pas tout le temps que duraient les
saints mystères. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
104. La vérité est que le Curé
d'Ars n'était ni trop lent, ni trop prompt à l'autel; il consultait plutôt
l’utilité de tous que son attrait et sa piété. Le seul moment où il était plus
long que les autres prêtres c'était avant la communion. Les prières liturgiques
terminées, il y avait comme un colloque mystérieux entre Notre-Seigneur et son
Serviteur. Enfin après un moment d'hésitation, Mr Vianney consommait les
saintes espèces. Au moment de l'élévation sa figure paraissait parfois si
céleste, que plus d'une personne, croyant presque à une extase, regardait si le
Curé d'Ars touchait encore la terre. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
105. La vérité est que ce grand
amour pour Notre Seigneur au très saint Sacrement porta le Curé d'Ars à orner
son église d'une manière convenable. Il aimait les beaux reposoirs pour la
Fête-Dieu; il voulut avoir de magnifiques chasubles, etc. Rien n'était trop
beau quand il s'agissait du culte de Dieu. "Oh! j'aime bien, disait-il à
chaque nouvelle acquisition, augmenter le ménage du bon Dieu. Comment ne
donnerait-on pas à Notre Seigneur tout ce qu'on a de plus riche et de plus
précieux? Quelle ingratitude ce serait de se montrer avare envers un Dieu, qui
se montre si prodigue! N'a-t-il pas donné tout son sang pour nous sur la croix?
Ne se donne-t-il pas à nous tout entier dans la sainte Eucharistie?" Ainsi
qu'il sera déposé, etc.
106. La vérité est que dans son
grand amour pour Notre Seigneur au très saint Sacrement le Curé d'Ars avait
demandé à ce divin Sauveur la grâce de distribuer tous les jours son très saint
corps à un grand nombre de fidèles. Son voeu fut exaucé au-delà de ce qu'il
pouvait attendre. Comme on était édifié toutes les fois qu'on voyait Mr Vianney
distribuer la sainte Communion, porter le saint Viatique, donner la bénédiction
du Saint Sacrement! Quand il annonçait la procession de la Fête-Dieu et les
bénédictions de l'Octave, son visage paraissait tout enflammé. Il jouissait
déjà du bonheur qu'il aurait de porter son Dieu et son Sauveur. Ainsi qu'il
sera déposé, etc.
107. La vérité est que le Curé
d'Ars était admirable toutes les fois qu'il avait à parler sur l'amour de Dieu
ou sur le saint Sacrement. "Aimer Dieu, disait-il, oh! que c'est beau!...
Il faut le Ciel pour comprendre l'amour... La prière aide un peu, parce que la
prière, c'est l'élévation de l'âme jusqu'au Ciel. Plus on connaît les hommes,
moins on les aime. C'est le contraire pour Dieu: plus on le connaît, plus on
l'aime. Cette connaissance embrase l'âme d'un si grand amour, qu'elle ne peut
plus aimer ni désirer que Dieu..." Il finissait souvent son catéchisme par
ces mots: "Être aimé de Dieu, être uni à Dieu, vivre en la présence de
Dieu, vivre pour Dieu: Oh! belle vie!... et belle mort!" Il ne tarissait pas,
quand il avait à parler de l'amour de Dieu. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
108. La vérité est qu'il n'était
pas moins admirable quand il parlait du très saint Sacrement. "O Jésus,
s'écriait-il souvent, les yeux remplis de larmes, vous connaître, c'est vous
aimer!... Si nous savions comme Notre Seigneur nous aime, nous mourrions de
plaisir! Je ne crois pas qu'il y ait des coeurs assez durs pour ne pas aimer en
se voyant tant aimés... C'est si beau la charité! C'est un écoulement du coeur
de Jésus, qui est tout amour." En l'entendant parler sur ce sujet, on
sentait que Jésus Christ était sa vie, et l'adorable Eucharistie le seul
étanchement possible à la soif qui le consumait. Ce n'était pas des paroles,
c'étaient des flammes, qui sortaient de son coeur et de sa bouche. Il y avait
dans la manière dont il prononçait l'adorable nom de Jésus, et dont il disait:
Notre Seigneur! un accent qui frappait tout le monde. Il semblait que son coeur
se répandait sur ses lèvres. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
109. La vérité est que Mr Vianney
paraissait également inspiré quand il avait à parler des joies de la prière et
de la vie intérieure. "La prière, disait-il, voilà tout le bonheur de
l'homme sur la terre. Oh! belle vie, belle union de l'âme avec Notre Seigneur!
L'éternité ne sera pas assez longue pour comprendre ce bonheur... La vie
intérieure est un bain d'amour dans lequel l'âme se plonge... Elle est comme
noyée dans l'amour!... Dieu tient l'homme intérieur comme la mère tient la tête
da son enfant dans ses mains pour le couvrir de baisers et de caresses... On
aime une chose à proportion du prix qu'elle nous a coûté. Jugez par là de
l'amour que Notre Seigneur a pour notre âme, qui lui a coûté tout son sang. Il
est affamé de communications et de rapports avec elle. Le temps lui dure de la
voir, de l'entendre... On n'a pas besoin de tant parler pour bien prier. On
sait que le bon Dieu est là, dans le saint tabernacle; on lui ouvre son coeur;
on se complaît en sa sainte présence; c'est la meilleure prière,
celle-là." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
110. La vérité est que tous ceux
qui avaient le bonheur de s'adresser pour la confession au Curé d'Ars sentaient
en lui l'homme de Dieu. Quand dans les courtes exhortations qu'il faisait après
l’accusation des péchés, il parlait de l'amour de Dieu, de la malice du péché,
il le faisait dans des termes auxquels il était impossible de résister. Aussi
qui pourrait raconter les nombreuses conversions qui se sont opérées à Ars par
son ministère? Le bon Curé a été obligé d'avouer qu'on ne saura jamais en ce
monde combien de pécheurs ont rencontré leur salut à Ars. Au lieu de s'en
glorifier, il en prenait occasion de s'humilier: "Si Dieu, disait-il,
avait eu sous la main un autre prêtre, qui eût plus de raison que moi de
s'humilier, il l'aurait pris, et il aurait fait par lui cent fois plus de
bien." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
111. La vérité est que Dieu a
exaucé d'une manière vraiment extraordinaire ce voeu qu'avait formé Mr Vianney
au moment où se sentant appelé au sacerdoce, il s'était dit: "Si j'étais
prêtre un jour, je voudrais gagner bien des âmes au bon Dieu." Ce
n'étaient pas seulement les pécheurs qui recevaient la grâce de la conversion,
les justes s'affermissaient dans le bien, les tièdes déposaient leur langueur
spirituelle; tous sentaient croître en eux le désir de servir Dieu et de faire
pour cela tous les sacrifices nécessaires. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
112. La vérité est que c'est une
difficile épreuve que de conserver le calme dans l'activité, le recueillement
dans les travaux extérieurs les plus absorbants, l'union constante avec Dieu,
au milieu de la foule et du bruit. Le Curé d'Ars, grâce à son grand amour pour
Dieu, a été supérieur à cette épreuve. A quelque moment qu'on le vît,
environné, pressé, assailli par la multitude indiscrète, harcelé de questions
oiseuses et absurdes, obsédé de demandes impossibles, interpellé de partout et
ne sachant souvent à qui répondre, on le trouvait toujours égal à lui-même,
toujours gracieux, toujours aimable, toujours compatissait, toujours prêt à condescendre
et à accorder tout ce qu'on lui demandait, toujours la figure calme et
souriante. Jamais on n'a pu surprendre en lui le moindre signe de dépit, jamais
la moindre brusquerie; jamais sur son front la plus imperceptible nuance de
mécontentement, l'ombre d'un nuage; jamais sur ses lèvres de reproche, ni de
plainte. Était-il entouré des marques du respect, de la confiance, de
l'admiration, acclamé, escorté, porté en triomphe par la foule; voyait-il cette
foule s'attacher à ses pas, se suspendre à ses lèvres, s'agenouiller pour
recevoir sa bénédiction? On le retrouvait encore le même, ingénu comme un
enfant, simple, modeste, bon, n'ayant pas l'air de se douter que sa vertu fût
pour quelque chose dans cet étonnant concours. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
113. La vérité est que dans les
entretiens qu'il était obligé d'avoir, il ne trouvait de bon, d'agréable,
d'intéressant, que ce qui lui parlait de Dieu. Le souverain Bien l'attirait à
ce point qu'il ne pouvait en détourner sa pensée. Il parlait des mystères de
l'autre monde comme s'il en fut revenu et des vanités de celui-ci avec une
ironie si douce et si plaisante qu'on ne pouvait s'empêcher d'en rire. Si
quelqu'un venait à parler des choses humaines, le bon Curé ne l'interrompait
pas, mais on voyait qu'il n'était plus dans son élément. Il fallait ramener la
conversation aux choses spirituelles pour lui rendre son aimable gaîté. Ainsi
qu'il sera déposé, etc.
114. La vérité est que si Mr
Vianney demeurait étranger aux choses du monde matériel, tout ce qui se
rattachait aux choses spirituelles, tout ce qui concernait l'Église, tout ce
qui étendait l'honneur et la gloire de Jésus-Christ, tout ce qui contribuait à
la glorification de son saint Nom, à la dilatation de sa doctrine, au triomphe
de la vérité, toutes les conquêtes de la grâce; tout, dans cet ordre de faits,
l'intéressait, l'impressionnait, le faisait tressaillir d'allégresse et le
comblait de consolation. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
115. La vérité est qu'au
contraire toutes les nouvelles fâcheuses concernant l'Église, comme les
attaques des impies, etc., lui causaient une amère douleur. Il ne cessait de
pleurer sur le sort des malheureux pécheurs, sur l'ingratitude des hommes
envers Dieu, envers Notre Seigneur au très saint Sacrement. Une chose le fatiguait
plus que tout le reste, c'était la vue du péché, comme il a été dit ci-dessus
au n° 86. Il répandait une très grande abondance de larmes en pensant au
malheur des prêtres, qui ne correspondent pas à la sainteté de leur vocation.
"Un prêtre, disait-il un jour aux missionnaires, qui a le malheur de ne
pas célébrer en état de grâce, quel monstre!... Non, on ne peut comprendre tant
de méchanceté!" Il avait l'habitude de réciter, le soir avant de se
coucher, sept Gloria Patri en réparation des outrages faits au corps de Notre
Seigneur par les prêtres indignes, et il a fait une fondation de messes à la
même intention. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
116. La vérité est que pour
arriver à ce grand degré de charité, que nous admirons dans Mr Vianney, le
serviteur de Dieu a dû passer par beaucoup de tribulations, de luttes et
d'épreuves. La sainteté est le fruit du sacrifice: c'est une mort et une
renaissance, la mort du vieil homme, la renaissance de l'homme nouveau. Or,
tout cela ne se fait pas sans souffrir. On est presque effrayé quand on songe à
toutes les mortifications et à toutes les pénitences que l'amour de Dieu a fait
entreprendre à Mr Vianney. La mortification et l'humilité ont été le fondement
de sa sainteté et les deux puissants ressorts de sa vie. Ainsi qu'il sera
déposé, etc.
117. La vérité est que c'est en
n'épargnant rien de ce qu'il y avait en lui de sensible; c'est en appliquant
sans cesse aux parties les plus vives de son être le fer et le feu; c'est par
la croix et par le sacrifice que Mr Vianney arriva peu à peu à pouvoir dire
avec l'Apôtre: Je vis, mais ce n'est pas moi qui vis, c'est J.-C. qui vit en
moi. En se sacrifiant lui-même, il avait écarté les obstacles qui l'empêchaient
de voler vers Dieu. Aussi put-il courir à grands pas dans le chemin de la
vertu. Il était arrivé à pouvoir dire avec l'Apôtre, Philip. III, v. 8 et seq.:
"Tout me semble perte au prix de cette haute science de Jésus-Christ mon
Seigneur, pour l'amour de qui j'ai résolu de perdre toutes choses, les
regardant comme ce qu'il y a de plus vil, afin de gagner J.-C..., d'avoir part
à ses souffrances en devenant conforme à sa mort." Ainsi qu'il sera
déposé, etc.
118. La vérité est que Dieu, pour
éprouver son serviteur, permit que Mr Vianney ressentît des peines intérieures,
qui l'ont bien fait souffrir toute sa vie. Mais comme le Curé d'Ars servait
Dieu pour Dieu, et non pour son plaisir particulier, il ne changea rien à son
genre de vie sans y être forcé par l'obéissance. Il tâchait de pratiquer ce
qu'il disait lui-même aux autres, que l'on montre plus de charité en servant
Dieu malgré les désolations intérieures qu'en le servant au milieu des
consolations spirituelles. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
119. La vérité est que la
profonde humilité de Mr Vianney, en le persuadant que non seulement il était
inutile, mais encore nuisible au bien des âmes, avait mis dans son coeur une
pensée, qui le poursuivait partout. Le désir de la solitude lui revenait sans
cesse à l'esprit. L'idée de s'enfuir à la Trappe, au Carmel, à la Grande Chartreuse
ou dans un désert éloigné pour y pleurer sa pauvre vie, disait-il, et essayer
si le bon Dieu voudrait encore lui faire miséricorde, fut longtemps son
idée fixe. "Ah! disait-il, comme je vais prier le bon Dieu quand je serai
seul! Une pensée me dit que j'aurai bien du bonheur." Dieu ne permit pas
qu'il pût réaliser son dessein. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
120. La vérité est que Mr le Curé
d'Ars fut en butte à d'autres peines. Presque toutes les nuits le démon tantôt
d'une façon, tantôt d'une autre venait l'effrayer et troubler son sommeil. Dans
le commencement il crut que c'étaient des voleurs et prit des précautions.
Quand il eut acquis la certitude que c'était le démon, qui voulait l'effrayer,
il s'abandonna à la volonté de Dieu, le pria d'être son défenseur et son
gardien, et de s'approcher de lui avec ses saints anges, quand son ennemi
viendrait de nouveau le tourmenter. Il se recommandait aussi à la sainte Vierge
et à son bon ange. Comme les attaques du malin esprit étaient plus importunes,
lorsque quelque grand pécheur devait venir faire sa confession, le bon Curé,
qui s'oubliait en tout lui-même, s'en réjouissait en pensant au bien qui allait
se faire, et en annonçant la visite du démon, il ajoutait parfois avec un
aimable sourire: "Le diable est en colère, c'est bon signe." Ainsi
qu'il sera déposé, etc.
121. La vérité est que le Curé
d'Ars fut en butte aux contradictions des hommes, comme il a été dit plus haut.
Ces contradictions ne firent que le détacher des choses de ce monde et
l'attacher à Dieu. Il savait que, selon l'Apôtre St Paul, tout contribue au
bien de ceux qui aiment Dieu et qu'il a appelés selon son décret pour être
saints. Il savait, comme il le disait lui-même, que les épreuves pour ceux que
Dieu aime, ne sont pas des châtiments, mais des grâces. Il s'humiliait donc, il
priait, et il s'abandonnait entièrement entre les mains de Dieu. Ainsi qu'il
sera déposé, etc.
122. La vérité est que les
missionnaires, rappelant un jour à Mr Vianney cette époque de sa vie, lui
demandèrent si la contradiction ne l'avait jamais ému, au point de lui faire
perdre la paix. Il leur fit cette réponse admirable: "La croix, la croix
faire perdre la paix! C'est elle qui a donné la paix au monde; c'est elle qui
doit la porter dans nos coeurs. Toutes nos misères viennent de ce que nous ne
l'aimons pas. C'est la crainte des croix, qui augmente les croix. Une croix
portée simplement, et sans ces retours d'amour propre, qui exagèrent les
peines, n'est plus une croix. Une souffrance paisible n'est plus une souffrance.
Nous nous plaignons de souffrir! Nous aurions bien plus de raison de nous
plaindre de ne pas souffrir, puisque rien ne nous rend plus semblables à Notre
Seigneur Jésus-Christ par l'amour et la vertu de sa croix! Je ne comprends pas
comment un chrétien peut ne pas aimer la croix et la fuir! N'est-ce pas fuir en
même temps celui qui a bien voulu y être attaché et y mourir pour
nous?"Ainsi qu'il sera déposé, etc.
2° Charité envers le prochain.
123. La vérité est que la maison
Vianney était l'asile ouvert à tous les malheureux. Notre jeune Vianney
s'exerça dès le bas âge à seconder ses parents dans l'exercice de la charité.
Il amenait à la maison tous les mendiants qu'il rencontrait sur son chemin; une
fois, il vint à bout d'en réunir vingt-quatre. A la vue de ces malheureux, qui
bien souvent avaient avec eux de petits garçons ou de petites filles, son coeur
s'attendrissait; rien ne pourrait donner une idée de son industrieuse activité
pour subvenir à leurs besoins les plus pressants. Il les faisait approcher du
foyer les uns après les autres, en commençant par les plus petits. Son bonheur
était de ramasser ce qui restait du repas de la famille, de le leur distribuer,
en y ajoutant tout ce qu'il pouvait retrancher sur sa propre nourriture. Il
passait ensuite l'inspection de leurs vêtements et demandait à sa mère dont il
connaissait la tendre compassion, pour l'un un pantalon, pour l'autre une
chemise, pour celui-ci une veste, pour celui-là des sabots. Ainsi qu'il sera
déposé, etc.
124. La vérité est que lorsque le
jeune Vianney avait à faire à des enfants de son âge, il leur apprenait le
Pater, l'Ave Maria, les actes de foi, d'espérance, de charité, les principales
vérités de la religion; il leur disait qu'il fallait être bien sage, bien aimer
le bon Dieu, ne pas se plaindre de leur sort et en supporter patiemment les
rigueurs en pensant au bonheur du ciel. Quoiqu'il s'adressât aux petits, il
était écouté des grands avec un intérêt, qui tenait à la fois de la
reconnaissance et de l'admiration. A leur départ, tous le bénissaient, mais le
jeune Vianney, qui déjà fuyait les éloges, se dérobait au plus vite à leur
reconnaissance. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
125. La vérité est que tout son
bonheur, quand il était berger, comme il a été dit plus haut, était de placer
sa petite statue de la sainte Vierge sur un autel de gazon; puis, lorsqu'il lui
avait offert le premier ses hommages, d'inviter tous ses compagnons à en faire
autant. Il ne se sentait pas de joie, quand il les voyait à genoux autour de
l'image vénérée. Il récitait la salutation angélique, se levait gravement et se
mettait à prêcher la dévotion à la très sainte Vierge avec un langage empreint
de la plus expressive tendresse. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
126. La vérité est que pendant
qu'il était à Ecully pour faire ses études, il continuait à être l'ami des
pauvres. Il ne put jamais rencontrer un malheureux sans être touché jusqu'au
fond du coeur. Il amenait coucher à la ferme du Point du jour où il avait fixé
sa résidence, tous ceux qu'il trouvait sur son chemin. Allant une fois d'Ecully
à Dardilly, il en vit un qui n'avait point de chaussures; il lui donna ses
souliers neufs, et arriva chez lui les pieds nus, il fut bien grondé par son
père, qui, tout charitable qu'il était, ne l'était pas à la manière de son
fils. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
127. La vérité est que le jeune
Vianney sut mériter à Verrières comme ailleurs les éloges des personnes, qui
eurent le bonheur de le connaître. Parmi ses condisciples il en était un
cependant qui ne pouvait supporter les marques d'estime que l'on prodiguait au
jeune Vianney. Il ne cessait de l'injurier et en venait même aux voies de fait.
Notre jeune Vianney ne répondait que par un sourire de contentement et de
bienveillance. Il se serait bien gardé de se plaindre à ses supérieurs. Un jour
que les menaces avaient succédé aux injures et les coups aux menaces avec un
redoublement de violence, on raconte que le jeune Vianney tomba à genoux devant
son bourreau et lui demanda pardon. Terrassé par un coup si inattendu,
rougissant enfin de sa lâche conduite, ce fut au tour du vrai coupable de
tomber à genoux et de demander pardon. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
128. La vérité est que lorsque Mr
Vianney après la réception du sacerdoce eut été placé comme vicaire à Ecully,
on le vit pratiquer toutes les vertus d'un bon pasteur. On le trouvait en
particulier toujours prêt à se dévouer et à se sacrifier. Les malades, au
moindre signe, le voyaient accourir à leur chevet; il était ingénieux à les
consoler, patient à les entendre, assidu à les visiter. Ainsi qu'il sera
déposé, etc.
129. La vérité est qu'il était à
Ecully affable, obligeant, gracieux envers tout le monde. Il semblait cependant
avoir une prédilection pour les pauvres et les petits. Il ne ferma jamais à
personne ni sa bourse, ni son coeur. On a conservé, à Ecully, la mémoire de son
inépuisable charité. Nous n'en citerons qu'un trait parmi beaucoup d'autres. Il
y avait longtemps qu'il portait la même soutane, et l'on s'en apercevait facilement.
Averti plus d'une fois qu'il devait à sa dignité une mise plus convenable, il
répondait: "J'y songerai." Et en attendant son petit traitement de
vicaire, il continuait à se fondre en aumônes et en libéralités de toute
espèce. Un jour cependant, il s'était décidé à remettre à la femme du
marguillier la somme nécessaire à l'emplette d'une soutane. Mais quelques
heures après il recevait la visite d'une dame, que le malheur des temps et une
bienfaisance, qui donnait toujours sans jamais compter, avaient réduite à la
plus douloureuse extrémité. Le bon Vicaire fut attendri au récit qui lui était
fait, et courut aussitôt chercher son argent pour le faire remettre à cette
dame par des mains inconnues. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
130. La vérité est que Mr Vianney
nommé Curé à Ars chercha immédiatement les moyens de renouveler sa paroisse. Il
avait déjà vu par tout ce qui s'était passé à Ecully, que le vrai moyen de
faire du bien, c'est de se faire aimer. Comme on l'a dit, la charité est la
première puissance pour gouverner les hommes, pour les relever de leur
abjection, les grandir à leurs propres yeux et les pousser parfois jusqu'à
l'héroïsme. Ce secret de la charité, le nouveau Curé d'Ars le possédait. Il n'a
tenu tant d'âmes dans sa main, il n'en a vu tant d'autres à ses pieds, que
parce qu'il a beaucoup aimé les hommes et qu'il a su s'en faire aimer. Ainsi
qu'il sera déposé, etc.
131. La vérité est qu'à peine
installé au milieu de ses paroissiens, il voulut tout voir de ses yeux, tout
connaître par lui-même, tout réjouir par sa présence, se faire tout à tous pour
les gagner tous à J.-C. Pour cela il ne se contentait pas de ces rapports
généraux, où le prêtre étant l'homme de tout le monde n'est pas assez l'homme
de chacun; il saisissait la moindre occasion de donner individuellement à ses
paroissiens des marques privées et directes de son affection et de son
dévouement pour eux. Ouvert, complaisant, affable envers tous, sans cependant
oublier sa dignité de prêtre et de pasteur, il n'aurait pas rencontré un enfant
sans le saluer et lui adresser en souriant quelques mots aimables. Ainsi qu'il
sera déposé, etc.
132. La vérité est que le Curé
d'Ars sut faire de la visite à domicile un des moyens de se gagner le coeur de
ses paroissiens. Il ne se contentait pas d'aller là où on l'appelait, il se
présentait même là où on ne l'appelait pas, mais toujours d'une façon très
discrète; attendant les occasions favorables ou les faisant naître. Il
choisissait volontiers l'heure des repas, afin de trouver toute la famille
réunie, et pour ne causer ni dérangement ni surprise, il s'annonçait de loin,
en appelant par son nom de baptême le maître de la maison; puis il entrait,
faisait signe à tout le monde de continuer, d'un geste qui n'admettait point de
réplique, s'appuyait un instant contre un meuble, et, après avoir demandé des
nouvelles de tout ce qui pouvait intéresser la famille, par une transition
ménagée avec autant d'adresse que de douceur, il ne manquait pas d'ajouter
quelques mots d'édification. Tous l’écoutaient avec une attention religieuse.
Quand il s'en allait, sa visite n'avait pas seulement charmé; elle avait
instruit, consolé, affermi dans le bien. De nombreux retours à Dieu furent le
fruit de ces simples entretiens. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
133. La vérité est que son amour
pour Dieu joint à sa grande charité pour ses paroissiens le porta à remplir
avec toute la perfection possible ses devoirs de Curé. Il sut détruire les
abus, introduire ces pratiques dont nous avons parlé et qui font fleurir la
piété. Une chose lui coûtait beaucoup: c'était la prédication. Il aurait pu se
dire comme plusieurs se plaisent à le répéter: A quoi bon tant préparer mes
instructions? Je suis au milieu d'un peuple de paysans; j'en saurais toujours
assez pour eux. Le Curé d'Ars raisonnait bien différemment. Aussi consacrait-il
à préparer ses instructions tout le temps que les exercices spirituels et les
autres devoirs de sa charge pastorale ne remplissaient pas. Il se renfermait
des journées entières dans sa sacristie, pour composer ses prônes et ses
homélies. Lorsqu'il les avait écrits, seul et sans témoin, il les récitait
comme s'il eût été en chaire. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
134. La vérité est que le Curé
d'Ars désirait tellement le salut de ses paroissiens, qu'il avait dit à Dieu:
"Mon Dieu, accordez-moi la conversion de ma paroisse: je consens à
souffrir ce que vous voudrez, tout le temps de ma vie." Il avait dit
d'autres fois: "J'accepterais bien de souffrir cent ans les douleurs les
plus aiguës, pourvu que le bon Dieu daignât m'accorder la conversion de ma
paroisse." Un curé se plaignait un jour à Mr Vianney de ne pouvoir changer
le coeur de ses paroissiens: "Vous avez prié, répondit celui-ci, vous avez
pleuré, vous avez gémi, vous avez soupiré. Mais ayez-vous jeûné, avez-vous
veillé, avez-vous couché sur la dure, vous êtes-vous donné la discipline? Tant
que vous n'en serez pas venu là, ne croyez pas avoir tout fait." Ainsi
qu'il sera déposé, etc.
135. La vérité est que Mr Vianney
avait demandé à souffrir beaucoup, le jour pour la conversion des pécheurs, la
nuit pour la délivrance des âmes du purgatoire, et Dieu l'avait largement
exaucé. Il a souvent avoué qu'il ne dormait pas une heure d'un sommeil
tranquille et réparateur. Vers la fin de sa vie la fièvre le brûlait sur son
pauvre grabat; la toux qui lui déchirait la poitrine était sans intermittence;
il se levait de quart d'heure en quart d'heure, rompu de fatigue, baigné de
sueur, pour essayer de trouver hors du lit quelque soulagement à ses
souffrances. Et quand la douleur commençait à se calmer par son intensité même,
quand il allait pouvoir enfin s'assoupir, c'était l'heure où ce pauvre
vieillard septuagénaire, par un héroïque effort qu'il renouvelait chaque nuit,
s'arrachait au repos avant de l'avoir goûté, et reprenait gaîment sa longue et
rude journée de travail. L'amour des âmes, la soif de leur salut lui rendait
légers tous les sacrifices. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
136. La vérité est que le Curé
d'Ars gémissait continuellement sur la perte des âmes. Il disait avec un
accent, qui indiquait toute sa douleur: "Quel dommage que des âmes, qui
ont coûté tant de souffrances au bon Dieu, se perdent pour l’éternité!" Il
disait encore en élevant les yeux au Ciel et en soupirant: "Mon Dieu,
est-il possible que vous ayez enduré tant de tourments pour sauver les âmes, et
que ces âmes deviennent la proie du démon?" Il ne cessait de prier pour la
conversion des pécheurs; il a fondé des messes dans la même intention. En
recommandant de prier pour la conversion des pécheurs, il disait: "Rien
n'afflige tant le coeur de Jésus que de voir toutes ses souffrances perdues
pour un grand nombre... Prions donc pour la conversion des pécheurs: c'est la
plus belle et la plus utile des prières. Car les justes sont sur le chemin du
Ciel, les âmes du purgatoire sont sûres d'y entrer... Mais les pauvres
pécheurs, les pauvres pécheurs!... Que d'âmes nous pouvons convertir par nos
prières!... Toutes les dévotions sont bonnes, mais il n'y en a pas de meilleure
que celle-là." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
137. La vérité est qu'un jour le
Missionnaire de Mr Vianney lui disait: "Monsieur le Curé, si le bon Dieu
vous proposait ou de monter au Ciel à l'instant même, ou de rester sur la terre
pour travailler à la conversion des pécheurs, que feriez-vous? - Je crois que
je resterais, mon ami. - Oh! Monsieur le Curé, est-ce possible? Les saints sont
si heureux dans le Ciel! plus de tentations, plus de misères! - C'est vrai, mon
ami, reprit-il avec un sourire angélique; mais les saints sont des rentiers!
Ils ont bien travaillé, et Dieu récompense leurs travaux; mais ils ne peuvent
plus comme nous glorifier Dieu par des sacrifices pour le salut des âmes. -
Resteriez-vous sur la terre jusqu'à la fin du monde? - Tout de même. – Dans ce
cas, vous auriez bien du temps devant vous: vous lèveriez-vous si matin? - Oh!
oui, mon ami, à minuit! Je ne crains pas la peine... Je serais le plus heureux
des prêtres, si ce n'était cette pensée qu'il faut paraître au tribunal de Dieu
avec ma pauvre vie de Curé." En disant cela, de grosses larmes coulaient
de ses yeux. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
138. La vérité est que son grand
désir de sauver les âmes lui a fait fonder l'oeuvre admirable des missions.
Près de cent missions, comme nous l'avons dit, ont été établies par ses soins
et se donneront de dix en dix ans dans les paroisses qu'il a désignées, sans
que les fidèles aient à supporter aucune dépense. Une société de douze
missionnaires est chargée du service de ces missions, de la direction de la
paroisse et du pèlerinage d'Ars, et perpétue ainsi le bien que le bon Curé
avait en vue en faisant de si utiles fondations. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
139. La vérité est que dans le
commencement de son ministère à Ars, le zèle de Mr Vianney se sentait à
l'étroit dans une si petite localité, et toute la sollicitude pastorale ne
suffisait pas pour alimenter le feu sacré qui brûlait au fond de son coeur
d'Apôtre. Ses supérieurs le comprirent et lui offrirent la paroisse de Salles
dans le Beaujolais. Mais par suite de circonstances indépendantes de sa
volonté, il ne put en prendre possession, et sur les instances réitérées des
habitants d'Ars, ses supérieurs consentirent à le laisser dans sa pauvre
paroisse. Dès lors il s'attacha plus que jamais à ses chers paroissiens. Il
sembla ne vivre et ne respirer que pour eux. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
140. La vérité est que Mr Vianney
se montrait tout disposé à rendre service à ses confrères, à les remplacer
même. Il visitait les malades des paroisses voisines, lorsque les Curés étaient
infirmes ou absents. Il prit une part très active à la mission de Trévoux, de
Saint Trivier, de Saint Bernard. Il prêcha dans plusieurs paroisses à
l'occasion du Jubilé de 1826. La Providence lui avait ménagé toutes ces
occasions pour exercer son zèle et aussi pour le faire connaître. Il s'acquit
partout la réputation d'un saint. Les personnes qui avaient eu le bonheur de
l'entendre et surtout de recevoir ses avis au saint Tribunal ne purent se
passer de sa direction. Un grand nombre vinrent à Ars retrouver leur directeur.
Le pèlerinage d'Ars était fondé et devait aller en s'augmentant jusqu'à la fin
de la vie du Serviteur de Dieu. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
141. La vérité est que Mr
Vianney, qui s'était dit: Si j'étais prêtre, je voudrais gagner bien des âmes
au bon Dieu, trouva, grâce au pèlerinage, l'occasion de contenter son désir. On
venait à lui de tous les pays du monde. On peut dire que la vie de Mr Vianney,
depuis le commencement du pèlerinage, s'est passée au confessionnal. Sur les
dix-huit ou vingt heures, qui composaient sa journée de travail, il ne prenait
que le temps de réciter son office, de célébrer la sainte Messe et de faire à
midi un semblant de repas. Il passait en moyenne quinze heures au confessionnal
chaque jour. Ce labeur quotidien commençait à une heure ou deux heures après
minuit. Quoique épuisé par les jeûnes, les macérations, les infirmités, le
manque de repos et de sommeil, il a pu continuer ses longues séances au
confessionnal jusqu'à la fin de sa vie. Il n'a cessé que le 30 Juillet 1859,
c'est-à-dire cinq jours avant sa mort. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
142. La vérité est que le Curé
d'Ars mettait en pratique ce qu'il disait en parlant des saints. "Les
saints aiment tout le monde; ils aiment surtout leurs ennemis... Leur coeur
embrasé de l'amour divin se dilate, à proportion du nombre des âmes que le bon
Dieu met sur leur chemin, comme les ailes de la poule s'étendent à proportion
du nombre de leurs petits." Jamais le Curé d'Ars n'était si content que
lorsque toute la journée il avait été écrasé par les pénitents. Ainsi qu'il
sera déposé, etc.
143. La vérité est que la foule
sentait tout ce que ce dévouement avait de prodigieux; elle comprenait toute
l'importance des bienfaits dont le vénérable Curé était le dispensateur: aussi
rien ne peut donner une idée de son empressement à les recevoir. Si matinal que
fût Mr Vianney, les pèlerins l'avaient devancé et l'attendaient à la porte de
son église. Un grand nombre passaient la nuit sous le porche pour être assurés
de ne pas le manquer. On avait été obligé d'établir une certaine règle et
l'arrivée de chacun déterminait son rang. Mais il y avait les privilégiés;
quelquefois Mr Vianney les distinguait au milieu de la foule et les appelait
lui-même. Le peuple prétendait que le discernement du bon Père lui faisait
reconnaître ceux que quelques obstacles eussent empêché d'attendre ou
qu'amenaient à Ars des besoins plus sérieux et des nécessités plus pressantes.
Aussi personne ne songeait à se plaindre de ces faveurs. Ainsi qu'il sera
déposé, etc.
144. La vérité est que Mr Vianney
en travaillant à sa propre sanctification et au salut des âmes sentait croître
en lui l'amour pour l'humanité souffrante et délaissée, c'est-à-dire pour les
pauvres, les faibles et les petits. Il les aimait parce que Notre Seigneur les
a aimés, et parce qu'il comprenait que ne trouvant ici-bas que privations,
peines et rebuts de tout genre, ils avaient plus besoin d'être prévenus,
honorés et consolés. Se voyant entouré de misères, sans nombre, il aurait voulu
dès son arrivée à Ars les soulager toutes, ou du moins courir aux plus pressés.
Après avoir bien réfléchi devant Dieu, il crut devoir commencer par
l'établissement d'une Providence ou asile d'orphelines. C'était venir en aide
d'un seul coup à une triple faiblesse, celle de l'âge, du sexe et de l'abandon.
Ainsi qu'il sera déposé, etc.
145. La vérité est que cette
oeuvre de la Providence commença humblement et pauvrement, comme la plupart des
oeuvres sur lesquelles Dieu veut répandre ses bénédictions. Il y avait derrière
le choeur de la petite église d'Ars, à l'orient de la grande place du village,
une maison nouvellement et assez proprement construite. "Si ce bâtiment
était à moi, disait Mr Vianney, j'en ferais une Providence pour les pauvres
filles abandonnées. En sortant de l'église, je n'aurais que la place à
traverser pour visiter ma petite famille, y faire mon catéchisme et y prendre
mon repas. La Providence me donnerait mon pain, je lui donnerais la parole de
vérité, qui est le pain des âmes. Je recevrais d'elle la nourriture qui fait
vivre le corps en échange de celle qui fait vivre l'esprit. J'aimerais bien
ça." Peu à peu cette idée prit de la consistance. Mais avant de la
produire sous la forme d'un projet arrêté et d'adresser une demande directe au
propriétaire de la maison, il voulut comme toujours consulter le Seigneur, et
annonça une neuvaine en l'honneur de la sainte Vierge. Restait une difficulté,
le manque de ressources. Les effets de sa bienfaisance journalière le
laissaient, tous les soirs, sans le premier sou pour le lendemain. L'argent de
son traitement était toujours dépensé d'avance. Il en était de même de la
petite pension que son frère François lui servait pour sa part des biens
patrimoniaux. Il ne trouva point d'autre moyen que d'aliéner tous ses biens, et
avec cette ressource il put payer la maison, qui lui coûta six mille francs.
Ainsi qu'il sera déposé, etc.
146. La vérité est qu'une oeuvre
comme celle qu'il méditait n'existe pas, quand les murs de l'établissement sont
debout. A qui en confierait-il la direction? Par un souvenir reconnaissant, son
choix se porta d'abord sur les soeurs de saint Charles. C'étaient elles, qui,
pendant les jours de la Terreur, cachées sous un costume étranger, l'avaient
préparé à sa première communion; il leur devait les joies de ce grand jour. Il
pensa bien aussi à la Congrégation de saint Joseph, que le nouvel Évêque de
Belley venait de faire refleurir en ouvrant le noviciat de Bourg. Plus tard,
pour des raisons particulières et surtout pour assurer l'avenir de son oeuvre
comme école gratuite des filles de sa paroisse, il céda sa Providence à la
Congrégation de saint Joseph. Mais pour le moment il crut devoir prendre un
autre parti, et confier la direction de son établissement à deux filles de sa
paroisse. Une bonne veuve de Chaleins, et une fille de Jassans vinrent bientôt
les rejoindre. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
147. La vérité est qu'après avoir
trouvé les directrices Mr Vianney ouvrit une école gratuite pour les petites
filles de la paroisse. Peu de temps après, il admit aussi gratuitement quelques
enfants des paroisses voisines, qui se nourrissaient à leurs frais, bien
qu'elles fussent logées dans la maison. Il en reçut non pas autant qu'il s'en
présenta, mais autant que le local en put contenir; ce local était alors très
petit. C'était Mr le Curé qui pourvoyait à tout et subvenait aux nécessités de
chaque jour. Un peu plus tard, une Lyonnaise qui vint à Ars voulut bien se
charger des frais du ménage. Elle aidait aussi Mr Vianney lorsqu'il voulait
acheter des bois et des terres pour faire subsister la maison. Le Curé d'Ars,
qui avait d'abord voulu fonder son oeuvre sur l'acquisition de quelques
immeubles finit par se lasser d'avoir à les faire cultiver et vendit tout au
comte de Cibeins, qui s'offrit à lui servir la rente des sommes qu'on avait pu
capitaliser. Il put alors recevoir quelques enfants pauvres. Le nombre des
orphelines reçues augmenta bientôt. Le local devenant trop petit, il fallut
l'agrandir. Mr le Curé ne craignit pas de se faire architecte, maçon et charpentier.
Ainsi qu'il sera déposé, etc.
148. La vérité est qu'en très peu
de temps, avec l'aide de quelques personnes charitables, avec des ressources
inespérées et la bénédiction de Dieu, on put installer dans le local agrandi
plus de soixante jeunes filles, logées, nourries et entretenues aux frais de la
Providence, préservées du vagabondage et de ses suites, vivant à l'abri des
dangers, qu'elles avaient courus autrefois. Chaque nouvelle orpheline était
reçue avec des transports de joie. On se privait de tout pour qu'elle ne
manquât de rien. C'était chose admirable de voir comment avec si peu de
ressources, une maison aussi nombreuse pouvait se suffire, arriver au bout de
l'année et bien des fois s'ouvrir encore aux nécessités des autres. Ainsi qu'il
sera déposé, etc.
149. La vérité est qu'il y eut
pourtant des heures critiques, des moments d'angoisse où l'on eût dit que tout
était perdu et que faute de ressources il fallait renvoyer ces pauvres
orphelines. Cette pensée était comme un coup de poignard pour le coeur du bon
Curé. Mais Dieu qui ne voulait que l'éprouver, lui envoyait les secours
nécessaires d'une manière inattendue. Il a même voulu opérer des prodiges en
faveur de l'établissement de la Providence en multipliant la farine et le blé
destinés aux pauvres orphelines. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
150. La vérité est qu'une autre
oeuvre non moins importante préoccupait le bon Curé. Pourquoi ne ferait-il pas
pour les jeunes gens de sa paroisse ce qu'il avait fait pour les filles? Mais
où trouver des ressources? La divine Providence lui vint encore en aide en lui
envoyant comme à point nommé les secours dont il avait besoin. Il put donc
encore fonder une école gratuite pour les jeunes gens et en confier la
direction à une congrégation religieuse. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
151. La vérité est que Mr Vianney
aima toujours les pauvres et se dépouilla de tout pour les secourir. Il disait
en parlant d'eux: "Que nous sommes heureux que les pauvres viennent ainsi
nous demander! S'ils ne venaient pas, il faudrait aller les chercher, et on n'a
pas toujours le temps." Son amour pour eux était si grand, qu'il dut
prendre contre lui-même certaines précautions, afin de sauvegarder l'argent de
ses messes ou de ses fondations. Il en a remis pendant longtemps le dépôt à une
veuve qui avait sa confiance, et lui disait: "Claudine, je vous confie cet
argent: gardez-le bien. Mais surtout défiez-vous du Curé d'Ars; et s'il vous
demande, refusez-lui tout net." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
152. La vérité est que la charité
du Curé d'Ars ne s'exerçait pas seulement envers la misère, qui vient
d'elle-même s'offrir à la pitié des coeurs sensibles pour les émouvoir en sa
faveur, mais active, autant que généreuse, elle allait au devant de l'infortune
craintive et timide. Il savait combien est poignante cette douleur que personne
n'essuie. C'est une opinion généralement accréditée dans le pays, que le bon
Curé soutenait un grand nombre de familles déchues, qui recouraient à lui de
Lyon et des environs. Nous savons que toutes les semaines une pauvre mère de
famille venait d'une ville voisine lui demander le pain de ses enfants. Ainsi
qu'il sera déposé, etc.
153. La vérité est qu'en 1854 on
disait à Mr Vianney, à propos de la mort d'une de ses paroissiennes: "Mr
le Curé, cette mort vous assure une rente." - "Oh! répondit-il, cette
rente est réversible sur plus d'une tête." Dans le même temps, il avait
envoyé réclamer une petite créance d'un de ses débiteurs. Celui-ci trouvant que
le Curé d'Ars n'avait pas besoin d'argent, refusa de solder. "Il le croit,
lui, se contenta de faire observer l'indulgent prêteur, que je n'ai pas besoin
d'argent. Cependant nous approchons de la saint Martin, et j'ai plus de trente
loyers à payer." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
154. La vérité est que quand un
pauvre heurtait à sa porte, au lieu de lui jeter son aumône par la fenêtre, il
descendait afin de le voir, de lui parler et d'ajouter à l'aumône matérielle
quelques bonnes et encourageantes paroles. Il ne savait pas refuser. Pour
satisfaire le besoin qu'il avait de donner, il n'a pas tardé à vendre les uns
après les autres ses pauvres meubles à des personnes qui les lui payaient
grassement, parce qu'elles tenaient à avoir des objets lui ayant appartenu. Il
lui est arrivé de vendre à des prix très élevés de vieux souliers, de vieilles
soutanes, de vieux surplis, et, lorsqu'il en fut venu à n'avoir plus rien, de
vendre jusqu'à sa dernière dent. Ces petits traits de bienfaisance, mêlés d'un
peu de singularité, fournissaient quelquefois à ses confrères la matière de
conversations gaies et pieuses. Si elles se prolongeaient trop, pour en finir
il coupait court en disant: "Après tout, peu m'importe? pourvu que j'aie
de l'argent pour mes pauvres." Il est certain que, s'il eût continué à se
mêler de son vestiaire, sa charité pour les pauvres l'eût réduit à n'avoir pas
de quoi changer de linge. On fut obligé de lui donner au fur et à mesure le
linge dont il avait besoin. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
155. La vérité est qu'à la
mission de Trévoux ses confrères s'apercevant du mauvais état de ses vêtements
lui firent cadeau d'un haut-de-chausses en bon velours neuf, avec prière de le
porter en souvenir d'eux. Mr Vianney l'accepte et regagne sa paroisse par un
froid très piquant. Arrivé au point le plus élevé de la route, appelé les Bruyères,
il rencontre un pauvre à moitié nu et tout transi de froid: "Vous avez
bien froid, n'est-ce pas, mon ami?" Puis sans attendre sa réponse, il se
cache derrière un buisson et reparaît bientôt, son haut-de-chausses à la main.
Il le donne au pauvre mendiant. A quelques jours de là on veut savoir, à la
Cure, s'il fait honneur à la souscription de ses amis. Embarrassé de ce qu'il
appelle leur visite domiciliaire, il dit aux inspecteurs sur le ton d'un
aimable badinage: "Ce que vous m'aviez donné, je l'ai prêté à fonds perdus
à un pauvre que j'ai rencontré sur les Bruyères." Ainsi qu'il sera déposé,
etc.
156. La vérité est que le
Dimanche suivant revenant de sa paroisse, à la nuit tombante, il atteignit, à
l'endroit dit les Grandes Balmes, un autre mendiant, qui, tout courbé
sous le poids des années, n'osait se risquer le long de la rampe abrupte et
verglacée. La route n'était pas encore percée, ni adoucie. Le bon Curé le prend
par le bras et l'aide à descendre. Ils arrivent ainsi, l'un soutenant l'autre,
au bas de la côte. Mr Vianney charge ensuite sur ses épaules la lourde besace
du pauvre et ne la lui rend qu'à l'entrée de Trévoux, pour ne pas être surpris
dans l'exercice de cette bonne action. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
157. La vérité est qu'un jour Mr
Vianney en sortant de la Providence, se voit arrêté par un pauvre, qui n'ayant
ni souliers, ni bas avait les pieds tout ensanglantés. Le bon Curé ôte ses
souliers et ses bas, les lui donne et regagne son presbytère comme il peut,
ayant soin de se baisser, afin de cacher sous les plis de sa soutane traînante
ses jambes et ses pieds nus. - Un autre jour un mendiant s'approche de lui; Mr
Vianney se fouille et ne trouve rien dans ses poches que son mouchoir; il le
donne au mendiant en s'excusant de ne pouvoir mieux faire. Plus tard, afin de
n'être pas pris au dépourvu, Mr Vianney portait toujours avec lui une somme
destinée à ses aumônes; il y puisait incessamment et les yeux fermés. Plusieurs
fois, il a fait rechercher dans la foule et dans les différents quartiers du
village des pauvres à qui il se reprochait de n'avoir pas assez donné. Ainsi
qu'il sera déposé, etc.
158. La vérité est qu'un jour un
voleur s'étant introduit dans le presbytère, avait trouvé au fond d'un tiroir
quelques cuillers et fourchettes d'étain; il se les était appropriées, et
passant dans la pièce où étaient les provisions, il était occupé à faire main
basse sur le pain des orphelines de la Providence, lorsque Mr le Curé le
surprit: "Que faites-vous là, mon ami, lui dit-il? - J'avais faim, Mr le
Curé." Après lui avoir fait une abondante aumône, le bon Curé, qui
reconnut son bien entre les mains de son voleur, ajouta: "Sauvez-vous, mon
ami, sauvez-vous vite, de peur qu'on ne vous arrête." Il est allé une fois
prévenir une femme, qui lui avait volé 900 francs, que les gendarmes la
cherchaient. Il a fait une pension à une autre personne pour qu'elle ne volât
plus. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
159. La vérité est qu'il n'était
pas rare de rencontrer Mr Vianney dans les chemins avec quelque chose qu'il
avait soin de cacher sous sa soutane. Il était très embarrassé quand il ne
trouvait pas les gens à qui il destinait ces provisions. Il les déposait alors
dans quelque coin et se mettait à parcourir les maisons du village jusqu'à ce
qu'il eût découvert son monde. Il y avait une vieille aveugle qui demeurait à
côté de l'Église, et qui lui était particulièrement chère. C'est chez elle
qu'il portait de préférence les mets et les provisions qu'on lui donnait, parce
que la pauvre aveugle avait sur les autres l'avantage de ne pas voir par qui sa
misère était soulagée. Souvent il la trouvait assise, occupée à teiller du
chanvre; il s'approchait d'elle doucement, déposait dans son tablier ce qu'il
tenait, sans souffler mot. La bonne vieille croyant que c'était le fait d'une
voisine, disait: "Grand merci, ma mie, grand merci!" Mr le Curé s'en
allait en riant de tout son coeur. Il payait encore son loyer et pourvoyait à
tous ses besoins. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
160. La vérité est que plusieurs
personnes voulant faire admettre à Mr Vianney quelques adoucissements à son
impitoyable régime, lui portaient différentes provisions. Le bon Curé au lieu
d'en profiter n'avait rien de plus pressé que de les porter aux pauvres.
Mademoiselle Lacon revenait souvent à la charge, mais il lui était bien
difficile de pouvoir triompher de l'obstination du Curé d'Ars. Repoussée, elle
ne se déconcertait pas et attendait qu'un hasard heureux lui livrât l'entrée du
presbytère. Alors elle s'y glissait furtivement et y déposait les provisions
que Mr le Curé n'avait pas voulu accepter; puis, croyant la partie gagnée, elle
jouissait de son triomphe jusqu'à ce qu'elle retrouvât le lendemain, dans le
panier des pauvres qui venaient quêter à sa porte, les mets que la veille elle
avait cachés dans l'armoire du presbytère. Alors c'étaient de grands chagrins,
d'amusantes colères, des plaintes sans fin, qui faisaient beaucoup rire le
coupable et ne le corrigeaient jamais. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
161. La vérité est que l'on
pourrait citer beaucoup d'autres traits de la grande charité de Mr Vianney.
L'habitude qu'il s'était faite de tout voir au point de vue de la foi, était
cause que dans ses libéralités il jouissait profondément par la pensée du
mauvais tour qu'il jouait au démon. "Le Grappin, disait-il, est furieux,
quand il voit que de ce même argent, dont il se sert pour corrompre et perdre
les âmes, nous faisons sortir leur salut." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
162. La vérité est que, quoique
la prudence ne soit pas la vertu de l'enfance, elle brilla cependant d'un vif
éclat dans le jeune Vianney. Elle lui faisait estimer, comme on le doit, les
choses spirituelles et le portait à ne négliger aucun des moyens de
sanctification que la divine Providence avait mis entre ses mains. Il faisait
ses délices de la prière, comme il a été dit plus haut; il assistait à la
sainte Messe toutes les fois qu'il le pouvait; il aimait à s'instruire des
vérités de notre sainte religion. Quoiqu'il eût été, pendant le jour, occupé à
des travaux très pénibles pour son âge, on le voyait, le soir, étudier au
flambeau son catéchisme, ses évangiles et ses prières, et quand il les savait
par coeur, les méditer gravement, et ne suspendre son étude et sa méditation
que lorsque, vaincu par le sommeil, il était forcé d'accorder à la nature
quelque soulagement. Quand il rencontrait des enfants de son âge, il les
engageait à le suivre, et chemin faisant, il leur apprenait le catéchisme. Il a
déjà été dit que lorsqu'il était berger tout son bonheur était de prier devant
sa chère madone, d'engager ses compagnons à en faire autant, et de leur faire
de petites instructions. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
163. La vérité est que
connaissant le prix du temps, il tâchait de n'en point perdre, et surtout il
s'efforçait de se tenir en la présence de Dieu et de l'adorer au fond de son
coeur. Une sagesse prématurée lui avait déjà révélé ce que beaucoup ignorent,
c'est que le règne de Dieu est au-dedans de nous, et que sans sortir de notre
sphère d'activité, quelque modeste qu'elle soit, nous avons sous la main, dans
l'accomplissement de nos devoirs, le premier et le plus sûr moyen de noire
perfection et de notre salut. Il était donc très exact à remplir tous les
devoirs de son état, et très fidèle à suivre les pratiques de piété qu'il
s'était imposées. De plus, comme il le disait plus tard lui-même, en
travaillant aux champs il ne négligeait pas la culture de son âme. "En
donnant mon coup de pioche, je me disais souvent: Il faut aussi cultiver ton
âme; il faut en arracher la mauvaise herbe, afin de la préparer à recevoir la
bonne semence du bon Dieu." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
164. La vérité est que le jeune
Vianney cherchait en tout à fuir la singularité. Il se forma à cette piété
douce et aimable, qui ne s'impose pas et qui ne veut pas en imposer aux autres.
Il faisait en public ce qu'il devait faire en public; pour le reste, il aimait
à se cacher et à n'avoir que Dieu pour témoin. "Quand j'étais seul aux
champs, disait-il, avec ma pelle ou ma pioche à la main, je priais tout haut,
mais quand j'étais en compagnie, je priais à voix basse." Après dîner, il
se reposait comme les autres avant de se remettre à l'ouvrage, faisait semblant
de dormir et priait Dieu de tout son cœur. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
165. La vérité est que le jeune
Vianney, dès qu'il crut reconnaître que Dieu l'appelait à l'état
ecclésiastique, se mit immédiatement à faire ce qui était nécessaire pour atteindre
le but proposé. Laissant de côté les considérations humaines, il ne vit dans le
sacerdoce que les moyens plus grands qu'il aurait de se sanctifier lui-même, de
travailler au salut des âmes et de procurer la gloire de Dieu. Il comprit qu'il
fallait pour cela s'efforcer tous les jours de croître dans l'amour de Dieu.
Aussi le vit-on faire de nouveaux et rapides progrès dans la piété et la
pratique des vertus. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
166. La vérité est que Dieu
permit qu'il rencontrât beaucoup de difficultés dans la carrière où sa voix
l'appelait, et qu'il se heurtât contre des obstacles presque insurmontables,
comme s'il eût voulu rendre plus impossible à son serviteur toute tentation de
vaine gloire et le détacher encore plus de lui-même. Sa conception était lente,
sa mémoire ingrate, ses progrès peu sensibles. Se trouvant si dénué des
facultés sans lesquelles il ne pouvait espérer de voir s'ouvrir pour lui la
sainte carrière à laquelle il aspirait, notre jeune homme songea à l'emploi
direct des moyens surnaturels pour triompher des obstacles, qui entravaient la
marche de ses études. Après avoir pris conseil de son directeur, il fit voeu
d'aller à pied, en demandant l'aumône, au tombeau de saint Jean François Régis,
afin d'intéresser en sa faveur l'apôtre du Vivarais, et d'obtenir la grâce d'en
savoir assez pour devenir, lui aussi, un bon et fidèle ouvrier du Seigneur. Ses
prières furent exaucées. Les progrès dans la science furent si sensibles; que
son maître en était étonné. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
167. La vérité est que la
vocation du jeune Vianney fut soumise à d'autres épreuves, comme il a été dit.
Ces épreuves ne purent abattre son courage. Il en profita même pour acquérir un
plus grand esprit d'humilité, d'abnégation et de sacrifice. Il s'habitua à
placer son coeur au-dessus des choses de la terre, en s'élevant à Dieu sur les
deux ailes de la simplicité et de la pureté. Il pratiquait déjà la pénitence;
mais il était convaincu que de toutes les pénitences, la meilleure est de faire
chaque jour et à chaque heure, la volonté divine plutôt que la nôtre, malgré
nos répugnances, nos dégoûts et nos lassitudes. Il voulait être un bon ouvrier
du Seigneur, il voulait sauver les âmes. Dans ce but toujours présent à sa
pensée, il déployait cette patiente ardeur qui finit bien souvent par suppléer
le talent. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
168. La vérité est qu'admis au
séminaire pour se préparer à la réception des ordres sacrés, Mr Vianney
s'efforçait de mettre de plus en plus sa vie d'accord avec sa vocation. On le
vit croître en humilité, en douceur, en piété. Il avait acquis, dès lors, un si
grand empire sur lui-même, qu'il put s'appliquer uniquement à faire ce qu'il y
avait de plus parfait. Quoique ses dispositions et son goût le portassent plus
particulièrement à tout ce qui se rattachait à la piété, il n'affectait pas d'y
ramener la conversation, pour se mettre plus à son aise, faire ressortir sa
compétence ou briller sa vertu. Il se prêtait à tous les entretiens, à tous les
esprits, à tous les caractères, sans contrainte, comme sans ostentation, et
s'effaçait toujours le plus qu'il pouvait. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
169. La vérité est qu'ayant eu le
bonheur de recevoir le sacerdoce, il sentit dans son coeur un plus grand désir
d'aimer Dieu. Il lui semblait qu'il n'avait encore rien fait pour lui. On le
vit redoubler ses mortifications, ses pénitences. Nommé vicaire à Écully, il
s'efforça, sous la sage direction de Mr Balley, de remplir tous les devoirs
d'un bon pasteur. Affable, gracieux, obligeant envers tout le monde, il se
faisait tout à tous pour les gagner tous à J.-C. Il n'avait pas deux poids et
deux mesures. La perfection, qu'il prêchait aux autres, il en faisait la règle
austère de sa conduite. Il accomplissait le premier les sacrifices qu'il
demandait aux autres, ou plutôt ses sévérités n'étaient que pour lui: autant il
était dur pour lui-même, autant il était bon pour les autres. Ainsi qu'il sera
déposé, etc.
170. La vérité est que Mr Vianney
nommé Curé d'Ars songea immédiatement aux moyens de réformer sa paroisse, qui
en avait grand besoin. Pour cela deux choses étaient nécessaires, introduire
certaines pratiques et détruire les abus. Avant d'entreprendre ce grand
travail, qui, s'il réussissait, devait tant procurer de gloire à Dieu, Mr Vianney
eut d'abord recours au moyen que nous lui avons vu déjà employer avec succès,
il redoubla ses prières et ses mortifications. Quand il eut prié, fait
pénitence et consulté, il s'efforça peu à peu d'établir les pratiques qu'il
avait en vue, l'adoration perpétuelle, la prière du soir dans l'église, les
confréries, la fréquentation des sacrements. Ces différentes pratiques, qu'il
parvint à introduire, grâce à son zèle persévérant, à sa prudence et à sa
douceur, avaient comme organisé l'armée du bien dans sa paroisse; mais tout
aurait été bientôt paralysé sans la destruction des abus principaux. Il les
attaqua donc avec toute l'ardeur qu'inspire le zèle de la gloire de Dieu, comme
aussi avec toute la circonspection que commande la prudence. Ainsi qu'il sera
déposé, etc.
171. La vérité est que
s'apercevant que l'usage de la danse ne disparaissait pas comme il l'aurait
désiré, il résolut de donner un dernier assaut. Avant de le faire il voulut
auparavant faire comme violence au coeur de Dieu en ayant recours d'une manière
plus spéciale à la prière et à la pénitence. Se souvenant d'un endroit de
l'Évangile où il est question d'un démon, qui ne se chasse que par le jeûne et
la prière, il se mit à ne prendre presque plus de nourriture, à passer les
jours et les nuits en oraison, à se prosterner avec une plus grande abondance
de larmes aux pieds de Jésus crucifié, lui demandant par ses cinq plaies
d'avoir pitié de son peuple. Puis il ne craignit pas de dire à ses paroissiens
toute sa pensée sur la danse, avec cette force que donne le vrai zèle. Il finit
par remporter sur ce point comme sur les autres une victoire complète. Ainsi
qu'il sera déposé, etc.
172. La vérité est que Mr le Curé
d'Ars ne se contenta pas de faire cesser le scandale des oeuvres serviles, des
danses et des cabarets, il sut faire du Dimanche le jour du Seigneur. C'était
un bonheur de se trouver un jour de Dimanche ou de fête dans la paroisse d'Ars.
Les communions y étaient nombreuses et les prières continuelles; l'église ne
désemplissait pas. Aux offices qui se succédaient à de courts intervalles,
l'affluence était si considérable qu'on étouffait dans l'enceinte trop étroite.
Mr Vianney faisait régulièrement le catéchisme à une heure après midi; on y
assistait presque aussi assidûment qu'à la Messe. Les Vêpres étaient suivies
des Complies. Après le chant de l'antienne à la sainte Vierge, Mr le Curé
présidait à la récitation du chapelet, à laquelle tout le monde prenait part.
Au déclin du jour, la cloche appelait pour la troisième fois les fidèles à l'église,
et pour la troisième fois la paroisse entière répondait à cet appel. Mr Vianney
sortait de son confessionnal et montait en chaire pour y faire la prière,
laquelle était toujours suivie d'une de ces touchantes homélies où son âme
s'épanchait en des paroles à la fois si simples et si élevées, si fortes et si
pathétiques. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
173. La vérité est que la
prudence ne brille pas moins dans les autres oeuvres que le zèle fit
entreprendre au Curé d'Ars. Comme il le disait: "La prudence nous fait
discerner ce qui est le plus agréable à Dieu et le plus utile au salut de notre
âme." Pour faire ce discernement il avait toujours soin de consulter Dieu
dans la prière, et quand la chose avait quelque importance, il ne manquait pas
de demander conseil à des personnes prudentes et surtout à son évêque et
d'obtenir son assentiment, s'il était nécessaire. Lorsque l'oeuvre à
entreprendre était importante, il redoublait ses mortifications et ses
pénitences. Il avait une grande confiance dans le jeûne comme moyen de fléchir
la justice divine et de lutter contre l'enfer. "Le démon, disait-il, se
moque de la discipline et des autres instruments de pénitence. Du moins, s'il
ne s'en moque pas, il en fait peu de cas et trouve encore moyen de s'arranger avec
ceux qui en font usage; mais ce qui le met en déroute, c'est la privation dans
la nourriture et le sommeil. Il n'y a rien que le démon craigne autant que cela
et qui soit plus agréable au bon Dieu. Que de fois je l'ai éprouvé, quand
j'étais seul, pendant cinq ou six ans, pouvant me livrer à mon attrait tout à
mon aise, sans être remarqué de personne. Oh! que de grâces Notre Seigneur
m'accordait dans ce temps-là!... J'obtenais de lui tout ce que je
voulais." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
174. La vérité est que le Curé
d'Ars se livrait à ces pénitences extraordinaires quand il s'agissait d'une
grâce importante à obtenir, quand il avait en vue quelque conversion éclatante,
poursuivait quelque réforme, travaillait à l’extinction de quelque abus,
lorsqu'un désordre grave avait affligé son coeur, ou qu'il croyait devoir
satisfaire à la place d'un grand pécheur que la miséricorde divine lui avait
amené. On lui demandait un jour son avis sur la conduite à tenir à l'égard de
certains pécheurs relativement à la pénitence sacramentelle, afin qu'elle ne
fût ni trop forte, ni trop faible, et qu'on mît d'accord le principe d'une
réparation suffisante et les égards dus à la faiblesse des pénitents:
"Pour moi, répondit-il, je vais vous dire ma recette. Je leur donne une petite
pénitence et je fais le reste à leur place." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
175. La vérité est que Mr Vianney
jugeant que l'établissement de la Providence procurerait la gloire de Dieu et
le bien des âmes, voulut cependant avant de l'entreprendre consulter, comme
toujours, le Seigneur dans la prière. Il annonça une neuvaine en l'honneur de
la très sainte Vierge. "Elle aime tant les pauvres, qui sont les amis de
son Fils, se disait-il, qu'elle viendra certainement à mon secours." Pour
ne pas paraître tenter Dieu et lui demander des prodiges, il fit tout ce qui
était en son pouvoir. Il sacrifia même sa fortune pour acheter une maison
convenable. Il essaya d'assurer des ressources à sa Providence en achetant des
immeubles qu'il revendait bientôt moyennant une rente annuelle. Il voulait bien
qu'on se confiât à la divine Providence, mais il ne voulait pas qu'on lui
demandât des prodiges. Dieu daigna cependant montrer plus d'une fois dans les
moments de détresse que ce n'est pas en vain qu'on place en lui sa confiance.
Les secours arrivaient comme à point nommé et d'une manière merveilleuse. En
pensant à cette conduite admirable de la divine Providence, le bon Curé ne
pouvait s'empêcher de dire: "Nous sommes bien un peu les enfants gâtés du
bon Dieu." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
176. La vérité est que le curé
d'Ars n'agit pas avec moins de prudence quand il fonda, après avoir obtenu
l'assentiment de son Évêque, l'école gratuite des jeunes gens de sa paroisse,
l'oeuvre si admirable des missions décennales, etc. Il priait, il jeûnait, et
l'argent lui arrivait de tous les côtés. Il disait un jour à Mr l'abbé
Tailhades: "J'ai la pensée d'établir une autre fondation en l'honneur des
cinq plaies de Notre Seigneur Jésus Christ, pour la conversion des pécheurs du
diocèse. Il faut que j'examine cela devant le bon Dieu, et s'il me donne des
marques que cette fondation lui est agréable, je m'en occuperai. Je n'ai pas à
me mettre beaucoup en peine des fonds: le bon Dieu est riche, il saura bien
m'en faire trouver." La fondation de Messes proposée eut lieu en effet. Le
bon Curé trouva l'argent nécessaire pour cette fondation comme pour beaucoup
d'autres. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
177. La vérité est qu'il serait
facile de montrer comment Mr Vianney a déployé une grande prudence dans
l'exercice du saint ministère. Il a déjà été dit combien il était prudent dans
les visites qu'il faisait à ses paroissiens, dans les rapports qu'il avait avec
eux. Il ne l'était pas moins dans ses catéchismes et dans ses instructions. Ne
comptant pas sur ses propres forces et ne croyant pas que l'ignorance des gens
de la campagne dût le dispenser de travailler ses instructions, il les écrivait
après avoir étudié et médité devant le Saint Sacrement, les apprenait de
mémoire et s'exerçait à les bien débiter. Ce travail lui coûtait beaucoup,
comme il l'a avoué; il s'y astreignait cependant afin de traiter plus
convenablement la parole de Dieu. Il ne le cessa que lorsque la trop grande
affluence de pèlerins ne lui laissa plus aucun moment de repos. Mais Dieu lui
inspirait alors ce qu'il avait à dire; ses catéchismes et ses homélies, qu'on
était avide d'entendre, faisaient le plus grand bien sur l'esprit de ses
auditeurs. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
178. La vérité est que la vie du
Curé d'Ars s'est passée en grande partie au saint Tribunal. Il a eu par
conséquent un nombre presque infini de personnes à diriger. La direction des
âmes demande une grande prudence. Toute chose désirable ne convient pas à tout
le monde. C'est à chacun de marcher dans la voie où Dieu l'appelle; il faut que
le directeur donne les moyens de suivre cette voie. Il faut pour cela un grand
discernement des esprits. Mr Vianney l'avait reçu de Dieu. Dès qu'il avait
reconnu les ressources et les moyens, tour à tour exigeant et facile, ou bien
il se renfermait dans le cercle des préceptes, ou bien il ouvrait à son
pénitent les champs illimités des conseils. Un grand nombre de faits démontre
que le bon Curé lisait bien souvent au fond du coeur de ses pénitents et
découvrait leurs fautes les plus cachées. Il a fait connaître plus d'une fois à
des pénitents qu'ils le trompaient en confession. C'est journellement qu'il
disait, à première vue, à ceux qui venaient à lui quels étaient leurs attraits,
leur vocation, et par quelles voies Dieu voulait les conduire. Ainsi qu'il sera
déposé, etc.
179. La vérité est que l'on
comptait tellement sur la prudence du Curé d'Ars, que lorsque, dans une
situation difficile on avait besoin de lumières et de conseils, on venait les
chercher auprès de lui. Son merveilleux bon sens apercevait du premier coup
d'oeil les difficultés d'une entreprise, les raisons pour et contre. Il
rejetait impitoyablement les projets sans portée, sans utilité réelle, qui
viennent d'un zèle indiscret, de la volonté propre, de l'amour du bruit ou de
l'activité inquiète d'un esprit sans discipline. Mais ses sympathies les plus
chaleureuses et son concours le plus efficace étaient toujours au service des
institutions, dont la pensée était pure et le but franchement chrétien. De
toutes parts on appelait les encouragements du Curé d'Ars, ses bénédictions et
ses suffrages sur des fondations, sur des établissements, sur des écrits, sur
des oeuvres destinées quelquefois à une grande célébrité. Ainsi qu'il sera
déposé, etc.
180. La vérité est que le Curé
d'Ars était très prudent dans ses conversations. Il aurait voulu ne parler que
des choses de Dieu; il consentait cependant par charité et par politesse à
s'entretenir des choses de ce monde. Ne se croyant bon à rien et ne pouvant se
douter que ses paroles dussent avoir quelque portée, il disait encore
volontiers son sentiment; mais il était d'une très grande réserve pour toutes
les matières politiques. Il n'est pas jusqu'à l’incident d'Ars au sujet de la
Salette, comme on s'est plu à le nommer, qui ne démontre une grande prudence de
la part de Mr Vianney. Il avait été un des premiers à croire que la Sainte
Vierge était apparue à Maximin et à Mélanie. Lorsque Maximin en 1850, sous je
ne sais quelle impression et contrairement à tout ce qu'il avait dit
jusqu'alors et a dit depuis, eut affirmé à Mr Vianney qu'il n'avait pas vu la
Sainte Vierge, celui-ci se trouva dans un grand embarras. Il inclinait à croire
au fait de l'apparition et par le penchant de son coeur, et par respect pour l'autorité
de l'Évêque de Grenoble, qui s'était prononcé pour le fait de l'apparition.
Mais dans sa droiture et sa simplicité, il ne pouvait se figurer que Maximin
avait voulu le tromper. Que faire dans une position semblable? En homme
prudent, Mr Vianney envisageant d'un côté la conduite de l'Évêque de Grenoble
et la valeur de son approbation répondait qu'on pouvait croire à la Salette, il
permettait le pèlerinage et l'encourageait au besoin. Quand d'un autre côté on
lui demandait son opinion personnelle, il évitait de répondre, et si le
caractère de ceux qui l'interrogeaient exigeait une réponse, il se contentait
de dire que si ce que l’enfant lui avait dit était vrai, on ne pouvait y
croire. Cette entrevue avec Maximin fut pour le bon Curé le sujet de grandes
peines. Il n'en fut délivré que lorsqu'au bout de huit ans, il eut dit: Je
crois. Il obtint même de Dieu une grâce temporelle par l'intermédiaire de la
Sainte Vierge, invoquée sous le titre de Notre Dame de la Salette. Ainsi qu'il
sera déposé, etc.
181. La vérité est que Mr
Vianney, comme il a été dit, fut en butte dans le commencement de son ministère
à Ars à beaucoup de contradictions. En homme prudent il laissait dire et faire,
et profitait de l'injustice des hommes pour s'attacher de plus en plus à son
Seigneur. Quelque opposition qu'il trouvât dans l'accomplissement de ses
devoirs de pasteur en chaire ou au confessionnal, il s'y porta toujours avec le
même amour et la même exactitude. Quand on lui demandait comment il avait pu,
sous le coup d'une menace perpétuelle de changement, en butte à tant de
tracasseries, conserver l'énergie de son âme et ce qu'il faut d'empire sur
soi-même pour se livrer à ses travaux avec la même application et la même
ardeur: "On fait beaucoup plus pour Dieu, répondait-il, en faisant les
mêmes choses sans plaisir et sans goût. C'est vrai que j'espérais tous les
jours qu'on viendrait me chasser, mais en attendant je faisais comme si je
n'avais jamais dû m'en aller." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
182. La vérité est que ces épreuves
lui étaient encore bonnes et précieuses à un autre point de vue. Elles le
délivraient de la crainte qu'il avait d'être hypocrite, quand il se voyait, lui
si faible et si misérable, l'objet des empressements de la foule: "Au
moins, se disait-il, je ne trompe pas tout le monde. Il y en a qui me mettent à
ma place et m'apprécient à ma juste valeur. Combien je leur ai d'obligation! Ce
sont eux qui m'aident à me connaître." Quand il sortait, la foule avait
coutume de le suivre et de lui donner mille marques de vénération. Mais lui,
comme si ces marques de vénération se fussent adressées à un autre, s'en allait
tranquillement sans faire attention à ce qui se disait ou se passait, et
n'était attentif qu'aux questions dont on l'accablait en ce moment. Ainsi qu'il
sera déposé, etc.
183. La vérité est que Mr Vianney
remplit toujours tous les devoirs que la religion nous impose. Il était très
exact à tout ce qui est du service de Dieu. Il avait une très grande horreur du
péché. Il s'efforça toujours de pratiquer les conseils évangéliques et de
suivre les inspirations de la grâce, ainsi qu'il sera déposé, etc.
184. La vérité est que le Curé
d'Ars n'était pas moins exact à remplir tous les devoirs que les hommes se
doivent mutuellement. Il a déjà été parlé de sa grande charité. Il avait non la
politesse froide et maniérée des gens du monde, mais cette politesse pleine de
charité, de cordialité, de sincérité qui met chacun à l'aise. A l'exemple du divin
Maître, qui a passé sur la terre en faisant le bien, le serviteur de Dieu ne
s'appartenait pas lui-même; il pensait à tout, veillait à tout, était plein
d'égards et d'attentions pour tout le monde; il n'oubliait que lui-même, et il
s'oubliait entièrement. Il n'avait besoin de rien, pas même de consolations, ni
de témoignages de sympathie; il s'en croyait indigne. Ainsi qu'il sera déposé,
etc.
185. La vérité est que le Curé
d'Ars portait si loin ce respect pour tout le monde, qu'il ne s'asseyait devant
personne et ne permettait pas qu'on se tint debout devant lui. Lorsqu'il
entrait et qu'on se levait pour le recevoir, on voyait sa figure se couvrir des
marques d'une vive confusion: "Asseyez-vous, asseyez-vous" disait-il,
en accompagnant ces mots d'un geste expressif, et il insistait jusqu'à ce qu'on
se fût assis. Sa formule, en saluant les visiteurs, était toujours: Je vous
présente bien mon respect. S'il en avait connu une plus humble et plus
courtoise, il l'aurait employée. Mais ces respects qu'il offrait à tout le
monde, il n'en voulait point pour lui. On ne pouvait faire entrer ce mot dans
aucune phrase à son adresse, sans qu'il en fût offensé. Il vous arrêtait tout
court pour vous dire: "Oh! je ne mérite le respect de personne...
Donnez-moi un peu de votre amitié, c'est bien assez." Ainsi qu'il sera
déposé, etc.
186. La vérité est que Mr Vianney
avait encore pour les Ecclésiastiques de plus grandes marques de respect. Après
les ecclésiastiques, les religieux étaient l'objet de sa prédilection; il les regardait
comme la gloire et l’ornement de l'Église; il aimait à s'entretenir avec eux de
Dieu et des choses célestes. Au reste, le serviteur de Dieu vénérait
profondément tous ses confrères. Il avait pour eux, lorsqu'ils venaient à Ars,
des égards infinis. Il leur accordait le même privilège qu'aux infirmes et aux
malheureux, celui de les entendre aussitôt qu'ils réclamaient son ministère.
Ainsi qu'il sera déposé, etc.
187. La vérité est que le Curé
d'Ars honorait les grands et les puissants de la terre comme on doit les
honorer. Jamais il n'est arrivé à Mr Vianney de blesser ni de repousser
personne. Une gaîté douce et franche, un aimable abandon présidait à toutes ses
relations intimes et toutefois cet abandon ne tournait pas à une trop grande
familiarité; le respect était toujours là pour en tempérer les saillies. Il s'excusait parfois de se servir du mot ma
petite, qu'il employait par une habitude de bonhomie, même à l'égard des
femmes du monde; ce qui n’étonnait, et n'offusquait personne. Ainsi qu'il sera
déposé, etc.
188. La vérité est que Mr Vianney
était bon envers tout le monde, il était bon toujours, mais il était bon en
particulier pour les pauvres, les infirmes, les ignorants et les pécheurs: ce
sont là les quatre grandes misères de l'âme et du corps; il les embrassait dans
le même sentiment de tendre commisération et de généreuse sympathie. Il était
prodigue de grâces, de prévoyances et d'attentions envers le dernier des
mendiants qui l'approchait; il cherchait à le contenter, aussi bien qu'à le
secourir. Il se montrait continuellement appliqué à écarter de ceux qui
vivaient autour de lui le plus petit mécompte, à leur épargner la plus légère
contrariété. On ne saurait dire toutes les nuances que cette disposition prenait
en lui: c'était tour à tour de la tendresse, de l'indulgence, de la pitié, de
la douceur, de la condescendance, de l'abnégation, de la libéralité. Autant il
était dur au travail, impitoyable pour lui-même, autant il était sensible,
tendre, prompt à s'alarmer, dès qu'il s'agissait de la santé de ses
collaborateurs. S'il les voyait souffrants, il les forçait au repos; il leur
interdisait la chaire et le confessionnal; il prenait pour lui tout ce qu'il y
avait à faire. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
189. La vérité est que Mr Vianney
porta toujours un grand respect à son père et à sa mère. Il était très
reconnaissant des services qu'il avait reçus d'eux. Un jour qu'il revenait avec
attendrissement sur les souvenirs de son enfance, les missionnaires lui disaient:
"Vous êtes bien heureux d'avoir senti de si bonne heure le goût de la
prière. - Après Dieu, répondit-il, c'est l'ouvrage de ma mère; elle était si
sage!... Vois-tu, me disait-elle souvent, mon petit Jean-Marie, si je te voyais
offenser le bon Dieu, cela me ferait plus de peine que si c'était un autre de
mes enfants." Quand ses parents venaient à Ars, il les recevait avec
beaucoup de cordialité, s'enquérait des nouvelles du pays, leur faisait
gracieusement les honneurs de sa table, et ce jour-là, pour les porter à
manger, ne craignait pas de sortir de son ordinaire et de manger avec eux un
peu de tout. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
190. La vérité est que jusque
dans les dernières années de sa vieillesse, Mr Vianney conserva le souvenir des
bons habitants des Noës, qui lui avaient rendu service pendant son séjour dans
ce village. C'est aux Noës qu'il aurait voulu être nommé Curé, c'est là
peut-être, si l'évêque de Belley avait consenti à sa retraite, qu'il aurait
fini sa vie. "Si j'obtiens la permission de quitter le saint ministère,
disait-il en 1841 à Jean Marie Fayot venu à Ars pour le voir, j'ai l'intention
d'aller mourir au milieu de vous, ou à la Grande Chartreuse." Sa
reconnaissance pour la veuve Fayot, qui lui avait donné l'hospitalité aux Noës
ne s'affaiblit pas. Au commencement de son ministère, il était même dans
l'habitude de lui écrire tous les ans. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
191. La vérité est que sa
reconnaissance pour Mr Balley, son ancien maître, était encore plus vive. La
vertu, les talents, la sainteté de Mr Balley revenaient très souvent dans les
conversations du Curé d'Ars. Quand il voulait édifier par des traits d'histoire
contemporaine, le nom de son ancien maître revenait aussitôt sur ses lèvres, et
en même temps ses yeux se remplissaient de larmes; les larmes et les récits ne
tarissaient pas. Il disait que personne ne lui avait mieux fait voir jusqu'à
quel point l'âme peut se dégager des sens, et l'homme approcher de l'ange.
"J'aurais fini par être un peu sage, ajoutait-il quelquefois, si j'avais
eu le bonheur de vivre avec Mr Balley. Pour avoir envie d'aimer Dieu, il
suffisait de lui entendre dire: Mon Dieu, je vous aime de tout mon coeur."
Ainsi qu'il sera déposé, etc.
192. La vérité est que le Curé
d'Ars était très reconnaissant des moindres services qu'on pouvait lui rendre,
comme tous ceux qui ont eu le bonheur d'approcher de lui peuvent le déposer.
L'expression de sa figure, ses paroles et ses gestes indiquaient alors assez
combien il était touché profondément des attentions qu'on avait pour lui. Ainsi
qu'il sera déposé, etc.
Obéissance de Mr Vianney.
193. La vérité est que Mr Vianney
pratiqua toujours l'obéissance. Pendant qu'il était chez ses parents, son
obéissance était si prompte et si exemplaire que sa mère ne craignait pas de le
donner comme modèle à ses autres enfants. Sa soeur Marguerite a rendu de lui ce
témoignage: "Notre mère était si sûre de l'obéissance de Jean-Marie que,
lorsqu'elle éprouvait de la part de l'un de nous de la résistance ou de la
lenteur à exécuter ses ordres, elle ne trouvait rien de mieux que de les
intimer à mon frère, qui obéissait sur le champ, et puis de nous le proposer
pour modèle en disant: "Voyez, lui, s'il se plaint, s'il hésite ou s'il
murmure! Voyez s'il n'est pas déjà loin?" Il était rare que son exemple ne
nous entraînât pas." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
194. La vérité est que Mr Vianney
s'est fait remarquer par son exacte obéissance aux séminaires de Verrières et
de Lyon. Jamais on ne le vit enfreindre la règle; elle était pour lui l'expression
de la volonté de Dieu. Jamais on ne le surprit parlant aux heures consacrées au
silence, faisant bande à part au moment des récréations, se montrant froid et
impoli envers aucun de ses condisciples. Cet amour pour la règle, il le
conserva toute sa vie; il produisait en lui un grand respect pour tout ce que
l'Eglise nous propose, et une grande fidélité à remplir tout ce qu'elle
commande. Comme Mr Vianney aimait l'Eglise et sa discipline! On ne pouvait lui
parler de Rome sans provoquer des éclairs de bonheur. Il versait des larmes
quand il prononçait ou qu'il entendait prononcer le nom de l'Eglise, mère et
maîtresse de toutes les autres. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
195. La vérité est que le Curé
d'Ars, comme il a été dit, était tourmenter du désir d'aller dans la solitude pleurer
sa pauvre vie. Depuis l'âge de quinze ans ce désir était dans son coeur
pour le tourmenter et lui enlever le bonheur qu'il aurait pu goûter dans sa
position. Il se réjouissait en pensant que dans la solitude, il pourrait prier
en liberté. Il resta cependant jusqu'à la mort dans le poste que la Providence
lui avait assigné, parce que son Évêque ne voulut pas lui permettre de quitter
sa paroisse. Si plus d'une fois il chercha à quitter Ars, ce fut toujours avec
la pensée que l'Évêque de Belley approuverait son projet. Ainsi qu'il sera
déposé, etc.
196. La vérité est que le Curé
d'Ars montra toujours envers les représentants de l'autorité civile le respect
et l'obéissance qui leur sont dus dans les attributions de leur pouvoir. Un
fait cependant, s'il n'était pas expliqué, semblerait prouver que Mr Vianney
fut infidèle une fois à une loi de son pays. Lorsque Mr Balley vit approcher
pour son élève l'époque de la conscription, ne doutant point de sa
persévérance, il s'empressa d'aller à Lyon, afin de le faire inscrire parmi les
aspirants au sacerdoce; cette inscription, comme on sait, l'exemptait du
service militaire; mais Dieu permit qu'on oubliât de le porter sur les
registres. On ne s'en aperçut qu'au bout de trois ans. L'autorité militaire
expédia au jeune Vianney l'ordre d'aller rejoindre son régiment à Bayonne.
Après quelques tentatives pour conserver à sa vocation le jeune étudiant, son
père se décida à lui faire un remplaçant; mais deux jours après la conclusion
de cette affaire, le jeune homme avec qui on avait traité se ravisa et vint
déposer sur le seuil de la maison Vianney son argent et son sac. Les efforts
que Jean Marie avait faits jusque là pour surmonter son chagrin l'avaient
brisé; il tomba malade. L'autorité militaire le fit envoyer à l'hôpital de
Lyon. Quand il fut à peu près rétabli, on le fit partir pour Roanne, où il fut
obligé de séjourner quelque temps, parce qu'il était retombé malade. Enfin le
matin du 6 janvier 1810, jour fixé pour le départ de la colonne, il était allé
prier dans une église; il s'y oublia et laissa passer l'heure. Quand il se
présenta, on lui fit d'amers reproches; on finit cependant par lui signer sa
feuille de route. Il marchait depuis quelque temps et disait son chapelet en se
recommandant de toute son âme à la très sainte Vierge. Pendant qu'il priait un
inconnu s'approcha de lui d'un air bienveillant, et lui demanda où il allait et
pourquoi il était si triste. Mr Vianney lui raconta son histoire. L'inconnu lui
dit de le suivre, qu'il n'avait rien à craindre avec lui; en même temps, il se
chargea de son sac qui était très lourd et que le convalescent avait de la
peine à porter. Ce fut chez le maire du village des Noës que l'inconnu le
conduisit. Il habita ensuite chez une bonne mère de famille nommée Fayot. Comme
partout ailleurs il se fit aimer et admirer de tous ceux qui eurent le bonheur
de le connaître. Cette désertion, que Mr Vianney n'avait en aucune façon
préméditée, il ne se la reprocha jamais comme une infraction aux lois de son pays,
encore moins comme une faute devant Dieu. On était du reste alors au plus fort
de la guerre contre l'Espagne, guerre déclarée évidemment injuste par de graves
théologiens; l'Empereur venait de faire enlever Pie VII et de lui ravir ses
états. La France commençait à se lasser de donner le plus pur de son sang pour
satisfaire l'ambition d'un seul homme. Il fallait souvent l'emploi de la force
pour faire marcher les recrues; les routes étaient couvertes de déserteurs.
Personne ne songeait à blâmer ceux qui prenaient ce parti dangereux. Toutes ces
raisons, et beaucoup d'autres qu'il serait trop long d'énumérer, démontrent que
cette désertion de Mr Vianney ne peut lui être imputée. Ainsi qu'il sera
déposé, etc.
Religion de Mr Vianney.
197. La vérité est que la grande
vertu de religion de Mr Vianney lui faisait rechercher tout ce qui de près ou
de loin se rapportait au culte et à la gloire de Dieu. Le plus petit objet lui
devenait cher et sacré, dès qu'il avait une signification dévote. Il aimait les
images, les croix, les scapulaires, les chapelets, les médailles, l'eau bénite,
les confréries, les reliques surtout. Son église, sa chapelle de la Providence,
sa chambre en étaient remplies. Il disait un jour avec un air de grande
satisfaction qu'il en avait plus de cinq cents. Il était insatiable de la
parole de Dieu pour lui et pour les âmes confiées à sa sollicitude pastorale.
Il assistait au sermon autant qu'il le pouvait. Il a été déjà dit comment son
grand amour pour Dieu joint à sa grande vertu de religion l'avait porté à
agrandir et à embellir son église, à acheter de magnifiques ornements, etc.
Ainsi qu'il sera déposé, etc.
198. La vérité est que Mr Vianney
a brillé par une grande dévotion au St Sacrement, comme il a été dit plus haut
en parlant de la Foi et de la charité. Jésus-Christ dans le St Sacrement
semblait être toute sa vie. Il ne pouvait s'empêcher de penser à lui, de parler
de lui. Quand il en parlait ou qu'il était aux pieds des autels, son coeur
paraissait être en feu et ne pouvoir plus contenir l'ardeur, qui le dévorait.
Ainsi qu'il sera déposé, etc.
199. La vérité est que, quant aux
pratiques particulières de dévotion, Mr Vianney respectait toutes celles qui
sont en usage dans l'Eglise et les conseillait volontiers. Il était du tiers-ordre
de saint François et de plusieurs autres. Il aimait à réciter l'office divin en
union avec Notre Seigneur, et, pour faciliter cette union, il avait attaché aux
différentes heures du Bréviaire le souvenir des différentes scènes de la
Passion: A Matines, il honorait l'agonie de J.-C. au jardin des olives, à
Laudes sa sueur de sang, à Prime sa condamnation, à Tierce le portement de sa
croix, à Sexte son crucifiement, à None sa mort, à Vêpres sa descente de la
croix, à Complies sa sépulture. Pour soutenir et diriger ses intentions pendant
la semaine, il se proposait, le Dimanche d'honorer la très sainte Trinité, le
lundi d'invoquer le Saint Esprit, afin de bien employer la semaine pour la
gloire de Dieu, et pour son salut. Il priait aussi ce jour-là pour les âmes du
Purgatoire et offrait à leur intention tous ses mérites. Le mardi était
consacré aux Anges gardiens: il remerciait le bon Dieu d'avoir donné à ces purs
esprits un si ardent amour pour sa gloire, une si grande promptitude à exécuter
ses ordres, tant de bienveillance pour les hommes. Le mercredi était employé à
louer toute la cour des bienheureux. Le jeudi était le jour du saint Sacrement,
le vendredi celui de la Passion de Notre Seigneur. Le Samedi, il remerciait
Dieu d'avoir créé la sainte Vierge immaculée et de lui avoir donné un coeur si
bon pour les pauvres pécheurs. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
200. La vérité est que Mr Vianney
eut toujours une très grande dévotion à la sainte Vierge. Le premier cadeau
qu'il reçut, fut une image en bois de la reine des Cieux. "Oh! que
j'aimais cette statue, disait-il, à plus de soixante ans de distance. Je ne
pouvais m'en séparer ni le jour, ni la nuit, et je n'aurais pas dormi
tranquille, si je ne l'avais pas eue à côté de moi, dans mon petit lit."
Il a déjà été dit comment il plaçait sa statue sur un autel de gazon, quand il
était berger, invitait ses compagnons à réciter avec lui la salutation
angélique et leur prêchait la dévotion à la Ste Vierge, ainsi qu'il sera
déposé, etc.
201. La vérité est que Mr Vianney
dit un jour à son prêtre auxiliaire: "J'ai aimé la sainte Vierge avant
même de la connaître; c'est ma plus vieille affection. Étant tout petit,
j'étais possesseur d'un joli chapelet; il fit envie à ma soeur: elle voulut
l'avoir. Ce fut là un de mes premiers chagrins. J'allai consulter ma mère; elle
me conseilla d'en faire l'abandon, pour l'amour du bon Dieu. J'obéis, mais il
m'en coûta bien des larmes." Il savait à peine parler, que déjà il voulait
prendre part à tous les exercices de piété, qui avaient lieu en sa présence.
Dès qu'il entendait sonner l’Angelus, il donnait l'exemple à toute la maison,
et s'agenouillait le premier pour réciter l'Ave Maria. Ainsi qu'il sera
déposé, etc.
202. La vérité est que le jeune
Vianney ne laissa pas ralentir sa dévotion à la sainte Vierge lorsqu'il fut
employé aux travaux des champs. Il avait de la peine à tenir tête à son frère
François plus âgé que lui. Un jour, une religieuse que la révolution avait
chassée de son couvent, lui fit présent d'une de ces statuettes de la sainte
Vierge renfermées dans un étui cylindrique, qu'on ouvre et ferme à volonté.
"Ce présent, dit sa soeur Marguerite, vint fort à propos, et mon frère
crut avoir trouvé, dans la sainte image, un renfort et un secours contre
l'activité de François. La première fois donc qu'on les envoya ensemble à la
vigne, il eut soin, avant de commencer son ouvrée, de déposer à quelques pas de
lui sa petite statue, et en avançant vers elle, de prier la sainte Vierge de
l'aider à atteindre son frère aîné. Arrivé à l'image, il la ramassait
lestement, la plaçait de nouveau devant lui, reprenait sa pioche, priait,
avançait, tenant tête à François, qui se morfondait sans pouvoir le dépasser,
et qui avoua le soir que la sainte Vierge avait bien aidé son petit frère, et
qu'il avait fait autant de besogne que lui." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
203. La vérité est que cette
grande dévotion à la très sainte Vierge alla toujours en grandissant dans le
coeur du jeune Vianney. Quand il fut prêtre il aimait à célébrer la messe à son
autel le plus souvent qu'il le pouvait; il n'y manquait jamais le samedi. Tous
les jours il récitait le Regina Caeli pour remercier la sainte Vierge
des grâces qu'il avait reçues par son entremise. Tous les soirs à la prière il
disait en chaire le chapelet de l'Immaculée Conception. Depuis son vicariat à
Ecully, il avait organisé une association de prières en l'honneur de la sainte
Mère de Dieu. La pratique fondamentale consistait à réciter l'Ave Maria,
quand l'heure sonnait, avec l'invocation: "Bénie soit la très sainte et
immaculée Conception de la bienheureuse Vierge Marie, mère de Dieu. O Marie,
que toutes les nations glorifient, que toute la terre invoque et bénisse votre
Coeur immaculé!" Jamais il n'omit cette pieuse observance. C'est pour y être
plus fidele lui-même et y amener ses paroissiens, qu'il a fait placer au
clocher une grande horloge, dont le timbre s'entend des extrémités du village.
Ainsi qu'il sera déposé, etc.
204. La vérité est qu'avant que
l'Immaculée Conception fût définie comme dogme de foi, le Curé d'Ars avait
attaché son coeur à cette douce croyance. Lorsque la voix du chef de l'Eglise
se fut fait entendre: "Quel bonheur! s'écria-t-il; j'ai toujours pensé
qu'il manquait ce rayon à l'éclat des vérités catholiques. C'est une lacune qui
ne pouvait pas demeurer dans la religion. " Et pour marquer sa joie et
féliciter sa souveraine de la gloire qu'elle recevait en ce grand jour, il fit
faire une magnifique chasuble. Déjà depuis longtemps il avait consacré sa
paroisse à Marie invoquée sous le titre d'Immaculée. Ainsi qu'il sera déposé,
etc.
205. La vérité est que c'est à ce
titre de dévot serviteur de Marie que Mr Vianney se fit d'abord connaître à son
peuple; il ne négligea rien pour rehausser le culte de sa bien-aimée
souveraine. Même avant l'origine du pèlerinage, ses fêtes se célébraient à Ars
avec une grande pompe et un grand concours de peuple; les communions étaient
nombreuses, les offices solennels. Cette animation religieuse, fruit de
l'exemple du bon Curé, alla toujours en augmentant. Il n'y avait jamais tant
d'étrangers à Ars que dans les jours consacrés au culte de la mère de Dieu. Son
image se voit partout dans le village, sur la façade de l'Église, sur la porte
et dans l'intérieur des maisons. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
206. La vérité est que lorsque Mr
Vianney eut reçu du Vicomte d'Ars les magnifiques ornements, qui se voient
encore dans l'église d'Ars, il ne sut, pendant quelques jours, comment marquer
à Dieu sa reconnaissance. A la fin, il lui vint une idée: "Mes frères, dit-il
le dimanche suivant, vous avez vu ce que Mr d'Ars vient de faire pour nous. Eh
bien! j'ai formé le projet de vous mener tous en procession à Fourvière rendre
grâces à la très sainte Vierge et lui faire hommage de ces richesses: c'est
elle qui les bénira. Nous nous consacrerons à elle en même temps dans ce
sanctuaire où elle se montre si puissante et si bonne. Il faut qu'elle nous
convertisse." Le jour qu'il fixa fut le six août, fête de saint Sixte,
patron de la paroisse. On se souvient encore à Trévoux de l'impression produite
par l'arrivée de cette procession. Mais ce qui frappa pour le moins autant que
l'or des bannières et de leur riche tissu, ce fut le Curé d'Ars lui-même, avec
ses traits pâles et mortifiés et l'air de sainteté répandu sur sa figure. Après
une petite halte sur les bords de la Saône, on partit sur deux grandes barques
traînées par des chevaux, et l'on arriva à Lyon assez à temps pour que Mr
Vianney pût célébrer dans l'église de Fourvière le saint sacrifice de la messe
et communier un très grand nombre de ses paroissiens. Cette édifiante journée
est restée inscrite comme une date mémorable dans le souvenir des habitants
d'Ars. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
207. La vérité est que le très
saint Coeur de la sainte Vierge était le refuge du Curé d'Ars dans toutes ses
peines, et l'arsenal où il puisait incessamment les armes dont il se servait
pour combattre l'enfer. Une de ses grandes pratiques était de conseiller une
neuvaine au saint Coeur de Marie. "J'ai si souvent puisé à cette source, disait-il,
qu'il n'y resterait plus rien depuis longtemps, si elle n'était pas
inépuisable." Il ne se lassait pas de parler dans ses instructions de ce
Coeur si pur, si beau, si bon, l'ouvrage et les délices de la très sainte
Trinité. Le bon Curé d'Ars a dit des choses admirables sur la dévotion à la
sainte Vierge. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
208. La vérité est que les saints
étaient pour le Curé d'Ars de vrais amis, en la société desquels il vivait par
l'esprit et par le coeur; il les appelait ses consuls. Il lisait
continuellement leur vie. Aussi parler de ces bons saints, comme il les
nommait, était toute sa joie et quand il était sur ce chapitre, il ne
s'arrêtait plus.
Les traits, les épisodes, les
détails charmants, les circonstances les plus minutieuses de leur vie,
s'offraient à sa mémoire avec une abondance et une précision admirables. Il ne
se lassait de raconter et on ne se lassait pas de l'entendre. Il avait pour
leurs images et leurs reliques une profonde vénération. Il n'imaginait pas
qu'on pût faire un plus beau présent que celui d'une relique. Ainsi qu'il sera
déposé, etc.
209. La vérité est que parmi les
saints dont le Curé d'Ars se plaisait à faire l'éloge dans ses entretiens, il
était aisé de voir qu'il accordait une place de faveur à ceux qui, ayant le
plus travaillé et le plus souffert, avaient montré par là un plus grand amour
pour Notre Seigneur. Après St Joseph, Époux de la Ste Vierge, St Jean Baptiste,
son saint patron, St Jean l'Evangéliste et les saints apôtres, c'étaient St
François d'Assise, s. François Régis, s. Louis roi de France, s. Louis de
Gonzague, s. Stanislas de Kostka, s. Nicolas de Tolentin, Ste Catherine de
Sienne, Ste Colette, Ste Thérèse, qu'il invoquait le plus souvent. Il admirait
surtout le séraphique Père s. François, à cause de l'esprit d'amour et de
sacrifice dont il était enflammé. Il aimait également à parler de sainte
Claire, cette autre amante de la Croix et de la sainte pauvreté, si modeste
qu'on ne la vit qu'une seule fois dans sa vie lever sa paupière pour demander
au Pape sa bénédiction, et qu'on connut alors seulement la couleur de ses yeux.
Ainsi qu'il sera déposé, etc.
210. La vérité est que le Curé
d'Ars avait voué à sainte Philomène un culte tout particulier. Il l'appelait sa
chère petite sainte et lui avait fait construire une chapelle. Quand on
venait à Ars pour solliciter quelque grâce temporelle, il conseillait de faire
une neuvaine à sainte Philomène. C'est sur le compte de sa chère petite
sainte qu'il n'a cessé de mettre toutes les faveurs et tous les prodiges,
qui ont contribué à la célébrité du pèlerinage d'Ars. C'était à elle à s'en
défendre; lui n'y était pour rien. Cela ne le regardait en aucune façon. Il
était cependant un peu désappointé lorsqu'une guérison, par exemple, faisait du
bruit, et il lui arrivait de se plaindre un peu de sainte Philomène. Un enfant
de huit ans, qui ne pouvait marcher, fut tout à coup guéri à Ars, après avoir
reçu la veille la bénédiction de Mr Vianney et entendu de sa bouche des paroles
pleines de consolation et d'espérance. L'enfant courait dans l'église, disant à
qui voulait l'entendre: "Je suis guéri! je suis guéri!" Comme on
pressait Mr Vianney de recevoir la, mère de l'enfant, qui voulait le prier de
l'aider à remercier sainte Philomène, il se retourna et bénit en silence la
mère et l'enfant. Puis, de l'air le plus désappointé: "Sainte Philomène,
dit-il, aurait bien dû guérir ce petit chez lui!" Ainsi qu'il sera déposé,
etc.
211. La vérité est que le Curé
d'Ars avait aussi une grande dévotion aux âmes du purgatoire; il encourageait
toutes les entreprises, qui avaient pour but de les soulager. Lui-même il ne
cessait de prier pour elles. Il offrait de plus à leur intention, toutes ses
insomnies et toutes ses douleurs nocturnes. Il ne cessait de conseiller la dévotion
aux âmes du Purgatoire. "Oh! disait-il, si l'on savait combien nous
pouvons obtenir de grâces par leur moyen, elles ne seraient pas tant oubliées!
Ces saintes âmes sont les épouses de J.-C., et bien qu'elles ne puissent pas
mériter pour elles-mêmes, elles peuvent cependant prier pour leurs
bienfaiteurs: leurs prières sont plus puissantes que les nôtres, parce qu'elles
sont plus saintes et confirmées en grâce. D'ailleurs, ne pouvant pas par
elles-mêmes, ni se délivrer, ni se soulager dans les terribles souffrances
qu'elles endurent, elles sont obligées de recourir à nous, qui sommes comme
leurs sauveurs, pour obtenir du soulagement et leur délivrance. Elles sont donc
intéressées à prier le bon Dieu pour toutes les personnes, qui pensent à elles,
et à leur faire sentir les bons effets de leurs prières, afin de les engager de
plus en plus à ne pas les oublier." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
Oraison de Mr Vianney.
212. La vérité est que l'on peut
dire que l'oraison de Mr Vianney était continuelle. Son âme était sans cesse
unie à Dieu. S'il désirait la solitude, c'était pour livrer plus facilement son
coeur et toutes ses facultés à cette douce communication de l'âme avec son
Dieu. Au milieu des plus grands travaux, il ne se relâchait point de la sainte
contemplation, demeurait toujours en la présence de Dieu et le regardait avec
amour dans toutes ses créatures. Tout lui parlait de son Dieu et il savait le
trouver partout. Son esprit rapportait de ce commerce avec Dieu des idées si
claires et si lucides sur les choses spirituelles, que l'on pouvait répéter
avec Mgr Devie, Évêque de Belley: "Je ne sais pas s'il est instruit, mais
il est éclairé disait-il à des ecclésiastiques qui parlaient du peu de science
de Mr Vianney. Sa volonté ne savait que se porter vers le souverain Bien. Aimer
Dieu et le faire aimer, telle était la seule pensée de son coeur. Aucun signe
extérieur ne révélait ordinairement chez lui les opérations de la grâce, si ce
n'est un maintien pieux et recueilli, qui annonçait une grande concentration
intérieure, sans avoir rien d'affecté. Il disait un jour à un prêtre, qui
mettait trop d'affectation dans sa piété: "Mon ami, ne nous faisons pas
remarquer." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
213. La vérité est que l'on peut
dire que la vertu de force, et ses trois principales annexes la patience, la
confiance en Dieu et la constance ont jeté un grand éclat pendant toute la vie
de Mr Vianney. Cependant les épreuves, les peines et les tribulations ne lui
ont pas manqué. On les a rappelées en parlant de l'espérance. Elles ne
faisaient que ranimer sa confiance en Dieu, le détacher de plus en plus des
choses créées pour l'attacher à son créateur. Grâce à cette disposition, que
Dieu avait mise dans son coeur, il a pu toute sa vie suivre le genre de vie si
sévère qu'il s'était tracé. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
Patience de Mr Vianney.
214. La vérité est que le Curé
d'Ars pratiquait à la lettre ce mot, qui revenait souvent dans ses
conversations: "Les saints ne se plaignent pas." Il avait promis à
Dieu de ne point se plaindre, quoi qu'il lui arrivât. Voici à quelle occasion:
pendant qu'il était caché aux Noës, les gendarmes étaient venus un jour faire
une battue générale. Pour se soustraire à leurs recherches, il fut obligé de
s'enfermer dans un grenier à foin, au-dessus d'une écurie. Il étouffait dans
cette atmosphère doublement échauffée, et par l'entassement du fourrage et par
le voisinage de l'étable, et pensa être asphyxié. Cette situation violente dura
longtemps. Le bon Curé disait plus tard qu'il n'avait jamais tant souffert; et
ce fut dans ce moment qu'il promit à Dieu, s'il sortait de cette terrible
passe, de ne jamais se plaindre, quoi qu'il lui arrivât. Ainsi qu'il sera
déposé, etc.
215. La vérité est que le Curé
d'Ars eut bien à souffrir de différentes infirmités qu'il s'était attirées par
sa vie mortifiée. Il était sujet à des douleurs d'entrailles et à des maux de
tête continuels. Il était fréquemment indisposé. Une toux aiguë le fit bien souffrir
pendant les vingt-cinq dernières années de sa vie. Mais dans le temps que son
pauvre cadavre, comme il l'appelait, était le plus torturé, son esprit
était toujours libre, l'expression de son visage toujours calme et souriante,
rien dans son humeur ou sa conversation ne trahissait ses douleurs, même les
plus vives. Quand quelquefois vaincu par la force du mal, il s'affaissait tout
à coup sur une chaise, il se contentait de répondre avec un doux sourire:
"Oui, je souffre un peu." à ceux qui en étaient témoins et qui
naturellement s'empressaient autour de lui. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
216. La vérité est que Mr Vianney
ne savait pas se ménager. Lorsqu'après une journée écrasante on venait lui dire
qu'il y avait un infirme qui désirait lui parler, il allait le visiter à
domicile. On l'a vu plus d'une fois, plié en deux, n'en pouvant plus,
s'arrêtant à chaque pas, se traîner jusqu'aux extrémités du village pour
remplir cet héroïque ministère. Un repos de trois ou quatre heures seulement
succédait aux longues heures de travail. Et encore quel repos prenait-il,
lorsque d'un côté il était souvent troublé par le démon, et de l'autre par de
grandes souffrances? Mr Vianney a souvent déclaré qu'il ne dormait pas deux
heures, et qu'une heure de bon sommeil aurait suffi pour le faire galoper.
On ne saurait dire le supplice qu'il endurait en été, lorsque, accablé par la
chaleur, épuisé par l'exercice continuel de la parole, il étendait sur son lit
son pauvre corps haletant. Il a avoué à ses missionnaires qu'alors il souffrait
comme un malheureux, il ne faisait que tousser. Il était baigné de sueur;
il se contractait et se repliait sur lui-même, cherchant une bonne place et
n'en trouvant point. Il se levait jusqu'à quatre ou cinq fois par heure. Il
était si faible et si abattu qu'il ne pouvait se tenir debout. Dieu avait donc
bien exaucé le désir de son serviteur, qui avait demandé à beaucoup souffrir,
s'il obtenait la conversion de sa paroisse. Aussi Mr Vianney qui n'avait un peu
que ce qu'il avait souhaité comme il en fit un jour l'aveu, supportait-il
toutes ses souffrances avec la plus grande patience. Ainsi qu'il sera déposé,
etc.
217. La vérité est qu'il est
arrivé à Mr Vianney de tomber plusieurs fois en allant de sa chambre à
l'église. Cet état de prostration ne l'arrêtait jamais et il finissait par en
triompher. Il y avait dans sa constitution je ne sais quoi de nerveux et
d'élastique, qui ne fléchissait un instant que pour se redresser ensuite. Il
n'était jamais plus près de recouvrer sa vigueur, qu'à l'heure où on le voyait
plus affaissé. La foule, la chaleur, l'encombrement, la longueur des séances au
confessionnal, tout ce qui aurait dû anéantir ses forces, les lui rendait. A
mesure que les nécessités du pèlerinage l'exigeaient, on le voyait se
multiplier et devenir supérieur à lui-même. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
218. La vérité est que la
patience du bon Curé ne brillait pas moins lorsqu'il avait à souffrir quelque
humiliation ou quelque contradiction. Dans ces occasions, il supportait tout en
silence, avec une sérénité d'âme incomparable, un abandon parfait entre les
mains de Dieu. On a déjà parlé de son inaltérable patience et de son admirable
conduite vis-à-vis de ses condisciples de Verrières, qui ne cessaient de le
maltraiter (le texte porte "ce", raturé en "ses", et le
verbe 'cessait' reste au singulier). Si on lui faisait quelque tort ou quelque
injustice, il excusait la conduite du prochain avec une telle indulgence,
qu'elle aurait pu quelquefois paraître excessive. Jamais on ne l'a vu sensible
à un outrage qui l'atteignît directement. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
219. La vérité est qu'il fut en
butte dans le commencement de son ministère à beaucoup de contradictions, de
calomnies même. On en vint même à le décrier jusque dans ses moeurs; on lui écrivit
des lettres anonymes remplies d'ignobles injures. Que faisait le Serviteur de
Dieu? Il supportait tout avec une angélique patience. "Je serais fâché,
disait-il, que le bon Dieu fût offensé, mais d'un autre côté je me réjouis dans
le Seigneur de tout ce qu'il permet qu'on dise contre moi, parce que les
condamnations du monde sont des bénédictions de Dieu. J'avais peur d'être
hypocrite, quand je voyais qu'on faisait quelque cas de moi; je suis bien
content que cette estime si mal fondée se tourne en mépris." Ainsi qu'il
sera déposé, etc.
220. La vérité est qu'un jour il
reçut une lettre pleine de choses inconvenantes; peu après, il en reçut une
autre qui ne respirait que la vénération et la confiance: on l'appelait un
saint. Il en fit part à ses chères filles de la Providence en leur disant:
"Voyez le danger qu'il y a à s’arrêter aux sentiments humains. Ce matin,
j'aurais perdu la tranquillité de l'âme, si j'avais voulu faire attention aux
injures qu'on m'adressait, et ce soir, j'eusse été grandement tenté d'orgueil
si je m'étais fié à tous ces compliments. Oh! comme il est prudent de ne pas se
prendre aux vaines opinions et aux vains discours des hommes, et de n'en faire
aucun cas..." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
221. La vérité est qu'il ne
faudrait pas croire que la douceur et la patience étaient des vertus naturelles
au Serviteur de Dieu. Mr Vianney a dû avouer qu'il était ne avec un caractère
impétueux et qu'il lui avait fallu une extrême violence pour devenir doux et
patient. Et pourtant on l'a vu pressé, étouffé, renversé, par la foule sans
même que sa physionomie exprimât la moindre contrariété. On l'a vu, au moment
où son confessionnal était le plus entouré, se déranger trois fois de suite
pour donner la sainte communion à trois personnes différentes qui auraient pu
se présenter ensemble, et cela sans plainte et sans murmure, sans faire aucune
observation ni donner aucune marque d'impatience. Cela parut si fort à un
témoin de cette scène, qu'il sortit de l'église hors de lui, prêt à éclater,
disant à qui voulait l'entendre: "Je suis en colère pour Mr le Curé, qui
ne l'est pas." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
222. La vérité est qu'on l'a vu
plus qu'importuné, harcelé à tout instant du jour par la même personne, qui
voulait obtenir de lui quelque chose qu'il ne voulait pas accorder. Elle y
mettait une obstination dépourvue de toute convenance et par là même très
irritante. Mr le Curé n'a pas cédé, mais sa fermeté n'a eu d'égale que sa
douceur, et chaque fois qu'elle l'abordait, il la recevait comme si c'eût été
la première fois. Il disait un jour en parlant d'une personne, qui l'aurait
fait mourir à petit feu, si son coeur avait été moins affermi dans la patience:
"Combien je lui ai de reconnaissance! Je n'aurais pas su sans elle que
j'aimais un peu le bon Dieu." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
223. La vérité est que Mr Vianney
prit toujours un grand soin de mortifier toutes ses passions. Il savait que
pour cela il faut dompter la chair: aussi entra-t-il dans la voie de la
mortification dès sa jeunesse. Pendant qu'il faisait ses études à Ecully, il
avait fait avec sa cousine Marguerite certains arrangements concernant le
régime qu'il voulait suivre: par exemple, il voulait qu'elle lui servît sa
soupe sans aucune espèce d'assaisonnement. Quand la ménagère avait été fidèle à
sa consigne, il l'en récompensait par l'air de contentement répandu sur sa
figure, la gaîté de sa conversation et la promesse de quelque pieux présent,
comme d'une médaille, d'une image, ou d'un cantique; quand elle manquait, ce
qui lui arrivait de temps en temps, soit par mégarde, soit de propos délibéré,
le jeune Vianney lui en faisait de vifs reproches, il en éprouvait un sensible
déplaisir. Elle le voyait ennuyé, sans courage et sans goût: "Il mangeait
sa soupe, dit-elle, comme si chaque morceau eût dû l'étrangler." Ainsi
qu'il sera déposé, etc.
224. La vérité est que Mr
Vianney, quand il eut été nommé Vicaire à Ecully, redoubla ses mortifications.
Il était effrayant, lorsque dans son catéchisme, il énumérait les disciplines,
les haires, les cilices, les chaînes, les bracelets de fer et les autres
instruments de pénitence dont faisait usage Mr Balley, Curé d'Ecully. Ce que le
Curé d'Ars se gardait bien d'ajouter, et qui est parfaitement prouvé, c'est que
le disciple ne le cédait au maître en aucun genre de pénitences; c'était entre
eux comme une véritable lutte à qui vaincrait l'autre. Ils en vinrent très vite
à s'interdire jusqu'à l'ombre d'une satisfaction sensuelle, et à se faire de la
plus rigoureuse mortification, une règle universelle, et comme une seconde
nature. Ils ne prenaient presque point de nourriture. Ainsi qu'il sera dépose,
etc.
225. La vérité est que lorsque Mr
Vianney voulait obtenir quelque grâce plus importante, il avait recours au
jeûne et à la pénitence, comme il a été dit. Mr Vianney n'avait point de
domestique. Une bonne veuve, nommée Claudine Renard, blanchissait son linge et
lui rendait tous les autres bons offices dont il pouvait avoir besoin. La difficulté
était de les lui faire accepter. Il fallait prendre pour cela beaucoup de
détours, revenir souvent à la charge. Quand, à force de manoeuvres adroites,
elle avait obtenu un oui, ou que sans dire oui, on n'avait pas dit non, elle
courait à sa cuisine; mais pendant qu'elle préparait les mets, Mr le Curé avait
eu le temps de se mettre sur un bon pied de défense, et, quand elle arrivait
avec ses provisions, elle trouvait la porte close. C'étaient alors des larmes,
des gémissements, un vrai désespoir, qui faisaient rire le coupable, sans le
corriger. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
226. La vérité est que Mme
Claudine Renard, était aussi consternée en voyant que Mr Vianney ne se
réservait rien. Quelque soin qu'elle prît de renouveler son trousseau, elle
s'apercevait qu'il s'en allait pièce à pièce. Elle se mit alors à ne lui rendre
son linge qu'au fur et à mesure qu'il en avait besoin. Quoiqu'elle logeât près
du presbytère, elle n'y avait pas ses entrées libres. Lorsque de loin en loin,
elle venait à bout de s'y introduire, elle en profitait pour nettoyer, frotter
et mettre en ordre de son mieux le petit mobilier. Quelquefois, si le maître
était absent, elle s'enhardissait jusqu'à oser faire son lit et soulever un peu
cette pauvre paille, qui sans cela n'eût jamais été remuée. Or, il arriva qu'un
jour elle trouva le matelas d'un côté et la paillasse de l'autre... Elle
comprit et ne put s'empêcher de pleurer. Elle crut devoir tout remettre en
place. A quelques jours de là, ce fut la même chose, tant et si bien qu'à la
fin, ne voulant pas en avoir le démenti, ni se fâcher contre elle, Mr Vianney
prit le parti de trancher la question en donnant son matelas à un pauvre. Ainsi
qu'il sera déposé, etc.
227. La vérité est que Mr Vianney
s'était trop avancé pour s'arrêter en si beau chemin. Son amour pour la
pénitence lui fit aussi donner aux pauvres sa couchette et son traversin, en
sorte qu'il ne resta plus que la paillasse dans son lit. Se trouvant encore
trop bien sur la paille, il résolut d'y mettre une planche, et d'enlever
presque toute la paille. Catherine Lassagne essayait plusieurs fois d'en
remettre un peu, mais dès que Mr Vianney s'en apercevait, il la sortait et la
jetait au feu. Encore ces petits manèges ne suffisaient pas à satisfaire le
besoin de mortification, qui allait chez lui toujours en augmentant; c'est
pourquoi il résolut de quitter sa chambre et son lit et de coucher au grenier.
Il a avoué à son missionnaire qu'il avait aussi couché à la cave sur une
poignée de paille, et que, quand il était meurtri d'un côté, il se tournait de
l'autre. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
228. La vérité est que Mr le Curé
d'Ars ayant lu dans la vie de Ste Françoise Romaine, qu'elle faisait sa
nourriture ordinaire du pain sec et moisi, qui avait traîné longtemps dans la
poche des mendiants, touché de cette pratique, résolut de l'imiter; quand il
rencontrait un pauvre, il lui proposait de le débarrasser du contenu de sa
besace et le payait grassement. On trouvait toujours chez lui une corbeille
remplie de ce pain noir des pauvres; il le mangeait avec délice, parce que la
mortification, la pauvreté et la charité y mêlaient leur céleste saveur.
Quelques pommes de terre cuites à l'eau complétaient le menu du repas. Ainsi
qu'il sera déposé, etc.
229. La vérité est qu'il est
arrivé plus d'une fois à Mr Vianney, lorsqu'il n'avait plus de pommes de terre,
d'aller, sa petite marmite à la main, quêter chez les voisins la provision de
la semaine. Il faisait cuire ses pommes de terre lui-même et les mangeait tant
qu'elles duraient. Chaque soir, après la prière, en rentrant chez lui il
découvrait sa marmite, en tirait une ou deux pommes de terre, souvent déjà
toutes moisies, avalait un bassin d'eau fraîche là-dessus; c'était tout son
souper. Un soir, il revenait exténué de l'Eglise. Après avoir mangé une pomme
de terre, il eut la tentation d'en prendre une seconde. Il se retint en disant:
"La première était pour le besoin; la seconde serait pour le
plaisir." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
230. La vérité est qu'ayant pris
à la lettre la recommandation de Notre Seigneur de ne se point mettre en peine
du lendemain, il n'y songeait pas plus que s'il ne devait point y avoir pour
lui de lendemain. Sans aucune inquiétude, ni aucun souci du manger, du boire et
des autres choses nécessaires au corps, il remettait à la seule providence de
Dieu tout le soin de sa vie. De plus ce qu'il accordait à son corps dans les
premières années de son ministère, semblait avoir pour but moins de le
conserver que de l'empêcher de mourir. On a constaté qu'il était demeuré plusieurs
jours sans prendre aucune nourriture. On peut affirmer qu'il a passé des
carêmes entiers sans consommer deux livres de pain. Il a même essayé de vivre
d'herbage et de racines, mais au bout de huit jours il fut obligé de renoncer à
cette mortification excessive, parce qu'il n'avait plus de forces. Ainsi qu'il
sera déposé, etc.
231. La vérité est que lorsque
après de longs jours de jeûne Mr Vianney n'en pouvait plus, il prenait une
poignée de farine, c'était la seule provision qu'il se gardât, la délayait dans
un peu d'eau et en faisait des matefaims. "Que j'étais donc heureux dans
les premiers temps, disait-il! Je n'avais pas ce monde sur les bras; j'étais
tout seul... Quand je voulais dîner, je ne perdais pas beaucoup de temps. Trois
matefaims faisaient l'affaire. Pendant que je cuisais le second, je mangeais le
premier; pendant que je mangeais le second, je cuisais le troisième. J'achevais
mon repas en rangeant ma poêle et mon feu, je buvais un peu d'eau, et il y en
avait pour deux ou trois jours." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
232. La vérité est que dès ce
temps-là, Mr Vianney semblait avoir pour principe d'aller jusqu'au bout de
lui-même. Maintes fois alors, comme plus tard quand l'âge eut abattu ses forces
sans diminuer son courage, on le vit ne marcher qu'en se traînant, en
s'appuyant contre les murs et les bancs de son église. Catherine Lassagne
l'engageait un jour à prendre un peu plus de nourriture. "Vous ne pourrez
pas tenir en vivant de la sorte, disait-elle." - Oh! que si! répondit-il
gaîment. Que dit Notre Seigneur? J'ai une autre nourriture, qui est de faire la
volonté de mon Père, qui m'a envoyé. Puis il ajouta: "J'ai un bon cadavre;
je suis dur: après que j'ai mangé n'importe quoi, ou que j'ai dormi deux
heures, je peux recommencer. Quand on a donné quelque chose à un bon cheval, il
se remet à trotter comme si de rien n'était; et le cheval ne se couche presque
jamais." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
233. La vérité est qu'il arrivait
quelquefois cependant que ce bon cadavre, à force d'être surmené, n'en pouvait
réellement plus. Mr Vianney était forcé lui-même d'en convenir. Il a été
plusieurs fois obligé de se lever la nuit pour prendre quelque chose, parce
qu'il avait peur de mourir d'inanition. Il lui est arrivé bien souvent d'être
obligé de s'asseoir, en sortant de l'église, parce que ses jambes se dérobaient
sous lui. Il était alors content comme un homme, qui vient de faire un grand
exploit. Il riait de bon coeur, plaisantait et gourmandait son cadavre; il lui
disait avec une douce ironie: "Allons, mon pauvre Colon, debout!...
Tiens-toi bon!" faisant allusion à un ivrogne de ce nom qui s'apostrophait
ainsi pour se donner des jambes. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
234. La vérité est qu'une fois Mr
Vianney se trouva mal au confessionnal. Se sentant défaillir, il rassembla ses
forces et se traîna comme il put à la Providence, haletant, pâle comme un mort.
En arrivant il demanda un peu d'eau de Cologne. "Eh bien! Monsieur, lui
dit Catherine, tout en s'empressant autour de lui, vous devez être content,
cette fois, vous êtes bien allé jusqu'au bout!" En effet, sous la pâleur
et l'altération de ses traits on voyait percer une immense joie intérieure. Il
ne voulut rien accepter qu'un peu d'eau de Cologne, et dès qu'il se sentit
mieux, il s'échappa pour aller dans la pièce voisine faire le catéchisme aux
enfants. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
235. La vérité est que Mr Vianney
ne voulait rien accepter de ce qu'on lui apportait, ou s'il l'acceptait il le
donnait aux pauvres. Les provisions que Mme Claudine Renard, Mselle Lacon et
toutes autres parvenaient à introduire au presbytère étaient pareillement
distribuées aux mendiants. Quand sa Providence fut établie, il y allait prendre
ses repas. Si minces et si sommaires que fussent les apprêts de son dîner, ii
était toujours disposé à trouver qu'on en faisait trop. Il s'en plaignait
doucement aux directrices: "Je pense souvent, mais je n'ose pas vous le
dire, que si vous aviez plus de charité pour moi et pour les âmes, vous ne me
prépareriez jamais rien. Je ferais un peu pénitence, et tout le monde s'en
trouverait mieux." Ces apprêts consistaient cependant à faire tout
simplement bouillir du lait avec un peu de chocolat. Il prenait son modeste
repas debout au coin de la cheminée, quand il avait fini son catéchisme. Il se
contentait souvent de boire son lait sans y mettre du pain. Lorsqu'il était
pressé, il s'en retournait à la cure, son pot à la main. Un ecclésiastique, qui
le surprit ainsi un jour traversant la place, en fut comme scandalisé et
s'éloigna avec les marques d'un profond désappointement. Mr Vianney s'amusait
beaucoup de cette aventure: "Ce bon Monsieur, disait-il, a été bien
attrapé; il s'attendait à trouver quelque chose à Ars, et il n'a rien
trouvé." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
236. La vérité est que la seule
occasion où il sortît un peu de ses austères habitudes, c''est lorsque la
charité l'y obligeait pour faire honneur à un confrère, qui venait le visiter.
Le cas d'ailleurs était fort rare. Il usait de la même condescendance à l'égard
de ses parents, lorsqu'ils venaient à Ars. Monseigneur Devie essaya souvent de
faire fléchir l'austérité des jeûnes du Curé d'Ars. Il voulait au moins que ses
visites fussent des jours de relâche pour le Serviteur de Dieu. Il le fit une
fois placer à table à côté de lui, et se plut à le servir lui-même. Mr Vianney
n'osa pas refuser et mangea à peu près comme les autres. Mais il en fut
indisposé et éprouva d'horribles souffrances. En l'apprenant Monseigneur Devie
lui dit: "Jeûnez en paix, mon ami, désormais je ne vous obligerai plus à
dîner avec moi." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
237. La vérité est que si, vers
la fin de sa carrière, alors que son existence ne se soutenait plus que par
miracle au milieu de ses immenses travaux, le Serviteur de Dieu a relâché de sa
sévérité envers lui-même, c'est uniquement pour obéir aux ordres de ses
supérieurs, dans lesquels il était accoutumé à voir la volonté de Dieu. Du
reste il lui en coûta beaucoup pour suivre le nouveau régime et il se
reprochait souvent sa gourmandise. Or, au témoignage de la personne chargée de
pourvoir à ses besoins, on ne saurait croire combien il mangeait peu. Il ne
mangeait pas une livre de pain par semaine; quelquefois il ne faisait que
boire. Il n'acceptait jamais de viande deux jours de suite, il y avait des
semaines entières où il n'en mangeait pas. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
238. La vérité est que Mr Vianney
joignait au jeûne beaucoup d'autres pénitences. Jeanne Marie Ghaney et
Catherine Lassagne, directrices de la Providence, attestent avoir trouvé dans
la chambre du bon Curé divers instruments de pénitence: des haires, des
cilices, des chaînes d'acier, une corde avec des noeuds à intervalles
rapprochés, terminée par une boule en fer. Elles ont découvert successivement
dans la même cachette quatre ou cinq disciplines de fer, polies par l'usage et
brillantes comme de l'argent; les branches de ces disciplines étaient armées de
morceaux de fer ou de plomb. Elles affirment aussi avoir vu à la lessive le
linge de Mr Vianney taché de sang. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
239. La vérité est que le Curé
d'Ars usait très certainement de ces instruments de pénitence. Melle Lacon
l'entendit une nuit se frapper rudement pendant deux heures. Lui-même disait un
jour à Catherine et à sa compagne: "Le matin, je suis obligé de me donner
deux ou trois coups de discipline pour faire marcher mon cadavre. Ça réveille
les fibres... N'avez-vous pas vu des meneurs d'ours? Vous savez comme ils
apprivoisent ces méchantes bêtes: c'est en leur donnant de grands coups de
bâton. C'est ainsi qu'on dompte son cadavre et qu'on apprivoise le vieil
Adam." Il était obligé de renouveler souvent ses instruments de pénitence,
parce qu'il les avait bien vite brisés. Il commanda un jour au maréchal du
village une chaîne dont la grosseur fit trembler les initiés, qui savaient que
c'était pour en faire une discipline. Il donna le change à l'ouvrier, afin
qu'il ne soupçonnât pas à quel usage cette chaîne était destinée. Ainsi qu'il
sera déposé, etc.
240. La vérité est que Mr Vianney
en était venu à pratiquer littéralement ce qu'on lit dans la vie des saints.
Ainsi il s'imposait de ne pas sentir une fleur, de ne pas boire, quand il
brûlait de soif, de ne pas chasser une mouche importune, de ne pas paraître
s'apercevoir d'une mauvaise odeur, de ne jamais manifester de dégoût devant un
objet répugnant, de ne jamais se plaindre de quoi que ce soit qui intéressât
son bien-être, de ne jamais s'asseoir, de ne jamais s'accouder quand il était à
genoux. Le Curé d'Ars craignait beaucoup le froid, mais jamais il ne voulut
prendre aucun moyen pour s'en garantir. Il ne voulut jamais que l'on mît un
coussinet dans ce confessionnal où il passait tous les jours de si longues
heures. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
241. La vérité est que Mr Vianney
parcourut ainsi toute sa vie la carrière de la pénitence. "Dans cette
voie, disait-il, il n'y a que le premier pas qui coûte. La mortification a un
baume et des saveurs dont on ne peut plus se passer quand on les a une fois
connus; on veut épuiser la coupe et aller jusqu'au bout... Il n'y a qu'une
manière de se donner à Dieu dans l'exercice du renoncement et du sacrifice;
c'est de se donner tout entier, sans rien garder pour soi. Le peu que l'on
garde n'est bon qu'à embarrasser et à faire souffrir... Je pense souvent que je
voudrais bien pouvoir me perdre et ne plus me retrouver qu'en Dieu." Ainsi
qu'il sera déposé, etc.
Pauvreté de Mr Vianney
242. La vérité est que dans ce
siècle où tout est matériel, quelque chose avait révélé au Curé d'Ars que la
matière était plus que jamais l'ennemie de Dieu, et il y avait dans la manière
dont il prononçait ce mot un sentiment d'horreur profonde. Tous les jours, il
cherchait à s'en rendre de plus en plus indépendant. Il ne mangeait pas, il ne
dormait pas, ne voulait rien, n'avait besoin de rien. On eût dit qu'il n'avait
pas de corps. Pour le récompenser sans doute de son amour pour la pauvreté,
Dieu permit que toujours, sauf pendant les années de son enfance, il vécût
d'aumônes. A Ecully, aux Noës, à Ars, partout il trouva des personnes heureuses
de lui donner le pain de la charité, qu'à son tour il était heureux de recevoir
d'elles. Les pauvres meubles, qui garnissaient sa chambre, ne lui appartenaient
pas: ils avaient tous été vendus et rachetés plusieurs fois. Quand son lit eut
été brûlé par le démon, il se réjouit à l'idée de n'avoir plus de lit: "Il
y a longtemps, dit-il à un missionnaire, que je demandais cette grâce au bon
Dieu; il m'a enfin exaucé... Je pense que cette fois je suis bien le plus
pauvre de la paroisse: ils ont tous un lit, et moi, grâce à Dieu, je n'en ai
plus." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
243. La vérité est que de toutes
les pièces qui composaient le presbytère, sa chambre à coucher seule était
logeable, et cependant il n'y a pas de religieux, qui ait une cellule aussi
modeste. Dans cette petite pièce laide, noire, enfumée, éclairée par deux
fenêtres sans rideaux, tout avait et tout a conservé jusqu'ici un air de
vétusté et de délabrement. De naïves peintures sur verre, les images de Notre
Seigneur, de la très sainte Vierge et de quelques saints bien aimés, le
portrait des Évêques de Belley décorent çà et là les murailles, revêtues d'un
vieux papier en loque qui achève de disputer à la fumée ses restes de couleurs.
En face de la porte, se voit une série de rayons chargés de vieux livres; à
l'angle opposé, une antique armoire, dont les tiroirs, souvent remplis et
vidés, contenaient sa provision de croix et de médailles; au milieu une petite
table en bois de chêne; au fond un lit modeste avec de pauvres rideaux. En entrait
dans cette chambre à la fois si modeste et si pauvre, on n'était pas maître de
son émotion; on croyait entrer dans un sanctuaire. Ainsi qu'il sera déposé,
etc.
244. La vérité est que la
charité, comme il a été dit, dépouillait Mr Vianney de tout. Il ne pouvait rien
garder pour lui. Il ne voulait que le strict nécessaire. Un jour Catherine
Lassagne avait cru bien faire en remplaçant par une tasse en faïence la vieille
écuelle de terre, qui était depuis longtemps à l'usage du bon Curé. Celui-ci
eut peur de ce luxe, et s'en débarrassa au plus vite en disant: "On ne
pourra donc pas venir à bout d'avoir la pauvreté dans son ménage!" Ainsi
qu'il sera déposé, etc.
245. La vérité est que les
vêtements du Curé d'Ars indiquaient aussi son grand amour pour la pauvreté.
Bien qu'il aimât l'ordre et la propreté qui sont des demis vertus, toutefois
par esprit de pénitence et de détachement, il n'avait jamais qu'une soutane. Il
la portait jusqu'à ce qu'elle tombât presque en lambeaux; il consentait à la
laisser raccommoder et laver, quand elle en avait trop besoin, mais il n'en
acceptait une neuve que lorsque la vieille n'était plus portable. Il en était
de même de son chapeau, qui était arrivé à n'avoir plus aucune forme, parce
qu'il le faisait durer éternellement, et de ses souliers dont n'approchèrent
jamais la brosse ni le cirage. Le désordre général de sa mise fournissait
parfois matière à de joyeux commentaires dans les conférences ou les autres
réunions ecclésiastiques. Mr Vianney répondait toujours: "C'est assez bon
pour le Curé d'Ars! Qui voulez-vous qui s'en scandalise? Quand on a dit: C'est
le Curé d'Ars, on a tout dit." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
246. La vérité est que Mr Vianney
reçut cependant des sommes considérables pendant sa vie. Il aurait pu se servir
d'une partie pour son usage; mais il aimait trop la pauvreté pour cela. Plus il
méprisait l'argent, plus il en recevait. Son grand secret pour en avoir, comme
il le déclara à un prêtre qui le lui demandait parce qu'il bâtissait une
église, était de tout donner et de ne rien garder. Il ne voyait dans l'argent
qu'un instrument possible de salut et d'apostolat; toute autre destination lui
déplaisait. Un jour, il alluma par mégarde sa chandelle avec un billet de
banque, et comme on exprimait des regrets devant lui: "Oh! s'écria-t-il,
il y a moins de mal à cela que si j'avais commis le plus petit péché
véniel." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
247. La vérité est que le Curé
d'Ars méprisait non seulement l'argent, mais encore toutes les choses
matérielles, dont on parle tant aujourd'hui dans ce siècle de nouveauté, de
progrès industriel, en des temps si difficiles et si troublés. Mr Vianney ne
formait aucun souhait; il n'éprouvait aucun désir, il ne sentait aucun besoin
de connaître ce monde, dont la figure passait autour de lui sans qu'il y fît la
moindre attention: tant il en était venu à user des choses comme n'en usant
pas, à jouir comme ne jouissant pas. Cet homme à qui les chemins de fer
amenaient tous les jours de deux à trois cents étrangers, est mort sans avoir
jamais vu un chemin de fer et sans être à même de s'en faire une idée. Il
l'aurait pu cependant bien facilement puisque Ars est si rapproché de
Villefranche. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
Humilité, simplicité, modestie de
Mr Vianney.
248. La vérité est que la
simplicité et la modestie brillaient d'une manière toute particulière dans Mr
Vianney. Elles semblaient le revêtir de la tête aux pieds. Chez le Serviteur de
Dieu point d'ostentation, point de mise en scène; rien de contraint ni
d'affecté, rien absolument de l'homme qui veut paraître. Une simplicité
d'enfant, un mélange d'abandon, de candeur, d'ingénuité, de grâce naïve, qui se
combinant avec la finesse de son tact et la sûreté de son jugement, donnait un
charme inexprimable à sa conversation et à toute sa conduite. On se sentait
attiré à lui et entraîné par ces deux aimables vertus. Ainsi qu'il sera déposé,
etc.
249. La vérité est que Mr Vianney
semble s'être surpassé par sa profonde humilité. Pour qui ne connaissait pas le
Curé d'Ars, il était naturel de supposer par le récit des choses merveilleuses
qui s'accomplissaient autour de lui et qui lui méritaient les ovations de la
foule, que dans cette atmosphère de gloire qui l'environnait l'orgueil était
sinon son piège, au moins sa tentation. Quelle épreuve, en effet, de rester
humble parmi les témoignages les plus expressifs de la vénération publique! Un
des missionnaires lui insinua un jour cette idée. Mr Vianney levant alors les
yeux au Ciel avec une expression profonde de tristesse: "Ah! mon ami,
dit-il, si seulement je n'étais pas tenté de désespoir!" Le recueillement,
la vigilance, l'union avec Dieu le préservaient de tout retour sur lui-même au
milieu de tant d'hommages qu'il ne pouvait pas fuir. Comme il a été dit, il
semblait qu'il n'était pour rien dans tout le mouvement qui se faisait autour
de lui, et il ne paraissait pas même s'en apercevoir. Ainsi qu'il sera déposé,
etc.
250. La vérité est que le Curé
d'Ars recherchait l'obscurité et le silence avec autant d'ardeur que les autres
en mettent à courir après la réputation et la gloire. Il aimait mieux être
humble que de le paraître. Impossible à l'oeil le plus exercé de découvrir sur
son visage l'expression de la gêne ou du malaise, les traces d'une
préoccupation personnelle quelconque, d'un retour sur lui-même qui sentît les
joies ou les anxiétés de l'amour propre. On eût dit que le moi
n'existait plus en lui. Rien de ce qui lui était personnel n'effleurait son âme
; de quelque procédé qu'on usât envers lui, il paraissait content. Ainsi qu'il
sera déposé, etc.
251. La vérité est que les éloges
étaient comme des coups de verge pour le Serviteur de Dieu. Si l'on s'avisait
de lui dire quelque chose d'agréable, il répondait par une courte et humble
parole; mais il était facile de s'apercevoir à son maintien et à son silence
que ce propos l'avait douloureusement affecté. Monseigneur Devie s'oublia un
jour jusqu'à l'appeler "Mon saint Curé!" Ce fut une vraie désolation.
"Que je suis malheureux, s'écriait-il, il n'y a pas jusqu'à Monseigneur,
qui ne se trompe sur moi!... Faut-il que je sois hypocrite!" On l'a vu
plus d'une fois, les jours de dimanche, quitter précipitamment sa stalle, se
réfugier dans la sacristie et en fermer la porte, parce que le prédicateur
disait quelques mots à sa louange. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
252. La vérité est que l'humilité
portait Mr Vianney à ne parler jamais de lui le premier. Si on l'interrogeait,
il répondait avec une modestie qui commandait la réserve et un laconisme qui
réduisait l'interlocuteur au silence. Puis il coupait court pour tout ce qui le
regardait. Au reste, il épuisait en pareille rencontre toutes les formes du
mépris, et son humilité était ingénieuse à en inventer de nouvelles. Il n'avait
que des accusations à former contre lui-même. A l'en croire, il était le plus
grand des pécheurs, et il remerciait souvent le bon Dieu de ce qu'il avait la
bonté de supporter ses immenses misères. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
253. La vérité est que le Curé
d'Ars souffrait beaucoup de voir son portrait s'étalant aux portes des maisons
du village. Il avait fini cependant par s'y habituer comme à tant d'autres
souffrances. Pourtant, quand il faisait son petit trajet journalier du
presbytère à l'église, en passant par la maison des missionnaires, il baissait
la tête et ne savait que faire de ses yeux; il avait l'air d'un patient. S'il
lui arrivait, par mégarde, d'apercevoir un de ses portraits, qui tapissaient
les murs, il échappait à cette importune vision par une aimable saillie:
"Toujours ce carnaval (nom qu'il donnait à son portrait pour marquer le
mépris qu'il en faisait)!... Voyez comme je suis malheureux! On me pend... On
me vend!... Pauvre Curé d'Ars!" En 1852, un artiste d'Avignon ayant assez
bien réussi à reproduire la figure du Curé d'Ars, on fit faire une lithographie,
qui se vendait deux ou trois francs. En voyant apparaître cette nouvelle
édition de son carnaval, Mr Vianney dit en souriant: "Hélas! on est bien
averti, à chaque instant, du peu qu'on vaut. Quand on me donnait pour deux
sous, j'avais encore des acheteurs; depuis qu'on me vend trois francs, je n'en
ai plus." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
254. La vérité est que le bon
Curé d'Ars souffrait aussi beaucoup de cette publicité de tous les instants,
qui s'attachait à lui sous toutes les formes. Il s'en affligeait jusqu'à verser
des larmes abondantes. Sur la fin de sa vie, après plusieurs attentats du même
genre, il se fit un dernier essai biographique, qui le chagrina plus que les
autres. Ne pouvant contenir sa peine, il dit à l'auteur: "Vous finirez bien,
vous autres, par me vendre à la foire." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
255. La vérité est que Mr Vianney
pratiqua en tout et partout l'humilité, qui était une de ses vertus
principales. En parlant des autres vertus, on a déjà eu occasion de rappeler
une foule de traits ou de paroles qui prouvent sa grande humilité. Il attachait
à la pratique de cette vertu une très grande importance. "Monsieur le
Curé, lui disait un jour une personne, comment faudrait-il faire pour être
sage? - Mon ami, il faudrait bien aimer le bon Dieu. - Eh! comment faire pour
aimer le bon Dieu? - Ah! mon ami, humilité! humilité! C'est notre
orgueil, qui nous empêche de devenir des saints. L'orgueil est la chaîne du
chapelet de tous les vices, l'humilité, la chaîne du chapelet de toutes les
vertus. Hélas! on ne conçoit pas comment et de quoi une si petite créature que
nous peut s'enorgueillir (il pleurait) Le diable apparut un jour à St Macaire,
armé d'un fouet comme pour le battre, et il lui dit: "Tout ce que tu fais,
je le fais: tu jeûnes, moi je ne mange jamais; tu veilles, moi je ne dors
jamais. Il n'y a qu'une chose que tu fais et que je ne puis faire. - Eh! quoi
donc? - M'humilier, répondit le diable, et il disparut. Ah! mon ami, continua
le Curé d'Ars, il y a des saints qui mettaient le diable en fuite en disant:
Que je suis misérable! " Ainsi qu'il sera déposé, etc.
256. La vérité est que le Curé
d'Ars pratiquait à la lettre ce qu'il disait souvent: "Ceux qui nous
humilient sont nos amis, et non ceux qui nous louent." Sa vie est pleine
de traits qui le démontrent.
Un jour, on lui remit une missive
dans laquelle on lisait cette phrase: "Monsieur le Curé, quand on a aussi
peu de théologie que vous, on ne devrait jamais entrer dans un
confessionnal..." Le reste était à l'avenant. Cet homme qui ne trouva
jamais le temps de répondre à aucune des lettres qui lui arrivaient tous les
jours plus nombreuses et qui faisaient incessamment appel à ses conseils, à son
expérience, à sa sainteté, crut qu'il ne pouvait pas se dispenser de témoigner
la joie et la reconnaissance qu'il éprouvait d'être enfin traité d'une manière
conforme à ses mérites. Il prit immédiatement la plume et écrivit: "Que
j'ai de raisons de vous aimer, mon très cher et très vénéré confrère! vous êtes
le seul qui m'ayez bien connu. Puisque vous êtes si bon et si charitable que de
daigner vous intéresser à ma pauvre âme, aidez-moi donc à obtenir la grâce que
je demande depuis si longtemps, afin qu'étant remplacé dans un poste que je ne
suis pas digne d'occuper à cause de mon ignorance, je puisse me retirer dans un
petit coin pour y pleurer ma pauvre vie... Que de pénitences à faire! que
d'expiations à offrir! que de larmes à répandre..." Ainsi qu'il sera
déposé, etc.
257. La vérité est que dans le
temps que Mr Vianney était en butte à toutes sortes de contradictions et que
par suite des dénonciations faites contre lui, il s'attendait, comme il le
disait, à être mis à la porte à coups de bâton, interdit et condamné à finir
ses jours dans les prisons, une de ces pièces accusatrices tomba un jour entre
ses mains; il l'envoya à ses supérieurs, après l'avoir lui-même apostillée.
"Cette fois, dit-il, ils sont bien sûrs de réussir, puisqu'ils ont ma
signature." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
258. La vérité est que Mr Vianney
voyait arriver à Ars les personnages les plus éminents et les plus haut placés
dans la hiérarchie, aurait bien eu des raisons de s'enorgueillir; mais le bon
Curé était tellement humble qu'il n'avait pas même la pensée d'y faire
attention.
Pourquoi y aurait-il attaché de l’importance,
puisque dans sa pensée lui n'y était pour rien? Au moment où la ville de Lyon
retentissait du bruit des prédications du P. Lacordaire, celui-ci voulut rendre
une visite au Curé d'Ars. Cette visite fut très remarquée des habitants d'Ars.
Que dit alors Mr Vianney? "Savez-vous, dit-il à quelqu'un, la réflexion
qui m'a frappé pendant la visite du P. Lacordaire? Ce qu'il y a de plus grand
dans la science est venu s'abaisser devant ce qu'il y a de plus petit dans
l'ignorance... Les deux extrêmes se sont rapprochés." Ainsi qu'il sera
déposé, etc.
259. La vérité est que
Monseigneur Chalandon, Evêque de Belley, crut devoir nommer Mr Vianney chanoine
honoraire de la cathédrale. Le bon Curé ne porta son camail qu'à la cérémonie
de réception et il souffrit plus qu'il n'aurait souffert quelques années
auparavant des coups de bâton qui devaient le mettre hors de chez lui. Quant à
la croix de la Légion d'honneur que le gouvernement lui avait envoyée, il
fallut, pour qu'on pût dire qu'il l'avait acceptée, lui faire croire que
c'étaient des reliques qu'on lui offrait."Hé! là! dit-il avec un soupir de
désappointement, lorsqu'il eut ouvert l'écrin qui la renfermait... Ce n'est que
ça!..." Puis la passant à Mr Toccanier: "Tenez, mon ami, lui dit-il,
l'Empereur s'est trompé. Ayez autant de plaisir à la recevoir que j'en ai à
vous la donner." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
Chasteté de Mr Vianney.
260. La vérité est que Mr Vianney
montra toujours une grande prédilection pour la sainte vertu de chasteté. Il en
donna des preuves dès son enfance. Il n'avait encore que sept ans, lorsqu'un
jour Marion Vincent lui dit: "Si un jour nos parents voulaient, nous nous
marierions ensemble. - Oh! pour ce qui est de moi, reprit vivement le jeune
Vianney, n'en parlons pas, n'en parlons jamais!" Ses paroles, ses actions,
ses démarches ont toujours montré le grand amour qu'il avait pour la belle
vertu. On n'a jamais rien pu surprendre chez lui qui méritât le moindre blâme
ou pût faire naître l'ombre d'un soupçon. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
261. La vérité est que Mr
Vianney, quand il fut nommé Curé d'Ars, au lieu d'imiter ses confrères et de
suivre l’usage général de son pays en prenant à son service une personne du
sexe, crut devoir s'en passer et préparer lui-même ses aliments, mettre l'ordre
dans son presbytère. Sa vie, du reste, était si austère qu'il avait peu à faire
sous ce rapport. Si parfois des personnes du sexe, bien connues par leur piété,
parvenaient à s'introduire au presbytère dans le but de nettoyer les meubles,
de déposer des provisions, c'était en plein jour qu'elles le faisaient et en
l'absence du maître, qui ne pouvait souffrir qu'on lui rendît service. Leur
manière d'agir ne pouvait produire, et de fait n'a produit aucune mauvaise
impression. La conduite de Mr Vianney a toujours été si irréprochable que dans
le temps même où il était en butte aux contradictions et où l'on répandait sur
lui beaucoup de calomnies, on n'osa pas attaquer sa vertu ou, si quelques uns
le firent, ils ne purent se faire écouter. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
262. La vérité est que Dieu
récompensa les vertus de son serviteur par des dons extraordinaires. L'humilité
les faisait cacher avec grand soin au Curé d'Ars: aussi est-ce le côté le plus
obscur de sa vie; cependant beaucoup de faits ont transpiré et ont démontré 1°
que le serviteur de Dieu avait reçu le don des larmes; 2° qu'il lisait au fond
des coeurs; 3° qu'il a annoncé des choses futures; 4° qu'il a eu des visions et
des révélations; 5° qu'il a opéré un certain nombre de guérisons
extraordinaires et miraculeuses, dont son humilité attribuait l'honneur à
Sainte Philomène; 6° qu'il y a eu au grenier de la Cure une multiplication de
blé en faveur de la Providence, etc. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
263. La vérité est que les
lumières divines et infuses que le Curé d'Ars recevait avaient ordinairement
pour objet la direction des âmes.
Le ministère par excellence du
Curé d'Ars était, en effet, la direction des âmes, et une grande partie de sa
vie s'est passée au confessionnal. Il avait reçu un don merveilleux de consoler
les affligés, de toucher les pécheurs. Aussi on ne saurait compter les
conversions éclatantes, qui se sont opérées par l'entremise du Serviteur de
Dieu. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
264. La vérité est que jamais
peut-être personne pendant sa vie n'a joui d'une aussi grande réputation de
sainteté que Mr Vianney. On ne l'appelait que le saint Curé. L'ambition des
pèlerins que sa réputation de sainteté lui amenait de toutes les parties du
monde, ne se bornait pas à le voir, à lui parler, à entendre une réponse à
leurs paroles, à recevoir sa bénédiction; elle allait encore à vouloir posséder
un souvenir de lui, un objet qu'il avait béni, une image qu'il avait signée. De
là, l'habitude prise par Mr Vianney bien qu'il en coûtât de continuels efforts
à son humilité, de bénir après la messe, les croix, les médailles, les
chapelets, et de mettre les initiales de son nom sur les images et sur les
livres qu'on lui présentait. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
265. La vérité est qu'un très
grand nombre de pèlerins ne se contentaient pas d'avoir la signature du Curé
d'Ars ou un objet béni par lui, ils voulaient encore avoir quelque chose qui
lui eût appartenu. Au commencement, lorsque le Curé d'Ars quittait un instant
l'église, il ôtait son surplis et le déposait sur le mur du cimetière pour le
reprendre ensuite; mais il a été bientôt obligé de ne plus le faire, parce qu'on
le coupait par morceaux. On faisait de même de son chapeau, qu'il ne pouvait,
pendant les longues séances du confessionnal, défendre contre ce pieux
vandalisme; c'est pourquoi il résolut de ne plus s'en servir. Plusieurs fois on
a donné des coups de ciseaux à sa soutane. On lui a souvent coupé par derrière
des mèches de cheveux pendant qu'il faisait son catéchisme. Bien des feuillets
de son bréviaire ont été enlevés. Inutile de parler de l'avidité avec laquelle
on se disputait les choses qui avaient été à son usage ou qu'il avait
simplement touchées. On ne pouvait faire visiter la cure aux étrangers sans
avoir à constater ensuite quelques dégâts ou quelques larcins. On enlevait la
paille de son lit, on mutilait ses chaises, on entaillait sa table, on déchirait
ses livres, on ouvrait ses tiroirs, on lui volait ses plumes. Ainsi qu'il sera
déposé, etc.
266. La vérité est que la
réputation de la sainteté du Curé d'Ars était tellement répandue, que son nom
était sur toutes les bouches, son portrait se trouvait partout. Ce n'était pas
seulement les gens du peuple, mais les personnages les plus distingués et les
plus haut placés qui le regardaient et le vénéraient comme un saint. De là
cette affluence à Ars des personnages les plus considérables, parmi lesquels un
grand nombre d'Évêques. De là ces lettres qu'on adressait à Mr Vianney de
toutes les parties du monde. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
267. La vérité est que l'on a vu
se renouveler au sujet du Curé d'Ars des débats, qui ne semblaient plus de
notre siècle. Les habitants de Dardilly, paroisse natale de Mr Vianney,
jetaient des regards de convoitise sur le trésor possédé à Ars et songeaient
aux moyens de le posséder à leur tour. Le plus simple fut d'aller trouver Mr
Vianney lui-même, et de le supplier de disposer par testament qu'après sa mort
sa dépouille mortelle serait rendue à sa paroisse natale. Le bon Curé, qui dans
son humilité ne pouvait soupçonner leurs intentions secrètes, fit le testament
connue on le désirait. Quand on le sut, ce fut une véritable consternation à
Ars et dans tout le diocèse de Belley. L'Évêque dut intervenir: il demanda au
Curé pourquoi il voulait quitter, après sa mort, la paroisse où il avait tant
travaillé, et quelle raison il avait de désirer que son corps reposât à Dardilly.
"Ah! dit le bon Curé, pourvu que mon âme soit auprès du bon Dieu, peu
m'importe le lieu où sera mon cadavre." Alors Mgr Chalandon réclama ce
pauvre corps, et le Curé mortifié de telles prétentions, promit de faire un
autre testament. Il le refit, en effet, la veille de sa mort et disposa
définitivement de ses restes en faveur de la paroisse d'Ars. Mais les habitants
de Dardilly ne se tinrent pas pour battus et multiplièrent les démarches auprès
des diverses autorités pour avoir au moins une part de ce corps qu'ils
regardaient déjà comme une précieuse relique. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
268. La vérité est qu'une vie
aussi sainte ne pouvait se terminer que par une sainte mort. Depuis longtemps
Mr Vianney semblait n'avoir plus qu'un souffle de vie. Le petit filet de voix
qui lui restait, était si faible, qu'il fallait une oreille attentive pour
l'entendre. Mais on était tellement accoutumé à voir son existence se soutenir
d'une manière comme miraculeuse que l'on ne pouvait croire que bientôt il
quitterait cette terre pour aller recevoir la récompense due à tant de travaux.
Plusieurs paroles que Mr Vianney avait prononcées, auraient dû cependant faire
prévoir que ce moment n'était pas éloigné. On lui avait fait cadeau d'un très
beau ruban pour soutenir l'ostensoir à la procession du St Sacrement. "Je
ne m'en servirai qu'une fois..." avait-il dit. Lorsqu'on lui présenta vers
la fin de juillet à signer son mandat de desservant : "Ce sera pour me faire
enterrer." On possède un document d'où il résulte qu'au mois d'Août 1858,
Mr Vianney a déclaré formellement qu'il n'avait plus que pour une année de vie,
et qu'en 1859, à pareille époque, il aurait quitté la terre. On ne saurait donc
douter que le Serviteur de Dieu n'ait connu par révélation l'époque de sa mort.
Ainsi qu'il sera déposé, etc.
269. La vérité est que les fortes
chaleurs du mois de Juillet 1859 avaient cruellement éprouvé le saint
vieillard; il avait eu plusieurs défaillances. On ne pouvait entrer dans cette
église d'Ars réchauffée jour et nuit par un concours immense, sans être
suffoqué. Il fallait que les personnes qui attendaient leur tour pour se
confesser sortissent à chaque instant pour retrouver, hors de cette fournaise,
un peu d'air respirable. Lui, cependant, ne sortait pas; il ne quitta jamais
son poste de souffrance et de gloire; il ne songea point à abréger la longueur
de ces mortelles séances, qui duraient, le matin, de une heure à onze, et le
soir, de une heure à huit; mais il ne respirait plus, ou il ne respirait qu'un
air vicié; il souffrait le martyre. On le sollicitait en vain de prendre un peu
de repos; il répondait toujours: "Je me reposerai en paradis." Ainsi
qu'il sera déposé, etc.
270. La vérité est que le
Vendredi 29 Juillet 1859, Mr Vianney parcourut le cercle ordinaire de ses
travaux; il fit son catéchisme, passa seize ou dix sept heures au
confessionnal, et termina cette laborieuse journée par la prière. En rentrant
chez lui, plus rompu et plus exténué qu'à l'ordinaire, il s'affaissa sur une
chaise en disant: "Je n'en peux plus!" Ce qui se passa le reste de
cette nuit, personne ne le sait. On sait seulement qu'à une heure du matin,
quand il voulut se lever pour se rendre à l'église, il s'aperçut d'une insurmontable
faiblesse. Il appelle, on arrive. - Vous êtes fatigué, Mr le Curé? - Oui, je
crois que c'est ma pauvre fin. - Je vais chercher du secours. - Non, ne
dérangez personne; ce n'est pas la peine. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
271. La vérité est que le jour
venu, le Serviteur de Dieu ne parla point de célébrer la sainte Messe, et
commença à condescendre à tous les soins qu'il avait jusque là repoussés. Ce
double symptôme était grave. - Vous souffrez bien, lui disait-on? Un signe de
tête résigné était sa réponse. - Monsieur le Curé, espérons que sainte
Philomène, que nous allons invoquer de toutes nos forces, vous guérira encore
cette fois, comme elle l'a fait il y a dix huit ans. - Oh! sainte Philomène n'y
pourra rien. On aurait peine à se figurer la consternation que produisit
l'absence de Mr le Curé, quand, le matin, on ne le vit pas sortir de son
confessionnal à l'heure ordinaire. Une douleur profonde se répandit de proche
en proche. Cette douleur plus expressive chez les uns, plus concentrée chez les
autres, avait une expression particulièrement touchante chez quelques personnes
dont l'existence était plus intimement entrelacée à la sienne. Ainsi qu'il sera
déposé, etc.
272. La vérité est que pendant
trois jours, tous les moyens que la piété la plus ingénieuse peut inspirer,
furent mis en oeuvre pour obtenir du Ciel la conservation d'une vie si
précieuse. Le mardi soir, il demanda à être administré. La Providence avait
amené pour cette heure des prêtres venus des diocèses les plus lointains. La
paroisse entière y assistait. Une personne qui avait le droit d'approcher du
malade, vint à mains jointes le supplier en ce moment de demander à Notre
Seigneur sa guérison. Il fixa sur elle un regard plein de bienveillance et sans
rien dire fit connaître qu'il ne demanderait pas cette grâce. On vit des larmes
couler de ses yeux, lorsque la cloche lui annonça la visite du Maître qu'il
avait tant adoré. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
273. La vérité est que le
lendemain il répandit encore des larmes de joie. Elles tombèrent sur la croix
de son Évêque. Mgr de Langalerie, averti des progrès du mal, était venu en
toute hâte rendre visite au bon Curé d'Ars. Il était temps; la nuit même qui
suivit cette touchante entrevue, à deux heures du matin, sans secousse, sans
agonie, sans violence, Jean Marie Baptiste Vianney s'endormit dans le Seigneur
pendant que le prêtre, qui faisait la recommandation de l'âme, prononçait ces
paroles: "Veniant illi obviam sancti Angeli Dei, et perducant eum in
civitatem caelestem Jérusalem." Ainsi qu'il sera déposé, etc.
274. La vérité est que dès que la
fatale nouvelle se fut répandue, on se précipita vers le presbytère pour voir
et vénérer une dernière fois celui que tous appelaient leur père et qu'ils
regardaient maintenant comme un saint. Le corps fut placé dans une salle basse
que l'on orna à la hâte de modestes tentures. C'est là que dès le point du jour
du Jeudi quatre Août et pendant deux jours et deux nuits, une foule sans cesse
renouvelée et toujours grossissante accourut de tous les points de la France à
mesure que la fatale nouvelle y pénétrait. On avait eu soin de mettre sous le
séquestre tous les objets, qui avaient appartenu au Serviteur de Dieu. Cette
précaution était bien nécessaire. Malgré les mesures les plus sévères, il y eut
à regretter çà et là quelques pieux larcins que la vénération explique sans les
justifier. Deux frères de la Sainte Famille se tenaient auprès du lit de
parade, protégé par une forte barrière des contacts trop immédiats de la foule,
et leurs bras se lassaient de présenter à ces mains habituées à bénir les
objets qu'on voulait leur faire toucher. Dire ce que l'on a appliqué à ces
restes vénérés de croix, de chapelets, de livres et d'images, et quand les
boutiques si nombreuses du village furent à peu près épuisées, de linge, de
bijoux, etc., serait impossible. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
275. La vérité est que la
cérémonie des funérailles, qui eut lieu le samedi matin, présenta un spectacle
extraordinaire. Elle était présidée par l'Évêque de Belley. Des étrangers, au
nombre de plus de six mille, étaient accourus à Ars. Plus de trois cents
prêtres étaient venus des diocèses voisins, quoique la circonstance du samedi
en eût forcément retenu un grand nombre. Presque toutes les communautés des
environs avaient là leur représentant. Ainsi qu'il sera déposé, etc.
276. La vérité est que la
réputation de sainteté n'a pas cessé avec la mort de Mr Vianney; elle a même
grandi et grandit tous les jours. Plus de trente mille pèlerins viennent encore
chaque année s'agenouiller dans l'église d'Ars auprès du tombeau du Serviteur
de Dieu, et solliciter par son intercession différentes grâces. On signale déjà
plus d'une guérison et d'une grâce extraordinaire, et tout fait espérer que
Dieu a l'intention de glorifier son serviteur. Ainsi qu'il sera déposé; etc.
Istos
articulos et istas positiones pro nunc dat etc. salvo semper etc. non se tamen
astringens etc. non solum etc. sed et omni etc.
Jacobus
Estrade Causae Postulatur.
T A B L E DES M A T I E
R E S
I. Sur sa vie
II. Sur la Foi de Mr Vianney
III. Sur l'Espérance
de Mr Vianney
IV. Sur la charité
de Mir Vianney
1° Charité
envers Dieu
2° Charité envers
le prochain
V. Sur la Prudence
de Mr Vianney
VI. Sur la vertu de
Justice de Mr Vianney
Obéissance de Mir Vianney
Religion de Mr Vianney
Oraison de Mr
Vianney
VII. Sur la force de Mr Vianney
Patience de Mr Vianney
VIII. Sur la
tempérance de Mir Vianney
Pauvreté de Mr Vianney
Humilité, simplicité, modestie de Mr Vianney Chasteté de Mir
Vianney
IX. Dons
extraordinaires accordés à Mir Vianney. - Réputation de sainteté pendant sa
vie.
X. De la précieuse
mort de Mr Vianney
PROCES DE
BEATIFICATION ET CANONISATION DE
SAINT JEAN MARIE
BAPTISTE VIANNEY
CURE D'ARS
PROCES INFORMATIF
ORDINAIRE
DEPOSITIONS DES
TEMOINS
TABLE DES DEPOSITIONS TRANSCRITES DANS LE PREMIER VOLUME
Témoin I Abbé
Joseph Toccanier 106
Témoin VI Catherine
Lassagne 462
Témoin VIII Jean
Baptiste Mandy 578
Témoin IX Guillaume
Villier 618
Témoin X Frère
Athanase (Jacob Planche) 658 ; 803
Témoin XI Jeanne
Marie Chanay 674
Témoin XIII Laure
Justine Françoise des Garets 764 ; 883
La numérotation marginale, à laquelle renvoie cette table,
correspond à la pagination de l'original.
105 Session 3-26 Novembre 1862 à 2h1/2 de l'après-midi
106 Au premier Interrogatoire, le témoin répond:
Je connais
parfaitement la valeur et la force du serment que j'ai fait.
Au
second Interrogatoire, le témoin répond:
Je m'appelle
Joseph Toccanier, né à Seyssel le trois Novembre mil huit cent vingt-deux; mon
père se nomme Aimé Toccanier et ma mère Françoise Pegoud; je suis prêtre et
missionnaire du diocèse de Belley, vicaire de la paroisse d'Ars. Ma fortune est
très ordinaire.
Au troisième
Interrogatoire, le témoin répond:
Ayant le
bonheur d'être prêtre, je dis la sainte messe tous les jours autant qu'il m'est
possible; j'ai encore eu le bonheur de la dire ce matin.
Au quatrième
Interrogatoire, le témoin répond:
Je n'ai point
eu de procès et je n'ai point subi de condamnation.
Au cinquième
Interrogatoire, le témoin répond:
Je n'ai point
encouru de censures, ni de condamnations ecclésiastiques.
Au sixième
Interrogatoire, le témoin répond:
107 Personne ne m'a instruit ni ne m'a suggéré la manière de
déposer dans cette cause; je ne me suis pas inspiré des articles, je ne m'en
inspirerai pas pour donner mes réponses; je dirai seulement ce que j'ai vu et
ce que j'al entendu.
Au septième
Interrogatoire, le témoin répond:
J'ai une
affection filiale pour le Serviteur de Dieu Jean Marie Baptiste Vianney; je
désire vivement sa Béatification, mais je me soumets entièrement au jugement du
Saint Siège; mais dans ma déposition, je ne suis mu que par l'amour de la
vérité et le désir de la; gloire de Dieu.
Au huitième
Interrogatoire, le témoin répond:
J'ai entendu
dire que Mr Vianney était né le 8 Mai mil sept cent quatre-vingt-six. Ses
parents étaient des propriétaires honnêtes et chrétiens; ils élevaient très
chrétiennement leurs enfants et en particulier le dit Serviteur de Dieu. Sa
mère était très pieuse. J'ai entendu dire au Curé d'Ars que sa mère le prenait
souvent en particulier le soir pour s'entretenir avec lui des choses de Dieu,
jusqu'à une heure très avancée de la nuit. Je ne sais rien de particulier sur
l’époque du Baptême et de la Confirmation du dit Serviteur de Dieu.
Au neuvième
Interrogatoire, le témoin répond:
J'ai appris
de Monsieur Vianney lui-même qu'il avait passé ses premières années chez ses
parents à Dardilly; qu'il a été ensuite confié à Monsieur Balley, Curé
d'Ecully, confesseur de la foi pendant la grande révolution. Quand je serai
interrogé sur les vertus, je répondrai sur les qualités et vertus de son
enfance; quant à ses défauts, je n'en connais point.
Au dixième
Interrogatoire, le témoin répond:
Je
sais du Curé lui-même, que dès son enfance, il avait des indices d'une vocation
ecclésiastique, par l'habitude qu'il avait de dresser de petits autels, de
prêcher à ses camarades pour les porter à la vertu; je tiens aussi du Curé
d'Ars que monsieur Balley avait comme prédit qu'il serait prêtre.
108 Au onzième Interrogatoire, le témoin répond:
D'après
ce que j'ai entendu dire à Monsieur le Curé d'Ars, le jeune homme qui l'accosta
au sortir de la petite ville de Roanne, lorsqu'il partit pour se rendre sous
les drapeaux, lui était inconnu, et il n'a jamais su qui il était.
Au douzième
Interrogatoire le témoin répond:
Je n'ai rien
de particulier à dire sur les différentes parties de cet Interrogatoire.
Au treizième
Interrogatoire le témoin répond:
Je sais du
Curé d'Ars lui-même qu'il a été nommé Vicaire d'Ecully pendant deux ans, et je
sais par la voix publique qu'il a édifié grandement la paroisse.
Au
quatorzième Interrogatoire, le témoin répond:
Je ne sais
pas précisément l'année de l'arrivée de Monsieur Vianney à Ars; je sais
seulement par Mr le Curé d'Ars et des personnes dignes de foi que la paroisse
d'Ars était plongée dans l'ignorance, et qu'il y régnait de graves abus, tels
que la danse, le travail du Dimanche, l'oubli des Sacrements. Il m'a dit
lui-même, qu'on ne savait pas dire le chapelet. Je sais par des personnes
dignes de foi qu'il est parvenu à déraciner ces abus par de longues et
fréquentes prières devant le Saint Sacrement; par des pénitences excessives;
par sa dévotion à la Ste Vierge, à laquelle il offrait souvent sa paroisse; par
ses nombreuses prédications; par l'établissement des confréries et par toutes
les saintes industries que son zèle lui inspirait.
Au quinzième
Interrogatoire, le témoin répond:
Je sais par
les registres de la paroisse que les confréries dont j'ai parlé en répondant à
l'interrogatoire précédent, sont: 1° celle du Saint-Sacrement, secondement du
Saint-Rosaire, troisièmement du Sacré-Coeur, quatrièmement l'Archiconfrérie de
Notre Dame des Victoires. 109 Je sais qu'il a établi une Providence gratuite
pour les orphelines, dirigée d'abord par de pieuses filles; que cette
Providence a été remplacée par une école gratuite des filles pour la paroisse;
qu'il a établi une école gratuite pour les jeunes gens de la Paroisse, dirigée
par les Frères de la Sainte Famille de Belley. Je certifie que ces écoles ont
produit d'excellents fruits.
113 Session 4 - 27 Novembre 1862 à 8h du matin
Au seizième
Interrogatoire, le témoin répond:
J'ai appris
de personnes graves que le Curé d'Ars accomplissait exactement les
commandements de Dieu et de l'Eglise et remplissait parfaitement ses devoirs de
prêtre et de Curé. Pendant six ans de mon séjour à Ars auprès du Serviteur de
Dieu, j'ai vu moi-même tous les exemples de vertus chrétiennes et sacerdotales
qu'il donnait à tout le monde. Aux Interrogatoires sur les vertus, je donnerai
les détails. 114 Je puis affirmer qu'il a persévéré jusqu'à la mort dans
l’exacte et fidèle observance de tous ses devoirs de prêtre et de pasteur, et
je l'affirme comme témoin oculaire. Je ne connais aucun manquement dans
l'accomplissement de ses devoirs. Je sais que s'il s'est absenté de sa paroisse
pour faire des missions, c'est seulement par zèle pour la conversion des
pécheurs et sans nuire aucunement au bien spirituel de sa petite paroisse.
Comme les missions se faisaient dans les paroisses voisines, il revenait
fréquemment dans sa paroisse. S'il a essayé, de quitter deux fois sa paroisse,
c'est parce qu'il croyait, par un sentiment de profonde humilité, qu'il avait
besoin de la retraite pour assurer son salut et se préparer à la mort en
pleurant sa pauvre vie, comme il le disait souvent. En agissant ainsi, le
Serviteur de Dieu présumait le consentement de son Évêque et ne voulait point
faire un acte positif de désobéissance; du reste, quelques jours après l'a dernière
tentative de fuite, des habitants de Dardilly, sa paroisse natale, vinrent la
nuit et lui fournirent tous les moyens de s'évader secrètement, mais le
Serviteur de Dieu refusa formellement. Je le tiens de son propre témoignage.
Au
dix-septième Interrogatoire, le témoin répond:
Je sais par
moi-même et par des témoins dignes de foi qu'il a eu à supporter de nombreuses
et pénibles contradictions de la part de ses paroissiens, et de quelques
ecclésiastiques du voisinage et d'ailleurs, et qu'il (les) a supportées avec
une patience admirable et qu'il a prié pour eux et leur a fait dans l'occasion
tout le bien qu'il pouvait leur faire, ainsi que je l'expliquerai plus tard.
Au
dix-huitième Interrogatoire, le témoin répond:
J'ai appris
de personnes dignes de foi que le Serviteur de Dieu s'est distingué par la
pratique de toutes les vertus chrétiennes, et pendant les six années que je
suis resté auprès de lui jusqu'à sa mort, j'ai, vu par moi-même que tout ce que
j'avais entendu dire était parfaitement exact.
115 Quant à la foi, je déclare que j'ai entendu dire à des personnes
bien informées, à sa soeur, encore vivante, par exemple, que dès son enfance,
il aimait à s'instruire des vérités de la religion, qu'à trois ans il
recherchait déjà la solitude par amour pour la prière. Un jour qu'il avait
disparu, on le chercha et on le trouva dans une écurie, à genoux et priant
devant une crèche. Il aimait à se mêler aux exercices de piété. Le Serviteur de
Dieu m'a dit lui-même qu'il avait aimé la Sainte Vierge avant de la connaître,
qu'il avait reçu de sa mère une petite statue de la Mère du Sauveur, dont il ne
se séparait ni le jour ni la nuit.
J'ai entendu
le Serviteur de Dieu dire que pendant la Révolution, il était heureux de
pouvoir assister au saint sacrifice toutes les fois que l'occasion s'en
présentait. J'ai entendu dire au Serviteur de Dieu que lorsqu'il allait
travailler dans les champs, il plaçait la statue de la Sainte Vierge sur un
bâton, auquel il la fixait, afin de pouvoir la contempler et prier devant elle.
J'ai entendu
dire au Serviteur de Dieu qu'étant encore jeune, il avait fait un pèlerinage au
tombeau de Saint François Régis à pied et en mendiant, pour accomplir un voeu
qu'il avait fait. Avant de revenir, il obtint de son confesseur la commutation
de son voeu, en ce sens qu'il donnait à tous les pauvres qu'il rencontrait, au
lieu de mendier lui-même, et il ajoutait qu'il avait vu par là qu'il était plus
doux de donner que de demander. Je sais qu'il avait une grande dévotion à saint
François Régis, qu'il avait son tableau dans sa chambre, et qu'il avait érigé
sa statue dans l'église d'Ars.
Je sais par
des témoignages dignes de foi que, retiré aux Noës, il édifia les habitants par
la ferveur de sa foi, à tel point que, lorsqu'il fut prêtre, on le demanda
instamment pour Curé de cette paroisse.
J'ai entendu
dire par des témoins graves que Monsieur Vianney avait édifié ses condisciples
au petit et au grand séminaire par la vivacité de sa foi et que ce fut là le
motif particulier de son admission au sacerdoce.
116 Je sais par des témoins dignes de foi que pendant qu'il fut
vicaire d'Ecully, il édifia la paroisse par sa foi et sa piété. Je tiens des
habitants d'Ars que dès son entrée dans la paroisse, il les avait vivement
édifiés par sa foi et particulièrement par sa dévotion au Saint Sacrement de
l'autel et par la manière dont il disait la messe.
J'ai entendu
dire à des témoins dignes de foi qu'il semblait avoir choisi l'église pour sa
demeure, il y passait de longues heures immobile et prosterne dans le
sanctuaire; qu'il entrait à l'église avant l'aurore et n'en sortait qu'après
l'angelus du soir. Pendant les six années que j'ai passées à Ars, je le voyais
pour ainsi dire constamment à l'église; il y allait de minuit à deux heures du
matin et n'en sortait qu'à six heures en hiver et à neuf heures en été, excepté
le temps consacré à prendre son modeste repas et à visiter les malades de la
paroisse. Je sais nue pendant ses longues oraisons devant le Saint Sacrement,
il ne cessait de prier pour la conversion des pécheurs et la persévérance des
justes, et qu'il conjurait sans cesse Dieu de répandre ses grâces sur ceux qui
ne le connaissaient pas et s'offrait en sacrifice pour leur conversion. Je sais
qu'il joignait à la prière la prédication de la parole de Dieu. Il s'y était
préparé par un travail opiniâtre. Je l'ai vu faire le catéchisme tous les jours
pendant six ans, de onze heures à midi, non seulement aux paroissiens, mais
encore aux nombreux pèlerins venus de tous les pays, avec une onction qui
impressionnait profondément l'auditoire. Je l'ai vu chaque Dimanche, outre le
catéchisme qui se faisait à une heure, faire son instruction à la prière du
soir.
Je sais qu'il
est parvenu à établir la communion fréquente parmi les femmes. Je sais aussi
qu'à son instigation, un grand nombre des pèlerins qui venaient à Ars ont pris
l'habitude de communier fréquemment. Par ses exhortations, il avait amené
presque tous les hommes à communier à Pâques, un certain nombre à communier aux
grandes fêtes ; mais malgré ses efforts, il n'avait pu réussir à les
amener à la communion fréquente. Je sais que par l'établissement des deux
confréries du Saint Sacrement et du Saint Rosaire, dans lesquelles il avait
enrôlé un grand nombre de ses paroissiens, hommes et femmes, il vint à bout de
détruire plus promptement les abus. 117 Pendant six ans, je n'ai point vu à Ars
les danses qui ont lieu dans les paroisses voisines, et jusqu'à ce moment,
elles n'ont pas reparu. Je sais qu'il a fait supprimer les deux cabarets qui
existaient dans la paroisse, qu'il a fait cesser le travail du Dimanche; que
les magasins étaient fermés le Dimanche, que les voitures publiques d'Ars à
Lyon ne marchaient jamais le Dimanche, et que les omnibus des chemins de fer
obligés de marcher le Dimanche pour faire leur service, n'entraient pas dans le
village. J'ai été moi-même témoin de ces faits. Pour obtenir la cessation des
danses, le Serviteur de Dieu redoubla ses prières et ses mortifications; il en
vint même jusqu'à payer un jour, comme on me l'a assuré, au musicien une somme
plus forte que celle qu'il aurait gagnée, et l’éloigna ainsi de sa paroisse.
Je sais que
le Serviteur de Dieu ayant travaillé à plusieurs missions ou jubilés dans
plusieurs paroisses du voisinage, y répandit une odeur de sainteté, et inspira
une telle confiance que les pénitents en grand nombre, qui s'étaient adressés à
lui, vinrent ensuite le trouver à Ars; beaucoup de personnes suivirent leur
exemple, notamment des personnes d'Ecully et des Noës, ainsi que de Dardilly.
De la sorte se forma le pèlerinage qui prit de si grandes proportions que dans
les dernières années le nombre des pèlerins s'élevait en moyenne à quatre-vingt
mille.
Monsieur le
Curé d'Ars, désintéressé et pauvre personnellement, mais, animé par l'esprit de
foi le plus sincère, déployait au contraire toute la munificence dont il était
capable pour l'embellissement de son église, l'érection de plusieurs chapelles,
l'achat des vases sacrés et des ornements, si bien qu'aucune paroisse du
Diocèse de Belley ne possède de si beaux ornements. Il me disait souvent avec
un sentiment de bonheur: "Je suis heureux de pouvoir embellir et augmenter
le ménage du bon Dieu."
Je puis
certifier par ma propre expérience que Monsieur Vianney déployait la plus
grande pompe dans les grandes solennités de l'Eglise mais surtout pour la fête
du Saint Sacrement; 118 il aimait à voir de magnifiques reposoirs, et malgré
son grand âge, et malgré le poids énorme de l'ostensoir, il ne cédait à
personne le bonheur de porter le Saint Sacrement. Comme je lui faisais observer
un jour qu'il devait être bien fatigué, il me répondit: "Oh! mon ami,
celui que je portais, me portait."
Je sais que
l'opinion commune à Ars est qu'il ressemblait à un ange au saint autel et que
l'on voyait en le voyant célébrer si saintement le saint sacrifice qu'il avait
le bonheur de contempler le Sauveur. Plusieurs fois je me suis placé de manière
à l'observer et j'ai remarqué qu'après la consécration, sa figure paraissait
illuminée et qu'elle était parfois inondée de larmes. Je lui ai entendu dire
ces paroles: "Jusqu'à la consécration, je vais assez vite, mais après la
consécration, je m'oublie, en tenant Notre Seigneur dans mes mains." Une
autre fois, ayant quelques inquiétudes sur son salut, il disait à Notre
Seigneur ces paroles: "Mon Dieu, si j'avais le malheur d'être séparé de
vous pendant l'éternité, prolongez au moins les moments pendant lesquels je
vous tiens dans mes mains." Il était si pénétré de la présence réelle de
notre Seigneur au Saint Sacrement qu'il en parlait dans presque toutes ses
instructions. Les termes dont il se servait étaient si touchants qu'ils
faisaient couler les larmes des yeux des auditeurs. Un jour, je l'entendis dire
en fixant sur le tabernacle des regards enflammés, ces paroles: "Oh! mes
enfants, que fait Notre Seigneur dans le sacrement de son amour? Il a pris son
bon. coeur pour nous aimer. Il s'échappe de son coeur comme une transpiration
de miséricorde et d'amour pour noyer les iniquités du monde." L'impression
qu'il ressentait en parlant du Saint Sacrement était si forte qu'il était
obligé de s'interrompre, et qu'il répétait plusieurs fois les mêmes
expressions, comme s'il avait été suffoqué par la vivacité des sentiments qu'il
éprouvait; quel que fût le sujet qu'il traitât, il revenait toujours à ce grand
objet de ses méditations et de son amour. 119
121 Session 5 - 1er Décembre 1862 à 8h du matin
Sur le
dix-huitième Interrogatoire, le témoin continue à répondre :
J'ai été
témoin des visites que le Serviteur de Dieu faisait aux malades et j'ai admiré
l'esprit de foi avec lequel il leur parlait. J'ai entendu beaucoup de pénitents
profondément touchés des paroles qu'il leur avait adressées au confessionnal.
On ne pouvait s’'empêcher d'être ému en le voyant distribuer la sainte
communion. 122 Il montrait aussi une foi très vive en bénissant les objets de
piété qui lui étaient présentés par les fidèles. Il parlait du sacerdoce avec
vénération et il disait que si on comprenait le prêtre, on mourrait d'amour
pour Notre Seigneur en le voyant, et en disant ces paroles, il versait des
larmes d'attendrissement, et il revenait très
souvent sur ce sujet dans ses conversations et ses catéchismes. En parlant de
Dieu et du Ciel, il semblait voir ce qu'il disait.
Il répétait
souvent: Être aimé de Dieu, être uni à Dieu, vivre en la présence de Dieu,
vivre pour Dieu, Oh! belle vie, oh! belle mort. Souvent dans les discours qu'il
prononçait le Dimanche soir, il était
tellement impressionné par le sujet qu'il traitait, qu'il répétait: souvent
pendant un quart d'heure les mêmes paroles d'amour ou de douleur selon qu'il
parlait de Dieu ou du péché. Plusieurs fois, je l'ai entendu, comme hors de
lui-même, s'écrier, en parlant de la vision béatifique: "Nous verrons
Dieu, mes frères, nous le verrons... Y avez-vous jamais pensé? Nous le verrons
tout de bon, nous le verrons face à face, tel qu'il est..." et il versait
des larmes de bonheur. J'ai entendu dire à des personnes bien instruites, qu'en
dix-huit cent trente, au moment où l'on renversait les croix, il s'écria:
"La croix est plus forte qu'eux! Quand Notre Seigneur paraîtra sur les
nuées du ciel, ils ne l'arracheront pas de ses mains." Il trouvait les
comparaisons les plus gracieuses et les plus frappantes pour peindre une âme en
état de grâce. Je lui ai entendu dire les paroles suivantes: "Une âme pure
brille devant Dieu comme une perle au soleil. Le Saint-Esprit plane sur elle
comme une colombe qui agite ses ailes d'où distille le baume de l'amour. L'âme
pure est comme une belle rose sur laquelle les trois Personnes divines
s'inclinent pour en respirer le parfum. Elle est comme un miroir bien poli, qui
réfléchit le ciel. " 123 Il parlait avec prédilection de l'action du
Saint-Esprit sur l'âme, il disait qu'il en était le conducteur, que sans lui
elle ne pouvait rien, que l'âme possédée par le Saint Esprit était comme un
raisin d'où sortait une liqueur délicieuse quand on le pressait, et qua sans
l'Esprit-Saint l'âme était comme un caillou d'où l'on no peut rien tirer. Il
disait encore que l'âme sous l'action de la grâce ressemblait à ces oiseaux qui
ne font qu'effleurer la terre et qui planent constamment dans les airs, tandis
que l'âme en état de péché ressemble à ces oiseaux domestiques qui ne peuvent
quitter la terre et sont constamment attachés à elle.
Le Serviteur
de Dieu avait sur la prière de très belles et très ingénieuses comparaisons. Il
la comparait au feu qui gonfle les ballons et les élève dans les airs; elle est
pour l'âme ce que l'eau est pour le poisson; plus l'eau est abondante, plus le
poisson est heureux; le poisson est content dans un petit ruisseau, plus
content encore dans la mer. Il disait que si les damnés pouvaient prier cinq
minutes tous les mille ans, l'espérance de prier ainsi rendrait pour eux moins
rigoureuses les flammes de l'enfer. Je lui ai entendu dire, en parlant des
peines qu'il avait eu à supporter, qu'il suffisait d'aimer les croix pour qu'on
pût les porter facilement; l'amour des croix en détruit l'amertume, comme le
feu qui brûle les épines, leur enlève ce qu'elles ont de piquant. En parlant
des souffrances, il disait que nous étions sur la terre pour souffrir, mourir
et régner. Il aimait à rappeler à ses auditeurs le souvenir des saints martyrs
et à parler de la joie qu'ils éprouvaient en quittant cette vie par de rudes
souffrances, et personnellement le Serviteur de Dieu pratiquait ce qu'il
disait, en montrant dans les épreuves et les souffrances un grand contentement.
Le Serviteur
de Dieu montrait un grand, esprit de foi dans ses conversations; il ne parlait
que de piété, d'amour de Dieu, du salut. Jamais il ne s'occupait dans ces
circonstances, de sujets futiles ou indifférents; il montrait ce même esprit de
foi dans toute sa conduite, et dans la manière dont il accomplissait ses devoirs.
Cet esprit de foi parut d'une manière frappante, lorsqu'il reçut les derniers
sacrements, ainsi que je le déposerai plus tard.
124 Le témoin ayant fini de parler de la foi, a déposé sur
l'Espérance du Serviteur de Dieu de la manière suivante:
Je sais que
le Serviteur de Dieu avait une humilité profonde et que, ne comptant pas sur
lui-même, il avait en Dieu une confiance sans bornes. Cette confiance le
soutenait dans toutes ses entreprises, et quand il avait réussi, il attribuait
à Dieu tout le succès.
Je tiens de
lui-même que sa paroisse était dans un triste état lorsqu'il en prit
possession; que néanmoins il ne se découragea pas; et je sais par les
paroissiens qu'attendant seulement de Dieu le changement qu'il désirait, il eut
recours à la prière et à la pénitence et que ce fut par ces moyens qu'il
détruisit les abus et fit refleurir la vertu. L'Espérance qu'il avait du ciel
lui inspirait une horreur profonde pour le péché et une grande compassion pour
le sort des pécheurs. Le péché, disait-il, est le bourreau du bon Dieu et
l'assassin de l'âme, c'est lui qui nous arrache du ciel pour nous précipiter en
enfer. Le Serviteur de Dieu comparait le bon chrétien à un roi exilé qui,
espérant de rentrer dans son royaume, y envoie d'avance tous ses trésors. Il inspirait
aux pécheurs un grand sentiment de confiance en la miséricorde de Dieu et il
excitait le zèle des justes par la pensée de la bonté de Dieu, qui accorde
facilement la grâce à ceux qui la demandent.
En s'occupant
du salut des autres, le Curé d'Ars ne négligeait pas sa sanctification
personnelle; il consacrait à la prière, à la méditation, aux visites au Saint
Sacrement le temps qu'il ne donnait pas au salut des autres. Il m'a dit souvent
que son secret était de s'abandonner entièrement entre les mains de la
Providence. Plusieurs fois, il m'a parlé des luttes qu'il avait avec le démon
pendant la nuit et il m'a assuré qu'il n'avait aucune crainte, à cause de la
grande confiance qu'il avant en Dieu. Je lui ai entendu dire, en parlant des
contradictions qu'il avait éprouvées:
125 J'étais tourmenté pendant le jour par les hommes et pendant la
nuit par le démon, et cependant j'éprouvais une grande paix, une grande
consolation. Il éprouvait des peines intérieures très violentes par suite de la
crainte qu'il avait de ne pas bien remplir son ministère, mais alors il se
mettait à genoux devant le tabernacle, d'où il ne s'éloignait jamais sans avoir
reçu quelques consolations. Il me disait que dans ses moments de peines, ii se
jetait aux pieds de Notre Seigneur comme un petit chien aux pieds de son
maître.
S'il désirait
quitter sa paroisse et aller dans la solitude, c'est parce qu'il se défiait de
ses talents et qu'il se croyait incapable de faire le bien qu'un autre aurait
pu faire, mais du moment que la volonté de son évêque était qu'il restât au
milieu de ses paroissiens, il reprenait courage et comptait sur la grâce de
Dieu. En un mot, je puis affirmer que j'ai toujours remarqué en lui une
espérance vive, qui ne se démentait jamais, espérance qu'il savait communiquer
aux autres, et je n'ai jamais remarqué qu'il se fût laissé aller aux tentations
violentes de découragement et de désespoir qu'il éprouvait fréquemment.
Au sujet de
la Charité, le témoin dépose:
Je sais que
le Serviteur de Dieu avait un grand amour pour Dieu et pour le prochain.
J'ai entendu
dire que dès son enfance il s'efforçait d'aimer Dieu de tout son coeur et de
correspondre aux leçons de sa vertueuse mère, qui lui disait souvent:
"Vois-tu, mon petit Jean-Marie, si je te voyais offenser le bon Dieu,
cela, me ferait plus de peine que si c'était un autre de mes enfants." Il
correspondit si bien aux instructions de sa mère que plus tard, il disait
lui-même: "Si je n'avais pas été prêtre, je n'aurais jamais su ce que
c'était que le péché." Il se plaignait, étant curé, d'avoir moins de temps
pour prier Dieu que lorsqu'il était occupé aux travaux des champs.
126 J'ai entendu des prêtres, ses condisciples, raconter que pendant
ses études, il avait montré une piété angélique, et que c'était en considération
de cette piété qu'il avait été appelé aux saints ordres, quoiqu'il laissât à
désirer sous le rapport de la capacité.
Il m'a
raconté que lorsqu'il était vicaire à Ecully, il profitait des moments où il
était seul avec Monsieur Balley pour parler de Dieu, et s'exciter à l'aimer
davantage.
J'ai appris
de témoins dignes de foi et je pourrais dire de toute la paroisse, qu'au
commencement de son ministère à Ars, comme il avait peu d'occupations, il
faisait de fréquentes et longues visites au Saint-Sacrement, de sorte qu'on
disait qu'il avait choisi l'église pour sa demeure. Persuadé qu'il faut se
sanctifier soi-même pour sanctifier les autres, il s'efforçait d'augmenter en
lui l'amour de Dieu par une vie de prière, de mortification et de pénitence et
de donner en toutes choses le bon exemple.
Afin de faire
aimer Dieu par ses paroissiens, il eut recours à l'établissement des
confréries, de la prière du soir et de la pratique de la fréquente communion.
Dieu, rien que Dieu, Dieu par tout, Dieu en tout : toute la vie du Curé d'Ars
est là.
129 Session 6 - 1er décembre à 2h1/2 de l'après-midi
Au sujet de
la Charité, le témoin continue ainsi sa déposition:
Le Serviteur
de Dieu, par suite de sa grande dévotion envers le Saint Sacrement, disait son
office à genoux à l'église, du moins l'office du jour, et faisait des pauses de
temps en temps en regardant le tabernacle, de telle sorte qu'on aurait pu
croire qu'il y voyait Notre Seigneur. 130 Quand le Saint Sacrement était
exposé, il se tournait vers l'autel avec un sourire extatique, avant la messe,
il se mettait à genoux dans le choeur sur les dalles, pour faire sa
préparation, et restait quelques moments comme en extase. Pendant le saint
sacrifice, sa figure semblait s'illuminer, surtout au moment de la consécration
et avant la communion; il semblait avoir un colloque mystérieux avec Notre
Seigneur. Il n'était cependant ni trop long, ni trop prompt à l'autel. J'ai
déjà parlé, en déposant sur la foi, du goût qu'il avait pour orner l'église et pour
acheter de riches ornements. Il aimait à distribuer la sainte communion et à
donner la bénédiction du Saint Sacrement.
Toutes les
fois que le Curé d'Ars avait à parler sur le Saint Sacrement et l'amour de
Dieu, il était admirable. Il disait: "Je ne comprends pas qu'on puisse
offenser Dieu, il est si bon! S'il n'était pas si bon, à la bonne heure; c'est
trop dommage." Et il pleurait, et les assistants pleuraient avec lui. Il
prononçait avec tant de piété et d'onction les mots: Bon Dieu, qu'ils étaient à
eux seuls un sermon. Quand il prononçait le nom de Jésus, il y avait dans sa
voix un accent qui frappait tout le monde; il semblait que son coeur se
répandait sur ses lèvres. Il parlait de la prière et de la vie intérieure dans
des termes qui exprimaient l'ardeur de sa charité. La prière, disait-il, voilà
tout le bonheur de l'homme sur la terre. Oh! belle vie! belle union de l'âme
avec Notre Seigneur! L'éternité ne sera pas assez longue pour comprendre ce
bonheur. La vie intérieure est un bain d'amour dans lequel l'âme se plonge;
elle est comme noyée dans l'amour.
Au tribunal
de la pénitence, la charité du Serviteur de Dieu opérait des merveilles tant
ses paroles étaient pleines de feu et d'onction. 131 En parlant des nombreuses
conversions qui s'étaient opérées à Ars, il disait qu'on n'en connaîtrait le
nombre qu'au jugement dernier, attribuant cependant à Dieu tout le bien qui
s'était fait. Les pécheurs, par son ministère, se convertissaient, les justes
s'affermissaient, les tièdes retrouvaient la ferveur. Il conservait une union
constante avec Dieu au milieu de sa vie excessivement occupée; à quelque moment
qu'on le vît, environné, pressé, assailli par la multitude indiscrète, harcelé
quelquefois de questions oiseuses et absurdes, obsédé de demandes impossibles,
interpellé partout, et ne sachant souvent à qui répondre, il était toujours
égal à lui-même, gracieux, aimable, compatissant, toujours prêt à condescendre
aux désirs des solliciteurs, toujours la figure calme et souriante; jamais on
n'a pu surprendre en lui le moindre signe de dépit et la moindre brusquerie;
jamais sur son front la plus imperceptible nuance de mécontentement, l'ombre
d'un nuage; jamais sur ses lèvres ni de plaintes ni de reproches. Entouré de
marques de respect, de confiance, porté en triomphe par la foule, qui
s'attachait à ses pas, se suspendait à ses lèvres, s'agenouillait sur son
chemin, s'inclinait pour recevoir sa bénédiction, il restait ingénu comme un
enfant, simple, modeste et bon, ne semblant pas se douter que sa vertu fût quelque
chose dans cet étonnant concours.
Sa
conversation était toujours céleste; il n'aimait qu'à parler des choses de
Dieu, et ne prenait plus de part à la conversation du moment qu'elle devenait
purement humaine. Il ne parlait des vanités de la terre qu'avec ironie et
mépris. Tout ce qui intéressait l'Eglise et son triomphe sur la terre, tout ce
qui contribuait à la glorification du nom de Dieu l'impressionnait vivement;
tout le bien qu'il entendait dire à ce sujet le faisait tressaillir
d'allégresse, tandis que les nouvelles fâcheuses lui causaient une vive
douleur. 132 Il était arrivé à ce haut degré de charité par la prière, la
mortification, le détachement, l'oubli de lui-même, et en appliquant sans cesse
le fer et le feu aux plus vives parties de son être. Il disait au milieu de ses
peines intérieures que l'on montre plus de charité en servant Dieu malgré les
désolations de l'âme et du coeur, qu'en le servant dans l'abondance des
consolations spirituelles. Il désirait la solitude parce qu'il pensait qu'il y
prierait Dieu avec plus de ferveur et l'aimerait plus ardemment. Il se
réjouissait au milieu des attaques du monde par la pensée que c'était la
volonté de Dieu; il s'en réjouissait aussi parce que lorsque les attaques
étaient plus importunes, quelque grand pécheur devait venir faire sa
confession. Les contradictions qu'il éprouvait de la part des honnies lui
étaient agréables en ce qu'elles le détachaient des choses de la terre et
l'unissaient à Dieu d'une manière plus intime.
Sur la
Charité envers le prochain, le témoin dépose ainsi:
Sa charité
pour le prochain était immense, il s'intéressait à ses misères spirituelles et
corporelles, il embrassait dans son amour le monde entier, car il s'occupait
non seulement de sa paroisse, de son diocèse mais pour ainsi dire de toute
l'Eglise, comme le prouvent ses nombreuses fondations de messes, soit pour la
conversion des pécheurs, le succès des missions, le soulagement des âmes du
purgatoire; comme le prouvent aussi les missions qu'il a fondées en très grand nombre.
J'ai entendu
dire à des témoins dignes de foi que dès son enfance, il compatissait aux
souffrances des pauvres et aimait à les soulager. J'ai entendu dire aussi qu'il
aimait à inspirer la piété aux enfants et surtout la dévotion à la Sainte
Vierge, et qu'il se montra toujours très charitable soit pendant ses études,
soit comme vicaire d'Ecully. 133
Je sais par
les habitants d'Ars que dès son entrée dans la paroisse, il se fit remarquer
par son amour pour les pauvres, qui lui inspira l'idée de fonder une
Providence, ouverte aux jeunes filles sans ressources, et qu'il se fit
remarquer aussi par un ardent désir de salut du prochain.
J'ai appris
de témoins dignes de foi qu'au commencement de son ministère, il s'était mis en
relation avec tous ses paroissiens, saisissant la moindre occasion de leur
donner individuellement des marques de son affection et de son dévouement. Je
sais qu'il n'aurait pas rencontré un enfant sans lui adresser quelques mots
aimables, après l'avoir salué respectueusement. Il attachait une grande
importance à la prédication, et j'ai entendu dire à lui-même et à d'autres,
qu'il composait avec soin ses instructions; elles lui coûtaient beaucoup de
travail, parce qu'il avait naturellement peu de
facilité pour la composition. Il s'offrait le jour en sacrifice pour la
conversion des pécheurs; les souffrances de la nuit étaient consacrées au
soulagement des âmes du purgatoire, ainsi que la journée du Lundi. Je lui
disais un jour: "Mon père, si le bon Dieu vous donnait à choisir, ou de
monter au ciel tout de suite, ou de travailler encore comme vous le faites à la
conversion des pécheurs, que feriez-vous? - Je resterais. - Mais au ciel, les
saints ont si heureux! Plus de peines, plus de tentations, etc... - Oui, répondit-il,
les saints, au ciel, sont bienheureux; mais ce sont des rentiers; ils ont bien
travaillé pourtant, puisque Dieu punit la paresse et ne récompense que le
travail; mais ils ne peuvent plus, comme nous, par des travaux et des
souffrances, gagner des âmes à Dieu. - Si Dieu vous laissait ici-bas jusqu'à la
fin du monde, vous auriez bien du temps devant vous, vous ne vous lèveriez pas
si matin. - Oh! mon ami, je me lèverais bien toujours à minuit: ce n'est pas la
fatigue qui m'effraie; je serais le plus heureux des prêtres, si ce n'était pas
cette pensée qu'il faut paraître au tribunal de Dieu comme curé." Alors
deux grosses larmes coulaient de ses joues. Il souffrait beaucoup pendant la
nuit, surtout vers la fin de sa vie, et cependant jamais il ne prolongeait le
temps d'un repos qui n'en était souvent pas un. Malgré la fatigue et
l'accablement, il se rendait au confessionnal et entendait, une partie de la
nuit et toute la journée, les nombreux pénitents qui se présentaient. Il
m'avoua qu'un jour il était tombé quatre fois de faiblesse en se rendant à
l'église, qu'il s'était relevé quatre fois avec une très grande peine, et
qu'arrivé au confessionnal, il avait entendu les confessions comme à
l'ordinaire. Je lui fis observer une autre fois qu'il semblait bien fatigué; il
me répondit en souriant: "Les pécheurs finiront bien par tuer le pauvre
pécheur."
137 Session 7 - 2 Décembre 1862 à
8h du matin
Sur le
dix-huitième Interrogatoire, le témoin continue ainsi sa déposition, en parlant
de la charité:
Je sais qu'il
avait un attrait particulier pour la conversion des pécheurs; il s'en occupait
sans cesse dans ses prières et dans ses mortifications. 138 Je lui ai entendu
dire qu'il était heureux de prier pour les âmes du purgatoire, mais qu'il était
surtout à son aise quand il priait pour les pécheurs et qu'il éprouvait une
peine quand il ne priait pas pour eux. C'était là la préoccupation de toute sa
vie. Il s'était proposé de fonder le plus grand nombre de missions possible. Il
avait demandé à Dieu si c'était l'oeuvre qui lui était la plus agréable et de
le lui faire connaître par quelque signe particulier; il m'a raconté, en
présence du Frère Jérôme, que sa discipline, placée à l'extrémité de sa table,
s'était mue d'elle-même et était venue vers lui en marchant comme un serpent;
c'était un des signes qu'il avait demandés. Il ajouta: Il y a bien autre chose
que je ne veux pas dire. Il appliquait à cet objet les principaux dons qu'il
recevait des fideles; il y consacrait son traitement, qui étant toujours engagé
d'avance, et ses honoraires de messes. Lorsqu'il avait recueilli la somme
suffisante pour une fondation, il était transporté de joie. Si j'avais le
malheur, disait-il, d'être en enfer et qu'une pensée de joie y fût possible, je
tressaillirais d'allégresse en songeant que les missions que j'ai fondées
ouvriront la porte du Ciel à un grand nombre d'âmes. Quand je suis ennuyé, je
compte mes missions. J'aime tant les missions que si, après ma mort, en vendant
mon corps, on pouvait en fonder encore une, je le ferais. Le Serviteur de Dieu
en a fondé à peu près cent dans différentes paroisses; elles doivent se donner
tous les dix ans.
Ses
supérieurs jugèrent son zèle digne d'une plus grande paroisse, et le nommèrent
à Salles, dans le Beaujolais; mais lorsqu'il voulut s'y rendre, il trouva la
Saône tellement débordée et agitée par un vent si violent, qu'il ne put pas
passer à l'autre rive; 139 il regarda cette circonstance comme une marque de la
volonté de Dieu et revint à Ars au milieu de ses paroissiens désolés de son
départ et obtint de ses supérieurs l'autorisation d'y rester. Il ne renfermait
pas son activité dans sa paroisse; il venait au secours de ses confrères
malades ou absents, pendant que le pèlerinage ne le retint pas constamment à
Ars. Il prenait aussi, autant qu'il pouvait, part aux missions qui se donnaient
dans le voisinage; il s'acquit partout la réputation d'un saint, et les
personnes qui avaient eu le bonheur de l'entendre et de se confesser à lui
venaient volontiers le voir dans sa paroisse et profiter de sa direction; ainsi
commença le pèlerinage d'Ars, qui se développa d'une manière merveilleuse. Il
se levait de minuit à deux heures du matin, se rendait à l'église, où il priait
quelque temps avec les pèlerins, puis il rentrait au confessionnal, où il
restait jusqu'à sept heures, célébrait la sainte messe et bénissait après, en
surplis et en étole, une grande quantité d'objets de piété qui lui étaient
présentés. Cette cérémonie terminée, il rentrait à la sacristie et là, pendant
quelque temps, il signait les images et les livres de piété; puis il revenait
au presbytère, où il prenait comme déjeuner un peu de lait et de pain; il
retournait immédiatement de là à l'église et entendait les confessions des
hommes jusqu'à onze heures; c'était l'heure du catéchisme pour les pèlerins, il
avait lieu régulièrement chaque jour de la semaine; à midi, il rentrait au
presbytère, prenait un léger repas, se reposait quelques minutes, allait faire
une courte visite aux missionnaires, puis à travers une foule de pèlerins qui
s'agenouillaient sur son passage et demandaient sa bénédiction, il revenait à
l'église. Quelquefois, il visitait, à cette heure de la journée, les malades de
sa paroisse ou les pèlerins malades. A une heure il rentrait à l'église,
récitait à genoux son office dans la chapelle de Saint Jean-Baptiste; après
l'office, la confession des femmes commençait et se continuait jusqu'à cinq
heures. 140 Laissant alors les femmes qui entouraient son confessionnal, il
allait à la sacristie, où il entendait la confession des hommes, jusqu'à huit
heures en été et environ six heures en hiver. La prière terminait la journée,
il récitait en même temps le chapelet de l'Immaculée Conception; puis
accompagné des missionnaires et des Frères de la Sainte Famille, il retournait
au presbytère. En général, il ne prenait le soir aucune nourriture. Dans les
derniers temps de sa vie, Monseigneur Chalandon, Évêque de Belley, à ma
demande, le dispensa de la récitation de Matines et Laudes, à cause de son
extrême fatigue. J'ignore s'il a usé de la dispense. Il lisait le soir la vie
des saints et la Théologie. Tel a été l'ordre de sa journée pendant les six ans
que j'ai passés avec lui.
Il était du
tiers-ordre de saint François. Quoique épuisé par les jeûnes et les
macérations, les infirmités, le manque de repos et de sommeil, il a pu
continuer ses longues séances au confessionnal jusqu'à la fin de sa vie; il n'a
cessé que le trente juillet mil huit cent cinquante-neuf, c'est-à-dire cinq
jours avant sa mort. Il disait aux missionnaires: Saint Liguori avait fait voeu
d'être toujours occupé: nous n'avons pas besoin de faire ce voeu-là.
Il disait que
les ennemis nous rendent un grand service parce qu'ils nous font mériter
davantage en les aimant.
Il avait une
grande affection pour les pauvres, les faibles et les petits; il aurait voulu
soulager toutes leurs misères; ce fut pour venir au secours des jeunes filles
dénuées de ressources qu'il fonda l'établissement de la Providence. Il en
confia la direction à trois filles pieuses; il entretenait l'établissement au
moyen des aumônes et de ses ressources personnelles. Il recevait autant de
pauvres filles que le local pouvait en contenir. Une des directrices lui disait
un jour qu'il n'y avait plus de lits. Venez prendre le mien, lui dit-il. 141 Il
y eut des moments critiques où l'on manquait du nécessaire. Le Serviteur de
Dieu m'a raconté qu'un jour, il n'y avait au grenier qu'une poignée de blé; la
pensée lui vint de cacher sous ce blé des reliques de saint François Régis dans
l'espérance que le saint ferait un miracle; sa confiance ne fut point trompée
et le lendemain il trouva le grenier comble. Il m'a raconté aussi qu'avec un
petit tonneau de vin, il en avait rempli un grand. Je sais par Marie Chanay
qu'un jour où elle pétrissait, la pâte s'était multipliée dans ses mains et
avait rempli le pétrin.
Il fonda
aussi plus tard une école gratuite pour les garçons, dirigée par les Frères de
la Sainte Famille de Belley.
Je ne lui ai
jamais vu refuser l'aumône à. un pauvre; il accueillait les misérables avec
bonté et plaisir. Une petite aumône corporelle, disait-il, fait passer l'aumône
spirituelle. Il ne secourait pas seulement les pauvres de sa paroisse, mais
encore sa charité s'étendait au loin. Beaucoup de personnes malheureuses
étaient soulagées par ses aumônes. Je lui disais un jour qu'il lui arrivait
sans doute de se tromper en donnant à tous ceux qui se présentaient. Il me
répondit: On ne se trompe jamais quand on donne à Dieu. Il disait aussi qu'à la
Saint Martin, il avait beaucoup de loyers à payer, parce que, dans le pays,
c'est à cette époque qu'on paye les loyers des maisons. Il se dépouillait pour
les pauvres de tout ce qui ne lui était pas absolument nécessaire. Il avait
vendu le mobilier de sa chambre dont on lui avait laissé la jouissance, même
son lit. Quand on voulait lui donner quelque chose qu'il ne vendît pas, on le
lui prêtait. J'ai entendu dire à des témoins dignes de foi que ses confrères
lui ayant fait cadeau d'un haut de chausses pendant la mission de Trévoux, en
bon velours neuf, il l'accepta et regagna sa paroisse par un froid très
piquant. 142 En route, il rencontra un pauvre à moitié nu et tout transi de
froid. Il se cacha derrière une haie et apparut bientôt son haut de chausses à
la main. Il le donna au mendiant. Une autre fois, ne trouvant rien que son
mouchoir dans sa poche, il le donna, en s'excusant de ne pouvoir mieux faire,
plus tard, il avait une poche pour les bonnes oeuvres; il y puisait
incessamment et les yeux fermés. Une fois, une femme lui avait volé une somme assez
forte, et vint lui dire: Monsieur le Curé, me donnez-vous ce que je vous ai
pris? Il répondit: Je le veux bien, et continua à l'assister dans ses besoins.
Un homme ayant soustrait à la sacristie l'argent des messes qui y était déposé,
il s'en aperçut. Mon ami, lui dit-il, dites-moi ce que vous m'avez pris; je ne
veux pas vous faire rendre l'argent, mais connaître le nombre des messes. Il
apprit ensuite que les gendarmes allaient l'arrêter comme voleur; il sortit de
son confessionnal, se rendit dans la maison où il était et le prévint afin
qu'il pût fuir. Je sais qu'il faisait l'aumône à une pauvre aveugle, il aimait
à mettre dans son tablier ce qu'il lui portait sans qu'elle s'en aperçût. Je
sais que lorsqu'on lui envoyait quelque mets, il en disposait toujours pour les
pauvres.
Sur la
Prudence, le témoin dépose ainsi:
J'ai entendu
dire que dès son enfance, il avait montré une grande prudence, en prenant tous
les moyens propres à le conduire à la sainteté et assurer son salut. Nommé
vicaire à Ecully, il s'efforça d'imiter Monsieur Balley, homme d'une prudence
consommée dans les choses de Dieu. Je sais qu'arrivé dans la paroisse d'Ars, il
agit avec une grande prudence pour y introduire la piété, évitant avec un grand
soin de froisser et tâchant de gagner les coeurs par la persuasion. 143 Je sais
aussi que pour supprimer les abus, il eut recours à la prière, à la pénitence,
et qu'il chercha à avoir sur son peuple une grande influence par les grands et
bons exemples qu'il donnait. Pour ne pas laisser à ses paroissiens en quelque
sorte le temps d'offenser Dieu le Dimanche, il avait établi des exercices
successifs et variés, auxquels on se rendait avec empressement. Il faisait le
catéchisme à une heure, et lors même que d'autres prêtres avaient prêché à la
grand'messe, il ne se croyait pas déchargé de ses obligations pastorales et il
ne manquait jamais de faire le soir lui-même une de ces touchantes homélies où
son âme s'épanchait en des paroles à la fois si saintes, si élevées, si fortes
et si pathétiques. Le jour des fêtes supprimées par le Concordat, on faisait
les mêmes exercices pieux que le Dimanche. Il disait qu'on connaissait les amis
du bon Dieu en ce qu'ils faisaient ce qu'ils n'étaient pas obligés de faire, et
il cherchait ainsi à le persuader à ses paroissiens. Quand il s'agissait
d'entreprendre quelque chose, il priait, jeûnait, se mortifiait, puis
consultait des personnes prudentes, surtout son Évêque, dans la crainte de se
tromper dans la direction des âmes, lorsqu'il avait quelque doute, il consultait
avec une grande simplicité, et quelquefois il lui arrivait d'envoyer un
pénitent à des confesseurs qu'il croyait plus capables que lui. Il disait que
ce que le démon craignait le plus, c'était l'humilité. 144 Je sais qu'il ne
donnait aux pénitents que des pénitences proportionnées à leur faiblesse,
c'est-à-dire en général très faibles, et qu'il s'appliquait à y suppléer par
des pénitences personnelles. Il avait l'habitude de faire des neuvaines pour
obtenir la réussite de ses projets; il conseillait aussi aux autres d'en faire:
aux personnes qui voulaient connaître leur vocation, il leur conseillait une
neuvaine au Saint Esprit; à celles qui demandaient la conversion de quelqu'un
ou le soulagement d'une grande affliction, il leur conseillait une neuvaine au
saint Coeur de Marie. Quand il s'agissait de guérisons, de grâces temporelles,
il conseillait une neuvaine à Sainte Philomène. Par l'intercession de cette
sainte, beaucoup de grâces avaient été obtenues. Je lui disais un jour: Le
bruit court que vous avez défendu à Sainte Philomène de faire tant de miracles.
Il me répondit avec une naïveté charmante: Ces grâces font trop de bruit et
amènent trop de monde. J'ai prié sainte Philomène de guérir ici les âmes plutôt
que les corps, et les corps ailleurs. Elle m'a bien écouté. Plusieurs personnes
malades ont commencé ici leur neuvaine et ont été guéries chez elles: ni vu, ni
connu. Il disait ces paroles avec un grand sentiment de bonheur.
Pendant les
six ans que j'ai passés avec lui, j'ai toujours remarqué une grande prudence
dans ses démarches, dans sa conduite, dans ses conseils, dans ses
conversations, dans ses catéchismes, dans les avis qu'il donnait, dans ses
prédications; 145 il se défiait de lui-même et comptait beaucoup sur les
lumières de l'Esprit Saint; aussi était-il estimé, goûté et vénéré par tout le
monde. Sa rare prudence paraissait dans la direction des consciences. Il savait
indiquer à chaque pénitent ce qui lui convenait; il savait se renfermer dans le
cercle des préceptes, ou bien ouvrir à propos le champ des conseils; bien
souvent il lisait au fond des coeurs. Une personne de la Savoie m'a raconté
qu'étant venue à Ars, Monsieur le Curé lui dit qu'il aurait à lui parler le
lendemain, sans qu'elle lui eût adressé la première la parole; le lendemain le
Serviteur de Dieu la vit au confessionnal et avant de l'interroger, lui dit en
ce qui la concernait des choses qui l’étonnèrent profondément. Il lui parla de
son attrait pour la vie religieuse et de la piété de ses soeurs. Comme je
demandais au Serviteur de Dieu comment il avait pu, sans connaître cette
personne, lui dire les choses qu'il lui avait dites, il me dit en souriant:
J'ai fait comme Caïphe; j'ai prophétisé sans le savoir.
On avait
souvent recours à ses conseils, à ses lumières, lorsqu'il s'agissait
d'entreprises importantes; il rejetait tous projets sans portée, sans utilité
réelle, qui venaient d'un zèle indiscret ou d'une activité inquiète; mais tout
projet utile et franchement; chrétien était assuré de son adhésion. De toutes
parts on appelait ses encouragements, ses bénédictions et ses suffrages sur des
fondations, sur des établissements, sur des écrits, sur des oeuvres qui
devaient procurer la gloire de Dieu. Il recevait une multitude de lettres de
tous les points de la France et de l'Europe et quelquefois des autres parties
du monde; ces lettres venaient souvent de personnes distinguées par leur
naissance, leurs talents et leur position.
149 Session 8 - 2 Décembre 1862 à 2h1/2 de l'après-midi
Le Témoin
continue à répondre au dix-huitième Interrogatoire:
Au sujet de
la prudence, j'ai encore à ajouter: La conduite qu'a tenue le Curé d'Ars sur un
fait très important, celui de la Salette, a été marquée au coin de la Prudence.
Dès le principe, Monsieur le Curé avait cru à l'apparition de la Sainte Vierge
sur la montagne de la Salette. 150 Plus tard, le jeune Maximin étant venu à Ars
et ayant été interrogé par Monsieur Vianney hors du tribunal de la Pénitence,
cet enfant répondit qu'il n'avait rien vu. Dès lors, Monsieur le Curé cessa d'y
croire. Néanmoins, en présence de l'approbation de l'Évêque de Grenoble, ainsi
que de plusieurs autres évêques, il ne fit jamais d'opposition publique sur ce
point. Il répondait même à ceux qui le consultaient qu'on pouvait croire à ce
fait, et même que l'on pouvait faire le pèlerinage, s'appuyant sur l'autorité
épiscopale, qu'il ne se permettait pas de juger. Enfin j'atteste que Monsieur
Vianney ayant été tourmenté sur ce sujet pendant plusieurs semaines, il fut
instantanément délivré en disant intérieurement: Je crois.
Au sujet de
la vertu de Justice, le témoin dépose: Pendant les six ans que j'ai passés avec
lui, je l'ai toujours vu pratiquer exactement la. vertu de justice en
remplissant tous ses devoirs envers Dieu et envers les hommes. Je déclare que
Monsieur le Curé d'Ars, très sévère envers lui-même, était plein de respect
pour les dépositaires de l'autorité soit spirituelle, soit temporelle; qu'il
témoignait constamment les plus grands égards à tout le monde, mais plus
spécialement aux prêtres et aux religieux qui venaient à Ars. C'est ainsi qu'il
se tenait constamment debout en présence des étrangers et qu'il exigeait que
ceux-ci se tinssent assis devant lui. Il ne souffrait pas non plus qu'on le
saluât avec les termes honorables dont il se servait lui-même envers les
autres. Une gaîté douce et franche, un aimable abandon, mais sans familiarité,
présidait à toutes ses relations intimes. 151 Il était bon en particulier pour
les pauvres, les infirmes, les ignorants et les pécheurs. Il se montrait continuellement
appliqué à écarter de ceux qui vivaient autour de lui les plus légers embarras,
spécialement quand il les jugeait atteints d'une petite indisposition. Rien
n'égalait sa tendresse pour ses collaborateurs et il saisissait tous les moyens
possibles de leur être agréable. J'ai entendu Monsieur le Curé parler de ses
parents et surtout de sa mère dans des termes indiquant sa vive reconnaissance
pour tous les services qu'il en avait reçus. Je l'ai vu recevoir à Ars
plusieurs de ses parents, et leur témoigner la plus franche cordialité et les
recevoir à sa table; et alors, il ne craignait pas de sortir de ses habitudes
de pénitence et de manger avec eux par motif de charité. Il éprouvait les mêmes
sentiments de reconnaissance envers tous ses bienfaiteurs, et notamment envers
les bons habitants des Noës, qui le reçurent avec tant de bienveillance
lorsqu'il échappa au service militaire. L'un des sentiments les plus profonds
dp sa vie était son affection envers Monsieur Balley, son ancien maître. Il ne
cessait de parler de ses vertus et il ajoutait qu'il suffisait de voir ce saint
prêtre pour se sentir porté à Dieu. Il ne lui reprochait qu'une seule chose,
c'était d'avoir été sa caution, lorsqu'il fut appelé au sacerdoce.
Il était très
touché des moindres égards qu'on avait pour lui. Voici entre autres choses ce
qui m'est arrivé: Il me reprochait un jour d'avoir trop d'attention et trop
d'égards pour lui. Je lui répondis: 152 Tes pères et mères (sic) honoreras,
afin que tu vives longuement. Sa figure s'épanouit et témoigna combien il était
touché.
Interrogé sur
la vertu d'obéissance, le témoin a répondu:
Pendant les
six ans que j'ai passés auprès du Curé d'Ars, il s'est toujours montré empressé
à observer toutes les lois de l'Église, à se soumettre à toutes les règles de
sa discipline, aux prescriptions et aux volontés de son Évêque et surtout aux
décisions, du Saint-Siège. On ne pouvait lui parler de Rome et du Souverain
pontife sans l'intéresser vivement. Je sais, par lui-même, qu'il avait le plus
grand désir d'aller dans la solitude pleurer, selon son expression, sa pauvre
vie; et néanmoins il resta jusqu'à la mort au poste que la Providence lui avait
assigné. Si deux fois il essaya de fuir, ce fut avec la pensée que son Évêque
approuverait sa conduite.
Je sais qu'il
était très soumis à l'autorité civile, ainsi que je l'ai dit plus haut. Un fait
cependant semblerait indiquer qu'il manqua d'obéissance aux lois de son pays,
c'est le fait de sa désertion. Voici ce que je puis dire à ce sujet: Jamais je
ne lui ai entendu dire le moindre mot qui pût faire soupçonner qu'il se le
reprochait comme une faute. Je sais d'ailleurs qu'étudiant pour l'état
ecclésiastique, il s'était fait porter sur la liste d'exemption du service
militaire et que ce n'est que par suite d.'un oubli qu'il ne fut point inscrit
sur les registres. Ce ne fut que trois ans après qu'il reçut l'ordre de
rejoindre son régiment. Il tomba malade en route, entra à l'hôpital de Roanne
et quelques jours après, au moment où, dans un grand état de faiblesse, il
rejoignait son corps, il fut accosté par un inconnu qui, d'un air bienveillant,
l'engagea à le suivre. 153 Monsieur Vianney, sans aucune préméditation, suivit
l'inconnu, qui le conduisit aux Roës, paroisse reculée dans les montagnes du
Forez. On n'a jamais su quel étant cet inconnu.
155 Session 9-3 Décembre 1862 à 8h du matin
Le témoin
continue à répondre au dix-huitième Interrogatoire. Sur la vertu de Religion,
j'ai à déposer ce qui suit: Je sais que le Serviteur de Dieu n'était pas moins
remarquable par la vertu de religion que par les autres vertus. 156 Il
recherchait tout ce qui, de près ou de loin, pouvait se rapporter au culte, ou
à la gloire de Dieu. Le plus petit objet lui devenait cher et sacro dès qu'il
avait une signification dévote. Il aimait les images, les croix, les chapelets,
les médailles, les scapulaires, l'eau bénite, les confréries et les reliques,
pour lesquelles il avait une dévotion toute particulière; il en portait
toujours sur lui; il en avait rempli son église, sa chapelle de la Providence
et sa chambre. Il disait: Je fais volontiers une belle place aux saints
ici-bas, afin qu'ils m'en fassent une petite dans le ciel. C'était un grand
plaisir pour lui de faire prêcher les autres, d’entendre prêcher et de prêcher
lui-même. Il ne se reposait, disait-il, que deux fois par jour: à l'autel et en
chaire. Il avait, comme il a déjà été dit, embelli son église et acheté de
magnifiques ornements et de riches vases sacrés. Rien ne lui
paraissait assez précieux pour honorer Dieu. J'ai déjà parlé de sa grande
dévotion pour le Saint Sacrement. Elle était toute sa. vie; notre Seigneur dans
la sainte Eucharistie était constamment présent à sa pensée.
Il respectait
toutes les pratiques de dévotion en usage dans l'Eglise, et les conseillait
volontiers. Il était du tiers-ordre de Saint François et du tiers-ordre de
Marie. Il récitait l'office divin en union avec Notre Seigneur; il avait
attaché aux différentes heures du bréviaire le souvenir des différentes scènes
de la passion. J'ai vu moi-même dans un de ses bréviaires la division, qu'il
avait faite et qu'il suivait en récitant le saint office. 157 A Matines, il
honorait l'agonie de Notre Seigneur eu jardin des olives; à Laudes, sa sueur de
sang; à Prime, sa condamnation; à Tierce, le portement de la Croix; à Sexte, le
crucifiement; à None, la mort du Sauveur; à Vepres, sa descente de la croix; à
Complies, sa sépulture. Il avait une intention particulière pour chaque jour de
la semaine. Il m'a raconté, que le Dimanche, il honorait la Sainte Trinité; que
le Lundi, il invoquait le Saint-Esprit, afin d'employer la semaine pour la
gloire de Dieu et pour son salut; il priait aussi ce jour-là pour les âmes du
purgatoire. Le Mardi était consacré aux anges gardiens; il remerciait Dieu
d'avoir donné à ces purs esprits un si ardent amour pour sa gloire, une si
grande promptitude à exécuter ses ordres, tant de bienveillance pour les
hommes. Le Mercredi était employé à louer toute la cour des Bienheureux. Le
Jeudi était le jour du Saint Sacrement; le Vendredi, celui de la passion de
Notre Seigneur. Le Samedi, il remerciait Dieu d'avoir créé la Sainte Vierge
immaculée, et de lui avoir donné un coeur si bon pour les pécheurs. Depuis
qu'il était prêtre, il disait la messe à cette intention à l'autel de la Sainte
Vierge autant qu'il pouvait le faire. Après la messe, il récitait ses litanies.
J'ai déjà
parlé de la petite statue de la Sainte Vierge qu'il avait reçue étant tout
jeune, et de la manière dont il la vénérait, et j'ai dit aussi qu'il avait aimé
la mère de Dieu avant de la connaître.
Lorsqu'il
était vicaire d'Ecully, il copiait souvent avec Monsieur Balley des prières en
l'honneur de l'Immaculée Conception, comme il me l'a raconté lui-même. 158 Il y
a environ quinze ans, il fit construire une chapelle et invita Monseigneur
Devie à venir la bénir. Au moment de la cérémonie, le vénérable Évêque lui
demanda sous quel vocable il voulait placer cette chapelle; il répondit, comme
par inspiration: A l'Immaculée Conception. Il avait déjà fait ériger une statue
de la Vierge Immaculée sur le frontispice de son église et fait confectionner
en son honneur un magnifique ornement, sur lequel étaient brodés ces mots:
Maine conçue sans péché; il célébra la messe avec cet ornement le jour même de la
Proclamation du dogme. Il avait l'habitude de dire l'Ave Maria quand l'heure
sonnait, avec cette invocation: Bénie soit la très sainte et immaculée
Conception de la bienheureuse Vierge Marie Mère de Dieu. O Marie, que toutes
les nations glorifient, que toute la terre invoque et bénisse votre coeur
immaculé. Quand l'heure sonnait pendant qu'il était en chaire, il
s'interrompait et ne manquait pas même alors à cette pieuse pratique. L'horloge
de la paroisse était mauvaise et quelquefois ne sonnait pas les heures. Je le
lui fis remarquer en lui disant que la Sainte Vierge et les paroissiens qu'il
avait habitués à cette pratique, y perdaient beaucoup; il fit immédiatement
installer une horloge neuve. . Après la proclamation du dogme de l'Immaculée
Conception, il s'écria: Quel bonheur! J'ai toujours pensé qu'il manquait ce
rayon à l'éclat des vérités catholiques. C'est une lacune qui ne pouvait pas
demeurer dans la religion. 159 Il avait consacré sa paroisse en mil huit cent
trente-six, comme un tableau en fait foi, à la Vierge Immaculée. Il célébrait
ses fêtes avec pompe; ces jours-là, les communions étaient nombreuses; je l'ai
vu pendant les six ans que j'ai été à Ars, et j'ai appris qu'auparavant il en
était de même. Les habitants ont à peu près tous des images de la Sainte Vierge
dans leurs maisons et souvent des statues à l'extérieur. J'ai appris de
lui-même qu'il avait conduit sa paroisse en procession à la chapelle de
Fourvière à Lyon et que cette procession édifia singulièrement les habitants
des pays par où elle passa.
Il parlait
avec une effusion extraordinaire de la dévotion à la Sainte Vierge, de cette
belle, créature dont la pureté a fléchi la justice de Dieu. Il invoquait les
saints avec une grande ferveur; il les appelait ses consuls; il lisait souvent
leur vie et en connaissait les circonstances les plus minutieuses. Il en
parlait dans ses instructions et dans ses conversations, de manière à étonner
ceux qui l'entendaient. Le plus beau présent qu'on pouvait lui faire, était une
relique.
Les saints
qu'il invoquait de préférence étaient ceux qui, ayant le plus travaillé et le
plus souffert, ont montré un plus grand amour pour Notre Seigneur. Il avait
fait sur son bréviaire une liste de ses patrons et de ses patronnes. En parlant
de Saint Jean l'Evangéliste, il disait: "Je l'aime beaucoup, parce qu'il
était bien pur et qu'il a eu bien soin de Notre Seigneur et de la Sainte
Vierge." Il en disait autant de saint Joseph. Il avait voué un culte
particulier à sainte Philomène; il lui attribuait toutes les faveurs et les
prodiges qui ont contribué à la célébrité du pèlerinage d'Ars. 160 Il lui avait
érigé une chapelle et avant de mourir, il projetait de faire construire en son
honneur un magnifique sanctuaire. Il priait beaucoup pour les âmes du
purgatoire et invitait à prier pour elles. Il engagea vivement une personne
pieuse qui le consultait à établir une Congrégation de religieuses sous le nom
de Dames Auxiliatrices des âmes du purgatoire, fondée à Paris. Non seulement il
priait pour les âmes souffrantes dans le purgatoire, mais encore il les
invoquait, avec la conviction qu'elles obtenaient beaucoup de grâces pour tous
ceux qui leur adressaient des prières.
L'oraison du
Serviteur de Dieu était habituelle; il était sans cesse en union avec Dieu et
le voyait dans toutes ses créatures.
Interrogé sur
la vertu de Force, le témoin répond comme il suit:
Je n'ai
jamais vu autant d'énergie et de force de volonté; rien ne l'abattait, ni les
contradictions, ni les infirmités, ni les tentations. Il a montré constamment le
même courage dans la pratique de la vertu et dans le dévouement au prochain.
Cette vertu était si frappante chez lui qu'elle excitait l'admiration de tous
ceux qui le voyaient. C'était une force calme et tranquille, comme la force qui
vient de Dieu, une force invincible. Les pèlerins disaient, même les religieux
appartenant aux ordres les plus sévères, qu'ils n'avaient pas besoin d'autre
miracle que celui de sa force pour être convaincus de sa sainteté. i
Sa patience
était si admirable que, étant aux Noës, dans une position très pénible, il
promit à Dieu de ne jamais se plaindre s'il en était délivré, et il a tenu
parole. Un jour qu'il était extrêmement fatigué, à la suite d'une de ces
journées accablantes comme étaient toutes les siennes, je lui dis: Monsieur le
Curé, vous êtes au bout de vos forces; il me répondit: Si je n'avais pas promis
au bon Dieu de ne pas me plaindre, je me plaindrais.
161 Il avait
à souffrir de maux d'entrailles et de maux de tête, on peut dire qu'il
souffrait constamment. Il est resté une fois six mois sans presque dormir;
néanmoins, son esprit était toujours libre, son visage calme et souriant; rien
ne trahissait ses douleurs même les plus vives. Le soir, quand il rentrait dans
sa chambre, et qu'il s'appuyait contre sa cheminée: Vous souffrez beaucoup, lui
disait-on. - Oui, un, peu, répondait-il en souriant. Il était très difficile de
lui faire accepter quelque soin pour le soulager.
Lorsque
quelque infirme désirait le voir, il ne manquait jamais de se rendre auprès de
lui malgré son état de fatigue; il ne dormait presque pas, parce qu'il était
souvent troublé par le démon et souvent tourmenté par de grandes souffrances.
Il était d'une grande patience, lorsqu'il avait à subir des humiliations ou des
injures; il ne paraissait pas s'en apercevoir, malgré une grande sensibilité
naturelle; ce qui l'affligeait dans ces cas, c'était l'offense de Dieu et le
scandale. Il disait: Les saints avaient un bon coeur, un coeur liquide. Et il
ne se doutait pas qu'il se peignait lui-même. Il avait été en butte à
d'ignobles injures; on avait même attaqué ses moeurs. Pendant dix-huit mois,
une personne l'insultait tous les soirs sous ses fenêtres à ce sujet; il ne
s'en troubla pas; il se réjouit au contraire parce qu'il craignait qu'on eût
trop bonne opinion de lui. Il disait: Si l'on faisait attention aux opinions
des hommes, on serait bien malheureux: je reçois des lettres où l'on m'accable
d'injures, d'autres où l'on me comble d'éloges; je ne me préoccupe ni des unes
ni des autres; je me fortifie dans la résolution de ne travailler que pour Dieu
seul.
Je sais qu'il
était d'un tempérament ardent et impétueux et qu'il lui avait fallu une volonté
très persévérante pour devenir doux et patient. 162 En le voyant au milieu de
la foule qui le pressait, le poussait, le faisait tomber quelquefois, je lui
disais, en le voyant toujours calme: Monsieur le curé, les anges à votre place
se fâcheraient; je serai obligé de me fâcher pour vous. Une personne de la
paroisse, dont la tête semblait un peu dérangée, venait toujours au
confessionnal, sans jamais terminer sa confession; il la recevait avec la même
douceur, la même bonté que les autres pénitents.
Interrogé sur
la vertu de Tempérance, le témoin répond comme il suit :
J'ai appris
du Serviteur de Dieu que lorsqu'il était à Ecully avec Monsieur Balley, ils
menaient tous deux une vie très mortifiée ; quand ils étaient seuls, ils
vivaient de mets très communs et peu abondants; mais lorsqu'il arrivait
quelqu'un, Monsieur Balley le recevait d'une manière honorable. J'ai ouï dire à
des témoins dignes de foi que les habitants d'Ecully avaient envoyé une
députation à Monsieur Courbon, Vicaire Général du diocèse de Lyon, afin qu'il
obligeât leur Curé et leur vicaire à vivre d'une manière moins pénitente, et
que Monsieur Courbon leur répondit: Vous êtes bienheureux, habitants d'Ecully,
que votre curé et votre vicaire fassent pénitence pour vous. J'atteste que
pendant mon séjour à Ars, le Serviteur de Dieu n'avait point de domestique et
qu'il était très difficile de lui faire accepter une nourriture commune et un
peu suffisante. Je sais qu'il couchait sur une mauvaise paillasse, avec un
traversin en paille; j'ai vu à côté de son lit une planche, et je crois qu'il
couchait dessus, sinon toujours, du moins quelquefois. Par des questions
adroites, j'ai obtenu de lui l'aveu qu'il avait couché soit au grenier, soit au
rez-de-chaussée de la cure, qui est très humide, sans se servir de lit, ce que
je savais par d'autres; il ajoutait: Quand on est jeune, on fait des
imprudences. J'ai entendu dire à des témoins dignes de foi qu'il achetait le
pain des pauvres pour en faire sa nourriture, avec des pommes de terre cuites à
l'eau. Un jour, il me disait: Depuis ma maladie, je suis devenu gourmand. - Je
lui répondis, afin d'avoir habilement quelques détails sur sa vie passée: Mais
autrefois, vous en faisiez trop; on dit que vous restiez huit jours avec un
repas. 163 - Non, mon ami, me dit-il avec une naïveté charmante, c'est une
exagération: le plus que j'ai fait, c'est de passer huit jours avec trois
repas. Une autre fois, il me disait: Le pain est nécessaire à l'homme. - On
m'assure, lui répondis-je, que vous avez voulu essayer de vous en passer et de
ne vivre que d'herbes. - Oui, répliqua-t-il, mais je ne pouvais plus y tenir,
j'étais trop délabré; il faut du pain, il en faut peu, mais il en faut. Je puis
affirmer que pendant mon séjour à Ars, on lui donnait un pain d'à peu près une
livre, et qu'il y en avait pour toute la semaine, et je crois que c'est toute
la quantité de pain qu'il consommait pendant la semaine. Je l'engageai un jour
à prendre plus de nourriture, en lui disant que Monseigneur Devie le lui avait
prescrit: Non, dit-il, Monseigneur a demandé à une personne si j'y tenais; on
l'a assuré que oui. Il a répondu: Eh bien, c'est bon. Je sais que le Serviteur
de Dieu allait si loin dans ses privations qu'il était quelquefois obligé de se
lever la nuit pour prendre quelque chose, afin de ne pas succomber. Je ne lui
ai jamais vu manger de fruit, quoiqu'il les aimât beaucoup; je crois qu'il
avait fait voeu de ne pas en manger. Par politesse, quand il se trouvait; chez
les missionnaires à Ars, il acceptait quelques gouttes de café, qui avait pour
lui beaucoup d'amertume; il m'a avoué que parce qu'il aimait beaucoup le café,
il avait prié Dieu de (le) lui rendre amer et qu'il avait été exaucé. Je sais
qu'à la fin de sa vie, pour soutenir ses forces et continuer son ministère, il
s'était relâché de la première sévérité de son régime, en prenant un peu de
viande et un peu de vin blanc.
J'ai vu sa
discipline en fer à trois branches; j'ai vu des morceaux de cilice; je possède
des morceaux d'une ceinture de fer trouvés dans sa chambre. 164 Je sais par une
personne digne de foi que ses linges de corps étaient tachés de sang. Les
Dimanches, quand il ne disait pas la grand'messe, il sortait régulièrement
quelques Instants avant l'élévation, pour aller passer un moment dans sa
chambre et l'opinion publique est qu'il allait se donner la discipline pour
s'unir à Notre Seigneur souffrant et mourant pour les pécheurs.
Quoiqu'il
craignît beaucoup le froid, on n'a jamais pu lui faire prendre ni manteau, ni
douillette, ni calotte, ni chaussures chaudes; seulement, en faisant ses
soutanes, on avait soin de les doubler, de manière à lui rendre le froid moins
sensible. On avait recours à toute espèce d'industries pour mettre de l'eau
chaude au confessionnal, que l'on plaçait sous ses pieds à son insu. Je fus
obligé de prendre prétexte de la conservation des ornements pour établir un
poêle à la sacristie.
167 Session 10 - 3 Décembre 1862 à 2h1/2 de l'après-midi
Le témoin
continue à répondre au dix-huitième Interrogatoire.
Sur la
pauvreté, je puis dire que le Curé d'Ars a pratiqué cette vertu à un degré
éminent. Ainsi il habitait un presbytère complètement délabré et dans lequel il
n'a jamais voulu permettre qu'on fît la moindre réparation. 168 La seule
chambre moins inhabitable que les autres, était celle qu'il occupait; elle ne
renfermait que quelques pauvres meubles, dont une partie ne lui appartenait
pas; ceux qui lui appartenaient, il les vendait, et pour lui en conserver
l'usage, ceux qui les avaient achetés les lui prêtaient. Quant à ses vêtements,
il ne voulut jamais posséder qu'une soutane à la fois, et l'on était obligé
d'user d'industries pour changer ses vêtements; il ne consentait à les quitter
que lorsqu'ils tombaient en lambeaux. Il ne voulait que le strict nécessaire.
Un jour une personne avait cru bien faire en remplaçant par une tasse en
faïence la vieille écuelle de terre qui était depuis longtemps à l'usage du
Curé. Celui-ci eut peur de ce luxe et s'en débarrassa au plus vite en disant:
"On ne peut donc pas venir à bout de pratiquer la pauvreté."
J'affirme que le Curé d'Ars reçut pendant toute sa vie, et spécialement pendant
les six ans que j'ai passés auprès de lui, des sommes considérables, dont il
pouvait user personnellement; toutes cependant furent scrupuleusement employées
en bonnes oeuvres. Il me raconta un jour qu'un ecclésiastique lui ayant demandé
son secret pour trouver tant d'argent, Monsieur Vianney lui répondit: Tout
donner et ne rien garder pour soi. Un jour, il croyait avoir réuni la somme de
douze cents francs nécessaires pour une fondation de messes; il vint me dire
qu'il venait de faire des cendres qui lui coûtaient bien cher. Comment donc,
lui dis-je? - Ah! me répondit-il, j'avais dans une lettre pour cinq cents
francs de billets de banque; par mégarde, j'en ai éclairé mon feu. - C'est bien
dommage, répliquai-je, j'aurais ce soir même porté cet argent à
l'administration diocésaine. 169 - Oui, reprit-il, c'est bien dommage pour ces
pauvres pécheurs, mais il y a moins de mal à cela qu'au plus petit péché
véniel. Le soir même, une personne charitable, apprenant ce fait, remplaça la
somme de cinq cents francs qui lui manquait. Il est venu immédiatement après,
d'un air radieux, en me disant: "Voyez comme le bon Dieu est bon: il me
rend d'une main ce qu'il m'a pris de l'autre. Je pourrai faire cette fondation
pour la conversion des pécheurs." Il n'attachait aucune importance à
toutes les choses qui occupent le monde, à toutes les inventions nouvelles, à
tout le mouvement qui se faisait autour de lui; il n'eut même jamais la
curiosité d'aller voir le chemin de fer, qui passait à une petite distance, et
qui lui amenait cependant chaque jour un si grand nombre d'étrangers.
L'humilité,
la simplicité, la modestie forment un des traits caractéristiques de la vie de
Monsieur Vianney. Je certifie qu'il n'y avait en lui point d'ostentation, rien
de contraint ni d'affecté, rien de l'homme qui veut paraître. J'ai toujours
remarqué en lui une simplicité d'enfant. Beaucoup d'abandon et de candeur; une
conversation pleine d'ingénuité et de grâce, combinée avec une grande finesse
de tact et une grande sûreté de jugement. Un jour, il fut abordé en ma présence
par un protestant, à qui il remit une médaille. Monsieur le Curé, lui dit le
protestant, vous venez de donner une médaille à un hérétique, de votre point de
vue. Mais j'espère bien que malgré la différence de religion, nous serons
réunis là-haut. - Oh! mon bon ami, lui répondit le Curé d'Ars, en lui prenant
affectueusement les deux mains, pour nous réunir au Ciel, il faut commencer par
nous réunir sur la terre. - Mais, Monsieur le Curé, quand on a foi au Christ,
on est bien également à son service! - Oh! mon ami, il ne suffit pas de le
servir à sa tête; mais il faut le servir de la manière dont lui-même veut être
servi.
Je certifie
que Monsieur Vianney, au milieu des choses merveilleuses qui s'accomplissaient
autour de lui, en voyant la foule le suivre avec un respectueux empressement et
se prosterner à ses genoux, conservait toujours les sentiments de la plus
profonde humilité et qu'il rapportait tout à Dieu. 170 Il me racontait qu'un
prêtre lui demandait un jour s'il n'était pas tenté d'orgueil, au milieu de
tant de témoignages de la vénération publique. Oh! mon ami, lui dit-il, si
seulement je n'étais pas tenté de désespoir...
Lorsqu'il recevait quelque lettre
où il y avait quelques éloges à son égard, il me disait souvent: "Pauvre
hypocrite! Si l'on me connaissait..." Il s'oubliait complètement lui-même
et lorsqu'on lui adressait quelques paroles flatteuses, il en éprouvait
immédiatement une véritable confusion, qui se manifestait dans tous ses traits
et souvent par des paroles qui exprimaient toute sa peine; il ne pouvait pas
comprendre qu'on eût pour lui la moindre estime et le moindre respect. Il m'a
raconté un jour que lorsqu'il était venu à Ars, il craignait de ne pas
rencontrer un prêtre qui voulût se charger de la direction de son âme, car il
se regardait somme le plus grand des pécheurs.
Le Serviteur
de Dieu n'a jamais souffert, sous aucun prétexte, que l'on prît son portrait.
Aucune des industries qu'on a pu employer à cet égard, aucun motif de charité
ou de déférence aux désirs de son Évêque n'ont pu vaincre sur ce point ses
répugnances. L'une des grandes contrariétés qu'il a éprouvées a été de voir son
portrait étalé et vendu dans sa paroisse d'Ars; il en était profondément
humilié, en détournait les yeux lorsqu'il le rencontrait sur son passage.
N'ayant pu empêcher cette vente, il s'en moquait agréablement en appelant ces
portraits son carnaval. Un artiste d'Avignon ayant réussi à représenter assez
bien ses traits, cette nouvelle image se vendait à un prix assez élevé. Voyez,
disait-il à ce sujet, on me vend, on me pend; mais on connaît bien le prix de
chaque chose. Quand on me vendait deux liards, un sou, tout le monde
m'achetait; à présent qu'on me vend un franc, deux francs, personne n'en veut
plus. Je dois déclarer, en déposant sur l'humilité de Monsieur Vianney, que
toutes les circonstances de sa vie 171 que j'ai pu connaître par lui-même, je
n'ai pu les (s)avoir qu'en employant mille petits pièges, dans lesquels sa
simplicité et sa naïveté, le faisait tomber à son insu. A la fin, il s'en est
aperçu et il disait de moi à ce sujet, à une personne qui m'a rapporté le
propos: "Ce bon missionnaire finira bien par savoir toute ma vie."
173 Session 11 - 4 Décembre 1862 à 8h du matin
Le Témoin
continue-à répondre au dix-huitième Interrogatoire.
Sur
l'humilité, j'ai encore à dire qu'il aimait à citer une circonstance de la vie
de saint Macaire. Le diable, disait-il, lui apparut un jour armé d'un fouet
comme pour le battre et il lui dit: Tout ce que tu fais, je le fais: tu jeûnes,
moi je ne mange jamais; tu veilles, moi je ne dors jamais. Il n'y a qu'une
chose que tu fais et que je ne puis faire. - Eh! quoi donc? - M'humilier,
répondit le diable, et il disparut. Il disait souvent que l'humilité est aux
vertus ce que la chaîne est au chapelet: ôtez la chaîne, et tous les grains
s'en vont; ôtez l’humilité, et toutes les vertus disparaissent. Il savait que
les humiliations sont le moyen le plus sûr d'acquérir l'humilité; aussi se
réjouissait-il d'être humilié. J'ai appris d'une manière certaine qu'un curé
lui avait écrit une lettre dans laquelle il lui disait: Quand on a aussi peu de
théologie que vous, on ne devrait jamais entrer dans un confessionnal. Le
Serviteur de Dieu, loin de se fâcher, éprouva une grande joie et répondit
aussitôt à ce confrère: Vous êtes le seul qui me connaissez bien; aidez-moi
donc à obtenir la grâce que je demande depuis si longtemps, de quitter un poste
que je ne suis pas digne d'occuper, à cause de mon ignorance, et de me retirer
dans un petit coin pour y pleurer ma pauvre vie. Monseigneur Devie, inquiété
par les dénonciations qui lui arrivaient sans cesse, vint à Ars pour voir les
choses par lui-même. Le Serviteur de Dieu m'a raconté qu'en cette circonstance,
il espérait qu'on allait le chasser à coup de bâton. Comme Monseigneur Devie,
loin de le retirer d'Ars, fut heureux de l'y laisser exercer son ministère, le
Serviteur de Dieu dit: "Ils me connaissent bien, cependant ils me laissent
comme un petit chien à l'attache." Beaucoup de personnes distinguées
venaient lui rendre visite; il était loin de s'en enorgueillir. Après une
visite du Père Lacordaire, il dit en chaire, comme je l'ai appris de témoins
bien informés: Mes frères, ce matin vous avez entendu l'extrême science; ce
soir, vous allez entendre l'extrême ignorance. 175
Monseigneur
Chalandon le nomma chanoine d'honneur de la cathédrale de Belley et lui porta
lui-même le camail. Le Serviteur de Dieu fut très ennuyé de le recevoir et
d'être obligé d'assister à l'autel son évêque avec le camail sur les épaules.
Ce camail lui semblait être un lourd fardeau, et il se hâta de s'en décharger
en sortant de l'église; il le vendit à une personne d'Ars cinquante francs pour
ses bonnes oeuvres. Je lui disais: Monseigneur vous a fait un grand honneur:
vous êtes le seul chanoine qu'il ait nommé jusqu'à présent. - Il a eu si
mauvaise main, répondit-il, qu'il n'a pas osé y revenir.
Sur la
proposition des autorités civiles du département, il fut nommé à son insu
chevalier de la légion d'honneur. Monsieur le Préfet vint à Ars pour féliciter le
bon Curé; en s'approchant de lui, il lui dit: Monsieur le Curé, je vous
félicite de la distinction qui vous est accordée. - Monsieur le Préfet,
répondit en ma présence le Serviteur de Dieu, portez votre croix à de plus
dignes. - Ce serait difficile, répliqua le Préfet, d'en trouver de plus digne
que vous. Si l'Empereur vous a donné la croix, ce n'est pas pour vous honorer,
mais pour honorer la croix. - Je prierai Dieu de vous conserver au département,
afin que longtemps vous lui soyez utile par vos conseils et vos exemples. Et,
disant ces mots, il remit à Monsieur le Préfet une médaille de la Sainte
Vierge, le salua et se rendit au confessionnal. Quelque temps après, la croix
lui fut envoyée par Monseigneur Chalandon, en sa qualité de chevalier. Elle était
renfermée dans un étui scellé des armes de l'Empereur. Je la reçus moi-même, et
la portai à M. le Curé dans sa chambre. 176 Tenez, Monsieur le Curé, lui
dis-je, ce sont probablement des reliques que l'on vous envoie. Il ouvrit
l'écrin, sans remarquer le sceau; ayant aperçu la croix, il s'écria: Hélas! ce
n'est que ça..., et il me la remit aussitôt en disant: Tenez, mon ami, ayez
autant de plaisir en la recevant, que moi en vous la donnant.
En faisant allusion au camail et
à la croix, je lui dis un jour: Toutes les puissances de la terre vous
décorent; Dieu ne manquera pas de vous décorer au Ciel. - C'est bien, me
répondit-il, ce qui me fait peur: quand la mort viendra et que je me
présenterai avec ces bagatelles dans les mains, Dieu me dira: Va-t'en, tu as
reçu ta récompense.
Interrogé sur
la vertu de chasteté, le témoin répond:
Je sais qu'il
était très réservé avec les femmes; il ne leur parlait qu'autant que
l'exigeaient les besoins de leur âme. Jamais il ne s'asseyait devant elles;
jamais avec elles il n'avait de conversations inutiles; il n'avait point de
servante et les personnes qui quelquefois s'occupaient de l'arrangement
intérieur du presbytère ne s'y trouvaient que pendant son absence. Sa
réputation à ce sujet était tellement établie, qu'elle n'eut rien à souffrir
lorsqu'on voulut le calomnier.
J'affirme que
je n'ai jamais rien vu, ni rien entendu de contraire aux vertus sur lesquelles
je viens de déposer, et qu'il les a pratiquées jusqu'à la mort.
Sur le
dix-neuvième Interrogatoire, le témoin répond comme il suit:
Je sais que
le Serviteur de Dieu a pratiqué les vertus sur lesquelles je viens de déposer à
un degré héroïque; j'entends par degré héroïque un degré supérieur à l'état des
chrétiens qui remplissent exactement leurs devoirs et leurs obligations. La
déposition que j'ai faite sur les vertus théologales, cardinales et leurs
annexes prouve que ces vertus ont été pratiquées à un degré élevé d'héroïcité;
177 je m'en rapporte aux indices et aux preuves que j'ai données. Je déclare
que le Serviteur de Dieu a persévéré dans l'exercice héroïque de ces vertus
jusqu'à sa mort, et qu'il n'est point à ma connaissance qu'il se soit jamais
relâché de sa ferveur ordinaire.
Interrogé sur
le vingtième Interrogatoire, le témoin répond comme il suit:
Je sais que
le Serviteur de Dieu avait reçu le don des larmes; il pleurait au
confessionnal, en chaire, en disant la Sainte Messe, quand il parlait de
l'amour de Dieu et du triste sort des pécheurs, et j'ai été témoin de cela,
tous les jours pendant six ans. J'ai entendu dire à beaucoup de personnes
dignes de foi qu'il avait lu au fond de leur coeur sans les connaître et leur
avait parlé de leurs dispositions intérieures avant qu'elles en eussent parlé
elles-mêmes. En ma présence, dans la cour du presbytère, et en présence d'un
autre ecclésiastique, il dit à un jeune homme qu'il voyait pour la première
fois: Mon ami, vous voulez vous faire capucin. Ce jeune homme, étonné, rougit à
l'instant; il y avait six ans que ce désir était dans son coeur sans qu'il
l'eût fait connaître à personne; il est maintenant capucin à Marseille. Un
matin à six heures, en entrant à l'église, il trouva une jeune fille qu'il
n'avait jamais vue: Mon enfant, partez vite, on vous attend chez vous. Cette
jeune fille, qui avait commencé sa confession, demanda à son confesseur ce
qu'elle devait faire; il l'engagea à partir et à lui écrire quand elle serait
arrivée. Il reçut en effet une lettre, dans laquelle elle lui annonçait que sa
soeur était morte à quatre heures du matin, le jour où Monsieur le Curé d'Ars
lui avait dit de partir. Pendant la maladie de ma belle-soeur, qui était à
Seyssel, je lui demandais si elle guérirait; il ne voulut rien me répondre; 178
mais le Dimanche, il me pressa de partir; je la trouvai morte à mon arrivée.
J'appris à mon retour qu'il avait aux vêpres dit le chapelet pour une personne
qui était entre la vie et la mort. En l’abordant, je lui dis: Mon père, j'ai
trouvé ma belle-soeur morte; il me répondit: Je le pensais bien. Quelques
années auparavant, sur le point d'aller à Seyssel, à l'époque où le choléra y
sévissait, je lui avais dit: Monsieur le Curé, reverrai-je ma mère? - Oui, mon
ami, répondit-il sans la moindre hésitation. Cette chère mère avait échappé à
quinze heures de crampe. Un homme avait amené à Ars sa servante, qui était un
peu sourde, pour obtenir sa guérison; il entre avec elle dans l'église, la
laisse au bas de la nef, près de la porte; il va lui-même à la sacristie,
s'adresse à Monsieur le Curé et il lui demande s'il peut guérir sa servante.
Monsieur le Curé, qui n'avait jamais vu cette fille, lui répondit: Ah! oui,
Marie, l'appelant par son nom. Je la vois dans le choeur... (Elle-était en
effet derrière l'autel, près d'un confessionnal, dans une place que Monsieur le
Curé ne pouvait pas voir.) Étonné de l'entendre nommer sa servante par son nom,
cet homme pensa que le Serviteur de Dieu s'était au moins trompé sur la place
qu'elle occupait, puisqu'il l'avait laissée à la porte de l'église; il sortit
pour s'en assurer et, ne la trouvant ni au bas de l'église, ni dehors, il vint
au choeur et la trouva en effet derrière l'autel, à son grand étonnement. Je
lui demandai de consigner ce fait sur un registre, avec sa signature, ce qu'il
fit très volontiers. Cet homme était un incrédule; je lui demandai comment il
expliquait ce fait; il me répondit: Je n'en sais rien. Je ne sais pas si c'est
par le magnétisme. Tout ce que je sais, c'est qu'il n'a pas les yeux comme les
autres.
Un jour, il a
dit à une femme, qui était à ses pieds: 179 C'est donc vous qui avez quitté
votre mari, l'avez laissé à l'hôpital et ne voulez pas le rejoindre... – Qui
vous a dit cela, mon Père? Je ne l'ai dit à personne. – J’étais plus étonné
qu'elle, dit Monsieur Vianney, en ma présence et en celle des Frères Athanase
et Jérôme, je croyais qu'elle me l'avait dit.
J'ai entendu
dire à des personnes dignes de foi qu'il leur avait annoncé des choses, qui
leur étaient arrivées plus tard.
Il m'a dit
qu'il avait vu une nuit auprès de son lit comme une personne habillée de blanc,
qui lui parlait à voix basse comme un confesseur. Malgré mes questions, je n'ai
pu en savoir davantage. Un jour qu'il me donnait de l'argent pour la fondation
d'une mission, je lui dis: Mon Père, la terre vous donne sa graisse, comme le
Ciel sa grâce. - On a bien besoin de la grâce, me répondit-il; c'est comme
cette nuit, j'étais très accablé, je ne dormais pas, je pleurais ma pauvre vie.
Tout à coup, j'ai entendu une voix qui me disait: "In te Domine speravi,
non confundar in aeternum". Je regardais autour de moi et je n'ai rien vu.
La même voix répéta ces mêmes paroles d'une manière plus distincte. Je me suis
levé, j'ai allumé ma chandelle, et en ouvrant mon bréviaire, mes yeux sont
tombés sur ce même passage, et j'ai été bien consolé.
Un jeune
homme de Cébazat, près de Clermont en Auvergne, nommé Charles Blazé, privé de
l'usage de ses jambes depuis trois ans et obligé de garder le lit, vint à Ars
avec ses béquilles. Monsieur le Curé l'engagea à faire une neuvaine à Ste
Philomène, à laquelle il s'unirait. A la fin de la neuvaine, le jour de
l'Assomption, il alla trouver Monsieur Vianney à la sacristie, et lui demanda
s'il fallait quitter ses béquilles: Êtes-vous assez fort pour les quitter? - Si
je ne suis pas assez fort, Ste Philomène l'est pour moi. - Monsieur Vianney
sourit. Le jeune homme alla prier à genoux devant le Saint Sacrement et fut
subitement guéri. 180 Il se leva et alla déposer ses béquilles à la chapelle de
Ste Philomène. Une attestation par écrit de l'état du jeune homme avant la
guérison, et de la persévérance de la guérison, m'a été délivrée par le curé de
Cébazat; je l'ai vu moi-même cette année en parfait état de santé.
Je vis à la
sacristie un père avec son fils; le père montrait à Monsieur Vianney le nez de
son enfant. Quand ils furent sortis, je demandai à Monsieur le Curé pourquoi le
père lui montrait ainsi le nez de son fils. Il me répondit: Voyez comme Dieu
est bon! Comme il récompense la foi de ces braves gens! Cet enfant avait une
loupe au nez, qu'on n'avait pu faire disparaître malgré tous les remèdes. Le
père me l'a amené il y a quelque temps, et m'a dit de toucher cette loupe,
comme si mon doigt pouvait faire quelque chose. Je l'ai touché, pour lui faire
plaisir. La loupe a diminué peu à peu, a fini par disparaître, et il me
montrait tout à l'heure la place.
Le Curé de St
Jean de Belleville, dans la Tarentaise, avait une servante, atteinte d'une
phtisie pulmonaire parfaitement caractérisée, et à laquelle les médecins ne
voyaient plus de remède; il m'écrivit pour la recommander aux prières du
Serviteur de Dieu; je le fis et lui envoyai une médaille bénite par lui. On
commença une neuvaine à Ste Philomène; le second jour, la servante se trouva
mieux et le dixième tous les symptômes du mal avaient disparu. Monsieur le r
Curé de St Jean étant venu à Ars en action de grâces a certifié le fait sur un
registre.
Au mois
d'Août dix-huit cent cinquante-six, une religieuse de Saint Joseph, de
l'Ardèche, avait une extinction complète de voix, depuis près de cinq mois; 181
elle vint en pèlerinage à Ars, et après la communion, elle fut subitement
guérie. J'ai vu ce fait, qui est attesté par des certificats.
Madame Daumas
de Marseille était atteinte d'une maladie de la moelle épinière qui lui rendait
la marche impossible; elle partit pour aller prendre les eaux de Vichy; chemin
faisant, elle eut la pensée de venir à Ars, où elle fut portée sur une chaise
longue. Monsieur le Curé d'Ars l'engagea à faire une neuvaine à Ste Philomène;
il pria de son côté, et elle fut complètement guérie. A son retour, son mari
fut singulièrement étonné, lorsqu'elle l'engagea à l'accompagner à Notre Dame
de la Garde, pèlerinage qu'elle fit à pied. Madame Daumas, encore vivante, a
certifié le fait par écrit, avec plusieurs autres personnes.
J'ai parlé
ailleurs de la multiplication du blé et de la pâte.
J'ai vu deux
filles de Cette, qui étaient venues malades à Ars (et) ont été subitement
guéries; l'une ne pouvait pas marcher, et l'autre ne marchait qu'avec des
béquilles. La guérison de la première a persévéré, la seconde est retombée
malade.
Melle Zoé
Pradel de la Pallud (vaucluse) m'a attesté qu'elle, avait été subitement guérie
à Ars.
J'ai vu
encore un grand nombre de faits extraordinaires se produire à Ars.
Il avait un
don merveilleux pour consoler les affligés et de convertir les pécheurs. Il y a
eu à Ars beaucoup de conversions extraordinaires.
Je ne doute
en aucune manière de la vérité des faits sur lesquels je viens de déposer.
Le Serviteur
de Dieu ne croyait pas facilement aux choses extraordinaires. Il n'était point
homme d'imagination et avait un jugement très solide.
182 Au vingt (et) unième Interrogatoire, le témoin répond:
Il n'est pas
à ma connaissance que le Serviteur de Dieu ait écrit quelques livres, quelque
traité, quelque opuscule. Il a composé des sermons et écrit des lettres. Je ne
sais où se trouvent ses sermons; quant aux lettres, elles sont entre les mains
de ceux à qui il les a adressées. Elles n'ont fait que confirmer sa réputation
de sainteté.
Sur le
vingt-deuxième Interrogatoire, le témoin répond:
Je sais que
le Serviteur de Dieu est mort à Ars, le quatre Août mil huit cent
cinquante-neuf, d'épuisement. Au commencement de sa maladie, qui n'a duré que
cinq jours, il me dit que sa fin était arrivée. Je lui répondis que Ste
Philomène, qui l'avait déjà guéri une fois, le guérirait encore. - Non, mon
ami, cette fois, elle n'y fera rien. Tout le temps, il a montré une grande foi,
un grand calme et une grande patience; lui qui avait tant redouté la mort
pendant sa vie la voyait venir avec joie. Je ne sais s'il a demandé lui-même
les sacrements; je sais qu'il a reçu les sacrements de pénitence, d'Eucharistie
et d'extrême onction, l'avant-veille de sa mort. La nuit où il mourut, j'étais
à côté de son lit; il me fit observer qu'il n'avait pas encore reçu
l'indulgence plénière; je m'empressai de lui accorder cette faveur, qu'il reçut
avec de grands sentiments de foi. Vers les deux heures du matin, il rendit son
âme à Dieu, pendant qu'on récitait les prières des agonisants. Sa mort fut
sainte, comme l'avait été sa vie.
L'avant-veille
de sa mort, je lui exprimais mes craintes relativement au projet de la
construction de l'église d'Ars: 183 Mon Père, lui disais-je, puisque le
gouvernement a refusé d'autoriser la loterie, et que Dieu vous retire de ce monde,
c'en est fait. - Il me répondit: Courage! Vous en avez pour trois ans. Depuis,
la loterie a été autorisée par le gouvernement, et l'église se construit; elle
est déjà très avancée.
185 Session 12-4 Décembre 1862 à 2h1/2 de l'après-midi
Le Témoin
continue à répondre sur le vingt-deuxième Interrogatoire, comme il suit:
Ce qui
contribua à affaiblir considérablement les forces du Serviteur de Dieu, fut la
température excessivement chaude du mois de Juillet dix-huit cent
cinquante-neuf. On ne pouvait entrer dans l'église d'Ars, échauffée jour et
nuit per un concours immense, sans être suffoqué. Les personnes qui attendaient
pour se confesser, sortaient à chaque instant pour respirer. 186 Lui cependant
ne quittait pas son poste. Il souffrait le martyre. Le Vendredi vingt-neuf
Juillet, il travailla toute la journée comme à l'ordinaire et rentra exténué au
presbytère; ce fut sa dernière journée de travail; il se coucha le soir pour ne
plus se relever. Il condescendit alors à tous les soins qu'il avait jusque là
repoussés. On aurait peine à se figurer la désolation qui se répandit sur les
paroissiens et sur les pèlerins. On se mit en prière; on alla même en
pèlerinage à Fourvières, pour demander sa guérison. Monseigneur de Langalerie,
ayant appris sa maladie, accourut à Ars. Le Serviteur de Dieu le reconnut, lui
sourit, baisa amoureusement sa croix, reçut pieusement sa bénédiction et put à
peine lui dire quelques mots, tant il était fatigué; il mourut la nuit même.
Sur
l'interrogatoire vingt-troisième:
Je sais que
dès que la nouvelle de la mort se fut répandue, on se précipita vers le
presbytère, pour voir et vénérer une dernière fois le Serviteur dei Dieu. Le
corps fut placé au rez-de-chaussée, dans une salle ornée de modestes tentures.
Le Jeudi dès le point du jour, et pendant deux jours et deux nuits, on accourut
de tous les points de la France, à mesure que la fatale nouvelle y pénétrait.
On avait fermé les objets qui avaient appartenu à Monsieur Vianney et cependant
il y eut à regretter, çà et là, quelques pieux larcins. Deux frères de la Ste
Famille de Belley protégeaient le corps des contacts trop immédiats de la
foule. Leurs bras se lassaient de faire toucher à ses mains accoutumées à
bénir, des médailles, des chapelets, des croix, des livres, des images en
quantité innombrable. On avait renvoyé le jour de la sépulture, afin de
faciliter aux fidèles l'assistance aux funérailles. Elles eurent lieu le samedi
six Août, au milieu d'un immense concours. 187 L'Évêque de Belley les présida;
il s'y trouva de six à sept mille personnes; un nombre considérable des
prêtres, de religieux et de religieuses.
Sur le
vingt-quatrième Interrogatoire, le témoin répond:
Le corps du
Serviteur de Dieu, placé dans un cercueil en plomb recouvert d'un cercueil de
chêne, fut déposé au milieu de l'église d'Ars, dans un caveau fait exprès,
formé d'une pierre tumulaire sur laquelle se trouvent gravés simplement ces
mots: Jean Marie Baptiste Vianney, Curé d'Ars.
La réputation
de sainteté du Serviteur de Dieu a continué depuis sa mort à attirer auprès de
son tombeau près de trente mille pèlerins par année, pour solliciter par son
intercession des grâces spirituelles et temporelles.
On a eu soin
de faire disparaître tout ce qui, de la part des fidèles, indiquerait un culte
public, et moi-même j'ai veillé à ce qu'il n'y eût jamais rien de contraire aux
prescriptions de l'Eglise. On n'a jamais laissé sur le tombeau du Serviteur de
Dieu que ce qui se trouve en France sur les tombeaux ordinaires.
Interrogé sur
le vingt-cinquième Interrogatoire, le témoin répond comme il suit:
J'entends par
renommée, l'opinion qu'un nombre considérable de personnes ont sur quelqu'un.
Je sais que le Serviteur de Dieu avait une grande réputation de sainteté; cette
réputation venait de personnes graves, prudentes, instruites, et aussi des
personnes du peuple, et cela je le sais par moi-même. Je sais aussi que cette
réputation ne régnait pas seulement à Ars, mais qu'elle s'était étendue à toute
la France, à l'Angleterre, en Belgique, en Italie, à l'Amérique et jusqu'aux
Indes Orientales; je le sais par les rapports que j'ai eus avec les pèlerins de
tous ces pays. 188 Cette réputation est allée sans cesse en s'augmentant
jusqu'à la mort du Serviteur de Dieu, et depuis elle n'a point diminué; il est
même, plus généralement connu que pendant sa vie. Je ne sais pas que l'on ait
écrit, parlé ou agi contre cette réputation de sainteté, excepté ce que je
dirai à l'Interrogatoire suivant. Ma conviction est que cette réputation est
parfaitement fondée. On recherchait sa signature, on voulait avoir quelque
chose qui lui eût appartenu; on lui changeait ses surplis; on coupait des
morceaux de sa ceinture, de sa soutane, des mèches de ses cheveux; on se
disputait les objets qui avaient été à son usage ou qu'il avait simplement touchés.
Sur
l'Interrogatoire vingt-sixième, le témoin répond:
Au
commencement du ministère du Serviteur de Dieu à Ars, il eut des personnes qui
le blâmèrent, quelques unes qui le calomnièrent; mais quelques années plus
tard, sa réputation de sainteté fut tellement affermie qu'elle était acceptée
de tout le monde et que personne n'ait osé l'attaquer.
Les mauvais journaux eux-mêmes la
respectent.
Aussi les
habitants de Dardilly, sa paroisse natale, jetaient-ils des regards de
convoitise sur le trésor que possédait la paroisse d'Ars et songeaient-ils à
s'emparer de son corps après sa mort. On fut obligé de recourir au Serviteur de
Dieu, qui mit dans son testament qu'il donnait son corps à la paroisse d'Ars.
Il agit ainsi sur les instances de son Évêque, tenant fort peu, du reste, au
lieu où son corps serait déposé. Quand le Notaire lut cette clause du
testament, il dit: Je ne leur donne pas grande chose.
Sur le
vingt-septième Interrogatoire, le témoin répond:
Je connais
plusieurs faits que l'on regarde comme miraculeux. Un enfant de
Saint-Laurent-les-Macon, diocèse de Belley, était complètement paralysé,
prenait des crises nombreuses et avait perdu l'usage de la voix. 189 Il fut
porté à Ars par sa mère, et présenté à Monseigneur, qui s'y trouvait, par le
Curé de Saint Laurent. Monseigneur engagea la pauvre mère à faire une neuvaine
et à demander la guérison de son enfant par l'intercession du Curé d'Ars. Les
prières furent commencées, l'enfant alla d'abord mieux, puis guérit
complètement en peu de jours. Le père, qui n'était point religieux, en fut si
frappé, qu'il vint à Ars pour se confesser, et est devenu depuis un excellent
chrétien.
La soeur
Calamand, supérieure de la maison de Saint Vincent de Paul, Rue Doyenné, numéro
deux, à Lyon, avait une petite orpheline dont le bras était ankylosé; elle
plaça sur l'ankylose un cordon de soulier du Serviteur de Dieu et fit une
neuvaine. L'enfant fut radicalement guérie.
La supérieure
de l'hôpital du Havre avait au ventre une tumeur jugée incurable par les
médecins; elle appliqua sur la tumeur une image du Curé d'Ars, en l'invoquant,
et fut à l'instant guérie. Je tiens ce fait d'une des religieuses de l'hôpital,
et de monsieur Doudiet, peintre à Paris, rue de Surennes, qui se trouvait alors
à l'hôpital du Havre.
La Supérieure
des Dames Auxiliatrices des âmes du purgatoire à Paris, Rue Barouillière,
seize, m'a assuré qu'une de ses soeurs, atteinte d'une grave maladie au larynx,
a été guérie en faisant une neuvaine au Curé d'Ars. - La Supérieure des Dames
de la Miséricorde de Besançon m'a présenté une de ses religieuses, que j'ai
interrogée moi-même; elle avait le bras paralysé et elle avait été guérie en
faisant une neuvaine au Curé d'Ars.
Un Curé du
diocèse de Moulins est venu à Ars en action de grâces avec un enfant qui avait
une foule d'infirmités graves résultant des privations qu'il avait éprouvées;
190 il avait été guéri subitement en invoquant Monsieur Vianney. Ce fait a été
consigné sur un registre et signé par le Curé et l'enfant.
Un prêtre du
diocèse de Limoges, professeur au collège Saint-Martial, a obtenu la guérison
subite de sa. soeur en faisant voeu à son insu de faire le pèlerinage d'Ars.
Elle avait des crampes d'estomac très violentes, qui avaient résisté à tous les
remèdes. Il a attesté ce fait sur un registre.
Une soeur des
pauvres de Bordeaux, très dangereusement malade, a été subitement guérie en
invoquant le Curé d'Ars.
Les soeurs de
Sainte Claire de Lyon, Rue Sala, ont amené à Ars une jeune fille de treize à
quatorze ans, qui était sourde et muette et qui a commencé à entendre et à
parler après avoir invoqué le curé d'Ars.
La Supérieure
des soeurs de Sainte Claire m'a dit qu'elle avait été guérie en invoquant le
Curé d'Ars.
Une fille de
la Savoie, qui ne voyait pas depuis deux mois, a été guérie en invoquant le
Curé d'Ars.
Sur le
vingt-huitième Interrogatoire, le témoin répond qu'il n'a rien à ajouter pour
le moment à la déposition qu'il vient de faire.
Completo
examine super Interrogatoriis deventum fuit ad examen super articulis.
Propositoque
primo Articulo testis respondit:
Je n'ai rien
à ajouter à ce que j'ai déposé.
Au deuxième
Article, le témoin répond: J'ai dit tout ce que j'avais à dire.
Sur le
troisième Article, le témoin répond qu'il n'a rien à ajouter à ce qu'il a répondu.
Sur le
quatrième Article, le témoin répond qu'il n'a rien à ajouter à ce qu'il a
déposé.
Comme on
continuait la lecture des articles, le témoin a déclaré plusieurs fois qu'il
était inutile de l'interroger davantage sur les articles: J'ai dit tout ce que
je savais dans mes réponses aux Interrogatoires.
191 Sic
completo examine integra depositio perlecta fuit a me Notario a principio usque
ad finem testi supradicto alta et intelligi-bili voce qua per ipsum bene
audita, et intellecta respondit se in eamdem perseverare et illam confirmavit.
PROCES
DE
BEATIFICATION
ET CANONISATION
DE SAINT JEAN
MARIE BAPTISTE VIANNEY
CURE D’ARS
PROCES
INFORMATIF ORDINAIRE
(Tome I - p. 193 à 270)
Baronne de Belvey
(193) Session 13- 13 janvier 1863 à 9h du
matin
(194)
Au premier interrogatoire le témoin averti de la force et de la nature du
serment dans les causes de Béatification et de Canonisation, a répondu :
Je
connais parfaitement la nature et la force du serment que je viens de
faire ; je dirai la vérité telle que je la connais.
Au second interrogatoire, le témoin a répondu :
Que ses prénoms étaient Alix Henriette de Belvey. Je suis née à Bourg le vingt deux avril mil huit cent-huit, de parents nobles et chrétiens, je ne suis pas mariée ; ma position de fortune est tout à fait convenable.
Au
troisième interrogatoire, le témoin répond :
J’ai
le bonheur de m’approcher fréquemment des sacrements, et j’ai communié
aujourd’hui même.
Au
quatrième interrogatoire, le témoin répond :
Je
n’ai jamais été poursuivie, accusée ou traduite devant les tribunaux.
Au
cinquième interrogatoire, le témoin répond :
Je
n’ai jamais encourue de censures ou
de peines ecclésiastiques.
Au
sixième interrogatoire, le témoin répond :
Personne,
ni de vive voix, ni par écrit ne m’a inspiré ce que je devais déposer ou taire
dans la présente cause ; je n’ai pas lu les articles rédigés par le Postulateur
de la cause.
Le
témoin a été prévenu que si les articles lui étaient remis et que s’il les
lisait, il ne devait pas diriger ses réponses d’après leur contenu, mais qu’il
ne devait dire que les choses qu’il avait vues ou entendues de témoins oculaires
ou auriculaires . Il a dit qu’il agirait ainsi.
Au
septième interrogatoire, le témoin répond :
J’ai
une grande vénération pour le serviteur de Dieu Jean-Marie (195) Baptiste
Vianney ; je désire qu’il soit béatifié, mais en cela je ne suis mu par aucun motif humain, par aucune
crainte, par aucune espérance et dans ma déposition je me propose uniquement de
procurer la gloire de Dieu.
Au
huitième interrogatoire, le témoin répond :
J’ai
entendu dire à des personnes parfaitement informées et dignes de foi que le
serviteur de Dieu était né à Dardilly, diocèse de Lyon, le huit Mai mil sept
cent quatre-vingt-six, de parents remarquables par leur piété, et qu’il fut
élevé très chrétiennement ; je ne sais rien de particulier sur son baptême
et sa confirmation.
Au neuvième interrogatoire, le témoin répond :
J’ai appris de personnes dignes de foi que pendant son enfance et sa jeunesse le Serviteur de Dieu s’était distingué par une piété fervente, qu’il avait beaucoup de goût pour la prière, et qu’il priait pendant son travail, lorsqu’il s’y rendait et revenait à la maison. J’ai entendu constamment faire l’éloge de ses mœurs et de sa conduite pendant cette époque de sa vie.
Au
dixième interrogatoire, le témoin répond :
J’ai
entendu dire à des personnes dignes de foi, et en particulier à des
ecclésiastiques, dont quelques uns avaient étudié avec lui à Verrières et au
grand séminaire, qu’il avait étudié d’abord à Ecully chez Monsieur Balley dans
l’intention d’embrasser l’état ecclésiastique, ensuite à Verrières et au grand
séminaire et qu’il ne se proposait pas d’autre but que le salut des âmes en
entrant dans cette carrière. J’ai entendu dire aux mêmes personnes qu’il avait
constamment donné des preuves frappantes de piété.
Au
onzième interrogatoire, le témoin répond :
J’ai
oui dire que le Serviteur de Dieu
avait quitté ses études pour l’état militaire ; il avait été omis sur le
tableau d’exemption. Il tomba malade en (196) route, et fut conduit par un
homme qu’il ne connaissait pas et qu’il n’a jamais revu aux Noës où il passa
environ une année ;il fut remplacé par un de ses frères moyennant un
avantage pécuniaire.
Au
douzième interrogatoire, le témoin répond :
Je
sais que le Serviteur de Dieu reprit le cours de ses études ecclésiastiques et
qu’il se prépara à recevoir les saints ordres en s’appliquant de plus en plus à
la pratique de la vertu et aux exercices de piété.
Au
treizième interrogatoire, le témoin répond :
J’ai
oui dire à des personnes dignes de
foi qu’après son ordination à la prêtrise, le Serviteur de Dieu fut nommé
vicaire à Ecully et qu’il s’y conduisit d’une manière si édifiante qu’après la
mort du vénérable Curé Mr Balley, il fut demandé par la population toute
entière pour le remplacer.
Au quatorzième interrogatoire, le témoin répond :
Je sais que le Serviteur de Dieu fut nommé curé d’Ars en mil huit cent dix huit, l’état de la paroisse y était déplorable ; on y aimait les danses, les amusements, les plaisirs ; on y travaillait de Dimanche, on y fréquentait beaucoup les cabarets et peu l’église. Pour détruire ces abus le Serviteur de Dieu eu recours à la prière, à la mortification, aux visites faites aux paroissiens et par sa charité et sa grande prudence, il parvint à changer entièrement cette paroisse.
Au quinzième interrogatoire, le témoin répond :
Je sais que pour réformer sa paroisse, le Serviteur de Dieu établit les pieuses associations du St Sacrement et du Rosaire. Les jeunes garçons et les jeunes filles étaient complètement privés d’éducation et d’instruction. Il choisit un jeune homme de l’endroit pieux et intelligent pour en faire un maître d’école à qui il confia les jeunes garçons. Il chargea des jeunes filles trois (197) personnes pieuses. Ces deux établissements firent un grand bien dans la paroisse. Plus tard, l’école des garçons fut confiée aux frères de la Sainte-Famille de Belley et celle des filles aux sœurs de saint Joseph.
Au seizième interrogatoire, le témoin répond :
Je sais et j’ai entendu dire que le Serviteur de Dieu a toujours exactement observé jusqu’à la fin de sa vie les commandements de Dieu et de l’église, qu’il a toujours rempli toutes les obligations que lui imposait le sacerdoce et sa position de Curé, et qu’il a toujours dirigé avec zèle et prudence les institutions qu’il avait fondées. En toute vérité, je ne connais aucun manquement à l’accomplissement de ses différents devoirs. Le Serviteur de Dieu, autant qu’il le pouvait, aidait les prêtres de son voisinage pendant les missions et les jubilés, sans nuire en aucune manière au bien spirituel de sa paroisse ; il suivait du reste en cela les conseils de son évêque. Deux fois il tenta de quitter sa paroisse pour vivre dans la solitude, sans avoir pourtant l’intention de se soustraire à l’obéissance qu’il devait à son évêque, il espérait obtenir son consentement.
Au dix-septième interrogatoire, le témoin répond :
J’ai entendu dire à des personnes dignes de foi que le Serviteur de Dieu fut en butte aux injures, aux calomnies, aux procédés les plus blessants, les laïques, les ecclésiastiques même y avaient pris part. De son côté cependant, il n’y avait point donné occasion, tout cela fut supporté avec patience, avec soumission à la volonté de Dieu, avec amour pour ses détracteurs et avec un désir sincère de leur faire tout le bien qu’il pourrait. Pendant presque tout le temps qu’il fut à Ars, il fut en butte aux persécutions du démon.
(198) Au dix-huitième interrogatoire, le témoin répond :
J’affirme que le Serviteur de Dieu a brillé par la pratique des vertus chrétiennes et qu’il y a persévéré jusqu’à sa mort.
Quant à la foi je sais que dès son enfance elle fut très vive ; il eut le bonheur d’avoir une mère qui lui appris de bonne heure à aimer Dieu et la sainte Vierge, et lui avait fait présent d’une petite statue de la mère du Sauveur pour laquelle il avait une grande dévotion. Il avait un goût très prononcé pour la prière ; il confiait la garde de son troupeau à ses compagnons pour se retirer seul dans un lieu écarté et y prier avec ferveur. Il priait en allant au travail, pendant qu’il travaillait, il plaçait alors devant lui la petite statue de la Ste Vierge pour se donner du courage et des forces, il priait aussi en rentrant à la maison. Il aimait beaucoup à assister aux offices de l’église, et quand il le pouvait il allait à la messe pendant la semaine, en se faisant remplacer par ses frères ou ses sœurs à qui il rendait des services pour obtenir cette faveur. Il faisait de petites statues de la Ste Vierge et des saints avec de la terre, et il les distribuait à ses compagnons. On a conservé pendant plusieurs années dans la maison paternelle une statue de la Ste Vierge, faite par lui et cuite au four ; elle était vraiment bien. Il dressait de petits autels pour célébrer les offices de l’église. On peut dire que toutes ses idées pendant son enfance étaient des idées de foi et de piété.
Le Serviteur de Dieu avait commencé ses études chez Mr Balley, curé d’Ecully, mais avec peu de succès, sa mémoire était ingrate, il fit alors vœux d’aller en pèlerinage à pied et en demandant l’aumône, auprès du tombeau de St François Régis afin d'obtenir du saint la grâce de mieux (199) réussir dans ses études. Il accomplit son vœu et fut exaucé. Dès ce moment en effet, il put profiter des leçons de Mr Balley et faire des études suffisantes.
(201) Session 14 – 13 janvier 1863 à 2h30
de l’après-midi
Au
dix-huitième interrogatoire, le témoin continue sa réponse de la manière
suivante :
J’ai
entendu dire à des personnes dignes de foi que pendant son séjour aux Noës il
édifia singulièrement les habitants par la ferveur de sa piété et la vivacité
de sa foi. Il continua ses études à Ecully où il se fit admirer par (202) son
grand esprit de foi ; je tiens, comme j’ai déjà dit, de plusieurs de ses
condisciples qu’ils avaient surtout remarqué en lui cette vertu au petit et au
grand séminaire. Nommé vicaire d’Ecully, il édifia les habitants par sa piété
et sa foi encore plus qu’il n’avait fait pendant qu’il y faisait ses premières
études. Lorsqu’il vint prendre possession de la paroisse d’Ars, il se mit à
genoux au moment où il apercevait les maisons pour demander à Dieu la grâce de
remplir saintement son ministère, ce fut sans doute à cette occasion qu’il
composa une belle prière pour les prêtres qui prennent possession de la
paroisse où ils sont envoyés. On remarqua immédiatement en lui une foi
extraordinaire il était presque constamment à l’église devant le St Sacrement.
Quoiqu’il éprouvât une grande difficulté à composer ses discours, il ne
laissait pas de se préparer toujours à la prédication par un long travail. Il y
avait dans ses sermons un si grand esprit de foi qu’il remuait profondément le
cœur de ses auditeurs.
Je
ne sais si le serviteur de Dieu avait établi l’adoration perpétuelle, mais ce que
je sais très certainement c’est que des hommes et des femmes étaient à toute
heure du jour, quelquefois même pendant la nuit devant le St Sacrement pour lui
rendre leurs hommages. Avant son arrivée à Ars on y communiait rarement, il y
établit la communion fréquente et eut la consolation de la voir bientôt
pratiquer par un grand nombre de personnes.
Le
Serviteur de Dieu parvint tellement à supprimer le travail du Dimanche que même
quand l’orage menaçait on ne rentrait pas les récoltes, on se contentait de les
entasser dans les champs ! Un Dimanche j’étais à Ars, les blés étaient
abattus et la pluie était menaçante, Mr le curé monta en chaire et défendit à
ses paroissiens de toucher à leur récolte, leur assurant qu’ils auraient un
assez beau temps pour les mettre à l’abri ; ils obéirent et furent
récompensés de leur obéissance car pendant quinze jours ils eurent un temps
magnifique.(203) A Ars on ne vendait pas même les objets de piété le saint jour
du Dimanche et ce jour là Mr Vianney ne les bénissait pas à l’église comme à
l’ordinaire. Les voitures publiques ne marchèrent pas le Dimanche jusqu’à
l’établissement du chemin de fer, alors, elles n’entraient pas le Dimanche dans
le village pour y déposer les voyageurs à leur arrivée et les prendre à leur départ.
Dans aucune paroisse le Dimanche n’était si bien observé qu’à Ars. Il eut
beaucoup de peines à supprimer la
danse dans sa paroisse ; pour cela il eut recours à la prière et à
l’établissement de la confrérie du Rosaire, elle fut fondée avec de grandes difficultés,
mais il en obtint le résultat qu’il en attendait et peu à peu les danses
cessèrent. Un moyen qu’il employa aussi ce fut d’éloigner les ménétriers de sa
paroisse, il donna un jour à l’un d’eux une somme plus forte que celle qu’il
devait gagner . Son grand esprit de foi le porta à prêcher dans les
paroisses voisines pendant les missions et les jubilés. Sa parole quoique
simple était puissante ; son confessionnal était entouré de nombreux
pénitents. Il opérait des conversions extraordinaires.
Le
Serviteur de Dieu tenait beaucoup à ce que son église fut dans un état tout à
fait convenable, il fit construire un autel bâtir des chapelles. Il aimait à
exciter la dévotion du peuple par la propreté de l’église, la convenance des
ornements et la beauté des cérémonies. Il désirait d’offrir à Notre Seigneur
dans les vases sacrés tout ce qu’il y avait de plus riche. Le jour de la fête
du St Sacrement, il faisait dresser les plus beaux reposoirs possible et aimait
à porter lui même le très saint Sacrement.
Mr
Vianney célébrait le St sacrifice avec une foi extrêmement vive ; une
personne me dit un jour : « Si vous voulez apprendre à bien
assister à la messe, placez-vous de manière à voir l’expression de la figure du
Curé d’Ars à l’autel » ; je me mis effectivement dans un endroit d’où
je pouvais l’observer ; je remarquai sur son visage quelque chose de
céleste ; je lui vis répandre (204) des larmes pendant presque toute la
durée du saint sacrifice. J’ai remarqué le même fait toutes les fois que j’allais
à Ars. Il semblait qu’il voyait Notre Seigneur dans la Sainte
Eucharistie ; on peut même supposer qu’il le voyait réellement, car un
jour qu’il était triste, des personnes dignes de foi qui me l’ont raconté, lui
demandèrent la cause de sa tristesse ; il répondit ingénuement: « je n’ai pas vu Notre
Seigneur depuis tel jour (il y avait deux ou trois jours) -Vous voyez donc
Notre Seigneur, lui dit-on ? et aussitôt Mr Vianney, comme un homme qui a
dit plus qu’il ne voulait dire, changea le sujet de la conversation. »
Le
Serviteur de Dieu parlait très volontiers dans ses instructions, dans ses
conversations de Notre Seigneur présent au saint Sacrement. Les expressions,
les images dont il se servait étaient presque toujours frappantes, admirables.
Quand il prêchait de l’autel on sentait au son de sa voix qu’il parlait auprès
de Notre Seigneur. Lorsqu’il distribuait la Ste communion, on voyait dans son
regard quelque chose de surnaturel, un feu divin. Il me disait un jour :
moi, ce que j’aime, c’est la dévotion à Notre Seigneur dans le St Sacrement de
l’autel, nous sommes si heureux quand nous le recevons par la communion, nous
le cachons dans notre cœur et nous l’emportons avec nous. Les Dimanches où
devaient se donner la bénédiction du
St Sacrement il parlait d’une manière ravissante du bonheur de recevoir la
bénédiction de Notre Seigneur lui-même. Sur la fin de sa vie la présence réelle
l’occupait tellement, qu’il y revenait dans presque toutes ses instructions.
Mr Vianney avait une haute idée du sacerdoce. Je crois lui avoir entendu dire que le prêtre ne se comprendrait bien que dans le ciel. Il ajoutait que le sacerdoce était une charge si lourde que si le prêtre n’avait pas la consolation et le bonheur (205) de célébrer la Ste Messe, il ne pourrait pas la supporter. Il parlait souvent de ce sujet et se plaisait à relever les bienfaits que les hommes reçoivent du prêtre. Il revenait souvent dans les catéchismes, dans les instructions sur Dieu sur le ciel. Etre aimé de Dieu, disait-il, être uni à Dieu, plaire à un Dieu, vivre en la présence de Dieu, vivre pour Dieu oh ! belle vie et belle mort ! En disant ces paroles et d’autres semblables, il semblait n’être déjà plus sur cette terre. Pour peindre le bonheur d’une âme qui voit Notre Seigneur en sortant de ce monde, il rappelait la joie que les apôtres et Ste Marie Madeleine avaient dû éprouver en revoyant dans le ciel Notre Seigneur qu’ils avaient vu ressuscité et qu’ils avaient tant aimé dans ce monde. Du reste il avait sur ce sujet des expressions et des comparaisons admirables. Il s’interrompait quelquefois ne pouvant pas continuer tant son émotion était grande. Quand il parlait de la pureté de l’âme en état de grâce sa grande foi lui faisait trouver les comparaisons les plus émouvantes et les plus gracieuses. Il s’étendait avec une sorte de prédilection sur l’action de l’esprit saint dans les âmes ; sans l’esprit saint nous sommes comme un homme estropié privé du mouvement de ses membres ; avec l’esprit saint nous avons la force et le mouvement, il n’y a que l’esprit saint qui puisse élever l’âme et la porter en haut. Il s’exprimait d’une manière si nette et si intelligible qu’un paysan disait : personne ne parle du St Esprit comme Mr le Curé d’Ars, il m’a appris à le connaître.
(206)
Il priait beaucoup et tachait d’inspirer aux fidèles son goût pour la prière,
il en parlait souvent et se servait des plus ingénieuses comparaisons. L’homme
qui prie est comme le poisson dans l’océan, plus il s’enfonce dans la
profondeur des eaux plus il est heureux. La prière particulière ressemble à la
paille parsemée ça et là dans un champ, si on y met le feu la flamme a peu
d’ardeur, mais si on réunit cette paille éparse, la flamme est abondante et
s’élève haut vers le ciel ainsi en est il de la prière publique. Il supporta
toutes les épreuves de sa vie, toutes les contradictions, toutes les
humiliations avec une foi qui ne se démentit jamais. Cette foi lui faisait
aimer les croix. Il disait que fuir la croix c’était vouloir en être accablé,
que la désirer c’était ne pas en sentir l’amertume. Il avait passé plusieurs
nuits sans dormir à cause des souffrances qu’il ressentait, il goûta quelques
instants de repos. Une personne m’a raconté qu’elle lui avait demandé s’il
avait un peu reposé.- Oui, lui dit-il, mais si cela continue, je serais bientôt ennuyé de ne plus souffrir. Il
en était des souffrances comme des épines ; si on les supportait avec
peine, on sentait leur aiguillon, mais si la charité les faisait supporter
courageusement, elles étaient comme des épines réduites en cendre qui
deviennent douces au toucher.
Lorsqu’on
lui proposa de recevoir le saint viatique dans sa dernière maladie, il y
consentit volontiers et dit en soupirant que c’est triste de communier pour la
dernière fois. Montrant ainsi la grande affection qu’il avait pour la Ste
Communion.
(207) En résumé j’affirme que la foi
était le grand mobile de toutes les actions du curé d’Ars, qu’elle était toute
sa science et on pourrait dire toute sa vie.
(209) Session 15 – 14 janvier 1863 à 9h
du matin
Au
dix-huitième interrogatoire le témoin continue à répondre de la manière
suivante :
Au
sujet de l’Espérance j’affirme que le Serviteur de Dieu ne comptait point sur
lui-même mais exclusivement sur Dieu : de là ses prières continuelles et
ardentes non seulement pour le bien spirituel de sa paroisse, mais (210) encore
pour la dilatation de la Ste Eglise et la conversion des pécheurs. Dans
l’espérance d’amener les habitudes dans une paroisse où elles étaient presque
abandonnées, il s’attacha à donner à son église et aux cérémonies qui s’y
accomplissaient tout ce qui pouvait développer dans le cœur des fidèles les
sentiments de foi et de piété. Pour inspirer l’horreur du péché et l’amour de
la grâce, le bon curé disait quelquefois : le bon chrétien parcourt le
chemin de ce monde monté sur un beau char de triomphe, assis sur un trône, et
c’est Notre Seigneur qui conduit la voiture. Mais le pécheur est attelé
lui-même au brancard ; c’est le démon qui est dans la voiture et qui
frappe sur lui à grand coups pour le
faire avancer. Un prêtre qui l’avait entendu me disait : jamais rien ne
m’a fait plus d’impression, et ne m’a inspiré plus d’horreur pour le péché que
les paroles et les pensées du curé d’Ars. Mr Vianney parlait souvent du péché
et de l’horreur que nous devons en avoir ; mais plus souvent encore de la
beauté de l’âme pure unie à Dieu par la grâce ; il parlait aussi de son
bonheur et préférait montrer le côté attrayant de la vertu que la laideur du
vice.
J’ai
entendu ses paroissiens rapporter un prône qu’il leur avait fait sur la grâce
de deux jubilés qui se suivaient à courte distance : on dit qu’on a déjà
eu un jubilé l’année dernière, on demande pourquoi il y en a encore un cette
année ? Mais, mes amis, si un roi ou un grand seigneur vous avait donné
trois mille francs et que quelque temps après il jugeat à propos de doubler la somme cela vous ennuierait-il !
Mépriseriez-vous les trois premiers mille francs à cause des trois derniers que
vous auriez déjà reçus ?
Son Espérance lui faisait souvent parler (211) du bonheur du ciel, ce bonheur était pour lui surtout la jouissance de Dieu ; il affectionnait cette pensée : nous serons perdus en Dieu comme le poisson dans le haut des mers. Il revenait sans cesse sur la miséricorde de Dieu ; il disait qu’il était plus facile de se sauver que de se perdre tant était grande la miséricorde de Dieu. Un seul mot du curé d’Ars suffisait pour calmer une âme inquiète et troublée, et il y en a des milliers d’exemples.
Le
Serviteur de Dieu en travaillant au salut des autres il n’oubliait pas son âme. D’après mes entretiens avec lui, je
crois pouvoir dire qu’il ne perdait jamais de vue la présence de Dieu, il
disait que ses prières pendant la nuit le dédommageait des fatigues du jour et ces prières étaient une sorte d’oraison
affective. Dans les commencements il faisait de longues visites au St
Sacrement ; elles furent remplacées plus tard par un travail incessant
consacré aux âmes.
Quand
Mr Vianney parlait des tentations du démon et en particulier des persécutions
qu’il en éprouvait, il montrait son mépris pour le tentateur et disait que
c’était bon signe, puisque c’est une preuve qu’on ne lui appartenait pas.
Toutes les peines qu’il a éprouvées de la part des hommes, peines qui ont durées à peu près toute sa vie, il les a
supportées en ce confiant au secours
de Dieu et en se détachant de plus en plus de la terre. Il avait une grande
défiance de lui-même, une conviction profonde de son néant et de sa misère, de
plus une telle crainte des jugements de Dieu qu’il m’a dit lui-même :
« Quand j’y pense, je tremble tellement que je ne puis signer mon nom. Et
cependant je n’ai remarqué aucun découragement en lui ; il était aussi
ferme pour sa propre conduite que pour celle des autres. Plus il se sentait
pressé par le sentiment de sa misère et par la crainte des jugements de Dieu,
plus il se jetait dans les bras de la miséricorde infinie. (212) Je lui ai
entendu dire qu’il était bien triste de voir offenser le bon Dieu. Dans les
accusations qui lui était faites, il
éprouvait un sentiment semblable à celui d’un fils dont on aurait battu le père
ou la mère. La vue des belles âmes le consolait et lui faisait supporter toutes
les autres peines de son ministère. Le désir de s’unir plus intimement à Dieu
lui faisait souvent désirer la mort, mais sa pensée la plus habituelle était de
continuer à souffrir pour Dieu, à se dévouer pour les âmes.
Le
Serviteur de Dieu désirait ardemment aller dans la solititude, pour pleurer sa pauvre vie, comme il le disait. Il était
sans cesse préoccupé de la pensée d’obtenir la permission de satisfaire à ce
désir. Tout autre disait-il ferait aussi bien ou mieux que lui. Ce désir s’est
moins manifesté pendant les deux ou trois dernières années de sa vie. Je lui ai
entendu dire qu’il se reposerait en paradis, qu’il serait bien à plaindre s’il
n’y avait pas de paradis ; il ajoutait toujours, il y a tant de bonheur à
aimer Dieu dans cette vie que cela suffirait lors même qu’il n’y aurait pas de
paradis dans l’autre vie.
Au sujet de la charité : j’ai entendu des personnes dignes de foi parler de l’éducation si chrétienne qu’il avait reçu de sa mère. Elle lui disait quelquefois : Vois-tu, mon enfant, si je te voyais offenser le bon Dieu, cela me ferait plus de peine que si c’était un autre de tes frères ou sœurs. Il répondit aux soins de sa vertueuse mère, enfant et adolescent, il se fit remarquer par sa grande piété, ce fut là le mobile de sa vocation à l’état ecclésiastique. Il me paraît évident qu’avec les contrariétés qu’éprouva sa vocation, il ne l’aurait pas suivie s’il n’avait pas eu un grand amour pour Dieu. Des ecclésiastiques qui ont été au séminaire avec lui, et en particulier (213) Mr Tournier, Curé de Grand-Corent, m’ont dit qu’il se fit remarquer au séminaire par sa grande piété. Je sais par de nombreux témoignages que sa vie à Ecully, lorsqu’il y fut nommé vicaire, fut merveilleuse de piété et de mortification. La providence avait rapproché Mr Vianney d’un homme admirable par sa vertu, Mr Balley, dont le Serviteur de Dieu me disait lui-même, c’est la plus belle âme que j’aie connue.
Ma
famille avait une propriété dans la paroisse de Chaneins, voisine d’Ars. Les
domestiques nous rapportaient des merveilles de ce nouveau curé (c’était Mr
Vianney qui venait d’être nommé curé à Ars). L’amour de Dieu était si grand
chez lui qu’il paraissait dans tout son extérieur ; ce feu débordait de
son cœur, on peut dire que la passion de sa vie a été la divine
eucharistie ; il cherchait à la faire aimer des fidèles, les portant à la
communion fréquente, aux longues visites au St Sacrement.
Je
lui ai toujours vu dire son office à genoux et sans aucun appui ; je lui
ai vu jeter les yeux vers le tabernacle avec une expression de foi et d’amour
qui frappait tout ceux qui en étaient
témoins. J’ai déjà parlé de la manière singulièrement édifiante dont il disait
la messe. Une chose qui m’a beaucoup frappée, c’est qu’au milieu de la foule et
sous le regard de tant de personnes, il priait avec la même liberté d’esprit
que s’il eut été seul.
Le
curé d’Ars était admirable toutes les fois qu’il avait à parler sur l’amour de
Dieu ou sur le saint Sacrement ; il versait souvent des larmes, avait de
la peine à dominer son émotion. Bien des fois je lui ai entendu dire :
« Aimer Dieu, oh ! que c’est beau ! Il faut le ciel pour le
comprendre. La prière aide un peu, parce que la prière c’est l’élévation de
l’âme jusqu’au ciel. Plus on connaît les hommes, moins on les aime. C’est le
contraire pour Dieu, plus on le (214) connaît, plus on l’aime. Quand une fois
une âme a commencé à goûter l’amour de Dieu, elle ne peut plus aimer, ni
désirer autre chose. Il finissait souvent son catéchismes par ces mots : être aimé de Dieu, être uni à Dieu, vivre en
la présence de Dieu, vivre pour Dieu, oh ! belle vie et belle mort !
Voici une autre de ses paroles : si les damnés, tous les mille ans,
pouvaient aimer Dieu une minute, l’enfer ne serait plus un enfer, parce que
l’espérance de l’aimer pendant ce court instant suffirait pour adoucir toutes
leurs peines
En
parlant du St Sacrement il disait souvent : Oh Jésus ! vous connaître
c’est vous aimer. Si nous savions comme Notre Seigneur nous aime, nous
mourrions de plaisir. Je ne crois pas qu’il y ait des cœurs assez durs pour ne
pas aimer en se voyant tant aimer.
C’est si beau la charité ! c’est un écoulement du coeur de Jésus qui est
tout amour. Il y avait dans la manière dont il prononçait le nom de Jésus, et
dont il disait Notre Seigneur, un accent qui frappait tout le
monde. Quand il avait à parler des peines de l’enfer, il ne faisait ressortir
que celle de la privation de la vue de Dieu et de son amour. Il le faisait
d’une manière si saisissante que les paysans eux-mêmes, si peu sensibles
ordinairement aux choses spirituelles, en étaient profondément frappés.
Mr Vianney parlait d’une manière admirable des joies de la prière et de la vie intérieure, comme j’ai eu le bonheur de l’entendre. La prière disait-il, voilà tout le bonheur de l’homme sur la terre. Oh ! belle vie, belle union de l’âme avec Notre Seigneur ! L’éternité ne sera pas assez longue pour comprendre ce bonheur. La vie intérieure est un bain d’amour dans lequel l’âme se plonge. Dieu tient l’homme intérieur (215) comme une mère tient la tête de son enfant dans ses mains pour le couvrir de baisers et de caresses. On aime une chose à proportion du prix qu’elle nous a coûtée, jugez par là de l’amour que Notre Seigneur a pour notre âme qui lui a coûté tout son sang. Aussi est-il affamé de communication et de rapports avec elle.
(217) Session 16 – 14 janvier 1863 à 2h30
de l’après-midi
Sur
le dix-huitième interrogatoire et sur la charité le témoin continue à déposer
de la manière suivante :
Son
amour pour Dieu lui faisait obtenir des résultats merveilleux par le ministère
de la confession. Il parlait peu, mais ce qu’il disait touchait les âmes. Son
union avec Dieu était telle que rien ne pouvait l’en distraire (218) ni la
multiplicité des occupations, ni l’abord des nombreux pèlerins, ni les
questions si diverses et quelquefois si indiscrètes qui lui étaient adressées.
Dans sa conversation il ramenait tout vers Dieu par quelques réflexions
aimables et spirituelles. Les autres sujets de conversation lui étaient à
charge. Mais dans l’ordre des faits spirituels au contraire, tout
l’intéressait, l’impressionnait, le faisait tressaillir d’allégresse et le
comblait de consolation. Il revenait très souvent sur un sujet qui déchirait
son cœur, la perte des âmes. Cette pensée qu’il y aurait des hommes qui
mourraient sans avoir le bonheur d’aimer Dieu, lui faisait verser des larmes et
lui causait une amer douleur. Il
n’est arrivé à cette grande charité envers Dieu que par des épreuves que je
puis appeler inimaginables, ayant eu à souffrir et de la part des hommes et de
la part du démon des peines intérieures les plus vives et y ajoutant une
multitude de mortifications et de sacrifices volontaires.
Relativement à la charité envers le prochain, le témoin dépose ce qui suit :
Je sais par de nombreux témoignages qu’il a toujours été plein de charité, soit envers les pauvres pour les assister, soit envers les âmes pour les instruire et leur faire du bien. En possession de l’héritage de Mr Balley, il en fit promptement la distribution aux nécessiteux ; il distribuait même son linge personnel, si bien que les personnes qui s’intéressaient à lui ne lui en donnaient qu’au fur et à mesure de ses besoins pour lui ôter la possibilité de tout donner aux pauvres. Il ne se réservait rien pas même ce qui était nécessaire pour ses repas ; en sorte qu’un de ses paroissiens lui fournissait de temps en temps du pain pour sa subsistance. J’ai entendu dire qu’il avait fait le sacrifice d’une somme destinée à l’achat d’une soutane dont il avait le plus grand besoin pour venir au secours d’une personne (219) malheureuse. Il a même été jusqu’à vendre les ustensiles de la Providence.
Quelque
désagréables ou exigeant que fussent
les pauvres il était toujours pour eux d’une bienveillance et d’une grâce
particulière. Il était néanmoins d’une grande discrétion lorsqu’il s’agissait
de demander ou même de recevoir. Je lui ai offert un jour de participer à une
bonne œuvre. – Non, me dit-il, je ne veux point de votre argent, vous avez
assez affaire chez vous, néanmoins vous serez porté parmi les fondateurs. Il payait beaucoup de loyers en faveur de
pauvres honteux. Il avait tout vendu et à sa mort il ne lui restait rien ;
le prix de ces différents objets était distribué aux pauvres. Les meubles les
plus indispensables lui avaient été laissés en jouissance. Il aimait à porter
aux malades, aux pauvres différentes provisions, surtout à une vieille aveugle
à laquelle il laissait ignorer quelle était la main qui lui avait remis ces
objets ; elle croyait que c’était une voisine. Merci ma mie, disait-elle,
merci, et le bon curé riait beaucoup. Il distribuait tout ce qu’on pouvait lui
donner pour l’adoucissement de son régime. Dans les libéralités qu’il faisait,
il songeait au salut des âmes et il en a hasardé plusieurs dans cette
religieuse pensée. Quant aux exercices de la charité spirituelle, ils furent le
travail de toute sa vie ; il visitait ses paroissiens d’Ars, cherchant à
leur faire plaisir pour les gagner à Dieu et à Jésus-Christ. Il n’abordait
personne, pas même un enfant sans lui adresser une parole gracieuse dans
laquelle se cachait une secrète inspiration de la pensée de Dieu et du salut.
C’est dans ce but d’édification qu’il se montrait pour tous ses paroissiens
comme un père de famille, ne craignant pas de descendre dans les moindres
détails qui pouvaient les intéresser.
Les
prédications dans les commencement
lui coûtaient beaucoup quant à la préparation ; il y (220) consacrait
cependant beaucoup de temps, et se donnait beaucoup de peines. Les souffrances de la journée il les
offrait pour la conversion des pécheurs et celles de la nuit pour le
soulagement des âmes du purgatoire. Il avait demandé à Dieu de souffrir
beaucoup, souvent ses nuits étaient affreuses, il ne trouvait un peu de repos
qu’en se levant et s’appuyant contre un meuble. Un jour, un curé se plaignait à
Mr Vianney de ne pouvoir changer le cœur de ses paroissiens : vous avez
prié, répondit celui-ci, vous avez gémi, vous avez pleuré, mais avez-vous
jeûné, avez-vous veillé, avez-vous couché sur la dure, vous êtes-vous donné la
discipline ? Tant que vous n’en serez pas venu là ne croyez pas avoir tout
fait. Je tiens ce fait d’un ecclésiastique.
Il
gémissait continuellement sur la perte des âmes. Quel dommage, disait-il, que
des âmes qui ont coûté tant de souffrances au bon Dieu se perdent pour
l’éternité, qu’elles deviennent la proie du démon. Il a fondé des messes pour
la conversion des pécheurs ; il recommandait de prier à cette intention.
C’est la plus belle et la plus utile de toutes les prières. Les justes sont sur
le chemin du ciel, les âmes du purgatoire sont sûres d’y entrer, mais les pauvres
pécheurs, les pauvres pécheurs ! On lui demandait un jour : si Dieu
vous proposait d’aller au ciel à l’instant même, ou de rester sur la terre pour
travailler à la conversion des pécheurs, que feriez-vous ? Je resterai jusqu’à la fin du monde. Je crois que
c’est Mr Toccanier, missionnaire d’Ars, qui me l’a appris. C’est dans cette
pensée qu’il attachait tant de prix à l’œuvre des missions. Il m’a dit à
moi-même : on ne sait pas tout le bien que les missions opèrent ;
pour l’apprécier, il faudrait être à ma place, il faudrait être (221)
confesseur. Il en a fait lui-même et avec beaucoup de succès, dans le
commencement de son ministère ; il s’y acquit une grande réputation de
sainteté. Les personnes qui avaient eu le bonheur de l’entendre et surtout de
recevoir ses avis au saint tribunal, ne purent désormais se passer de sa
direction ; elles vinrent le trouver à Ars. Plus tard sa réputation se
répandant de proche en proche lui amena des personnes de tous les pays du
monde. On voyait dans la foule des personnes de toutes les conditions. On peut
dire que la vie de Mr Vianney, depuis cette époque se passait au confessionnal,
il y restait en moyenne une quinzaine d’heures par jour. Sur les dix-huit ou
vingt heures qui composaient sa journée de travail, il ne prenait que le temps
de réciter son office, de célébrer la Ste Messe et de faire à midi un semblant
de repas ; tout le reste du temps était employé au salut des âmes ;
il ne prenait jamais un seul jour de repos. C’était à une heure après minuit
qu’il se rendait à l’église pour entendre les confessions. Si matinal que fut Mr Vianney, les pèlerins l’avaient
déjà devancé, un grand nombre passaient la nuit à la porte de l’église,
attendant son arrivée.
Les deux motifs qui lui faisaient aimer le prochain se confondirent pour lui faire aimer entre toutes l’œuvre des établissements consacrés à recevoir les pauvres enfants. Il fonda une providence pour les jeunes filles ; cette œuvre (222) commença très pauvrement et sur les ressources personnelles du pauvre Curé. Il avait dans cette maison soixante enfants, aux besoins desquels il pourvoyait de toutes manières. Il avait placé trois pieuses filles à la tête de cet établissement. Il eut aussi la consolation de fonder une école gratuite pour les garçons, confiée aux frères de la Sainte Famille de Belley.
Baronne
de Belvey
(225) Session 17 – 15 janvier 1863 à 2h30
de l’après-midi
Sur
le dix-huitième interrogatoire, le témoin dépose ainsi au sujet de la
Prudence : J’affirme avoir entendu dire par des personnes dignes de foi
que dès sa plus tendre enfance il s’appliquait à la prière ; qu’il priait
très souvent, pour surmonter les obstacles qui s’opposaient à sa vocation, il
eut recours à la prière et à un pèlerinage comme je l’ai (226) déjà dit. Il
ajouta toujours la mortification à la prière comme moyen de sanctification,
soit pour lui, soit pour les autres. Au séminaire, d’après les témoignages que
j’ai recueillis de la bouche de ses condisciples, il édifiait tout le monde,
non seulement par sa piété, mais encore par l’abscence de la singularité et par le caractère aimable de sa
dévotion. Vicaire à Ecully, il sut tout en redoublant ses pratiques de piété et
de pénitence se rendre aimable envers tout le monde. Il était sévère pour
lui-même et doux pour les autres. Arrivé à Ars et trouvant la paroisse dans un
état déplorable, il commença par la prière, la pénitence, et chercha ensuite
les moyens de rallumer la foi et la piété parmi ses paroissiens, en
établissant, comme je l’ai dit, les confréries, la fréquentation des
sacrements, la prière du soir et se faisant tout à tous pour les gagner à
Jésus-Christ.
Pour
la destruction des abus il montra autant de zèle que de prudence. Je veux
parler surtout de la danse qu’il eut beaucoup de peine à supprimer ; il
n’y parvint que par sa prudence, par sa douceur secondant les efforts de son
zèle. Grâce à son zèle et à sa prudence le Dimanche qui était si souvent
profané dans sa paroisse avant son arrivée devint vraiment le jour su Seigneur .Les
communions étaient nombreuses, l’église ne désemplissait pas, aux offices qui
se succédaient à de courts intervalles, l’affluence était très considérable. Mr
Vianney faisait le catéchisme à une heure après midi ; on y assistait presque
comme à la messe. Les vêpres étaient suivies de complies. Après le chant de
(227) l’antienne à la Sainte Vierge, Mr le Curé présidait à la récitation du
chapelet à laquelle tout le monde prenait part. Au déclin du jour , la cloche
appelait pour la troisième fois les fidèles à l’église ; pour la troisième
fois la paroisse répondait à cet appel. Mr Vianney sortait alors de son
confessionnal, faisait la prière du soir, laquelle était suivie d’une de ces
touchantes homélies que je lui ai entendu faire avec tant de bonheur. Il aimait
a consulter son Evêque dans les
questions importantes et ne manquait pas de redoubler ses prières et ses
jeûnes. Il recourait aux mêmes moyens lorsqu’il avait quelque grâce
particulière à demander à Dieu, tel que la réforme d’un abus, une conversion
éclatante, etc. J’ai entendu dire qu’il se chargeait quelquefois d’une partie
de la pénitence des pauvres pécheurs qui s’adressaient à lui. Pour
l’établissement de la Providence, il compta sur les secours de Dieu qui ne lui
firent jamais défaut, mais en même temps, il engagea ce qu’il possédait afin de
mieux assurer cette établissement.
Pour l’école des Frères, il n’a rien brusqué, il a su attendre le moment
favorable et en confiant la maison à une congrégation religieuse, il a eu soin
de placer très convenablement l’ancien instituteur. Passionné pour l’œuvre des
missions diocésaines et en parlant incessamment, il savait attendre les moyens
et les ressources suffisantes pour en fonder une. Une chose remarquable c’est
qu’ayant fait tant de bonnes œuvres pendant sa vie, il n’ait pas contracté une
seule dette. Sa prudence lui fit préparer avec soin ses instructions dans les
commencements de son ministère ; il ne cessa que lorsque l’affluence des
pèlerins rendit ce travail (228) impossible et Dieu l’assistant d’une manière
spéciale dans les catéchismes qu’il faisait tous les jours et les homélies
qu’il donnait les dimanches et les fêtes.
Baronne
de Belvey
Sa prudence éclatait surtout au confessionnal, on ne saurait dire avec quel tact admirable il discernait et indiquait les besoins des âmes ce qui était précepte, ce qui était devoir et ce qui était conseil, l’attrait à suivre la mesure de perfection à demander à chacun. On venait de tous côtés lui demander conseil ; il avait un tact admirable pour rejeter ce qui était l’inspiration d’un zèle indiscret, l’affaire de l’amour propre, mais il encourageait les œuvres, les institutions, toute idée vraiment propre à procurer le salut et la sanctification des âmes.
Il
était d’une grande prudence dans sa conversation, la pente de son esprit et de
son cœur était de parler de Dieu, il y ramenait naturellement les conversations
qui paraissaient les plus étrangères. Il était très réservé pour les matières
politiques.
Pour
le fait de la Salette, Mr Vianney y crut d’abord, puis une affirmation
contraire de Maximin qui était venu lui parler à Ars, infirma ses convictions.
Il fut très prudent, évitant toujours de manifester son défaut de croyance et
cependant n’opposant aucun acte qui fut
contraire à sa pensée. Par exemple il évitait de signer de les images de Notre
Dame de la Salette. Il souffrit beaucoup à l’occasion de ce fait. Dieu à la fin
de sa vie permit qu’un incident extraordinaire lui rendit ses convictions sur
la vérité de l’apparition.
Mr Vianney n’était sensible, ni aux louanges ni aux mépris et se servait de ces occasions si diverses pour mieux remplir ses devoirs.
(229)
Sur la vertu de Justice pratiquée par le serviteur de Dieu, le témoin a déposé
de la manière suivante :
Il
avait une profond respect pour Dieu
et pour tout ce qui tient à l’honneur de son culte. Rien n’était trop beau pour
ce qui servait à la divine Eucharistie. Il était très exact à remplir tous les
préceptes de Dieu et de l’Eglise et il les faisait observer à ceux dont il
était chargé autant qu’il le pouvait.
Le
Serviteur de Dieu rendait aux hommes les devoirs qui leur sont dûs. Sa
politesse était pleine de cordialité ; on voyait qu’il ne l’avait pas
apprise du monde, mais de sa grande charité pour Dieu et le prochain. Il avait
pour tous le respect que l’on doit à des chrétiens ; il le témoignait par
ses actes et par ses paroles, et il le mesurait suivant la qualité des
personnes avec beaucoup de discernement et de convenance . Il était
pénétré du plus profond respect pour ses supérieurs ecclésiastique et surtout envers son Evêque. Il
donnait à ses confrères des marques particulières de respect ; il savait
très bien changer et élever au besoin les formules de son langage suivant la
condition plus élevée des personnes qui s’adressaient à lui.
Il
était particulièrement bon et compatissant pour les pauvres, pour les petits,
les malheureux, les infirmes, les pauvres pécheurs, plus on était à plaindre,
plus il témoignait d’affection et de bonté. On eut dit qu’il était le serviteur de ceux qui souffraient. Pour tout
le monde il était d’une prévenance pleine d’attention et de délicatesse, mais
surtout pour ses collaborateurs veillant sur eux avec une tendresse de père et
d’amis.
Baronne
de Belvey
Plein de reconnaissance pour ses parents (230) il les recevait avec cordialité et empressement et cependant évitait de leur donner le temps consacré à ses labeurs pastorales. Il avait gardé une profonde reconnaissance pour les habitants des Noës, et plus particulièrement pour la veuve Fayot qui lui avait donné l’hospitalité. La mémoire du vénérable Mr Balley lui fut toujours particulièrement chère, il m’en a parlé quelques fois avec un respect et une affection touchante qui m’ont vivement impressionnée. Il était presque extrême dans ses témoignages de reconnaissance. Pour le moindre service il remerciait. J’en ai des preuves personnelles.
Interrogé
sur l’obéissance du Serviteur de Dieu le témoin a répondu :
Je
sais par des témoignages dignes de foi que dans son enfance il faisait tout ce
que voulait ses parents donnant
l’exemple à ses frères et sœurs et obéissant souvent lui-même à leur place.
J’ai entendu dire qu’il avait édifié tous ses condisciples au séminaire dans
tout ce qui entraîne l’obéissance aux règlements, et je n’ai rien de
particulier à ce sujet. Son esprit d’obéissance l’a aidé à combattre ce violent
désir qui le portait vers la solitude. Relativement au fait de la conscription
militaire, il me paraît évident que malgré sa répugnance, malgré les scandaleux
exemples qui devaient affliger sa piété, il voulait la subir. Il fut détourné
par des causes extraordinaires et qui paraissent providentielles. Généralement
on regardait comme miraculeuse l’exemption dont il a été l’objet dans cette
circonstance. J’ajoute qu’on avait oublié de le porter sur les rôles de
dispensé, comme étudiant ecclésiastique, et qu’enfin un de ses frères,
moyennant (231) moyennant un avantage pécuniaire consentit par lui et à son détriment partit à sa place. Je termine en
ajoutant qu’il était empressé d’obéir, non seulement aux ordres, mais au
moindre désirs de ses supérieurs.
(233) Session 18 – 16 janvier 1863 à 8h30
du matin
Sur
le dix huitième interrogatoire, le témoin continue à répondre de la manière
suivante :
Sur
la vertu de Religion j’ai remarqué que tout ce qui se rapportait au culte et à
la gloire de Dieu, lui était particulièrement cher et précieux. Les reliques,
les images, les croix, médailles, chapelets, etc. (234) Je lui ai entendu parlé de l’eau bénite d’une manière si
saisissante que lorsque j’en prends ce qu’il disait alors me revient à la
mémoire. Il aimait la parole de Dieu , quelque fut la personne qui en fut
l’interprète, il l’écoutait avec une respectueuse et vive attention. J’ai déjà
dit ce qu’il avait fait pour l’embellissement de son église, et pour le culte
de Dieu. J’ai dit aussi que sa dévotion particulière était celle du très St
Sacrement.
Pour
les pratiques de dévotion Mr Vianney aimait et respectait toutes celles qui
sont en usage dans l’Eglise, à tel point que l’on eut dit que lorsqu’il parlait de l’une d’entre elles, elle lui était
plus particulièrement chère que les autres. Il était du tiers ordre de St
François et de plusieurs autres confréries. J’ai copié sur son bréviaire les
scènes de la passion qu’il avait attachées aux différentes parties de l’office
divin. A Matines, il honorait l’agonie de J.C. au jardin des olives ; à
Laudes sa sueur de sang ; à Prime, sa condamnation ; à Tierce, le portement
de sa croix ; à Sexte, son crucifiement ; à None, sa mort ; à
Vêpres, sa descente de la croix ; à Complies, sa sépulture. Je lui ai
entendu recommander la pratique des diverses intentions pour chaque jour de la
semaine. Le Dimanche, la Ste Trinité, le Lundi, au St Esprit, etc..
Il
avait une grande dévotion à la Ste Vierge, cette dévotion avait commencé dès
son plus bas âge. Tout petit enfant il avait une statue de Marie qu’il
affectionnait et portait toujours avec lui. Devenu prêtre et Curé d’Ars, il
aimait à dire la Ste Messe à l’autel de Marie, il n’y manquait jamais le
samedi. J’ai entendu dire qu’il avait ce jour là une intention spéciale en
l’honneur de la Ste Vierge. Tous les soirs à la prière (235) à la prière,
il récitait le chapelet ; dans les premières années, le chapelet
ordinaire, et plus tard celui de l’Immaculée Conception. Aux heures marquées
par l’horloge, il s’interrompait même en chaire pour dire un Ave Maria suivi de
ces paroles : Bénie soit la très pure, très sainte et Immaculée Conception
de la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu. Cette pratique était devenue
générale dans la paroisse, c’était à cause d’elle qu’il attachait beaucoup de
prix à l’horloge de son église, et souffrait lorsqu’elle ne sonnait pas.
Avant
la proclamation du dogme de l’Immaculée conception cette croyance lui était
extrémmement chère. Je l’ai entendu
prononcer un discours quelques jours avant la définition du dogme lorsque tout
d’ailleurs semblait annoncer ce grand événement, il était transporté de
joie ; il rappelait tout ce qu’il avait fait pour Marie Immaculée, la
chapelle qu’il lui avait dédiée, la statue placée au frontispice de son église.
Il engagea ses paroissiens à consacrer, par l’achat d’un magnifique ornement,
le souvenir de ce grand événement, et il fit frissonner tout son auditoire
lorsqu’il dit en terminant son discours : Pour moi si je pouvais me vendre
pour donner quelque chose à la Ste Vierge, je me vendrai. Déjà depuis longtemps il avait consacré sa paroisse à la Vierge
Immaculée. Il avait su donner un éclat et une solennité particulière aux fêtes
de la Ste Vierge, le concours de ses paroissiens et des pèlerins étaient alors plus nombreux. On voyait du
reste partout dans le village, dans les maisons l’image de la Mère de Dieu, sa
médaille était appliquée aux portes des maisons. J’ai entendu raconter le
pèlerinage qu’il fit à Fourvières avec sa paroisse ; il y dit la messe
(236) et presque tous ceux qui l’avait
accompagné eurent le bonheur de communier. Un tableau commémoratif de ce pèlerinage
et de la consécration de sa paroisse à Marie Immaculée se voit encore dans
l’église d’Ars. Il recommandait beaucoup la dévotion au Saint Cœur de Marie et
faisait faire très souvent aux personnes qui le consultait ou recouraient à lui des neuvaines à ce saint cœur. Je l’ai
entendu parler bien souvent de la dévotion à la Ste Vierge dans ses
instructions de la manière la plus persuasive et la plus touchante. Il parlait
des saints comme de protecteurs et d’amis ; on eut dit qu’il avait vécu avec eux à la manière dont il racontait les
détails de leur vie, ses instructions étaient pleines de traits de la vie des
saints. Dans ses moments de grandes souffrances, un soulagement pour lui était
la lecture de la vie des saints. Un des plus beaux présents qu’on pu faire, à son avis, était celui d’une
relique. Parmi les saints il avait une affection particulière pour ceux qui avait soigné la Ste Vierge, St Joseph et
St Jean l’Evangéliste, ceux qui avaient le plus aimé Notre Seigneur et souffert
pour lui : St François Régis, St François d’assise, Ste Thérèse, etc.
Il
avait voué un culte particulier à Ste Philomène, il l’appelait sa chère petite
sainte. Il indiquait des neuvaines en son honneur pour les faveurs temporelles
qu’on désirait obtenir de Dieu. Il mettait sur le compte de Ste Philomène les
grâces extraordinaires obtenues dans le pèlerinage d’Ars. Il a beaucoup
contribué à faire connaître Ste Philomène et à la faire honorer, soit dans nos
contrées, soit dans tout le reste de la France.
Il
avait une grande dévotion pour les âmes du purgatoire, il offrait pour elles
toutes ses insomnies et ses cruelles souffrances de nuit.
Sur
l’oraison du serviteur de Dieu le témoin a déposé que son union à Dieu était
continuelle que (237) tout le ramenait à Dieu ; il n’y avait rien
d’extraordinaire dans son maintien qu’un grand air de recueillement de
piété ; s’il désirait si vivement la solitude c’était pour se livrer plus
entièrement à son goût pour la prière. Le temps libre qu’il passait dans sa
chambre était consacré en grande partie à l’oraison. Son oraison était plutôt
affective que consacrée à des réflexions ou à des raisonnements.
Sur
la Force du Serviteur de Dieu, le témoin a déclaré qu’on ne peut pas se faire
une idée de tout ce qu’a souffert le Curé d’Ars et de la manière courageuse
dont il a supporté toutes les peines et les tribulations que Dieu lui envoyait.
C’est une belle chose d’être saint, mais il en a bien coûté au Curé d’Ars. Il
avait beaucoup d’infirmités dont plusieurs tenaient à ses pénitences et à sa
vie mortifiée. Il était sujet à des maux d’entrailles, des douleurs de tête, à
une toux très fatiguante, à une
hernie qui lui causait par moment les plus cruelles souffrances et toutes fois rien dans sa conversation et
dans les fonctions de son ministère ne trahissait les douleurs qu’il éprouvait.
Un jour, je l’ai vu sortir éprouvant d’atroces coliques et revint à l’église
peu de temps après et fit la prière sans vouloir même s’appuyer.
Je
sais qu’il est allé visiter des malades malgré un état de grande
souffrance ; il dormait à peine une ou deux heures par nuit et bien
souvent ces courts moments de sommeil étaient ils interrompus. Dans les
derniers temps de sa vie, il prenait quelques instants de sommeil après son
repas, douze ou quinze minutes à peine. Il semblait reprendre de nouvelles
forces lorsqu’elles devenaient nécessaires pour remplir les fonctions de son
ministère, pour répondre aux besoins du pèlerinage .On ne saurait se faire
une idée de la souffrance que lui causait en hiver le froid, auquel il était
très sensible, et contre lequel il ne voulait prendre aucune précaution. En
été, la chaleur qui était insupportable dans une église si petite et encombrée
de monde.
La
patience du serviteur de Dieu a été admirable dans les nombreuses contradictions
et persécutions qu’il a éprouvées. On peut dire que pendant longtemps tout le
monde a été contre lui. Plus longtemps encore qu’il n’a point trouvé dans son
entourage des volontés qui se pliassent à la sienne sauf une ou deux
exceptions. Sous différents prétextes, on contrariait de mille manières le
Serviteur de Dieu. Pendant plusieurs années un auxiliaire lui avait été donné,
il se croyait appelé à diriger en toute (238) chose le serviteur de Dieu. Il
n’aurait pas voulut qu’il fit une
aumône sans son autorisation, ainsi du reste. Il est incroyable tout ce que le
bon curé a souffert de la part d’un homme qu’il aimait, qu’il défendait au
besoin contre l’animadversion de ses paroissiens ; il rendait justice à
son zèle à la pureté de ses intentions ; mais la divergence de vue et la
rudesse des manières lui ont rendu ce concours extrêmment pénible. Malgré cela il en faisait l’éloge en toute
circonstance, il m’a défendu et a défendu à d’autres personnes de parler de sa
conduite à l’Evêque de Belley et toutes les fois que le prélat manifestait
l’intention de changer cet ecclésiastique, Mr Vianney s’y opposait. Le Curé
d’Ars disait que cet ecclésiastique lui rendait service en lui faisant
connaître ses défauts.
Dans
le commencement de son ministère il fut en butte à beaucoup de contradictions
de la part de ses paroissiens. On chercha à le décrier jusque dans ses mœurs,
cependant la calomnie tomba d’elle-même. Les ecclésiastiques furent longtemps
avant de rendre justice à leur pieux confrère ; ils préchaient contre lui le traitant d’exagéré, d’imprudent, d’ignorant.
Ils sont allés jusqu’à faire des démarches auprès de l’autorité ecclésiastique
pour demander son changement. La malveillance contre lui s’étendait au loin et
arrivait jusqu’à lui sous diverses formes, des propos, des lettres, charivari,
affiches, etc. On se fera une idée des souffrances et de la patience du bon
curé par le propos suivant ; il me disait l’année même de sa mort :
si j’avais su en arrivant à Ars, tout ce que j’y devais souffrir, je serai mort
sur le coup. Pour avoir un droit particulier à sa bienveillance, ses
paroissiens avaient remarqués et ce
sont eux qui me l’ont dit, qu’il suffisait de chercher à lui faire quelque
peine, quelque humiliation.
Il
était facile de se convaincre après avoir vu quelque temps, Mr Vianney, qu’il avait dû beaucoup combattre pour pratiquer et
acquérir la patience, il était très sensible, d’un tempéramment très vif. Un des traits les plus extraordinaires de sa
patience et qui était cependant journalier, c’était de répondre toujours avec
calme et douceur à toutes les personnes qui venaient à lui, qui le pressaient
et le harcelaient de toutes parts et de toutes manières. De pieux fidèles
organiserent d’eux-mêmes un service
de régularité autour du bon curé, lui n’eut jamais que sa patience pour
répondre à toute les exigences dont il était l’objet. (239) J’ai vu une
personne revenir plusieurs fois le même jour pour obtenir de lui quelque chose
qu’il ne voulait pas accorder. Elle y mettait une obstination dépourvue de
toute convenance et par là même très irritante. Mr Vianney n’a pas cédé ;
mais sa fermeté n’a eu d’égal que sa douceur, et chaque fois qu’elle
l’abordait, il la recevait comme si c’eut
été la première fois.
(241) Session 19 – 16 janvier 1863 à 3h
de l’après-midi
Au
dix-huitième interrogatoire, le témoin continue à déposer sur la vertu de
patience du serviteur de Dieu de la manière suivante :
Une
des plus grandes de Mr Vianney a été la transformation de la Providence ,
il aimait cette maison parce qu’elle était consacrée à de pauvres
enfants ; il y allait souvent, il les mettait en prière pour les grâces
qu’il voulait obtenir (242) de Dieu et il disait dans ces cas qu’il était
toujours exaucé, mais d’un autre côté cet établissement était en défaveur
auprès de l’autorité académique qui ne trouvait pas l’instruction assez
complète. Plusieurs paroissiens avaient de la peine à voir leurs enfants avec mêlés des filles que la charité
recueillait et entretenait. Peu de personnes se préoccupaient de l’avenir de
cette fondation lorsque Mr le Curé viendrait à manquer. Mr Perrodin supérieur
du grand séminaire préoccupé de ces diverses difficultés et porté pour les
sœurs de St Joseph qu’il avait occupé
à la fondation d’une Providence qui avait parfaitement réussie dans la ville de Bourg, fit des
démarches réitérées auprès de Mr Vianney pour le déterminer à céder
l’établissement aux sœurs de St Joseph. Après avoir résisté longtemps, il crut
devoir céder aux instances de Mr Perrodin. La Providence ne fut plus qu’une
école gratuite pour les enfants de la paroisse. Le bon curé regretta toujours
la première institution, mais il supporta cette peine avec beaucoup de courage
et de patience ; il en parlait en souriant, quoique son cœur fut déchiré. Dès lors il dirigea ses
ressources et tourna son cœur du côté de la fondation des missions.
Sur
la Tempérance, le témoin interrogé a répondu dans les termes suivants :
Je
sais par des personnes dignes de foi que quand il étudiait à Ecully et étant
nourri chez sa cousine, il se fâchait contre elle lorsqu’elle mettait dans sa
soupe du beurre ou autre assaisonnement. Habituellement il ne mangeait que sa
soupe quoique son tempéramment sembla exiger plus de nourriture.
Vicaire
à Ecully il redoubla ses mortifications ce que faisait en ce genre Mr Balley et lui était quelque chose d’effrayant.
Lorsqu’il
fut arrivé à Ars, il étonna tout le monde par sa vie mortifiée, un peu de pain
quelques pommes de terre cuites pour huit jours, un peu de lait c’était toute
sa nourriture. Il était même bien rare qu’il voulut accepter du lait. Mr le Curé n’avait point de domestique, une
bonne veuve nommée Claudine Renard avait reçue (243) de mademoiselle d’Ars une vache à la condition qu’elle
donnerait du lait à Mr le Curé ; malgré ses vives instances et ses
désolation, Mr le Curé acceptait très
rarement ce qu’elle lui offrait. Il couchait sur une paillasse qu’il
dégarnissait de temps en temps lorsque des personnes préoccupées de sa santé en
avaient renouvelé le contenu ; il mettait sur cette paillasse une planche
pendant son sommeil. Il aimait à manger le pain des pauvres et pour cela il
achetait à de pauvres mendiants le pain qu’ils avaient reçu. Il lui est arrivé
d’aller sa marmite à la main chercher quelques pommes de terre chez ses
voisins. Il est resté plusieurs jours sans prendre de nourriture ; il a
même essayé de se passer de pain et de vivre d’herbes crues ; mais les
forces lui manquèrent. Dans les commencements, il faisait quelquefois lui-même
son ordinaire, consistant en deux ou trois matefaims faits avec un peu de
farine délayée dans l’eau et passés à la poêle, il ne buvait que de l’eau. Son
jeûne était si rigoureux qu’il lui enlevait ses forces et qu’il pouvait à peine
se traîner dans son église. Pendant longtemps il n’a rien pris qu’à midi et
encore son repas était très exigu, un peu de lait, quelques miettes de pain ou
une pomme de terre. Dans les dernières années de sa vie on obtint qu’il prit quelque chose le matin et jamais il
ne prit rien le soir. Son repas de midi ne durait pas deux minutes. Tout ce
qu’on lui apportait, lorsqu’il jugeait à propos de l’accepter, était presque
toujours distribué aux pauvres. S’il a fait quelque trêve à ses habitudes si
extraordinaires de mortification, c’était à l’occasion de quelques rares visites
de parents ou de confrères. Ce ne fut que par obéissance, que vers la fin de sa
vie, il adoucit un peu son austère régime ; ses supérieurs l’avaient exigé
parce qu’il semblait à bout de force.
Mr
Vianney faisait usage de la discipline, on m’a dit qu’il les brisait sur lui et
on m’en a donné un morceau en métal qui avait été trouvé dans sa chambre. J’ai
entendu dire qu’il commanda un jour au maréchal du village une chaîne d’une
grosseur extraordinaire pour en faire une discipline ; pour la faire faire,
il eut soin de donner le change à l’ouvrier. Il se mortifiait en toutes choses,
ne pas s’apercevoir d’une mauvaise odeur, ne pas boire quand il avait soif,
rester (244) immobile au confessionnal pendant des heures entières, même
pendant les froids les plus rigoureux. A la fin de sa vie, il repoussa et mit
en pièce un coussin qu’on avait placé sur le banc de son confessionnal. Une
parole qu’il m’a dite, m’a fait juger qu’il était insatiable de mortification.
Jamais disait-il, il ne faut aller jusqu’au bout de ses désirs en fait
d’austérités et de pénitences.
Sur
la vertu de Pauvreté, le témoin dépose ainsi :
Il
n’a jamais songé à lui-même, il a presque toujours vécu de ce qu’on lui
donnait ; ces meubles comme j’ai
déjà dit, ne lui appartenaient plus, il les avait vendu. Sa chambre était pauvre et délabrée ; un misérable lit,
quelques rayons de bibliothèque portaient ses livres, une armoire et une table
avec quelques images pieuses grossièrement encadrés pour la plupart. Voilà tout ce qu’on y voyait. C’était la seule
chambre du presbytère où il y eut
quelques meubles. J’ai vu dans la cheminée de la cuisine près du potager une
ronce qui avait poussé de vigoureux rejetons, elle a été malencontreusement
coupée par un conseiller municipal qui se préoccupait de la réputation que
ferait à la paroisse d’Ars la vue d’un pareil parasite.
Naturellement
il aimait l’ordre et la propreté et cependant il ne portait qu’une soutane
usée, un vieux chapeau, des souliers rapiécés et il n’avait que la paire qu’il
portait aux pieds. Il a reçu beaucoup d’argent dans sa vie, mais il avait pour
tous les biens du monde un profond mépris et un grand détachement, cet argent
reçu, il l’employait immédiatement en bonnes œuvres et surtout pour la
fondation d’une mission. Il brûla un jour par mégarde un billet de banque et il
dit en souriant de cette occasion : « il y a moins de mal a cela que si j’avais commis le plus
léger péché véniel. La simplicité et la modestie ont brillé d’une manière
particulière pendant toute la vie du Curé d’Ars. Ces deux vertus semblaient le
revêtir de la tête aux pieds. Chez le Serviteur de Dieu point (245)
d’ostentation ; rien de contraint ni d’affecté, rien absolument de l’homme
qui veut paraître. Une simplicité d’enfant, un mélange d’abandon, de candeur,
d’ingénuité, de grâces naïves qui se combinant avec la finesse de son tact et
la sureté de son jugement donnait un
charme inexprimable à sa conversation et à toute sa conduite. On se sentait
attiré à lui par ces deux aimables vertus, comme j’en ai été témoin bien des
fois.
Sur
l’humilité du Serviteur de Dieu, le témoin a déposé de la manière
suivante : Il était profondément humble. Je suis persuadé que les pratiques de pauvreté dont
j’ai parlé tout à l’heure, par exemple d’aller chercher sa nourriture porter des
habits pauvres tenaient surtout à son humilité. Aux plaisanteries qu’on faisaient sur son compte dans les conférences
ecclésiastiques, il répondait : « c’est assez bon pour le Curé
d’Ars .
Il
aimait l’abjection et le mépris ; il en était aussi avide que les
orgueilleux le sont des louanges. Dans le confessionnal il parlait correctement
le français, j’en ai la preuve par moi-même, tandis que dans ses catéchismes il
semblait affecter de faire quelques fautes, surtout lorsqu’il y avait des
personnages plus considérables ; Pour
la louange, au contraire, il paraissait peiné profondément.
Quand
il fut nommé chanoine honoraire (246) Monseigneur Chalandon le revêtit lui-même du camail ; cette
marque d’honneur lui fit une peine extrême, tout le monde s’en aperçu ; on eut dit qu’il entendait sa sentence de mort. Nommé chevalier de la
légion d’honneur par le gouvernement il en fut très étonné, ne voulut jamais
porter la décoration et la donna immédiatement à Mr Toccanier. Tout témoignage
d’estime le froissait au milieu de ces foules si empressées autour de lui, il
paraissait indifférent à tout hommage et ne songeait qu’à satisfaire aux
différentes fonctions de son ministère. On eut
dit qu’il n’était pour rien dans tout ce mouvement qui s'opérait autour de lui.
Je serai porté à croire qu’il était tellement pénétré de la pensée de son néant
qu’il n’éprouvait pas même la tentation d’orgueil ; et je m’expliquerai sa profonde humilité par les deux
considérations suivantes ; la première, la conviction de sa misère et de son
néant, car il me disait un jour au confessionnal : Ma fille, ne demandez
pas à Dieu la connaissance entière de votre misère ; je l’ai demandé un jour et obtenue ; sans une
grâce spéciale de Dieu, je serais tombé à l’instant même dans le désespoir. La
seconde chose qui à mon avis maintint le Curé d’Ars dans une humilité si
profonde fut cette tentation de désespoir , qui revint si souvent dans le cours
de sa vie.
(247)
Je désire ajouter ce dernier trait sur l’humilité du Serviteur de Dieu :
quand il éprouvait quelque humiliation, même en face, il était gai,
souriant ; on ne voyait pas la moindre rougeur sur son visage, pas le
moindre embarras, pas la moindre émotion.
(249) Session 20 – 17 janvier 1863 à 9h
du matin
Sur
le dix-huitième interrogatoire, le témoin dépose ainsi sur la
chasteté :J’affirme que Mr Vianney a toujours montré une grande
prédilection pour cette vertu. Il était facile à le voir en l’écoutant dans ses
catéchismes et en le suivant dans toute sa conduite. Lorsqu’il fut nommé Curé
d’Ars, au lieu (250) d’imiter ses confrères et de suivre l’usage général du
pays en prenant à son service une personne du sexe, il crut devoir s’en passer
et préparer lui-même ses aliments, mettre l’ordre dans son presbytère.
J’affirme que si quelques fois des personnes du sexe s’introduisaient dans le
presbytère pour déposer des provisions ou veiller à la propreté, c’était
toujours en l’absence de Mr Vianney, qui du reste n’aimait pas qu’on lui rendit service. J’affirme que ces personnes
étaient connues de tous pour leur grande piété et que leur manière d’agir n’a
jamais éveillé aucun soupçon. Dans le temps où Mr Vianney était en butte aux
contradictions, si quelques-uns ont osé le calomnier sur le rapport des mœurs,
la calomnie était tellement évidente qu’on ne les a pas crus. Les personnes qui
l’ont approché de plus près ont été convaincues qu’il n’avait jamais connu le
mal et que même il n’avait pas été tenté sous le rapport de la sainte vertu. Je
le tiens de ces personnes elles-mêmes.
Sur
le dix-neuvième interrogatoire, le témoin répond ainsi :
J’affirme
que le Serviteur de Dieu a pratiqué toutes les vertus dont j’ai parlé au
degré héroïque. J’affirme même que la lecture de la vie des saints ne m’avait
pas donnée une aussi grande idée de
la sainteté que l’ensemble de la conduite de Mr Vianney.
Interrogé
ensuite sur ce qu’il entend par vertu héroïque, le témoin répond :
J’entends
par vertu héroïque une vertu qui est plus qu’ordinaire ; mais j’affirme
que Mr Vianney a pratiqué ces vertus dans un degré d’héroïcité très
élevé ; les raisons et les faits que j’ai allégués le démontrent assez.
J’affirme enfin que le serviteur de Dieu a persévéré jusqu’à la mort dans la
pratique des vertus au degré héroïque, (251) qu’il ne s’est jamais relâché de sa ferveur et qu’il n’a jamais
rien fait qui ai pu ternir l’héroïcité de ses vertus.
Sur
le vingtième interrogatoire, le témoin dépose :
J’affirme
que le Serviteur de Dieu a été comblé de dons extraordinaires.
Je
dis 1° qu’il a eu le don des larmes. On le voyait ordinairement verser des
larmes lorsqu’il célébrait le Saint Sacrifice, lorsqu’il faisait ses prières et
très souvent lorsqu’il entendait les confessions ; il en était venu au
point de ne pouvoir parler dans ses catéchismes, ses instructions, sur l’amour
de Dieu, le St Sacrement, la passion de Notre Seigneur, le bonheur du ciel, du
malheureux état des pauvres pécheurs, sans verser d’abondantes larmes.
J’affirme
2° que le Serviteur de Dieu lisait au fond du cœur. J’en ai eu des preuves
personnelles. Une fois entre autre, dans les premières années, je n’osais lui
parler d’une chose qui me causait une vive peine ; dans la crainte qu’il
ne me comprit pas bien, et que sa
décision jeta un trouble indicible
dans mon âme, que personne ne put
calmer, parce que personne ne possédait au même degré ma confiance ; comme
il ne s’agissait pas d’une accusation en confession, après bien des hésitations
je résolus de me taire et j’entrais
au confessionnal ; quel ne fut pas mon étonnement lorsque Mr le Curé
répondit à ma pensée, comme aurait eu peine à le faire une personne à laquelle
j’aurais exposé la chose fort en détails. Lorsque je m’adressais à lui pour la première fois, on me
défendit de lui faire une confession générale ; je n’eus pas l’idée de lui
faire connaître entièrement mon âme, les grâces que j’avais reçu, etc. j’ai pu constater bien des fois
qu’il était au courant de tout et il dit un jour sur moi à une dame de mes
amies, une chose concernant une grâce que j’avais reçue, dont je ne lui avais
pas (252) parlé. Malgré mes demandes il n’avait jamais voulu m’aider à faire
mon examen en confession. Tout à coup il me questionnait sur quelques péchés,
c’était toujours sur des fautes ignorées ou oubliées, tellement qu’à la fin
lors même que le souvenir ne m’en revenais
pas aussitôt, je n’osais pas nier, sûre que plus tard je verrai que ce n’était pas sans motif qu’il
m’avait fait ces questions. Beaucoup de personnes m’ont attesté qu’il avait eu
sur elles le même genre de lumières surnaturelles. Une personne eut un jour le
malheur de lui taire un péché en confession ; il lui dit : vous me
trompez mon enfant et c’est bien mal ; vous reviendrez une autre fois et
il ferma la grille. Cette personne fut si bouleversée qu’elle ne put s’empêcher
de le dire à une dame pieuse que je connaissais beaucoup et de qui je tiens
directement ce fait. Un homme de ma paroisse que Mr le Curé d’Ars ne pouvait
pas connaître alla se confesser à lui ; il lui parla de ses deux filles,
sans que le pénitent lui en eu rien
dit. Je tiens ce fait de la personne qui avait accompagné à Ars l’homme dont je
parle. Un autre homme ayant reçu une commission pour Mr le Curé d’Ars vint la
lui faire à la sacristie. Il y a bien longtemps que vous ne vous êtes pas
confessé, lui dit le bon Curé ; une quarantaine d’années répondit l’autre.
Non, mon ami, il y a quarante quatre ans. Il y a quelque chose qui ne va pas
bien dans votre conscience, ajouta-t-il en fondant en larmes. Ce pauvre pécheur
fini pas se convertir. Je tiens le
fait d’une de mes parentes qui était présente.
J’affirme
3° qu’il a annoncé des choses futures. Il m’a prédit plusieurs fois des
événements politiques ; notamment ceux de mil huit cent quarante huit et
années suivantes. Il me dit entre autre une fois : ne vous inquiétez pas
il n’y aura rien dans nos pays ; beaucoup de sang sera versé ailleurs,
surtout dans les grands centres. (253) En mil huit cent quarante huit, mon
neveu était au petit séminaire des minimes à Lyon : on faisait courir
beaucoup de bruit contre cette maison et sa destruction paraissait imminente.
Je lui faisait part de nos craintes : Non, dit-il, il n’y aura rien. Et
l’événement confirma la prédiction. Il m’a prédit une grave maladie qui a duré
cinq ans et il me fit dire dans le courant de la maladie que je ne mourrais
pas. Je lui demandais un jour si je devais quitter Ars, ou si je pouvais y
rester ; les nouvelles de ma famille, en particulier de ma mère, étant
toutes fraîches et très bonnes ; il me dit de partir. Etonné de cette réponse, je lui fis quelques observations ;
d’autres personnes lui en firent également, il répondit d’un ton très
affirmatif que je devais partir. En arrivant chez moi j’appris que ma mère
venait de tomber malade. Ma sœur était malade ; on priait beaucoup à son
intention ; je lui demandais ce
qu’il adviendrait d’elle. Il me répondit : elle mourra, mais elle ira
droit au ciel. Mon beau-frère était inconsolable de la mort de sa femme ;
je le disais à Mr le Curé, qui me répondit d’une manière très ferme qu’il se
remarierait. Mademoiselle Hedwige Moizin de Bourg, avait une vocation très
prononcée pour la vie religieuse. Sa famille y mettait opposition ; elle
faisait part à Mr le Curé de ses désirs et de son chagrin. Celui-ci lui dit les
choses les plus consolantes et lui dit que ses peines finiraient dans un
an ; à la fin de l’année elle était morte. Une fille de ma paroisse était
infirme et voulait se placer parce que sa mère la rendait malheureuse et que
d’ailleurs elle n’avait pas besoin d’elle. Elle consulta Mr le Curé qui lui dit :
Non ma fille, votre mère a besoin de vous, et peu de temps après la mère tomba
malade et mouru.
4°
Je suis convaincu qu’il a eu des
visions ; je l’étais déjà avant qu’il me raconta le fait suivant : a
l’occasion de la construction d’une nouvelle église (254) en l’honneur de Ste
Philomène, il me dit un jour : j’étais en peine de connaître la volonté de
Dieu sur cette entreprise qui me contrarie. J’ai demandé a être éclairé à ce sujet. Ste Philomène m’est apparue dans un
nuage blanc environnée de lumière ; elle m’a dit par deux fois : tes
œuvres sont plus parfaites que les siennes. Dans la pensée de Mr le Curé, la
sainte voulait parler de Mr Toccanier qui désirait vivement la construction de
la nouvelle église ; pour lui il désirait employer l’argent à la fondation
de nouvelles missions.
J’affirme
5° que le Serviteur de Dieu a opéré des guérisons extraordinaires et
miraculeuses. Dans les premiers temps que j’étais à Ars, j’ai vu porter par son
père un enfant d’une sixaine d’années, qui était muet et dont les jambes
étaient comme du coton ; il ne pouvait ni se soutenir ni marcher. Mr
Vianney leur conseilla de faire une neuvaine à Ste Philomène ; le
troisième jour, le Serviteur de Dieu dit la messe à cette intention à l’autel
de Ste Philomène. Après la messe l’enfant se mit à marcher. Je suis sorti de l’église pour m’assurer plus
parfaitement du fait. Je l’ai vu traverser toute la place marchant à côté de
son père. Je partis d’Ars avant lui : j’ai su après qu’il avait recouvré
l’usage de la parole. J’ai entendu parler de beaucoup de guérisons
extraordinaires. Mr Vianney attribuait ces guérisons à Ste Philomène.
Je
tiens des habitants d’Ars, de Mr Perrodin, supérieur de grand séminaire de
Bourg, et de Mgr Devie, évêque de Belley, le fait de la multiplication du blé
au grenier de la cure. Il n’y avait presque plus de blé, le lendemain lorsqu’on
le visita sur l’ordre du Curé, le grenier était comble, la quantité était telle
qu’il est vraiment extraordinaire que les poutres en mauvais état ait pu supporter un pareil poids. J’ai
entendu raconter à Mgr Devie, qu’un jour voulant s’assurer du fait et se
trouvant au grenier sous prétexte de visiter la cure, il indiqua au Curé avec
sa main une (255) certaine hauteur : le blé après la multiplication venait
jusque là : non, Mgr, il venait jusque là, répondit le Curé et il
indiquait une plus grande hauteur. J’ai su comme toute la paroisse d’Ars que la
farine s’était multipliée d’une manière miraculeuse au moment où on la
pétrissait. Ces deux miracles ont eu lieu en faveur de la Providence.
(257) Session 21 – 17 janvier 1863 à 3h
de l’après-midi
Sur
le vingtième interrogatoire, le témoin continue à déposer ainsi :
Il
avait un don merveilleux pour convertir les pécheurs, pour consoler les âmes
affligées ; on ne pouvait aller à Ars sans entendre parler de nombreuses
conversions : c’étaient des pécheurs de vingt ans, de trente ans, de
quarante ans qui étaient revenus à Dieu par le ministère du bon Curé. (258) Le
nombre en est si considérable que les détails se confondent dans mon esprit.
Sur
le vingt unième interrogatoire, le
témoin répond :
Je
ne connais de lui que trois ou quatre prières qui ont été imprimées dans le
guide des âmes pieuses. Mademoiselle Catherine Lassagne les avait écrites sous
la dictée de Mr le Curé. Mademoiselle Ricottier doit avoir quelques
instructions manuscrites, ainsi que les Frères de la Ste Famille à Ars ;
tout cela est complètement inconnu du public.
Sur
le vingt deuxième interrogatoire, le témoin répond :
Il
est tombé malade à Ars le vingt neuf juillet mil huit cent quarante neuf, et il
mourut le quatre août suivant à deux heures du matin. La maladie tenait surtout
à un épuisement de forces aggravé par un toux très violente et une très forte
dysenterie. Il a prédit sa mort en
disant qu’il ne se servirait qu’une fois d’un beau ruban donné pour supporter
l’ostensoir à la procession du St Sacrement. Je tiens ce détail de Mademoiselle
Catherine Lassagne. D’autres personnes à Ars m’ont dit qu’en signant son mandat
de traitement au mois de juillet, il dit que ce serait le dernier et que
l’argent servirait pour ses funérailles. Peu de temps avant sa mort, il me dit
qu’il ne fonderait presque plus de missions. Dans ses instructions du mois
de Mai, il revenait continuellement sur la pensée de sa mort. Plus tard dans
une instruction du Dimanche soir à laquelle il avait convoqué spécialement les
hommes de sa paroisse, il leur dit : Moïse avant de mourir réunit le
peuple de Dieu pour leur rappeler les bienfaits qu’ils avaient reçus du Seigneur
pendant qu’il les avait conduits. Je vous réunis de même aujourd’hui pour vous
rappeler les grâces que vous avez reçues de Dieu pendant tout le temps que j’ai
été avec vous. Il parla alors des (259), différentes œuvres établies dans la
paroisse et en particulier de l’école des Frère et de Sœurs, de l’établissement
des missionnaires sous la conduite desquels il fini par les laisser.
Je
n’ai rien d’extraordinaire à signaler pendant sa dernière maladie, tout en lui
à ce moment a répondu à cet amour de simplicité et d’humilité qui avait été le
caractère de sa vie. Seulement toutes tentations de désespoir de la part du
Démon et la crainte si vive des jugements de Dieu qu’il avait ressentie dans
d’autres circonstances avait complètement disparue ; il était profondément calme. Il a reçu tous les
sacrements en pleine connaissance ; je ne sais s’il les a demandés
lui-même.
Sur
le vingt troisième interrogatoire, le témoin répond :
Le
corps est resté exposé pendant deux jours ; une foule innombrable est
venue contempler les traits du Serviteur de Dieu, faire toucher différents
objets à ses restes vénérés. Il y avait des personnes de tous les coins de la
France et de toute condition. A son enterrement la foule ne fut pas moins
nombreuse, on peut la porter au nombre de cinq à six mille personnes ; les
prêtres étaient très nombreux, une foule de communautés religieuses d’hommes et
de femmes y avaient leurs représentants. La cérémonie était présidée par Mgr
l’Evêque de Belley.
Sur
le vingt quatrième interrogatoire, le témoin répond :
Le
corps a été enterré dans l’église, après avoir séjourné quelque temps dans la
chapelle de St Jean Baptiste, pour laisser la possibilité de faire un caveau au
milieu de l’église et c’est là que le corps a été déposé. L’inscription autant
que je puis m’en rappeler est très simple et se contente de rappeler le nom et
prénom du Serviteur de Dieu. Je ne sache rien qui indique (260) que l’on ai rendu sur son tombeau un culte
quelconque. On y voit que ce que l’on
voit en France sur les tombeaux.
Sur
le vingt cinquième interrogatoire, le témoin répond :
Pendant
sa vie Mr Vianney a joui d’une très grande réputation de sainteté. On ne
l’appelait que le saint Curé ; les pèlerins qui venaient de toutes les
parties du monde, voulaient non seulement le voir lui parler, lui soumettre
leur questions, recevoir sa bénédiction ; mais le plus grand nombre ne se
retiraient qu’après avoir reçu un souvenir de lui, par exemple un objet qu’il
avait béni, une image qu’il avait signée. Dans le commencement, Mr Vianney ne
voulait signer que des images où il y avait des consécrations ou des
affiliations à quelque confrérie. Plus tard il se vit comme forcé de céder aux
importunités des pèlerins et de signer les images pieuses qu’on lui présentait.
La profonde vénération qu’on avait pour lui porta plus d’une fois des personnes
à couper en morceaux son surplis lorsque dans le commencement il le déposait
sur le mur du cimetière, on faisait de même de son chapeau, de sa
soutane ; on lui a souvent coupé par derrière des mèches de cheveux
pendant qu’il faisait son catéchisme. Bien des feuillets de son bréviaire ont
été enlevés. On se disputait les moindres objets qui avaient été à son usage,
ou qu’il avait simplement touché. On
ne pouvait faire visiter la cure sans qu’on eu
à constater quelques dégâts ou quelques larcins. J’affirme que sa réputation
était tellement répandue que son nom était sur toutes les bouches et son
portrait se trouvait partout. Les personnages les plus distingués et les plus
haut placés le regardaient et le vénéraient comme un saint ; ceci explique
cette affluence à Ars des personnages les plus considérables parmi (261)
lesquels des Evêques, c’est ce qui explique aussi ses lettres qu’on envoyait à Mr Vianney de tous les pays du monde.
La foule partageait le même sentiment de vénération et le regardait aussi comme
un saint.
Cédant
aux instances de sa famille, Mr Vianney avait demandé par testament que son
corps fut enterré à Dardilly et sur
les observations de Mgr l’Evêque de Belley, il changea ses dispositions et
voulut qu’il restât et fut enterré
dans la paroisse d’Ars.
Cette
réputation de sainteté n’a pas cessé depuis la mort du Serviteur de Dieu, elle
grandi tous les jours, de nombreux
pèlerins viennent à Ars.
Sur
le vingt sixième interrogatoire, le témoin répond :
Je
ne connais personne qui ait attaqué en quelque manière que ce soit la
réputation de sainteté de Mr Vianney par écrit ou de vive voix.
Sur
le vingt septième interrogatoire, le témoin répond :
J’ai
entendu parler de plusieurs miracles opérés depuis la mort du Serviteur de Dieu
par son intercession. 1° Pauline Rochet qui a été élevée sous mes yeux et qui
est actuellement chez Mr de la Bastie d’Ars, m’a dit avoir vu un enfant
recouvrer la vue sur le tombeau du saint Curé. 2° On m’a parlé à Ars d’une
sourde-muette qui a été guérie il y a quelques mois sur le dit tombeau. 3° Je
tiens de Mr Oriol qu’un domestique de son frère ayant reçu un coup de corne
étant condamné par le médecin, fut guéri presque instannément par l’application d’une image et d’un objet qui avait
appartenu au Curé d’Ars. Le médecin en fut très étonné. 4° Un domestique de mon
neveu Alfred de la Bastie, condamné par (262) le médecin qui ne lui donnait
plus que quelques heures de vie, fut guéri par l’application d’un morceau de la
chemise du Curé d’Ars. Il avait deux maladies dont l’une était un abcès dans la
poitrine. 5° J’ai entendu parler d’une religieuse du Havre qui a été guérie
miraculeusement par l’intercession du Serviteur de Dieu, quelque temps après sa
mort.
Sur
le vingt huitième interrogatoire, le témoin répond :
J’ajoute
à ce que j’ai dit sur la force du Serviteur de Dieu que malgré son extrême
douceur, il avait lorsque c’était nécessaire une inébranlable fermeté. D’un
mot, quelquefois, il faisait ployer les plus opiniâtres résistances. Sur la
Justice, j’ai entendu raconter qu’en allant voir son frère malade il fut obligé
de demander un bâton pour se soutenir et ne voulut pas consentir à ce que ceux
qui l’accompagnait en coupassent un
dans la haie voisine ; il en acheta un à un passant. Je suis dépositaire
de ce bâton.
(265) Session 22 – 19 janvier 1863 à 9h
du matin
Sur
le vingt huitième interrogatoire, le témoin répond :
J’ai
encore à ajouter à ma déposition ce qui suit : j’ai été singulièrement
frappé de la régularité et de la
piété de la paroisse d’Ars. Dans le temps surtout où (266) Mr Vianney en avait
seul la direction et avant qu’un si grand nombre de personnes étrangères se
fussent établies pour faire le commerce, quoique néanmoins le pèlerinage fut déjà très grand, à la sanctification
si complète du Dimanche, comme je l’ai déjà dit, à la fréquentation si générale
des sacrements se joignait l’absence de tout divertissement dangereux. Non
seulement il n’y avait point de cabaret, mais quoique dans toutes les maisons
des habitants on donnat à manger aux
pèlerins, on ne s’y réunissait pas pour boire ; la vue d’un homme ivre
était une chose extraordinaire, on n’entendait point de jurements. Je me suis
promené autour des champs au moment
où l’on faisait la récolte, et je n’en ai pas entendu un seul ; j’en fis
avec admiration la remarque à un paysan qui me répondit : « nous ne
valons pas mieux que les autres, mais nous aurions bien trop de honte de
commettre de semblables fautes à côté d’un saint. » La tenue à l’église me
frappa aussi surtout celle que les mères exigeaient même de leur plus petits
enfants ; je voyais avec surprise, les hommes dans les champs, suspendre
leur travaux pour dire l’angélus au son de la cloche. Un grand nombre
d’habitants allaient prier à l’église, avant ou après leur journée de travail.
Je sais que plus tard cet état de choses s’est gâté, par diverses causes toutes
amenées par l’énorme affluence des étrangers, ce qui a été un vrai martyre pour
le cœur du vénéré pasteur. (267) Comme on a parlé à plusieurs reprises de la
difficulté que Mr Vianney eut à apprendre, on pourrait peut-être croire qu’il
n’avait pas les lumières suffisantes pour répondre aux besoins de cette foule
énorme, prise dans tous les rangs de la société et dans tous les genres de
position ; il fut toujours surabondamment à la hauteur de cette tâche, et
quant à la science, j’ai vu Mgr Devie, si bon juge en cette matière, dans le
plus grand étonnement de la manière dont il avait résolu des cas de conscience
excessivement difficile.
Le témoin ajoute : on m’a donné l’année de sa mort quelques gouttes de sang provenant d’une saignée faite depuis plusieurs années. Ce sang est toujours liquide.
Completo
examine super interrogatoriis a Promotore fiscali datis deventum est ad examen
super articulis a Postulatore exhibitis.
Proposito itaque primo articulo testis respondit : J’ai dit tout ce que je savais quand on m’a posé les questions des interrogatoires.
Baronne
de Belvey
Article
2°. J’ai pareillement dit tout ce que je savais sur cet article, en répondant
aux interrogatoires.
Article
3°. J’ai déjà dit tout ce que je savais sur cet article, en répondant aux
interrogatoires.
(268)
Article 4°. Je déclare que sur cet article, je n’ai rien à dire, et que de plus
j’ai dit tout ce que je savais sur la cause du Curé d’Ars, dans mes réponses
aux interrogatoires.
At
cum Rmus et Illmus Dnus Episcopus Bellicensis. Alios articulos pro ponebat,
testis pluries dixit et respondit : il est très inutile de m’interroger
davantage sur les articles, j’ai dit tout ce que je savais en répondant aux
interrogatoires.
Qua
accepta declaratione pluries iterata completoque examine, perlecta fuit a me
Notario Actuario alta et intelligibile voce testi supradicto integra depositio
a principio ad finem. Qua per ipsum bene audita et intellecta respondit se in
eamdem perseverare, illamque iterum confirmavit praeter sequentia , quae
addidit, videlicet ut infra :
J’ai
entendu dire à de vénérables ecclésiastiques qui faisaient avec lui la mission
de St Trivier, qu’ils avaient ouï des bruits extraordinaires au milieu de la
nuit partant de la chambre du Curé d’Ars ; ils croyaient que la cure
allait tomber. Soyez tranquilles répondit le bon curé, c’est le démon qui fait
ce bruit là. L’un de ces ecclésiastiques est Mr Viallier, mort lazariste et
l’autre Mr Chevalon missionnaire décédé.
Les
différents faits se rattachant aux persécutions auxquels Mr Vianney était en butte à Ars , de la part du (269) démon sont
connus de tous les habitants d’Ars et de beaucoup d’étrangers ; j’en ai
connaissance comme les autres. Mr Vianney se plaisait à en parler dans ses
conversations et dans ses catéchismes.
Ita pro veritate deposui
Bne Alix Henriette de Belvey
PROCES
DE
BEATIFICATION
ET CANONISATION
DE SAINT JEAN
MARIE BAPTISTE VIANNEY
CURE D’ARS
PROCES
INFORMATIF ORDINAIRE
(Tome I - p. 350 à 396)
Jean Pertinand
(349) Session 32 – 3 février 1863 à 3 h de l’après-midi
(350) Au premier interrogatoire, le témoin averti de la nature et de la gravité du serment en matière de canonisation et de béatification des saints, a répondu : Je connais parfaitement la nature du serment que j’ai fait, et la gravité du parjure dont je me rendrai * coupable si je ne disais pas toute la vérité.
Au second interrogatoire, le témoin répond : Je m’appelle Jean Pertinand ; je suis né à Ars au mois de septembre mil huit cent dix-sept. Mon père se nommait Claude Pertinand et ma mère Marie Anne Benard. Je suis actuellement régisseur des mines de fer de Serrières, après avoir été instituteur à Ars onze ans. Je suis propriétaire d’un modeste domaine à Amblagnieu, département de l’Isère.
Au troisième interrogatoire, le témoin répond : Je suis dans l’habitude de m’approcher des sacrements chaque année à Pâques. J’y ai mis de la négligence l’année dernière ; j’espère remplir cette année fidèlement mon devoir.
Au quatrième interrogatoire, le témoin
répond : J’ai eu à comparaître plusieurs fois devant la justice de paix
pour des affaires civiles concernant les ouvriers placés sous ma surveillance.
J’ai comparu devant le tribunal de première instance de Belley pour une
contravention de pêche, et j’ai été acquitté. Je m’étais fait caution pour un
individu et j’ai été condamné à payer pour lui par le tribunal de Bourgoin. Je
n’ai jamais subi de peine qui ait pu blesser ma réputation.
Au cinquième interrogatoire, le témoin
répond : (351) Je n’ai pas à ma connaissance encouru de peines ou de
censures ecclésiastiques.
Au sixième interrogatoire, le témoin
répond : Personne ne m’a instruit de la manière dont j’avais à
répondre ; je n’ai pas lu encore les articles du postulateur ; j’en
prendrai connaissance cette semaine, mais je ne dirai que ce que j’ai vu ou
entendu de témoins dignes de foi.
Au septième interrogatoire, le témoin
répond : J’ai une grande affection pour le Serviteur de Dieu Jean Marie
Baptiste Vianney, mais je n’ai aucun intérêt humain qui me porte à désirer sa
béatification ou canonisation. Je la désire pour la gloire de Dieu et l’honneur
de l’Eglise.
Au huitième interrogatoire, le témoin
répond : Je ne me rappelle pas en ce moment la date précise de la
naissance du Serviteur de Dieu. Je n’ai pas connu son père et sa mère, mais
j’ai vu son frère, sa sœur, sa belle-sœur. C’étaient d’honnêtes cultivateurs
qui habitaient Dardilly. Je sais que les parents du Serviteur de Dieu étaient
de bon chrétiens, surtout sa mère ; elle avait une grande dévotion à la
Ste Vierge. Leurs enfants furent élevés de la manière la plus chrétienne, ils
reçurent des exemples de charité ; les pauvres étaient logés et nourris
dans la maison paternelle lorsqu’ils passaient dans le village. Pendant la
révolution, les parents du Serviteur de Dieu conduisaient leurs enfants pendant
la nuit pour entendre la messe des prêtres restés fidèles. Je tiens ces détails
soit de Mr Vianney, soit de ses parents.
* nous avons respecté la ponctuation et
l’orthographe du document original en mettant toutefois les fautes
d’orthographe en italique.
Au neuvième interrogatoire, le témoin
répond : Le Serviteur de Dieu a passé son enfance et son adolescence à
Dardilly. Il a été berger chez son père, puis il a cultivé les champs avec le
reste de sa famille.
(352) Tout petit enfant, il avait déjà
des habitudes de piété, au lieu de s’amuser avec les autres enfants, il se
retirait dans un coin pour prier Dieu, faire de petites chapelles ; il
réunissait quelquefois les autres enfants pour réciter le chapelet avec lui. Je
n’ai jamais entendu dire qu’il ait montré quelques vices ou défauts ; je
n’ai pas recueilli sur son compte un seul mot défavorable. Je tiens les détails
qui précèdent des parents de Mr Vianney que j’ai déjà nommés, des demoiselles
Pignot et Lacan qui l’avaient suivi à Ars où elles sont mortes.
Au dixième interrogatoire, le témoin répond : Je n’ai rien de précis sur cet interrogatoire. Je sais seulement qu’il a commencé ses études assez tard pour se faire prêtre.
Au onzième interrogatoire, le témoin
répond : Je sais d’une manière générale qu’il fut obligé d’interrompre ses
études pour l’état militaire. Il ne se rendit pas sous les drapeaux, mais il se
retira dans les montagnes du Forez où il s’occupait à faire le catéchisme et à
inspirer l’amour de Dieu aux habitants du pays ; je ne connais pas
d’autres détails. J’ai appris d’eux-mêmes combien il les avait édifiés.
Au douzième interrogatoire, le témoin
répond : J’ai appris de témoins dignes de foi que Mr Vianney avait
persévéré dans son dessein d’embrasser la carrière ecclésiastique, et de
plusieurs de ses condisciples, qu’ils avaient admiré sa conduite et sa piété.
C’est tout ce que je sais sur cet interrogatoire.
Au treizième interrogatoire, le témoin
répond : J’ai appris d’un grand nombre d’habitants d’Ecully que le
Serviteur de Dieu y avait été nommé vicaire après son ordination, qu’il avait
montré une rare piété, qu’il avait gagné tous les cœurs par sa charité, la
sainteté de sa vie et qu’il avait été (353) demandé pour curé après la mort de
Monsieur Balley et qu’on ne put vaincre son humble résistance, parce qu’il se
croyait indigne d’occuper un poste aussi important.
Au quatorzième interrogatoire, le témoin
répond : J’ai appris d’un grand nombre d’habitants d’Ars que le Serviteur
de Dieu fut nommé curé de cette paroisse en mil huit cent dix-huit. Lorsqu’il y
arriva, il y avait peu de foi et peu de piété. Cette petite paroisse possédait
quatre cabarets où les pères de famille allaient manger leur fortune. Les
danses étaient fréquentes ; le dimanche n’était pas sanctifié, l’ignorance
de la religion était très répandue. Le vénérable curé commença à faire le
catéchisme les Dimanches de une heure à deux heures et à faire une instruction
le soir pour instruire ses paroissiens. Peu à peu les danses cessèrent, trois
cabarets disparurent . Le dernier cabaretier fut indemnisé par Mr le Curé
afin de supprimer son cabaret.
Au quinzième interrogatoire, le témoin
répond : Je sais que le serviteur de Dieu, pour réformer sa paroisse n’eut
pas seulement recours aux prières qu’il faisait, mais qu’il établit la
confrérie du St Sacrement et du Rosaire ; je sais aussi qu’ayant remarqué
une grande ignorance parmi les femmes, il chercha à y remédier en établissant
une école de filles ; il en confia la direction à deux personnes pieuses
d’Ars et à une personne du voisinage qui d’abord avait mené une vie mondaine,
mais qui s’était convertie en venant entendre les prédications du Serviteur de
Dieu. Les habitants du voisinage demandèrent à envoyer leurs enfants dans cette
école, qui bientôt se changea en une Providence pour les jeunes filles pauvres.
L’école des garçons avait plusieurs fois changé d’instituteur. J’avais commencé
mes études auprès de mon oncle qui était prêtre. Le vénérable Curé m’engagea à
prendre moi-même la direction de l’école communale. Je la dirigeai pendant onze
ans, jusqu’au (354) moment où vinrent les Frères de la Ste Famille de Belley.
Il ne le fit qu’après s’être assuré que cela ne serait pas un sujet de peine ou
de sacrifice pour moi. J’ignore si dans tout cela il a pris conseil de l’évêque
du Diocèse.
Au seizième interrogatoire, le témoin
répond : Je sais que le Serviteur de Dieu a rempli très exactement les
commandements de Dieu et de l’Eglise, toutes ses obligations de prêtre et de
Curé et qu’il a persévéré jusqu’à la mort dans le fidèle accomplissement de
tous ses devoirs. Je ne connais sur ce point aucun manquement et tout cela je
le sais personnellement et par les habitants de la paroisse. Quant à la
première fuite de Serviteur de Dieu, j’étais avec lui ; il me dit que
d’après le rituel du diocèse, un curé peut s’absenter de sa paroisse quinze
jours sans l’autorisation de l’évêque en se faisant remplacer le dimanche. Il
avait pourvu à son remplacement et écrit à Monseigneur pour lui demander
l’autorisation de quitter sa paroisse ; s’il recevait une réponse
favorable, il irait à Fourvière dire la Sainte Messe et se retirerait à la
Chartreuse ; si la réponse l’obligeait à rentrer à Ars, il y reviendrait
en toute humilité. Quant à la seconde fuite, elle eut lieu en mon absence, je
dois supposer qu’elle eut lieu avec les mêmes intentions ; je connais sa
soumission complète aux volontés de son Evêque. Relativement aux missions, il prêcha
effectivement dans plusieurs paroisses pour aider ses confrères et ramener les
pécheurs à Dieu ; mais son ministère paroissial n’eut point à souffrir de
ces abscences ; il venait dire
la messe le Dimanche et paraissait à Ars dans la semaine autant qu’il en était
besoin.
Sur le dix-septième interrogatoire, le
témoin répond : Je sais que le Serviteur de Dieu a éprouvé beaucoup de
contradictions, soit de la part des laïques, soit de la part des
ecclésiastiques ; il a été souvent injurié et (355) même une fois souffleté
par un laïque. La cause de ces contradictions et de ces injures venait du bien
qu’il opérait dans les âmes et de sa vie mortifiée et par là même
singulière ; il montra toujours une rare patience, ne s’indignant contre
personne ; mais au contraire se réjouissant de tout ce qu’il avait à
souffrir et priant pour ceux qui le contredisaient.
(357) Session 33 – 4 février 1863 à 9h du matin
Sur le dix-huitième interrogatoire et au sujet de la Foi, le témoin répond : J’ai entendu dire à ses parents et aux personnes qui l’ont connu que le Serviteur de Dieu pendant son enfance se fit remarquer par sa grande foi et sa grande piété ; j’ai déjà dit qu’il se séparait de ses petits compagnons pour prier. Il aimait à faire ses prières devant une image de la Sainte Vierge (358) qu’il fixait devant lui. Quand il travaillait aux champs, il allait en avant ou se tenait plus volontiers en arrière afin de pouvoir prier ; il fixait une pieuse image au bout d’un bâton, ou à une branche élevée afin de pouvoir la regarder de temps en temps pendant son travail.
Relativement à sa vocation ecclésiastique
et des difficultés qu’il éprouva, je lui en ai entendu parler à lui-même, ainsi
que son pèlerinage à la Louvesc, mais je n’ai pas de souvenir assez précis pour
déposer sur cela. J’ai entendu dire à plusieurs personnes d’Ecully que le
Serviteur de Dieu nommé vicaire dans cette paroisse avait singulièrement édifié
les paroissiens par sa foi et sa piété ; il partageait les exercices et la
vie austère de Mr Balley.
Dès que Monsieur Vianney fut arrivé à Ars
en qualité de curé, il se fit promptement remarquer de tous ses paroissiens par
l’esprit de foi qui l’animait dans toutes ses actions ; il passait de
longues heures à l’église devant le St sacrement ; il établit la prière du
soir chaque jour et il récitait le chapelet avant la prière. Ensuite il établit
les confréries du St Sacrement et du St Rosaire, et il y agrégea le plus grand
nombre de ses paroissiens possible. Soit dans ses instructions au confessionnal ;
soit dans ses prédications, il pressait vivement ses auditeurs à la
fréquentation des sacrements de pénitence et d’Eucharistie, aux moyens les plus
efficaces de développer et de nourrir la piété. Je ne me rappelle pas, dès
l’âge de cinq ans, d’avoir assisté une seule fois à la messe les jours
ordinaires sans y avoir vu communier un certain nombre de personnes.
Mr Vianney obtint la destruction des
cabarets par l’influence qu’exerçait la sainteté de sa vie, par ses touchantes
exhortations et par quelques démarches qu’il tenta auprès des cabaretiers qui
restaient encore ; je sais qu’il offrit une somme d’argent à l’un d’eux
comme dédommagement de la perte qu’il pouvait faire (359) quittant son état. Il
obtint par les mêmes moyens la cessation complète du travail du Dimanche ;
je me souviens d’une instruction qu’il nous fit à la fin de l’année et nous
demandait si ceux qui n’avait pas
travaillé le dimanche dans la paroisse n’étaient pas aussi avancés que ceux qui
avaient travaillé et il ajoutait : ne sont-ils pas plus contents ?
cette réflexion impressionnait tout le monde. Un nommé Rousset, à ma
connaissance, déclara à ses domestiques qu’ils ne travailleraient plus le
Dimanche. Les danses tombèrent de la même manière ; elles étaient
fréquentes dans le village à l’arrivée de Mr le Curé ; je ne me souviens
pas d’en avoir vu. On essaya en mil
huit cent trente de les rétablir dans le village, mais cela ne réussit pas. Mr
le Curé fit observer en chaire qu’il n’y avait eu dans ces réunions que des
domestiques ou des personnes étrangères dans la paroisse, il félicita ses
paroissiens de leur abstention ; je ne me rappelle qu’une exception,
c’était un jeune homme nommé Lève qui fut très mortifié de s’être laissé
entraîner, il n’y revint plus. La même année mon frère avait voulu y aller, mon
père lui prit son chapeau et lui fit une correction très vive et cette
correction suffit à tout jamais.
J’ai entendu parler de ses travaux de
mission, de la confiance qu’il inspirait à tout le monde. Il était simple et
pauvre pour tout ce qui le concernait, mais il aimait les belles choses
lorsqu’il s’agissait de Dieu et de l’église. Pour encourager ses paroissiens à
embellir le lieu saint, ou à acheter quelque ornement, il leur disait :
quel bonheur pour nous, pauvres et chétives créatures de pouvoir donner quelque
chose au bon Dieu. Le don d’ornements fait à son église par Mr d’Ars le combla
de joie, lors même qu’on n’allait pas en procession, il faisait étaler les
riches bannières dans l’église.
Il disait la sainte messe de manière à
édifier tout le monde par sa grande foi et sa piété, (360) il la disait
néanmoins sans lenteur et ne s’arrêtait que quelques instants pour la
consécration et la communion. Quand il faisait ses visites au St Sacrement, sa
figure manifestait le contentement intérieur qu’il éprouvait, on la voyait même
quelquefois souriante comme s’il eut
vu Notre Seigneur. ; il recommandait de ne pas s’asseoir pendant
l’exposition du St Sacrement et lui-même ne s’asseyait jamais. Il touchait
vivement lorsqu’il disait : « si nous avions la foi nous
verrions Jésus Christ dans le St Sacrement comme les anges le voient au
ciel. » Il aimait à parler en chaire de la Ste Eucharistie, il en parlait
dans presque toutes ses instructions. Il est là, aimait-il à répéter ;il nous
entend. Lorsqu’il se tournait vers le tabernacle, sa physionomie parlait plus
éloquemment que ses paroles et suffisait pour faire comprendre ce qu’il voulait
dire.
Sa grande foi se manifestait dans
l’administration des sacrements par les touchantes paroles qu’il
prononçait ; il engageait à se mettre en état de grâce pour exercer
l’office de parrain et de marraine.
Il avait une grande estime pour le
sacerdoce, je lui ai entendu dire que le prêtre, à raison de ses pouvoirs,
était plus qu’un ange. Il parlait souvent des bienfaits que les fidèles
reçoivent par le ministère des prêtres. Il recommandait constamment à ses
paroissiens de prier pour les prêtres ; il disait quelquefois : si le
prêtre était bien pénétré de la grandeur de son ministère, il pourrait à peine
vivre. Je l’ai entendu dire souvent en élevant ses mains vers le ciel :
nous verrons Dieu. Ses pensées les plus habituelles dans ses instructions
roulaient sur l’état de grâce, sur les communications avec l’esprit saint.
Dans ses souffrances, ses contradictions,
il s’inspirait des pensées de la foi, disant qu’il fallait s’estimer heureux de
souffrir puisque c’était la volonté de Dieu. En tout ce qu’il disait on voyait
la foi qui était dans son cœur.
(361) Interrogé sur l’Espérance, le
témoin répond : J’ai déjà dit en parlant sur la réforme des abus de sa
paroisse, quelle était la nature des moyens qu’il avait employé. Il cherchait à inspirer une grande
horreur du péché, il employait pour cela les expressions les plus vives, les
comparaisons les plus saisissante. Si
nous avions la foi et que nous vissions une âme en état de péché mortel, nous
mourrions de frayeur. L’âme en état de grâce est comme une blanche colombe, en
état de péché mortel, ce n’était plus qu’un cadavre infect, une charogne. Le
bon curé employait les mots les plus significatifs.
Il parlait du ciel fréquemment, il en
parlait comme s’il y fut déjà allé,
comme on parle d’une maison qu’on a habité.
Je sais, sans avoir de détails à donner, qu’il consolait les âmes affligées et
inquiètes.
Mr le Curé m’a souvent parlé des
persécutions que le démon lui faisait souffrir, mais il m’en parlait sans
découragement et sans crainte ; il me disait au contraire : le démon
est bien méchant, mais il est bien bête car il me fait connaître tout le bien
qui se fait à Ars, faisant ainsi allusion à une remarque qu’il avait
faite toutes les fois qu’il devait venir un grand pécheur, le démon
faisait plus de bruit et de tapage.
Il parlait des jugements de Dieu, de la
crainte qu’ils doivent inspirer, des péchés de sa pauvre vie, mais il ajoutait
qu’il espérait que Dieu lui ferait miséricorde. Je lui ai entendu dire quelques
fois qu’il faisait bon mourrir pour
ne plus être à même d’offenser Dieu ou de le voir offenser. Cependant dans sa
première maladie, ne se croyant pas suffisamment préparé, il avait (362)
crainte de la mort et se prêta aux prières que l’on faisait pour sa guérison.
J’ai raconté sa première fuite et les
causes qui l’avaient amenée. J’ajoute aux détails que j’ai déjà donné qu’une des principales causes de la
fuite de Mr le Curé fut la peine que lui causaient les abus amenés par le
pèlerinage ; les marchands d’objets pieux et les voituriers avaient de
fréquentes discussions. Sa fuite corrigea ces abus par la crainte qu’ils
avaient de le perdre.
Interrogé sur la vertu de charité, le
témoin répond : J’ai dit tout ce que je savais des habitudes pieuses de
son enfance et je n’ai point de détails à donner sur sa charité, son amour pour
Dieu, soit à Ecully, soit au séminaire ; je sais seulement qu’il a
toujours profondément édifié tous ceux qui ont été les témoins de sa vie.
(365) Session 34 – 4 février 1863 à 3h de l’après-midi
Sur le dix-huitième interrogatoire et au
sujet de la charité, le témoin continue à répondre ainsi : Arrivé à Ars et
n’ayant que peu d’occupations au début de son ministère, le Serviteur de Dieu
passa presque toute sa journée à l’église. Je tiens de ma grand-mère qui
habitait un des appartements (366) de la cure que l’air de piété de Mr le curé
faisait sur tout le monde et sur elle en particulier une grande impression.
Tout ce que j’ai connu du Curé d’Ars m’a prouvé qu’il n’avait qu’une seule
pensée, qu’un seul désir, aimer Dieu et le faire aimer. Tout entretien, toute
affaire le ramenait là. Il disait son bréviaire à l’église excepté lorsqu’il
allait voir les malades, alors il le récitait chemin faisant ; dans les
dernières années il disait son chapelet en visitant les malades. J’ai déjà
parlé de l’édification générale qu’il donnait en disant la Ste Messe. J’ai dit
aussi qu’il n’aimait les belles choses que pour en faire hommage à Dieu. Il
parlait très souvent de l’amour de Dieu. Quel bonheur d’aimer Dieu,
disait-il ; il y revenait même dans ses catéchismes ainsi que sur la
divine Eucharistie. Son recueillement et son union avec Dieu m’ont paru être
continuels quoiqu’il fut dérangé à
tout instant et de toutes manières.
J’ai parlé des peines que le Serviteur de
Dieu a éprouvé dans son ministère,
celles du moins que j’ai pu connaître et rien ne m’a paru le décourager au
contraire, il s’accusait lui-même plutôt que d’accuser les autres, laissant
paraître au dehors le moins possible les peines qu’il éprouvait.
Au sujet de la charité envers le
prochain, le témoin répond : Je sais que dès son arrivée à Ars, Mr Vianney
plein d’une tendre charité pour tous ses paroissiens chercha à se faire tout à
tous afin de les gagner tous à Jésus Christ. Il saisissait avec empressement
toutes les occasions possibles de donner des marques de son affection à chacun
de ses paroissiens en particulier. J’ai entendu raconter aux anciens de la
paroisse ainsi qu’à mes propres parents que Mr Vianney se rendait dans les
familles au moment (367) des repas et que après avoir demandé des nouvelles des
choses temporelles, il savait par une douce tensition
tourner la conversation aux choses de Dieu et laisser chacun sous l’édification
de ses bonnes paroles. La prédication lui coûtait beaucoup, il m’a dit qu’une
seule instruction lui avait coûté quinze jours de travail sans compter le temps
qu’il mettait à l’apprendre et encore il se perdait quelquefois lorsqu’il l’a prêchait. Néanmoins il était très
exact à faire son instruction chaque Dimanche. Il m’a raconté qu’il avait fait
une neuvaine au St Esprit pour surmonter la peine qu’il avait à préparer ses
instructions, d’ailleurs l’affluence des pèlerins ne lui laissait plus le temps
nécessaire. Un jour après cette neuvaine il partit de l’autel pour aller
prêcher sans avoir rien préparé et continua ainsi depuis. Il ne préparait pas
avec la même peine et le même soin son catéchisme de onze heures, le chapitre
qu’il expliquait lui servait de cadre. Outre le catéchisme de onze heures, il
en faisait encore un à six heures du matin pour les enfants de la paroisse qui
se préparaient à la première communion. Il s’inquiétait beaucoup pour la
conversion et le salut des âmes. J’ai entendu dire qu’à l’époque des grandes
fêtes et en particulier de Pâques, il refusait de manger sa nourriture
ordinaire pour obtenir la conversion des pécheurs. Il revenait souvent sur
cette pensée : quel malheur de voir perdre des âmes qui ont coûté le sang
d’un Dieu. Les sept premières fondations qu’il a faites avant les missions,
avaient pour but la conversion des pécheurs ou le soulagement des âmes du
purgatoire.
Son temps fut consacré tout entier au
prochain. Dans les premières années, le confessionnal ne l’occupait (368) que
la moindre partie de sa journée, mais alors il s’adonnait davantage au
ministère extérieur ou à la prière. Dès l’année mil huit cent vingt sept ou
vingt huit, il y avait quelques pèlerins au nombre de quinze à vingt ; ce
chiffre alla en augmentant et le ministère de la confession finit par absorber
tous ses moments.
Il était très charitable pour les
pauvres, leur donnant toujours, prenant sur les provisions de la maison
lorsqu’il n’y avait pas d’argent. On fut obligé de cacher son linge et ses
vêtements et jusqu’à sa nourriture qu’on lui apportait chaque jour à l’heure de
son repas ; il ne se contentait pas de faire l’aumône, il disait aux
pauvres une parole agréable et douce en disant ordinairement : mon ami.
Plus généreux encore pour les pauvres de la paroisse tantôt il payait leur
loyer, tantôt il leur donnait des secours plus abondants.
Interrogé sur la vertu de prudence, le
témoin répond : la vertu de Prudence fit prendre à Mr Vianney dès qu’il
eut l’âge de raison les moyens les plus propres pour procurer son salut. Sa
piété n’avait rien d’affecté, elle était douce et aimable, comme tous ceux qui
l’ont approché ont pu en juger. Connaissant parfaitement le prix du temps, il
s’efforça toujours de n’en point perdre ; il aimait à rappeler à ses
paroissiens le prix du temps, il leur disait souvent que nous rendrons compte à
Dieu de tous les instants qu’il nous a accordés. C’est par suite de ces
recommandations qu’un grand nombre de personnes prirent l’habitude pendant les
soirées d’hiver de réciter le chapelet et même de faire la lecture de la vie
des saints.
Mr Vianney n’était dur que pour lui
même ; il était plein de bonté et de douceur pour les autres. Bien des
fois on m’a raconté avec quels ménagements (369) quelle prudence il avait
attaqué et détruit les différents abus qu’il avait trouvés dans sa paroisse à
son arrivée à Ars. J’ai remarqué bien des fois qu’il était plein de vigueur et
de véhémence lorsqu’il s’agissait d’attaquer les vices en général, mais il
montrait dans ses paroles une grande douceur lorsqu’il était question de donner
quelques avis particuliers ou de faire quelques réprimandes.
J’ai déjà dit quels ménagements Mr le
Curé avait pris à mon égard lorsqu’il voulut fonder l’école gratuite des
frères, ce fut sur l’assurance plusieurs fois répétée que cela ne me
contrariait point qu’il donna suite à son arrangement, après s’être entendu
avec l’autorité diocésaine. On s’empressait de venir de loin demander ses
conseils, et je n’ai entendu personne se plaindre de les avoir suivis, au
contraire tous se félicitaient suivant leurs conditions de la Prudence avec
laquelle Mr Vianney les avait dirigées.
J’ai toujours remarqué qu’il était très
prudent dans ses conversations, jamais un mot qui put blesser ou contrarier personne ; quoique son attrait le
portât à parler des choses de Dieu, il écoutait volontiers tout ce qu’on avait
à lui dire et répondait avec douceur à tout ce qu’on lui demandait : des
personnes sont venues de très loin pour demander ses conseils sur différentes
entreprises.
(370) Interrogé sur la vertu de justice,
le témoin répond : J’ai été frappé de son exactitude à remplir tous ses
devoirs ; il semblait désireux toujours d’aller au delà plutôt que de
rester en deçà.
Il était plein d’égard et d’attention
pour tout le monde. Sans faire des préférences, désobligeantes pour personne,
il savait traiter chacun selon son rang et sa condition. J’ai remarqué le
respect particulier qu’il portait aux prêtres, pour eux préférablement à tout
autre, il se dérangeait de ses occupations pour les mieux recevoir. Il avait
aussi quelques préférences marquées pour les infirmes, les malades et les
malheureux ; il leur assignait des heures et des lieux particuliers pour
entendre leurs confessions, pour recevoir leurs confidences.
Il était plein de reconnaissance pour les
moindres services qu’on lui rendait. Le nom de Mr Balley son premier maître
revenait bien souvent sur ses lèvres, même dans ses instructions.
(373) Session 35 – 5 février 1863 à 9h du matin
Interrogé
sur la vertu d’obéissance, le témoin répond : j’ai entendu dire par des
personnes dignes de foi que son obéissance avait été très exemplaire dès sa
plus grande enfance. Plusieurs fois il manifesta lorsqu’il fut prêtre le désir
d’entrer dans quelque ordre religieux ou de se retirer dans quelque (374)
monastère ; mais toujours il était disposé à se conformer à la volonté de
ses supérieurs ecclésiastiques.
En parlant
de l’événement qui le fit échapper à la conscription, je l’ai entendu plusieurs
fois se servir du mot désertion, déserteur, mais sans qu’il éprouvat aucun embarras et sans qu’il cherchat à expliquer son action, seulement il
disait qu’il s’était abandonné à la Providence, qu’il avait prié la Ste Vierge
et que dans la localité où il s’était retiré, malgré quelques tribulations, il
avait éprouvé beaucoup de consolation.
Interrogé
sur la vertu de religion, le témoin répond : Mr Vianney dès son enfance
eut un grand attrait pour toutes les pratiques de la Religion et pour les
moindres objets de piété. Ce goût, il le conserva toute sa vie ; il aimait
les images, les croix, les médailles et les reliques surtout ; quand il
recevait un reliquaire, il montrait une grande joie ; sa chambre était
pleine de reliques. On ne saurait peindre son bonheur lorsqu’il recevait
quelque ornement ou quelque statue pour son église. La vertu de religion le
porta à agrandir et à embellir sa pauvre église d’Ars. Toutes les fois qu’une
chapelle était terminée, le jour de la grande bénédiction, était une fête non
seulement pour le Curé, mais encore pour toute la paroisse.
J’affirme
que le Serviteur de Dieu avait une grande dévotion envers le St Sacrement. Dans
les commencements de son ministère à Ars, il allait régulièrement à l’église à
quatre heures du matin et restait en adoration aux pieds des autels jusqu’au
moment de la messe qu’il disait vers sept heures. Il se tenait pendant tout ce
temps à genoux et sans s’appuyer et de temps en temps regardait le tabernacle
avec une expression qui faisait croire aux assistants qu’il voyait Notre
Seigneur ; il passait à l’église une grande partie de sa journée. (375)
Tous les troisième dimanche du mois, il faisait l’exposition du St
Sacrement et le soir après vêpres la procession du St Sacrement. Plus tard
l’affluence des pèlerins étant trop considérable on a cessé cette procession.
J’ai déjà dit qu’il aimait à parler de la Ste Eucharistie et qu’il revenait
avec bonheur sur ce sujet. A la manière dont il parlait on sentait combien il
aimait Notre Seigneur caché sous les voiles eucharistiques.
Dès son
enfance il eut une grande dévotion à la Ste Vierge ;il avait une
prédilection pour une petit statue de Marie que sa mère lui avait donnée. Quand
il fut nommé curé à Ars, il ne cessa de recommander la dévotion à la reine des
anges. Tous les premiers dimanche du
mois, il faisait faire autour de son église la procession du St Rosaire. Ayant
reçu de magnifiques ornements du vicomte d’Ars, il mena sa paroisse en
pèlerinage à Fourvières et là, il fit une consécration solennelle de sa
paroisse à Marie Immaculée. La plupart de ses paroissiens s’approchèrent de la
Ste Table. En mil huit cent trente six, il fit placer dans la chapelle de la
Ste Vierge une belle statue avec un cœur dans lequel il fit mettre le nom de
tous ses paroissiens. Le jour de l’érection de cette statue il fit une nouvelle
consécration de sa paroisse à Marie immaculée.
Quelques années plus tard il fit placer une statue de la Ste Vierge sur la
frontispice de son église. Quand l’heure sonnait, il s’interrompait même en
chaire pour réciter avec ses paroissiens un Ave Maria.
Il
témoignait une grande dévotion à tous les saints, mais en particulier à St
Joseph, à St Jean Baptiste, à St Jean l’Evangéliste, St François Régis, St
François Xavier, St François d’Assise, Ste Catherine de Sienne et Ste
Colette ; ces noms venaient très souvent dans ses instructions ; je
les ai entendus dès ma plus tendre jeunesse. La dévotion à Ste Philomène (376)
commença vers mil huit cent trente, lorsqu’il en eut entendu parler ; il
lui attribua désormais toutes les grâces temporelles obtenues à Ars, ce qui
augmenta beaucoup le pèlerinage. Avant cette époque, lorsqu’il se produisait
quelque chose d’extraordinaire, il recommandait le silence et on craignait de
lui faire de la peine en ébruitant les grâces particulières obtenues ; il
n’en fut plus de même quand le culte de la Ste se fut établi, le bon Curé lui
renvoyait tout l’honneur des merveilles qui s’opéraient et aimait même à les
publier. Il avait de la dévotion pour les âmes du purgatoire, il en parlait
souvent et disait qu’arrivées au ciel elles seraient nos protectrices ; il
avait établi l’octave des morts en arrivant dans sa paroisse ; il fit une
fondation à cette intention. De temps en temps il annonçait une messe aux âmes
du purgatoire délaissées.
Tout ce que
je sais dire de son oraison c’est qu’il priait continuellement ; ainsi
quand je l’accompagnais dans sa fuite, nous dîmes bien dix fois le chapelet
dans l’espace de sept heures que dura le trajet. Tantôt c’était pour les âmes
du purgatoire, tantôt pour connaître la volonté de Dieu et qu’il daignât
éclairer son évêque pour savoir ce qu’il devait faire.
Interrogé
sur la vertu de force et de patience, le témoin répond : J’ai vu Mr le
Curé s’affaisser plusieurs fois en chaire sur lui-même par suite de coliques
très violentes ; il ne prenait point de soulagement et continuait son
travail ; cependant quelquefois les souffrances étaient si vives qu’il
était obligé de sortir de l’église et qu’il ne pouvait faire seul le court
trajet qui séparait l’église du presbytère ; on s’inquiétait, on
l’interrogeait, il se contentait de répondre : c’est bien peu de chose que
ce pauvre cadavre. Si on lui offrait quelque chose (377) il disait : ce
n’est rien. Il refusait avec un air souriant ce qu’on lui offrait. Il
n’indiquait jamais le genre de souffrance qu’il éprouvait, se contentant de
dire : oh ! ce n’est rien ; ou bien : ce n’est pas la
peine ; ou encore : Dieu en a souffert bien davantage. Je sais que
ses nuit étaient souvent troublées par des douleurs, des insomnies. Il a
éprouvé pendant longtemps de grands maux de dents. Il me demandait un jour de
lui en arracher une avec des tenailles, ne voulant pas qu’on allât chercher un
médecin. Il me disait quelquefois : lorsque je puis dormir deux heures, je
me réveille fort comme un jeune homme. Quand il était malade et entre les mains
des médecins, il faisait tout ce qu’on voulait, disant que c’était la volonté
de Dieu ; mais lorsqu’il était sorti de maladie, il reprenait son travail,
sans qu’on put l’en détourner. Un
jour pendant sa convalescence, je voulus m’opposer à ce qu’il entrât dans
l’église à une heure du matin ; il me répondit avec quelque chose de
ferme : Mon Jean, lorsque j’étais malade, je faisais la volonté de Dieu et
j’obéissais ; maintenant c’est à vous à obéir ; allez bravement vous
coucher. L’église était très pénible pendant l’hiver ; le bon curé
grelottait quelquefois pendant la messe et il ne voulait employer aucun
soulagement. Nous avions tâché de mettre quelquefois des chauffe-pieds au
confessionnal, mais il les a toujours repoussés. Pendant l’été, la chaleur
était étouffante dans l’église ; mais c’est le froid de l’hiver qui devait
le faire plus souffrir ; il ne pouvait plus se réchauffer quand il était
rentré chez lui et son sommeil a dû en être grandement troublé. Quand venait le
printemps, on voyait (378) bien à quelques expressions du bon curé dans ses
instructions que c’était pour lui comme pour toute la nature un temps de
renaissance et de soulagement ; mais selon son habitude, il tournait toute
chose vers Dieu. J’ai déjà dit les insultes et les affronts qu’il avait subis
dans les premiers temps de son ministère ; j’ai entendu dire qu’il avait
été l’objet des plaisanteries et des contrariétés de ses confrères et jamais il
ne s’en est plaint, il ne répondait rien. De toutes les preuves de patience
qu’il a données, celle qui m’a paru la plus forte comme la plus prolongée est
son calme inaltérable au milieu de tous les embarras et les importunités du
pèlerinage ; on ne peut se faire une idée de l’insipidité de cette foule
nombreuse et sans cesse renaissante. J’ai vu plusieurs ecclésiastiques et en
particulier Mr Girin archiprêtre de Grenoble émerveillé de cette patience que
rien ne lassait, que rien ne troublait ; j’ai vu Mr Girin restant des
heures entières à contempler le bon curé pressé, harcelé, restant toujours
calme et patient.
Interrogé
sur la vertu de tempérance, le témoin répond : Sans avoir de détails, je
sais qu’il menait une vie très austère à Ecully avec Mr Balley. Lorsqu’il fut
curé d’Ars sa vie ne fut pas moins austère ; il ne faisait habituellement
qu’un seul repas ; il refusait tous les soins qu’on voulait lui donner et
préparait lui-même quelquefois sa nourriture qui consistait le plus ordinairement
en quelques pommes de terre cuites à l’eau et un peu de pain sec. Souvent même
il échangeait son pain de meilleure qualité contre celui des pauvres qui
venaient à son habitation. Après une maladie sérieuse qu’il fit, il consentit à
modifier son régime et à recevoir de la part des filles qui soignaient sa
Providence, tantôt un peu de lait, tantôt un peu de bouillon, d’autrefois aussi une nourriture un peu plus
solide. J’ai entendu dire (379) par les personnes qui l’approchaient le plus
souvent que lorsqu’il voulait obtenir une grâce particulière, par exemple la
conversion d’un grand pécheur, il passait un jour ou deux sans prendre de
nourriture. J’ai toujours entendu dire que pendant la semaine sainte il ne
prenait que deux ou trois onces de pain.
(381) Session 36 – 5 février 1863 à 3h de l’après-midi
Interrogé sur le dix huitième
interrogatoire et sur la vertu de tempérance, le témoin continue à répondre
ainsi : Le Serviteur de Dieu n’était pas moins dur à lui-même dans son
repos que dans sa nourriture. Au commencement de son ministère, il usait d’un
lit garni d’une (382) paillasse et d’un mince matelas, mais bientôt il se défit
de celui-ci en le donnant à un pauvre et n’eut plus jusqu’au moment de sa
première maladie qu’une simple paillasse posée sur des planches. Il fallut
toutes les instances de la charité de Mr des Garets pour lui faire accepter un
matelas pendant sa maladie et il le rejeta aussitôt que la convalescence fut
venue. J’ai entendu dire par des personnes dignes de foi qu’il faisait beaucoup
d’autres mortifications et qu’en particulier il portait le cilice et se donnait
la discipline.
Interrogé sur la vertu de pauvreté, le
témoin répond : Mr Vianney n’était pas seulement animé intérieurement d’un
grand amour pour la pauvreté, il ne se contentait pas de faire l’éloge de cette
vertu dans ses prédications et s’y exciter ses paroissiens, mais il en donnait
lui-même l’exemple de la manière la plus admirable. Il n’avait jamais qu’un
seule soutane, que dans les commencements de son ministère il devait acheter de
ses propres deniers, mais qui ensuite lui était donnée à la condition qu’il
donnerait la vieille ; il en était de même de ses chaussures et de ses
autres linges. Son ameublement consistait en quelques pauvres meubles qu’il vendit
même un jour et dont il donna le prix aux pauvres et content de ce
dépouillement, il me disait : « Je suis très content, je n’ai plus
rien, le bon Dieu peut m’appeler quand il voudra. » L’argent pour lui
n’avait d’autre valeur que celle qu’il tirait des bonnes œuvres qu’il lui
donnait la facilité de faire. Ainsi il donnait aux pauvres et à son église son
traitement annuel qu’il mélangeait indistinctement avec les sommes qu’on lui
confiait.
Interrogé sur les vertus de modestie,
simplicité et humilité, le témoin répond : Mr vianney était bon et simple
envers tout le monde, il s’oubliait entièrement lui-même. Il était toujours
content des autres et ne blâmait que ce qu’il faisait lui-même ; quand il
voyait un prêtre étranger, il le faisait (383) prêcher dans son église et
témoignait d’avance son contentement et disait qu’il ferait du bien à ses
paroissiens et qu’il le convertirait lui-même.
Quand on lui donnait des éloges, vous
avez bien tort, disait-il ; ou bien il leur échappait de quelque autre
manière simple et naïve. Mais, lui disait-on d’autres fois, vous voyez tout le
bien qui se fait ici. C’est Dieu qui le fait, répondait-il, avec un autre il le
ferait bien mieux.
Pour les humiliations et les outrages, il
acquiesçait au contraire à ce qu’on lui disait. Un jour nous avions surpris
sans qu’il en fut informé un enfant
de la paroisse qui volait les messes à la sacristie. Le maire et moi allâmes
avertir les parents. La mère de l’enfant croyant que Mr le Curé avait dénoncé
le coupable vint le lendemain à la sacristie lui faire les reproches les plus
amers. J’étais à côté de la porte et j’entendais toutes ces injures. Vous avez
bien raison, se contentait de répondre le bon Curé, priez pour ma conversion.
Quand il recevait les hommages de la
foule, il semblait qu’ils s’adressassent à un autre. Dans les premiers temps,
lorsqu’il voyait son portrait, cette vue lui était désagréable, puis il finit
par s’y habituer et le tournait en plaisanterie, seulement il a toujours refusé
de signer ses portraits.
Interrogé sur la vertu de chasteté, le
témoin répond : Je n’ai rien vu en lui qui ne ressentît la plus grande
modestie et retenue. Jamais on n’a rien dit sur ses mœurs et sa conduite. Il
parlait avec amour de la sainte vertu de pureté, comme il l’appelait et avec horreur
du vice contraire.
Au dix neuvième interrogatoire, le témoin
répond : J’affirme que le Serviteur de Dieu a pratiqué les vertus que j’ai
mentionnées à un degré héroïque. J’entends par vertu héroïque, la vertu à son
plus haut degré. Je pense en avoir fourni la preuve (384) dans la déposition
précédente. Jamais Mr Vianney ne m’a paru se relâcher de sa première ferveur et
je ne sache rien qui ait pu ternir l’éclat de ses vertus.
Au vingtième interrogatoire, le témoin
répond : A la première question relative au don des larmes, j’ai vu très
souvent pleurer Mr le Curé en chaire, au confessionnal, à la Ste messe, et même
dans ses saintes conversations, par exemple quand il parlait du bon Dieu, du
Ciel, de la négligence et de l’ingratitude des pécheurs. Quand il récitait le
chapelet de Notre-Dame des sept douleurs, il pleurait tout le temps, de même
quand il faisait le chemin de la croix.
Quant aux guérisons extraordinaires, je
ne puis citer que celle de Mme Tiersot ( ?)
épouse d’un pharmacien de Bourg ; elle ne pouvait marcher qu’avec des
béquilles, elle s’arrêta à Ars en revenant de faire un pèlerinage à Fourvières,
elle y fit une neuvaine et le septième ou huitième jour elle fut guérie. Mais
pendant mon séjour à Ars j’entendais parler continuellement de guérisons
miraculeuses attribuées aux prières de Mr le curé. J’interrogeais quelquefois
les personnes qui m’attestaient elles-mêmes leur guérison. Ne les ayant pas
vues avant le rétablissement, je ne puis constater autre chose.
J’ai entendu raconter aux directrices de
la Providence la multiplication de la farine dans leur maison ; une d’elle
Marie Chaney vint dire à Mr le Curé
qu’il n’y avait presque plus de farine et plus de pain et que le meunier
n’arrivait pas. Mettez en levain, répondit Mr Vianney, le peu que vous avez et
le bon Dieu inspirera au meunier de venir demain matin. Elle fit et le
lendemain matin (385) elle vint dire a
Mr le Curé que le meunier n’était pas arrivé. -Avez-vous bien regardé s’il n’y
avait point de farine, lui dit Mr Vianney ? Elle retourna aussitôt à la
Providence et trouva le pétrin plein de farine et fit sa fournée comme
d’habitude.
La multiplication du blé a été connue de
toute la paroisse et je l’ai entendu raconter au père Mandy de la manière
suivante : le meunier avait emporté cent boisseaux de blé pour faire de la
farine. (Il fallait environ 100 boisseaux par mois pour la Providence). Le père
Mandy qui avait la clé du grenier et qui mesurait le blé lorsque le meunier se
présentait, vint dire à Mr le Curé qu’il ne restait qu’un petit tas de grain.
Mr le Curé ne répondit rien. Quelques jours après lorsque Mr Mandy faisait la
visite du grenier il le trouva, à son grand étonnement, entièrement plein. Mr
le Curé m’a raconté une autre multiplication de blé dans un autre grenier. N’ayant
plus de ressources, ni de provisions, il pensait renvoyer une partie des
enfants de la Providence, lorsque en visitant ce second grenier il le trouva
plein. Un ouvrier qui fut appelé regardait comme une merveille que le plancher
ne ce fut pas effondré.
Un jour il avait dit à mon oncle l’abbé
Renard : je ne vous invite pas à dîner parce que je n’ai pas de vin (386)
à vous donner. Le lendemain après la messe il lui dit : venez manger avec
moi une omelette, le bon Dieu cette nuit m’a envoyé une pièce de vin. J’ai vu
moi-même cette pièce de vin, si quelqu’un l’eut introduite à la cave, il aurait dû la porter sur ses épaules,
l’herbe n’était pas foulée dans la cour, elle était cependant très épaisse et
très grande.
Le bon Curé me disait que toutes les fois
qu’il s’inquiétait de la Providence, le bon Dieu le punissait de ses
inquiétudes en lui envoyant des secours inattendus. Je puis affirmer que très
fréquemment les sommes d’argent lui sont arrivées à point au moment où il en
avait besoin et je citerai à l’appui les deux faits suivants. Il avait acheté à
Mr Mandy deux cents mesures de blé, en lui disant qu’il n’avait rien pour le
payer ; le lendemain une personne lui apporta la somme nécessaire pour le
payer entièrement. Ayant jugé que l’agrandissement de la Providence était
nécessaire et ne voulant pas trop s’endetter, il résolut de n’en faire d’abord
que la moitié. Mais à peine cette résolution était-elle prise qu’une personne
se présenta et lui remit la somme nécessaire pour faire tous les agrandissement
projetés.
Mr Vianney m’a dit quelquefois : on
ne saura qu’au jour du jugement le nombre d’âmes qui ont trouvées leur salut à Ars. Il venait des
pécheurs de tous les pays et de toutes les conditions ; on entendait tous
les jours parler de conversions. Pendant mon séjour à Ars il s’en est opéré de
très remarquables.
(389) Session 37 – 6 février 1863 à 9h du matin
Au vingt unième interrogatoire,
le témoin répond : Il est à ma connaissance que le Serviteur de Dieu a
écrit quelques sermons et quelques prières. Les sermons ont été donnés à un
libraire, mais je ne crois pas qu’on les ait imprimés, et je ne (390) sais ce
qu’ils sont devenus. Je ne puis pas assurer que les prières au bas desquelles
il mettait sa signature aient été composées par lui. Je ne connais aucune de
ses lettres.
Au vingt deuxième interrogatoire, le
témoin répond : J’ai entendu dire que le Serviteur de Dieu était mort à
Ars le quatre Août mil huit cent cinquante neuf. J’ignore quel a été le genre
de sa dernière maladie. J’ai entendu dire à Ars qu’il prévoyait sa mort, qu’il
avait dit en particulier que son traitement du second trimestre qu’il avait
reçu, servirait à faire son enterrement. A la procession du St Sacrement il
s’était servi d’un objet et avait dit : je ne m’en servirai qu’une fois.
J’ai appris qu’il avait reçu les derniers sacrements et qu’il avait édifié
toute la paroisse, mais n’étant pas à Ars à cette époque, je ne puis donner
d’autres détails.
Au vingt troisième interrogatoire, le
témoin répond : Je ne suis arrivé qu’après la cérémonie des
obsèques ; j’ai été auprès du corps qu’on avait placé dans la chapelle de
St Jean, en attendant que le caveau fut
prêt pour qu’on pût l’ensevelir. Il y avait une très grande quantité de monde
et il m’a fallu bien du temps pour approcher de son cercueil.
Au vingt quatrième interrogatoire, le
témoin répond : Je crois qu’il est resté quelques jours dans la chapelle
de St Jean Baptiste, puis on l’a placé en terre au milieu de l’église. J’ai vu
la pierre qui recouvre la tombe, mais je ne me suis pas suffisamment approché
pour voir s’il y avait une inscription ; j’ai toujours trouvé du monde
autour du tombeau et j’y ai vu beaucoup de couronnes et de représentations ou
petits tableaux comme on en place en France sur les tombeaux des personnes que
l’on respecte ou que l’on aime.
Au vingt cinquième interrogatoire, le
témoin (391) répond : Je puis attester parce que j’ai vu quelle était la
réputation de sainteté du Serviteur de Dieu ; on venait à Ars de tous les
pays, non seulement des diverses parties de la France, mais encore des pays
étrangers, de la Belgique, de l’Espagne, de l’Autriche. Toutes les conditions
étaient représentées. J’ai vu des négociants, des propriétaires, des
ecclésiastiques, des religieux, des religieuses, et en particulier le Père
Lacordaire ; ce dernier avait voulu entendre son catéchisme, il ne l’avait
pu à cause de la foule, mais il avait assisté à l’instruction du matin et à
celle du soir. Il disait ensuite devant moi au château d’Ars que le sermon du
bon curé sur le St Esprit avait éclairci et développé une idée qu’il
poursuivait depuis bien des années. Les pèlerins ne se contentaient pas de voir
le Serviteur de Dieu, ils voulaient de lui une parole, une bénédiction, un
souvenir. On coupait son chapeau, son surplis, sa soutane. J’ai coupé
quelquefois les cheveux à Mr le Curé ; je me suis fait bien des amis en
donnant quelques-uns de ces cheveux. Depuis sa mort l’opinion de sainteté à son
sujet ne se dément point ; on dirait au contraire qu’elle s’accroît et s’étend.
Au mois de septembre dernier j’ai passé trois jours à Ars dans ma famille et
j’ai vu un grand concours de pèlerins autour de son tombeau.
Au vingt sixième interrogatoire, le
témoin répond : Je n’ai jamais rien entendu dire contre la sainteté de Mr
Vianney, j’ai vu des personnes qui n’étaient pas religieuses et qui étaient
disposées à blâmer la conduite des prêtres. Je n’ai jamais entendu sortir de
leur bouche que des paroles de respect et de vénération pour Mr Vianney.
(392) Au vingt septième interrogatoire,
le témoin répond : J’ai entendu parler de plusieurs miracles opérés depuis
la mort du Serviteur de Dieu, mais je ne connais ni les noms des personnes
miraculeusement guéries, ni les circonstances de la guérison.
Au vingt huitième interrogatoire, le
témoin répond : j’ai oublié de dire en parlant des luttes du Serviteur de
Dieu avec les démons, qu’un brigadier de gendarmerie était venu à Ars par les
conseils de sa tante qui habitait Fareins. Il vit Mr Vianney qui le confessa.
Après minuit il se trouvait à la porte du presbytère attendant que le vénérable
curé sortit ; il entendit un
très grand bruit et une voix qui prononçait le mot : Vianney !
Vianney ! Il crut qu’il y avait dans le presbytère quelqu’un avec
Mr le Curé .Il me raconta ce fait le matin après la messe ; je
le conduisis à la cure pour le convaincre que personne n’avait pu s’y
introduire. Le Serviteur de Dieu m’a dit lui-même que souvent le démon
l’appelait ainsi pendant la nuit. Dans les commencements de ses luttes Mr Vianney ignorant la cause
du bruit qui se faisait dans le presbytère était effrayé ; il fit venir
plusieurs fois des personnes pour veiller pendant la nuit et tâcher de
découvrir la cause du bruit qui se produisait. Ces personnes n’entendirent
jamais rien quoique Mr le Curé entendit
toujours le même bruit ; il fut bientôt convaincu qu’il avait affaire au
démon. J’ai dit tout ce que je savais sur les vertus, les dons surnaturels, la
réputation et les miracles du Serviteur de Dieu ; je n’ai rien a ajouter pour le moment à ma déposition.
PROCES DE BEATIFICATION ET CANONISATION D E
SAINT
JEAN MARIE BAPTISTE VIANNEY
CURE D'ARS
PROCES INFORMATIF ORDINAIRE
Session 46 -
13 mai 1863 à 8h. du matin
462 Ad primum Interrogatorium testis monitus de vi et natura
juramenti et gravitate perjurii in causis Beatificationis et canonisationis
sanctorum, respondit:
Je connais
parfaitement la nature du serment que j'ai fait, et la gravité du parjure dont
je me rendrais coupable si je ne disais pas toute la vérité.
Ad secundum
Interrogatorium, testis respondit:
Je m'appelle
Catherine Lassagne; je suis née à Ars le huit Mars mil huit cent six, de
parents chrétiens. J'ai été cultivatrice jusqu'au moment où Mr Vianney me
chargea avec deux autres filles de la direction de la Providence qu'il avait
fondée; je restai pendant vingt quatre ans environ occupée de cette oeuvre. Ma
situation de fortune me permet de vivre médiocrement sans avoir besoin de personne.
Ad tertium
Interrogatorium, testis respondit:
Je me suis
toujours confessée souvent dans l'année et me suis approchée fréquemment de la
Sainte Table. Ma dernière confession a eu lieu il y a neuf jours et j'ai
communié ce matin.
Ad quartum
Interrogatorium, testis respondit:
Je n'ai
jamais point eu de procès et n'ai jamais été accusée d'aucun crime devant les
juges.
Ad quintum
Interrogatorium, testis respondit:
Je n'ai
jamais encouru de censures ecclésiastiques.
Ad sextum
Interrogatorium, testis respondit:
463 Personne ni de vive voix, ni par écrit ne m'a engagée à
déposer ou dans un sens ou dans un autre. Je n'ai point lu les articles
proposés par le postulateur de la cause. Je ne dirai en ce qui la concerne que
ce que j'ai vu ou entendu.
Ad septimum
Interrogatorium, testis respondit:
J'ai toujours
aimé et respecté Mr Vianney à cause de sa sainteté; je désire sa Béatification,
mais en cela je n'envisage que la gloire de Dieu et je ne me propose pas
d'autres motifs dans la déposition que je vais faire.
Ad octavum
Interrogatorium, testis respondit:
J'ai entendu
dire que Mr Vianney était né le huit Mai mil sept cent quatre vingt six à
Dardilly, près de Lyon. Son père s'appelait Matthieu Vianney et sa mère Marie
Beluse; ils étaient bons chrétiens; ils élevèrent chrétiennement leurs enfants
et en particulier le Serviteur de Dieu. Je ne connais rien relativement à son
baptême et à sa confirmation; je ne doute en aucune façon qu'il n'ait reçu ces
deux sacrements.
Ad nonum
Interrogatorium, testis respondit:
J'ai ouï dire
qu'il avait passé son enfance et sa jeunesse à Dardilly auprès de ses parents;
qu'il cultivait la terre et qu'il gardait les troupeaux, qu'il remplissait
exactement tous ses devoirs et se faisait remarquer par sa grande piété et la
pureté de ses moeurs. Je n'ai pas appris qu'il ait rien fait de contraire à la
vertu. Je tiens ces faits de son frère et de sa soeur. Son frère, est mort et
sa soeur est encore en vie.
Ad decimum
Interrogatorium, testis respondit:
464 J'ai entendu dire que vers l'âge de seize à dix sept ans sans
que je puisse préciser, il quitta les travaux de la campagne pour se livrer à
l'étude et arriver au sacerdoce. Il étudia chez Mr Balley, curé d'Ecully, avec
beaucoup de difficultés. Il donna alors des preuves nombreuses d'une piété
fervente. Il ne se proposa pas d'autre but que le salut des âmes. Il m'a dit,
lui-même: Quand j'étais jeune, je pensais: Si j'étais prêtre, je voudrais
gagner beaucoup d'âmes au bon Dieu.
Ad undecimum
Interrogatorium, testis respondit:
L'appel de la
conscription le força d'interrompre le cours de ses études; il tomba malade à
Roanne. Rétabli il se mit en route: chemin faisant il était indécis s'il devait
rejoindre son corps ou se cacher. Il prit alors son chapelet; jamais, me
disait-il, je ne l'ai récité de si bon coeur. Il s'arrêta dans un bois, un
inconnu se présenta et lui dit de le suivre; il le conduisit aux Noës; il fut
logé chez la veuve Fayot. Je ne sais combien de temps il resta dans cette
maison; l'été il travaillait avec les enfants et l'hiver il faisait la classe.
Il s'attira l'estime des habitants et quand il partit pour revenir chez Mr
Balley reprendre ses études, tout le monde s'empressait de lui faire des
cadeaux. Je tiens ces faits de Mr Vianney lui-même.
Ad duodecimum
Interrogatorium, testis respondit:
Je sais
l'ayant appris de personnes dignes de foi qu'il persévéra avec constance dans
son projet d'embrasser la carrière ecclésiastique, qu'il se prépara à la
réception des saints ordres par une grande ferveur et qu'il les reçut en partie
du moins de Monseigneur Simon évêque de Grenoble. 465
Ad decimum
tertium Interrogatorium, testis respondit:
J'ai entendu
dire de personnes bien informées et au serviteur de Dieu lui-même qu'il fut
nommé par l'archevêque de Lyon vicaire d'Ecully; je ne sais pas précisément
combien de temps il y resta. Après la mort de Monsieur Balley, curé de la
paroisse, il refusa aux habitants de le remplacer.
Ad decimum quartum Interrogatorium, testis respondit:
Je sais que
le Serviteur de Dieu fut nommé Curé d'Ars en mil huit cent dix huit et prit
possession le neuf Février. En lui donnant ses pouvoirs le vicaire général lui
dit: il n'y a pas beaucoup d'amour de Dieu dans cette paroisse, vous y en
mettrez. En effet il y avait à Ars beaucoup d'abus, les danses, les cabarets,
le travail du Dimanche. Pour détruire ces abus il eut recours à la prière, à la
mortification et agit avec beaucoup de prudence.
Ad decimum quintum Interrogatorium, testis respondit:
Je sais qu'il
renouvela la confrérie du Saint Sacrement, qu'il institua le rosaire et une
confrérie du Sacré Coeur et qu'il fonda une petite association en l'honneur de
l'Immaculée Conception, chose qu'il avait déjà faite à Ecully de concert avec
Mr Balley et encore la Confrérie de Notre Dame auxiliatrice. Il avait aussi
établi le saint Esclavage; mais dès qu'il apprit que cette oeuvre avait cessé
d'avoir l'approbation de l'Église, il n'admit plus personne. Il chargea un
jeune homme de son choix de l'école des garçons qui existait déjà comme école
mixte. Pour séparer les filles des garçons, il m'envoya avec une autre jeune
fille à Fareins chez les soeurs de St Joseph, afin de nous préparer à pouvoir
diriger une école. 466 Nous revînmes à Ars an bout d'un an et l'école des
filles fut établie sous notre direction. Nous reçûmes d'abord une ou deux
orphelines que nous nourrissions et que nous instruisions; ce fut l'origine de
la Providence, qui se développa successivement. Il pourvut à l'acquisition de
la maison de la Providence et aux besoins de cet établissement par des aumônes
qu'il recevait et par la vente de sa part de l'héritage paternel. Nous n'avions
pas de règles écrites, seulement nous suivions ses conseils et l'ordre de la
journée qu'il nous avait indiqué. Cette oeuvre produisit d'excellents fruits
parmi les jeunes filles qui furent quelquefois au nombre de soixante. J'ignore
s'il s'était entendu avec l'autorité ecclésiastique.
Plus tard, il
fonda l'établissement des frères de la Sainte Famille de Belley. Depuis ce
moment l'éducation des jeunes garçons est confiée à des religieux.
Ad decimum sextum Interrogatorium, testis respondit:
Je sais comme
témoin oculaire que pendant tout le temps que le Serviteur de Dieu est resté à
Ars, c'est-à-dire depuis sa prise de possession jusqu'à sa mort, il a observé
exactement les commandements de Dieu et de l'Eglise, qu'il a rempli exactement
ses devoirs de prêtre et de pasteur et toutes les obligations que lui
imposaient les oeuvres qu'il avait établies. Il a persévéré jusqu'à la mort
dans l'accomplissement de ses devoirs et je ne sache pas qu'il ait manqué à
aucun des commandements de Dieu et de l'Eglise et à aucune de ses obligations.
Il est vrai qu'il prêtait son ministère aux confrères du voisinage dans les
temps de mission et de jubilé, mais c'était avec l’assentiment de l'évêque du
diocèse; 467 il rentrait du reste tous les samedis et prenait toutes les
précautions pour que sa paroisse d'ailleurs peu importante n'eût pas à souffrir
de ses absences. Lorsque deux fois il a quitté la paroisse d'Ars, il ne se
proposait point de se soustraire a l'obéissance qu'il devait à ses supérieurs
ecclésiastiques, mais de mener une vie plus mortifiée et plus sainte, s'il
était possible. Il était bien décidé à revenir à Ars et à y rester dans le cas
où on l'exigerait, comme on le fit effectivement.
Ad decimum
septimum Interrogatorium, testis respondit:
Je sais qu'il
a éprouvé des contradictions dans l'exercice de son ministère, qu'il a été
quelquefois insulté et qu'il a supporté les contradictions et les injures avec
une grande patience, et qu'il était toujours disposé à pardonner et à rendre
service.
Ad decimum
octavum Interrogatorium, testis respondit:
J'ai entendu
dire et je sais que le Serviteur de Dieu s'est distingué par une pratique
exacte des vertus chrétiennes et que jusqu'à sa mort il les a pratiquées.
Sur la Foi,
le témoin répond comme il suit:
Sa vertueuse
mère l'habitua dès la plus tendre enfance à prier avec la plus grande
exactitude et la plus grande ferveur. A trois ans il cherchait la solitude pour
prier avec plus de recueillement, il aimait à se mêler aux exercices de piété.
On lui avait donné une statue de la Ste Vierge. J'aimais beaucoup cette statue,
disait-il longtemps après; je ne pouvais pas m'en séparer. 468 La soeur de Mr
Vianney m'a raconté qu'à l'âge de quatre ans il disparut sans qu'on pût savoir
ce qu'il était devenu. Sa mère le chercha avec anxiété; elle le trouva à genoux
dans un coin de l'étable, priant avec ferveur. Il aimait assister aux offices
de l'église, à recevoir la bénédiction du Saint Sacrement. Afin d'obtenir la
permission d'aller plus souvent dans le lieu de la prière, lorsqu'on sonnait la
bénédiction, il promettait à son père de prier pour lui et de demander la
cessation des douleurs rhumatismales qu'il ressentait. Quand il était aux
champs à garder les troupeaux, il faisait avec de l'argile des statuettes de la
Ste Vierge et des saints, il les plaçait sur une espèce d'autel et invitait ses
petits camarades à prier avec lui; il obtenait quelquefois d'eux qu'ils le remplaçassent
dans la garde de son troupeau pendant qu'il allait entendre la Sainte Messe. Il
priait pour ainsi dire habituellement; quand il était seul, il priait à haute
voix et quand il était en compagnie à voix basse. En revenant des champs il
laissait marcher ses camarades et restait en arrière pour prier avec plus de
facilité; on l'entendait alors prier à haute voix. Le Serviteur de Dieu éprouva
le désir d'embrasser la carrière ecclésiastique; il obtint avec quelques
difficultés le consentement de son père. Mr Balley, curé d'Ecully, avait refusé
de recevoir quelques jeunes gens pour les instruire; quand on lui présenta le
jeune Vianney, il dit: Pour celui-là je me sacrifierai. Le jeune Vianney avait
peu de mémoire et une conception lente; 469 ses progrès furent peu sensibles
malgré un travail opiniâtre. Élève plein de foi, il eut recours aux moyens
surnaturels; il fit voeu d'aller en pèlerinage au tombeau de saint
François-Régis à pied et en demandant l'aumône. Il remplit son voeu et à son
retour il étonna son maître par ses succès.
J'ai entendu
dire que soit à Ecully, soit ailleurs, le Serviteur de Dieu a constamment
montré un grand esprit de foi.
L'opinion
commune est que lorsqu'il vint prendre possession de la paroisse d'Ars, il se
mit à genoux dès qu'il aperçut les toits des maisons, pour demander à Dieu des
grâces abondantes pour lui et ses paroissiens. Un jour je lui parlais de ce
fait; sans nier et sans affirmer, il me répondit: Ce n'est pas mal pensé. Sa
piété fit tout de suite sur les habitants une impression profonde; tout le
monde disait: Nous avons un saint pour curé. Il semblait choisir l'église pour
sa demeure, il y entrait avant l'aurore et n'en sortait qu'autant que ses
fonctions l'exigeaient. Il y restait jusqu'après l'angelus du soir. On le
voyait fixer de temps en temps ses yeux sur le tabernacle avec un sourire qui
exprimait la joie de son âme et la vivacité de sa foi. Il exhortait ses
paroissiens à faire des visites fréquentes au Saint Sacrement; on eut égard à
ses exhortations et beaucoup de personnes venaient adorer Notre Seigneur dans
le courant de la journée. 470 Il s'efforça d'établir la communion fréquente et
le nombre des personnes qui s'approchaient souvent de la sainte table alla sans
cesse en augmentant. Il parvint à faire supprimer deux cabarets qui étaient une
source d'abus et à obtenir des habitants d'Ars la cessation du travail le
Dimanche. Il sut tellement s'attirer l'affection de ses paroissiens qu'il fit
cesser les danses fort en usage dans le pays en les menaçant de les quitter
s'ils ne cessaient de danser. Ce résultat fut aussi dû sans doute aux prières
ferventes qu'il adressait au ciel pour cela. J'ai entendu dire qu'il alla une
fois jusqu'à donner de l'argent au ménétrier afin de l'éloigner de sa paroisse.
Le Serviteur
de Dieu prenait part aux travaux de ses confrères des environs d'Ars pendant
les missions et les jubilés. Les populations remarquèrent l'ardeur de son zèle
et la sainteté de sa vie. Beaucoup de personnes qui s'étaient adressées à lui
vinrent à Ars pour recevoir ses conseils et avancer davantage dans la piété. Ce
fut ainsi que commença le pèlerinage d'Ars.
473 Session 47-13 mai 1863 à 3h. de l'après-midi
Prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis respondit:
Un des
premiers soins du Serviteur de Dieu en même temps que le pèlerinage se fondait
fut d'orner son église et de faire ériger un autel convenable. 474 Pauvre
lui-même et aimant sa pauvreté, il désirait pour son église le luxe et l'éclat
des ornements; aussi rien ne saurait-il peindre la joie qu'il éprouva lorsque
Monsieur d'Ars son paroissien demeurant le plus souvent à Paris lui envoya des
chandeliers, des reliquaires, un dais, etc.
Il avait un
grand zèle pour le culte divin, pour la pompe des cérémonies. Il célébrait
surtout avec beaucoup de solennité le Jeudi-Saint, la fête du patron de la
paroisse et celle du très saint Sacrement. Lorsque à la procession de cette
dernière fête il portait la sainte hostie, sa figure paraissait rayonnante, et
indiquait les sentiments de foi et d'amour dont il était pénétré.
Il célébrait
le saint sacrifice avec la plus vive piété. Je lui ai entendu dire: Je ne suis
pas content d'être curé, mais je suis bien content d'être prêtre pour pouvoir
dire la messe. On croyait généralement que pendant le saint sacrifice Dieu le
favorisait parfois de grâces extraordinaires. Un jour il prenait son petit
repas dans une salle de la Providence. Ma compagne (Jeanne Marie Chanay)
l'entendit dire comme s'il se parlait à lui-même: Je n'ai pas vu le bon Dieu
depuis dimanche. Marie Chanay alors, s'approchant de lui, lui dit: Mr le Curé,
avant Dimanche, vous voyiez donc le bon Dieu. Il fut tout déconcerté et ne
répondit rien. Il est arrivé plusieurs fois qu'étant consulté avant la messe
par des pèlerins, il leur répondait: Attendez, je vous donnerai ma réponse
après la messe. Presque tous ceux qui le voyaient célébrer le saint sacrifice
de la messe ont remarqué comme moi quelque chose d'extraordinaire dans sa
figure depuis l'élévation jusqu'à la communion; 475 mais surtout au moment de
la communion.
Mr le Curé
d'Ars était tellement pénétré de la présence de Jésus-Christ dans la Ste
Eucharistie qu'il y revenait dans la plupart de ses instructions. Cet attrait
pour la présence réelle de Notre Seigneur augmenta d'une manière sensible vers
la fin de sa vie; il y revenait à tout instant, sa figure était alors
rayonnante; il lui arrivait dans ses instructions de s'interrompre, de verser
des larmes et de ne laisser plus entendre que des exclamations d'amour. Notre
Seigneur est présent dans l'Eucharistie, disait-il quelquefois, c'est bien sûr,
on ne peut pas douter, mais d'ailleurs on le sent bien.
Il
administrait les sacrements avec la foi la plus vive. Quelquefois il pleurait
en donnant la sainte communion, d'autres fois il paraissait heureux et une joie
calme se peignait sur sa figure. Beaucoup de pécheurs ont dû leur conversion
aux paroles de foi qu'il leur adressait au saint tribunal. Quand il
administrait les malades, il leur faisait une très grande impression, il leur
communiquait la paix de l'âme, la résignation et la confiance en Dieu. C'est
par suite de ce même esprit de foi que Mr Vianney parlait très souvent de la
dignité du prêtre, qu'il représentait comme tenant la place de Jésus-Christ. On
ne comprendra bien le prêtre que dans le ciel, disait-il. Quand vous voyez le
prêtre, pensez à Jésus-Christ.
La Foi de Mr
Vianney éclatait dans toutes ses paroles et ses instructions. A tout instant il
lui échappait des mots qui en peignaient la vivacité, comme ceux-ci par
exemple: Vivre en la présence de Dieu, vivre pour Dieu, oh! belle vie et belle
mort! 476 En disant ces paroles et beaucoup d'autres semblables, il semblait
n'être déjà plus sur la terre.
Dans ses
instructions, la Foi de Mr le Curé d'Ars le portait à entretenir ses auditeurs principalement
du bonheur du Ciel, de la beauté d'une âme en état de grâce, de l'action du St
Esprit sur les âmes et de la prière. Il avait sur ces sujets les plus belles
pensées et les plus gracieuses comparaisons.
Une âme pure
est comme une belle perle, disait-il; tant qu'elle est cachée dans un
coquillage au fond de la mer, personne ne songe à l'admirer, mais si vous la
montrez au soleil, elle brille et attire les regards: ainsi en est-il de l'âme
pure qui, cachée maintenant aux yeux du monde, brillera un jour devant les
anges au soleil de l'éternité. En parlant de l'action du Saint Esprit sur les
âmes, il disait: Prenez dans une main une éponge imbibée d'eau et de l'autre
main un petit caillou; pressez-les également; il ne sortira rien du caillou,
mais de l'éponge vous ferez sortir de l'eau en abondance. L'éponge est l'âme
remplie du Saint Esprit. Il disait en parlant de la prière: L'âme par la prière
est comme un poisson dans l'eau. Le poisson dans l'eau se trouve bien, il est
content; il se trouve bien même quand il ne nage que dans un petit ruisseau,
parce qu'il est dans son élément; mais il est encore mieux dans la mer, parce
qu'il a de l'eau en plus grande abondance. Le poisson hors de l'eau ne peut pas
vivre; de même l'âme ne peut vivre hors de la prière.
C'est dans
les sentiments de sa foi qu'il trouvait le moyen de repousser les tentations et
de surmonter les contradictions et les obstacles qu'il rencontrait. 477 C'est
aussi dans la foi qu'il avait puisé son amour pour les croix. Il disait: Un bon
chrétien doit aimer à être méprisé, foulé aux pieds; il revenait souvent sur ce
sujet, qui lui inspirait des pensées et des choses magnifiques. Aussi l'esprit
de foi était le mobile de toutes ses actions; la foi lui expliquait tout et il
expliquait tout par elle.
En mil huit
cent quarante-trois, il fit une première maladie. Quelques ecclésiastiques se
trouvant réunis autour de lui, convinrent entre eux qu'on ne sonnerait pas les
cloches parce qu'ils étaient assez nombreux pour assister à l'administration
des derniers sacrements. Mr le Curé m'appela et me dit: Faites sonner, afin que
les paroissiens prient pour leur curé. Sa foi était si ferme que jamais il
n'éprouva aucun doute. Aussi répondit-il à cette question: Croyez-vous que
Notre Seigneur est réellement présent dans la Ste Eucharistie? - Je n'en ai
jamais douté.
Le témoin
interrogé sur la vertu d'Espérance, répond:
Je ne puis
pas douter que la vertu d'espérance ne se soit montrée de bonne heure et
qu'elle n'ait grandi dans Mr Vianney, surtout à l'époque où il embrassa la
carrière ecclésiastique, puisque aucun obstacle ne fut capable de le détourner
de ce but. Depuis qu'il fut nommé Curé d'Ars, j'ai toujours remarqué que
l'espérance était profondément enracinée dans son coeur. C'est cette vertu qui
lui a fait entreprendre de rudes travaux; c'est elle qui l'a soutenu au milieu
de ses nombreuses et grandes épreuves. 478 Les bas sentiments qu'il avait de
lui-même ne le décourageaient jamais, mais ils semblaient au contraire lui
inspirer une plus grande confiance en Dieu.
C'est cette
confiance inaltérable en Dieu qui le soutint dans la réforme qu'il avait
entreprise de sa paroisse. Cette paroisse était, comme je l'ai dit, dans un
état déplorable au point de vue religieux. Il en souffrit beaucoup, mais ne
désespéra jamais d'en venir à bout avec la grâce de Dieu; il ne se lassa jamais
d'employer avec constance les moyens surnaturels, tels que la prière, la
mortification, la visite au St Sacrement, etc. Il montra beaucoup de constance
et de persévérance dans l'ornementation et l'ameublement de son église,
comptant sur l'assistance de Dieu pour payer les dettes qu'il contractait à ce
sujet, sans oublier cependant la prudence chrétienne.
L'Espérance
qu'il avait du Ciel lui faisait détester souverainement le péché, qui prive les
hommes du Ciel. Je comprends, disait-il, qu'un homme puisse pécher, il est
faible, mais je ne comprends pas qu'il puisse persévérer dans le péché et
s'exposer ainsi à la perte du bonheur éternel. Il disait aussi: Le bon chrétien
parcourt le chemin de ce monde monté sur un char de triomphe, assis sur un
trône, et c'est Notre Seigneur qui conduit la voiture; mais le pécheur, lui,
n'est pas sur le char, il y est attelé, et c'est le démon qui est dans la
voiture et qui frappe à grands coups pour le faire avancer. Il estimait
infiniment les grâces et les bienfaits spirituels; 479 il saisissait toutes les
occasions pour se les procurer à lui-même et pour les procurer aux autres. Il
voyait avec plaisir le retour des jubilés. Il parlait fréquemment du Ciel dans
des termes qui montraient la vivacité de son Espérance qui impressionnait
fortement ses auditeurs. Il comptait beaucoup sur la miséricorde infinie de
Dieu; il tâchait d'inspirer aux pécheurs la confiance dont il était lui-même
rempli et il le faisait avec tant d'onction, qu'il lui suffisait quelquefois
d'un mot pour faire pénétrer dans une âme coupable les rayons de la lumière
éternelle. Un dimanche que le Saint Sacrement était exposé, il disait à la
foule qui était dans l'église: Si vous étiez bien convaincus de la présence
réelle de Notre Seigneur dans le très saint Sacrement et si vous le priiez avec
ferveur, vous obtiendriez bien certainement votre conversion.
S'il comptait
sur la grâce pour le salut des autres, il comptait aussi sur elle pour son
propre salut; il ne négligeait aucun des moyens par lesquels il pouvait
l'obtenir de Dieu. Il satisfaisait son besoin d'oraison par des élévations
continuelles. Il consacrait à l'oraison un temps considérable et faisait de
longues visites au saint Sacrement.
Il attribuait
sa vocation au sacerdoce, les saintes pensées qu'il avait, les oeuvres qu'il
faisait, à la bonté de Dieu pour lui. 480 Il me disait un jour: "Lorsque
j'étudiais, j'étais accablé de chagrin, je ne savais plus que faire; mais
lorsque je passais à côté d'une maison, je vois encore l'endroit, il me fut
dit, comme si quelqu'un m'eût parlé à l'oreille: Va, sois tranquille, tu seras
prêtre un jour. Une autre fois que j'avais beaucoup d'inquiétudes, j'entendis
distinctement la même voix qui me disait: Que t'a-t-il manqué jusqu'à présent?
En effet j'ai toujours eu de quoi faire; il fait bon s'abandonner à la conduite
de la divine Providence." Mr le Curé, lui disais-je un jour, ce doit être
bien pénible de ne pas penser à soi, de n'avoir ni la nourriture, ni le
vêtement, et cependant d'être sans inquiétude. Il me répondit: Il n'y a que le
premier pas qui coûte.
Mr Vianney a
été aussi persécuté par le démon. Lorsqu'il méditait le plan de sa Providence
pour laquelle il venait d'acheter une maison, il commença à entendre de grands
bruits à la cure; croyant que c'était des voleurs, il avertit quelques jeunes
gens qui firent sentinelle à la cure et au clocher. Une nuit, un nommé Verchère
montait la garde dans une chambre voisine de celle de Mr le Curé; il était armé
d'un fusil. Tout à coup, il se fit un grand bruit dans l'appartement où il se
trouvait; 481 il lui sembla qu'on mettait en pièces une armoire. Le pauvre
homme se crut perdu. Mr le Curé disait: mon pauvre Verchère est venu m'appeler;
il ne pensait plus qu'il avait un fusil. Une autre nuit où le bruit s'était
renouvelé, il tomba de la neige et le lendemain on ne découvrit aucune trace
autour du presbytère. Mr Vianney comprit alors d'où venait tout ce tapage et
renvoya ses gardes. Le démon l'attaqua de toute manière. Une personne digne de
foi m'a raconté, le tenant elle-même de Mr le Curé, qu'avant ses attaques
extérieures, il avait fortement été tourmenté par des peines intérieures, par la
crainte des tentations, le désespoir; il semblait, disait Mr Vianney, que
j'entendais en moi-même: C'est à présent qu'il faudra tomber en enfer.
Quelquefois, comme il me l'a raconté, le démon l'appelait: Vianney! Vianney! Il
avait une voix aigre. D'autres fois le démon frappait à la porte, battait la
générale sur un pot à eau, sur la cheminée; sautait comme un cheval qui aurait
gambadé dans l'appartement placé au-dessous de la chambre. 482 Dans d'autres
circonstances, c'était comme un bruit confus de voix étrangères qui se
faisaient entendre dans la cour. Un soir, étant auprès de son feu, il lui
sembla qu'on vomissait le blé à pleine gueule à côté de lui. J'avais mis un
jour de la paille dans le lit de Mr le Curé pour qu'il fût un peu plus haut. Il
ne faut pas, me dit-il, mettre de la paille; le démon me jettera par terre. Je
me sentais, me racontait-il un jour, enlever de mon lit tout doucement. Une
autre fois, le diable s'était mis sous ma tête comme un oreiller bien doux et
il se plaignait comme quelqu'un qui aurait été très malade. Une possédée dit à
Mr Vianney: Crapaud noir, que tu me fais souffrir! Ces luttes se répétaient
assez souvent; à la fin, le Serviteur de Dieu y prenait peu garde; il arrivait
ordinairement, comme il en fit la remarque, qu'à la suite de ces bruits et de
ces assauts, il arrivait un grand pécheur. Il m'a raconté lui-même que
lorsqu'il était à St Trivier à l'occasion d'un jubilé, il s'était produit dans
sa chambre un bruit affreux pendant la nuit et que les habitants de la cure
avaient été éveillés.
Je déclare
que Mr le Curé d'Ars n'était point crédule et ne croyait pas facilement aux
choses extraordinaires. J'ai eu plus d'une fois l'occasion d'en faire la
remarque.
485 Session 48 – 15 mai 1863 à 8h du matin
Prosequendo
decimum octavum Interrogatorium, testis respondit:
Je sais que
le Serviteur de Dieu a été toute sa vie et surtout au commencement de son
ministère à Ars en butte à la contradiction.
486 A cette époque, ces épreuves
lui arrivaient de la part de plusieurs de ses confrères du voisinage. Trompés
par de faux rapports et ne croyant pas qu'il fût doué d'une science suffisante,
ils allaient jusqu'à défendre à leurs paroissiens de venir se confesser à Ars.
Une logeuse d'Ars me dit un jour qu'un prêtre logé chez elle lui avait avoué
être venu trouver Mr Vianney pour le sonder, qu'il l'avait vu à la sacristie,
avait demandé à lui poser quelques questions; mais qu'en sa présence il avait
été tellement troublé qu'il n'avait su que lui dire. J'ai prêché, disait ce
prêtre, devant les grands, devant des évêques; jamais je n'ai été si intimidé.
Des laïques se plaisaient aussi quelquefois à blâmer sa conduite et à la
représenter sous les couleurs les plus odieuses. Mr Vianney a beaucoup souffert
du caractère des personnes qui l'entouraient. Une des filles de la Providence
contrariait souvent ses volontés pour l'administration de la maison. Les
exigences et le caractère d'un prêtre auxiliaire qui fut avec lui dans les
premiers temps où il eut un vicaire, prêtre d'ailleurs excellent et dévoué,
mirent fréquemment sa patience à l'épreuve. Les paroissiens s'apercevaient
quelquefois de ces difficultés et prenaient parti pour Mr Vianney; celui-ci
alors le soutenait, disait du bien de lui et ajoutait: Si on lui fait de la
peine, nous partirons tous les deux. Il consentit aussi à se retirer dans un
appartement humide de la cure; les habitants s'y opposèrent. Ces contradictions
et ces épreuves, loin de le décourager et de lasser sa patience, ne
contribuaient qu'à le détacher de plus en plus des choses de la terre et à
augmenter sa confiance en Dieu.
487 Quelle que fût la confiance que Mr Vianney avait en Dieu, la
vue de ce qu'il appelait sa profonde misère et les obligations de son
ministère, lui inspiraient une grande crainte des jugements de Dieu, jetaient
parfois son âme dans la tristesse et paraissaient, d'après quelques paroles que
je lui ai entendu dire, l'avoir exposé à une sorte de tentation de désespoir.
Je lui ai entendu dire: Je demande au bon Dieu de me faire souffrir tout ce
qu'il voudra, mais au moins qu'il me fasse la grâce de n'être pas damné. J'ai
remarqué qu'au milieu de ses peines, Mr Vianney relevait toujours son courage
par les sentiments que nous fournit l'espérance chrétienne.
La vertu
d'Espérance s'est maintenue en Mr Vianney jusqu'à la fin de sa vie. Lui qui
avait tant redouté les jugements de Dieu vit arriver la mort sans aucune
crainte et avec la plus entière sérénité.
Quoad
Charitatem, testis respondit:
La vertu de
Charité envers Dieu n'a pas moins brillé en Mr Vianney que les autres vertus.
Je sais par ouï dire que dès sa plus tendre enfance il a manifesté des
sentiments d'amour envers Dieu. Sa mère l'aimait à cause de sa piété. J'ai
plusieurs fois entendu dire à Mr Vianney: Nous passions de longs moments, le
soir, ma mère et moi, auprès du feu. Nous parlions du bon Dieu. L'amour de Dieu
a grandi en lui avec l'âge. Il disait, lorsqu'il était curé: J'étais bien plus
heureux dans la maison de mon père, lorsque je menais paître mes brebis et mon
âme; j'avais du temps pour prier le bon Dieu, pour méditer, pour m'occuper de
mon âme. Dans l'intervalle des travaux de la campagne, je faisais semblant de
me reposer et de dormir comme les autres, et je priais Dieu de tout mon coeur:
c'était le bon temps, et que j'étais heureux!
Quand il entreprit
ses études, il n'eut d'autre mobile que la pensée de faire aimer et servir
Dieu. C'est cette pensée qui le soutint dans toutes les difficultés qu'il eut à
supporter pour arriver au sacerdoce.
A Ecully, où
il fut nommé vicaire, il se fit remarquer par son ardente piété; ce fut elle
qui communiqua de l'efficacité à son ministère; il se fit un devoir d'imiter,
autant qu'il le pouvait, son respectable Curé, Mr Balley; 488 si j'avais eu le
bonheur de vivre plus longtemps avec lui, disait-il, j'aurais peut-être fini
par être un peu sage. J'ai pu remarquer par diverses conversations que j'ai
eues avec des personnes d'Ecully, que pendant son ministère dans cette
paroisse, il leur avait inspiré un grand amour de Dieu.
Au
commencement de son ministère à Ars, ses paroissiens remarquèrent qu'il était
presque constamment à l'église et qu'il mettait tout en oeuvre pour réveiller
en eux les sentiments de l'amour de Dieu. Afin de faire aimer Dieu davantage,
il établit les confréries dont j'ai déjà parlé, la prière du soir en public et
la pratique de la fréquente communion. On peut dire qu'il n'avait qu'une seule
pensée: aimer Dieu et le faire aimer. Il avait une très grande dévotion au très
saint Sacrement; il aimait à dire son office à l'église, c'était là qu'il le
récitait habituellement, et à genoux. Lorsque le Saint Sacrement était exposé,
il ne s'asseyait pas, excepté quand il y avait quelque prêtre étranger, pour ne
pas faire autrement que lui. Alors il se tournait vers l'autel comme s'il avait
vu Notre Seigneur. Un de ses confrères le surprenant un jour dans cette
attitude porta instinctivement ses regards vers le tabernacle, comme s'il avait
dû y voir quelque chose. L'expression du visage de Mr Vianney l'avait tellement
frappé qu'il dit: Je crois qu'il viendra un temps où le Curé d'Ars ne vivra que
de l'Eucharistie. Le Serviteur de Dieu paraissait un ange au saint autel,
l'expression de sa figure avait quelque chose de céleste.
J'ai déjà
parlé du soin avec lequel il ornait l'église et se procurait de beaux ornements
et des vases sacrés d'un grand prix. Oh! j'aime bien, disait-il, augmenter le
ménage du bon Dieu; comment ne donnerait-on pas à Notre Seigneur tout ce qu'on
a de plus riche? N'a-t-il pas donné tout son sang pour nous? On était édifié
toutes les fois qu'on le voyait distribuer la Sainte Communion, porter le saint
viatique, donner la bénédiction du Saint Sacrement. Il éprouvait une grande
joie à annoncer la procession de la Fête-Dieu et les bénédictions de l'octave.
Il parlait de
l'amour de Dieu et du Saint Sacrement d'une manière admirable. Aimer Dieu,
disait-il, oh! que c'est beau! Il faut le Ciel pour comprendre l'amour. La
prière aide un peu parce que la prière, c'est l'élévation de l'âme jusqu'au
Ciel. Etre aimé de Dieu, être uni à Dieu, vivre en la présence de Dieu, vivre
pour Dieu: oh! belle vie, et belle mort! Il ne tarissait pas quand il avait à
parler de l’amour de Dieu. Quelquefois il prononçait ces paroles en pleurant:
Oh! que c'est dommage de ne pas aimer Dieu! Oh! être maudit de Dieu, quel malheur
pour une pauvre âme qui n'aura plus la faculté d'aimer!
Oh! Jésus,
s'écriait-il en parlant du Saint Sacrement, vous connaître, c'est vous aimer.
Si nous savions comme Notre Seigneur nous aime, nous mourrions de plaisir. 489
C'est si beau, la charité! c'est un écoulement du coeur de Jésus, qui est tout
amour. Il n'a pas voulu mourir petit pour nous, parce qu'il n'aurait pas eu
assez de sang à répandre; il a voulu mourir à l'âge de trente-trois ans pour
répandre son sang en abondance. Ce n'était pas des paroles, c'était des flammes
qui sortaient de sa bouche quand il parlait sur ce sujet.
Il ne parlait
pas d'une manière moins touchante des joies de la prière et de la vie
intérieure. La prière, disait-il, voilà le bonheur de l'âme sur la terre. La
vie intérieure est un bain d'amour dans lequel l'âme se plonge, elle est comme
noyée dans l'amour. On n'a pas besoin de beaucoup de paroles pour prier; on
sait que le bon Dieu est dans le saint tabernacle; on lui ouvre son coeur; on
se complaît en sa présence; c'est la meilleure prière.
Au
confessionnal, il parlait de l'amour de Dieu, de la malice du péché, dans des
termes auxquels il était impossible de résister. Il s'est opéré à Ars un nombre
infini de conversions; au lieu de s'en glorifier, il s'en humiliait. Un autre
prêtre, disait-il, aurait fait par le secours de Dieu cent fois plus que moi!
Le désir
qu'il avait de convertir les pécheurs et de sauver les âmes en entrant dans
l'état ecclésiastique était entièrement satisfait. Il restait constamment uni à
Dieu malgré les travaux extérieurs, malgré le nombre considérable de personnes
avec lesquelles il était en relation et qui l'obsédaient de demandes et de
questions.
Dans toutes
ses conversations, il était question de Dieu; dès qu'il s'agissait des choses
humaines, il n'était plus dans son élément. Il parlait de l'autre vie comme
s'il en fût revenu et des vanités de ce monde avec une douce et plaisante
ironie.
Il
s'intéressait vivement au triomphe de l'Église, à la glorification de Notre
Seigneur, à la dilatation de sa doctrine; il entendait parler avec plaisir des
conquêtes de la grâce; mais les attaques des impies, l'ingratitude des hommes
envers Dieu et envers son divin Fils lui causait une amère douleur.
Il arriva à
ce haut degré de charité en s'immolant lui-même complètement dans toutes les
circonstances. Il disait: Quand on n'a point de consolation, on sert Dieu pour
Dieu; mais quand on en a, on est exposé à le servir pour soi. Le désir qu'il
avait de la solitude n'avait pas d'autre but que l'union plus complète avec
Dieu.
490 Les luttes qu'il eut avec le
démon, luttes dont j'ai déjà parlé, contribuèrent à rendre sa charité plus vive
et plus désintéressée. Il en fut de même des contradictions. Les épreuves, pour
ceux que Dieu aime, disait-il, ne sont pas des châtiments, mais des grâces.
Pour un chrétien, les croix ne sont plus des croix; elles sont comme des épines
dont l'amour brûle la pointe, et elles deviennent douces comme la cendre. Il me
disait un jour: Voilà deux nuits où j'ai un peu dormi et moins souffert; le
temps me durerait encore bientôt de ne pas souffrir.
Quoad
charitatem erga proximum, testis respondit ut sequitur:
Je crois me
rappeler avoir ouï dire que quand il rencontrait des pauvres, il les menait à
la maison paternelle. Dans les champs, il plaçait sur un autel, comme je l'ai
appris de sa soeur, une petite statue de la Ste Vierge; il lui offrait ses
hommages le premier et invitait ses compagnons à faire comme lui; tous
ensemble, ils la priaient. J'ai entendu dire au Serviteur de Dieu qu'étant
jeune, un camarade d'un caractère très vif lui donnait des coups de pied aux
jambes quand il était mécontent. Il agissait ainsi, disait Mr Vianney, parce
qu'il savait que je ne disais rien.
Dès les
premiers jours de son arrivée à Ars, il se montra si bon, si bienveillant et si
affable qu'il se fit aimer de tout le monde. Il saisissait toutes les occasions
de donner individuellement à tous ses paroissiens des marques privées et
directes d'affection. Il les visitait, ne se contentant pas d'aller où on
l'appelait, mais se présentant sans être appelé. Après avoir demandé des
nouvelles de tout ce qui pouvait intéresser la famille il ne manquait pas
d'ajouter quelques mots d'édification, qui étaient écoutés avec une attention religieuse.
Je me rappelle que dans ma famille, c'était un bonheur pour tous de recevoir sa
visite.
Il
remplissait ses devoirs de pasteur avec toute la perfection possible; il
détruisit les abus et introduisit les pratiques dont j'ai parlé et qui firent
fleurir la piété. J'ai vu un grand nombre d'instructions écrites de sa main, ce
qui prouve qu'il préparait avec beaucoup de soin les sujets sur lesquels il
devait prêcher.
Il avait
offert pour la conversion des pécheurs toutes les souffrances qu'il éprouvait pendant
le jour, et pour la délivrance des âmes du purgatoire celles qu'il éprouvait
pendant la nuit; en un mot, il s'était offert en sacrifice dans cette
intention. J'ai entendu dire qu'un jour, le missionnaire qui était auprès du
Serviteur de Dieu lui demanda ce qu'il ferait si le bon Dieu lui proposait de
monter au ciel à l'instant même ou de rester sur la terre pour travailler à la
conversion des pécheurs? Je crois que je resterais, mon ami. Le missionnaire
ajouta: 491 Resteriez-vous sur la terre jusqu'à la fin du monde? - Tout de
même. - Dans ce cas vous auriez bien du temps devant vous, vous lèveriez-vous
si matin? - Oh! oui, mon ami, à minuit; je ne crains pas la peine. Je serais le
plus heureux des prêtres, si ce n'était cette pensée qu'il faut paraître au
tribunal de Dieu avec ma pauvre vie de Curé. Dans un moment où il pensait à
augmenter ses pénitences, il entendit une voix intérieure qui lui dit: Ce que
tu fais vaut mieux que toutes les pénitences que tu peux faire.
493 Session 49 - 15 mai à 3h de l'après-midi
Prosequendo
decimum octavum Interrogatorium et relative ad Charitatem, testis respondit:
Les
supérieurs ecclésiastiques de Mr Vianney comprirent que son zèle était à
l'étroit dans la petite paroisse d'Ars; ils le nommèrent curé à Salles dans le
Beaujolais; mais sur les réclamations des habitants, ils consentirent à ne pas
donner suite à la nomination. 494 Tout disposé à rendre service à ses
confrères, à les remplacer même, il visitait les malades des paroisses voisines
lorsque les curés étaient infirmes ou absents. Il prit une part très active à
plusieurs missions prêchées dans plusieurs paroisses à l'occasion du jubilé de
mil huit cent vingt-six. Un grand nombre de personnes qui s'étaient adressées à
lui vinrent le trouver à Ars. On était déjà venu précédemment d'Ecully, le
pèlerinage fut ainsi fondé.
Son grand
désir de sauver les âmes le fit fonder dans le diocèse près de cent missions;
il vint ainsi au secours des curés pour recevoir les missionnaires et
constituer l'oeuvre des missions en lui procurant des ressources. On doit dire
deux messes pour la conversion des pécheurs et pour la paroisse au moment ou se
donne la mission. Des messes ont été aussi fondées par lui, spécialement pour
la conversion des pécheurs et pour le soulagement des âmes du purgatoire.
Le pèlerinage
une fois établi, il put largement travailler au salut des âmes, on venait de
tous les pays à Ars. La vie du Serviteur de Dieu se passa dès lors presque tout
entière au confessionnal. Il commençait à confesser à une heure ou deux heures
du matin et entendait les pénitents en moyenne quinze heures par jour. Les
jeûnes, les macérations, les infirmités, le manque de repos et de sommeil ne
retranchaient rien à la longueur de ces séances; elles ne cessèrent que le
trente juillet mil huit cent cinquante-neuf, c'est-à-dire cinq jours avant sa
mort. Il mettait en pratique ce qu'il disait des saints dont le coeur se dilate
à proportion du nombre des âmes que le bon Dieu met sur leur chemin, comme les
ailes de la poule s'étendent à proportion du nombre de ses petits. La foule des
pénitents était immense. Un grand nombre passaient la nuit sous le porche de
l'église et se pressaient dès qu'elle était ouverte autour du confessionnal; on
avait établi une certaine règle; quelquefois cependant, le Serviteur de Dieu,
qui paraissait discerner ceux qu'amenaient à Ars des besoins plus sérieux ou
des nécessités plus pressantes, les appelait lui-même. Parmi ses pénitents, il
aimait de préférence les pauvres, les malades, les estropiés et les petits. Ce
fut pour venir au secours des pauvres orphelines qu'il fonda l'établissement de
la Providence. Il acheta une petite maison, sans avoir même de quoi la payer,
et commença par y recevoir une ou deux jeunes filles. 495 J'ai été moi-même la
première directrice de la Providence avec une autre fille d'Ars; quelque temps
après, nous étions quatre. Nous ouvrîmes une école gratuites pour les petites
filles, on admit aussi gratuitement quelques enfants des paroisses voisines qui
logeaient à la maison et se nourrissaient à leurs frais. Mr Vianney en reçut
autant que la maison put en contenir; il subvenait aux nécessités de chaque
jour; plus tard il fut aidé dans cette oeuvre par une personne venue de Lyon.
Il agrandit un local trop restreint, avec un don qui lui fut fait, et vendit
ses biens patrimoniaux pour lui assurer une rente; il se fit architecte et
maçon. Il installa successivement dans le local agrandi plus de soixante jeunes
filles, logées, nourries, entretenues presque toutes aux frais de la
Providence; elles se trouvaient ainsi à l'abri des dangers qu'elles avaient
courus. La maison, avec bien peu de ressources, ne laissait pas de se suffire
et d'arriver au bout de l'année.
Il fonda
aussi, dans l'intérêt de la bonne éducation des jeunes gens, une école gratuite,
dirigée par les frères de la Ste Famille de Belley.
Il aimait
beaucoup les pauvres et se plaisait à les secourir. On trouva un jour son lit
sans draps; il les avait donnés. Une autre fois, il rencontra un pauvre en
venant faire le catéchisme à la Providence; il n'avait point de chaussures, Mr
Vianney lui donna ses souliers. On lui avait fait cadeau de souliers fourrés;
je suis trop bien dans ces souliers, disait-il; si au moins j'avais rencontré
un pauvre... Quelques jours après, ils étaient la propriété d'une pauvre
vieille femme. Je mettais deux ou trois chemises à la fois dans son armoire. Il
me dit un jour: Mettez m'en davantage, j'aime en avoir beaucoup. Le lendemain,
tout avait disparu. Il ne gardait rien, se dépouillait de tout; il avait vendu
son lit, sa table, ses chaises, dont on lui avait toutefois laissé la
jouissance. Il voulut aussi vendre une rente viagère de un franc par jour,
personne ne voulut l'acheter. Il disait, comme une personne me l'a raconté: Que
nous sommes heureux que les pauvres viennent ainsi nous demander... S'ils ne
venaient pas, il faudrait aller les chercher, et on n'a pas toujours le temps.
Je serais infinie si je racontais tous les faits qui constatent la charité du
Serviteur de Dieu.
496 Il venait aussi au secours des pauvres honteux avec une grande
délicatesse. Quelquefois j'ai été chargée de porter ses aumônes secrètes. Il
payait aussi les loyers des pauvres. Il vendait ses souliers, ses soutanes, à
des personnes qui tenaient à posséder ces objets, et se procurait ainsi des
ressources pour les pauvres. A l'aumône matérielle, il ajoutait toujours
quelques bonnes et encourageantes paroles. On m'a raconté qu'en venant de
Mizérieux, il atteignit une femme qui portait une lourde cruche pleine d'huile;
il prit lui-même la cruche et la porta jusqu'auprès du village d'Ars. Il avait
une poche où il mettait l'argent des messes et une autre pour les pauvres, et
quand il n'avait pas assez donné, il faisait rechercher les personnes afin de
leur donner davantage. Il surprit un jour un voleur chez lui. Que faites-vous
là, mon ami, lui dit-il? - J'ai faim, Mr le Curé. Mr vianney lui fit une
abondante aumône et ajouta: Sauvez-vous, mon ami, sauvez-vous vite, de peur
qu'on ne vous prenne. Il était heureux de faire l'aumône à une femme aveugle
qui, ne le voyant pas, croyait être secourue par une voisine. Afin d'adoucir le
régime sévère de Mr Vianney, mademoiselle Lacan portait en secret dans le
presbytère les aliments qu'elle avait préparés et était très mécontente de les
voir ensuite dans les paniers des pauvres. Plusieurs personnes faisaient comme
mademoiselle Lacan et arrivaient aux mêmes résultats.
Interrogé sur
la vertu de Prudence, le témoin répond:
D'après tout
ce que j'ai entendu dire à des personnes dignes de foi, le Serviteur de Dieu
eut dès son enfance, non seulement, comme je l'ai dit plus haut, un goût très
prononcé pour la piété, mais encore il mit en usage tous les moyens que la
prudence chrétienne suggère pour la pratiquer lui-même et la faire pratiquer
aux autres. J'ai déjà parlé des difficultés qu'il éprouva pour étudier et des
obstacles qu'il rencontra pour arriver à l'état ecclésiastique; j'ai déjà dit
aussi les moyens surnaturels qu'il employa pour surmonter les uns et les
autres. J'ai déjà dit quels furent les moyens qu'il employa pour rétablir la
piété dans sa paroisse; j'ai remarqué, que dans le commencement de son
ministère, il ne combattit pas les abus par des moyens brusques et violents,
mais par des voies de douceur et d'insinuation, par des instructions pleines de
douceur et de foi, qui faisaient aimer la vertu, encourageaient à la pratiquer,
et surtout par l'exemple de ses prières, de ses mortifications. Il s'appliquait
à faire comprendre combien on était plus heureux en pratiquant la vertu qu'en
obéissant à ses passions. Un jour, à l'occasion d'une fête, les filles en grand
nombre vinrent se confesser; il leur dit avant de commencer: Récitons un
chapelet afin de demander à Dieu la grâce de vous bien préparer. L'une d'elles
me disait plus tard: Je crois que c'est alors qu'il a obtenu ma conversion; je
me trouvais heureuse de savoir répondre au chapelet. Elle devint ensuite l'un
des modèles de la paroisse.
Voulant faire
cesser l'abus des danses, qui étaient fort en usage dans sa paroisse, il
insista fortement sur ce point dans ses instructions. Le zèle mettait une
grande force et beaucoup de fermeté dans ses paroles. Il commença par détourner
quelques jeunes filles; d'autres imitèrent peu à peu l'exemple de leurs
compagnes. Lorsque leur nombre se fut accru, il les invita un jour à venir
manger des groseilles dans le jardin de la cure au moment même où l'on dansait
sur la place. J'étais avec elles. Mr le Curé ne vint pas avec nous, il nous fit
ensuite entrer à la cure où il nous lut la vie de sainte Catherine, vierge et
martyre; après quoi il nous dit: N'êtes-vous pas plus heureuses de vous trouver
ici que de danser avec vos compagnes? Il obtint de nouveaux succès et le
musicien ne tarda pas à être congédié. Cependant on tenait encore à la danse
qui avait lieu pour la fête patronale. Alors, il se mit à leur dire: Si l'on
dense pour la fête, je m'en irai. Les danses cessèrent complètement. Plus tard
on voulut faire une tentative pour les faire revivre, mais elle échoua.
498. Ce fut avec la même prudence que le Serviteur de Dieu introduisit
dans sa paroisse la cessation des oeuvres serviles, la sanctification du
Dimanche, l'assistance aux offices, la fréquentation des sacrements. Il
prêchait jusqu'à trois fois le jour du dimanche: à la grand'messe, à une heure
pour faire le catéchisme, le soir à la prière. Ses instructions étaient
simples, pathétiques, et à la portée de tout le monde. J'ai remarqué que la
Prudence qu'il pratiquait si bien, il la recommandait aux autres dans ses
instructions, particulièrement aux mères de famille, aux domestiques. Il ne
voulait pas qu'une mère de famille négligeât le soin de sa maison pour venir à
l'église lorsqu'elle n'y était pas obligée. J'ai entendu dire à plusieurs personnes
qu'elles ne s'étaient jamais repenties d'avoir suivi ses conseils. Une fois, au
commencement du Carême, il me défendit de jeûner. Mais vous jeûnez bien, vous,
Mr le Curé. - C'est vrai, me dit-il, mais moi, en jeûnant, je puis faire mon
ouvrage; vous, vous ne le pourriez pas. Aussi vers la fin de sa vie
consentit-il à prendre quelque chose après sa messe, parce qu'il avait besoin
de se soutenir pour pouvoir parler. Ce qui explique cette conduite, c'est qu'en
effet autant il était dur pour lui-même, autant il était bon pour les autres.
Ce que j'ai
dit au sujet de la fondation de la Providence, de celle des Frères et des
missions, montre la grande prudence qu'il déploya dans toutes ses oeuvres;
aussi voulait-il qu'on se confiât en la divine Providence, mais non qu'on lui
demandât des prodiges. Tout le monde dans sa paroisse a pu remarquer sa
prudence dans ses rapports avec ses paroissiens, dans l'exercice de son
ministère. J'ai dit ailleurs que j'ai vu ses cahiers d'instructions écrites, ce
qui supposait qu'il les préparait soigneusement; on l'a entendu s'exercer à les
débiter. 499 Si plus tard il n'y a plus apporté la même préparation, c'est que
vu la multiplicité de ses travaux et l'affluence des pèlerins, il n'en avait
pas le temps; Dieu alors l'assistait d'une manière particulière, c'est la
remarque qu'on faisait généralement.
501 Session 50-16 mai 1863 à 8h du matin
Prosequendo
decimum octavum Interrogatorium et relative ad Prudentiam, testis respondit:
La Prudence
du Serviteur de Dieu se faisait aussi remarquer au tribunal de la pénitence; il
donnait à chacun les conseils les plus convenables. On comptait tellement sur
sa prudence, qu'on venait fréquemment lui demander des conseils dans les
situations difficiles et lorsqu'il était question d'entreprises importantes. De
toutes parts, on appelait ses encouragements et ses bénédictions.
Il était très
réservé et très prudent dans ses conversations au sujet de l'apparition de la
Salette; il montra sa prudence ordinaire; d'après ce que Maximin lui avait dit,
il était porté à croire que l'apparition n'avait pas eu lieu, d'un autre côté
l’évoque de Grenoble s'était prononcé en faveur de l'apparition; il s'abstenait
d'en parler, mais à cause de la décision épiscopale, il ne s'opposait point à
ce que les personnes qui s'adressaient à lui fissent le pèlerinage de la
Salette.
Au milieu des
contradictions qu'il eut à subir, il resta calme et sans inquiétude; il évitait
prudemment tout ce qui pouvait froisser ses contradicteurs et cependant il
faisait toujours ce que sa conscience lui inspirait de faire, sans se
préoccuper de ce qu'on pourrait dire. On fait beaucoup plus pour Dieu,
disait-il, en faisant les mêmes choses sans plaisir et sans goût; il est
possible que l'on me chasse, mais en attendant je fais comme si je devais
toujours rester. Ces épreuves lui étaient utiles: Au moins, disait-il, je ne
trompe pas tout le monde. Un jour une personne lui dit qu'il était un saint,
une autre qu'il était un hypocrite. Si je croyais l'un, dit-il, j'aurais de
l'orgueil; si je croyais l'autre, je me découragerais. Il ne faut faire aucune
attention aux éloges ni aux injures. Nous sommes ce que nous sommes devant
Dieu, et pas davantage.
Quoad
Justitiam, testis respondit: ;
Le Serviteur
de Dieu remplit toujours exactement les devoirs que la religion impose; il
avait une très grande horreur du péché. Quand on lui parlait de quelque
accident, il répondait: C'est un moins grand mal qu'un péché véniel. Il
s'efforça toujours de pratiquer les conseils évangéliques et de suivre les
inspirations de la grâce.
Il était très
exact à remplir à l'égard des autres les devoirs de la charité et de la
politesse. Il semblait que chacun était son meilleur ami; il était plein
d'affabilité, de cordialité, et mettait tout le monde à l'aise; il s'oubliait lui-même
pour ne penser qu'aux autres. 503 Il portait si loin le respect qu'il avait
pour ceux qui lui faisaient une visite, qu'il ne s'asseyait point devant eux et
les obligeait à s'asseoir. Il se servait toujours de formules très polies et
très respectueuses. Il vénérait très profondément ses confrères, il
s'empressait de sortir du confessionnal dès qu'ils le demandaient et de les
entendre dès qu'ils réclamaient son ministère. Il honorait comme il devait le
faire les grands et les puissants de la terre. Il était avec eux simple,
affable et respectueux. Jamais, Mr Vianney ne blessait et ne repoussait
personne; un aimable abandon présidait à toutes ses relations, sans jamais
tourner à la familiarité. Il était bon en particulier pour les pauvres, les
ignorants, les infirmes et les pécheurs; il cherchait à contenter tout le
monde; on ne saurait dire combien il avait d'attentions pour ceux qui étaient
autour de lui, combien il s'intéressait à leur santé.
Il fut
toujours très respectueux à l'égard de son père et de sa mère, il était très
reconnaissant des services qu'il en avait reçus; il parlait surtout de sa mère
avec une tendre affection à cause des sentiments de piété qu'elle lui avait
inspirés dès son enfance. Il recevait ses parents à Ars avec une grande cordialité.
Pour les porter à manger, il ne craignait pas de sortir de son régime ordinaire
et de manger avec eux. Il fut toujours très reconnaissant envers les habitants
des Noës. Un jour que la fille de la veuve Fayot, qui lui avait donné
l'hospitalité, était venue le voir à Ars, il lui acheta un parapluie de soie en
souvenir des bons soins qu'il avait reçus de sa mère. Sa reconnaissance pour Mr
Balley dura autant que sa vie. Il parlait souvent de ce vénérable
ecclésiastique et ses yeux alors se remplissaient de larmes. On voulait,
disait-il, faire son portrait: il n'y consentit pas; je le regrette beaucoup,
parce que je serais bien heureux de le posséder. Il était sensible aux moindres
services qu'on pouvait lui rendre; l'expression de sa figure, ses paroles et
ses gestes indiquaient alors combien il était touché dés attentions qu'on avait
pour lui.
Quoad
Obedientiam, testis respondit:
Il parlait du
Saint Père avec un souverain respect, il était constamment disposé à obéir à
ses ordres; il avait en vénération les lois de l'Église et sa discipline, il
s'efforçait de ne jamais s'en écarter.
Il avait un
grand goût pour la solitude; il pensait que retiré du monde, il pourrait plus
facilement prier Dieu, s'unir constamment à lui. Ce fut le motif pour lequel
deux fois il quitta sa paroisse, sans avoir l'intention cependant de désobéir à
son évêque. La première fois, avant de partir il remit à Mr Raymond, curé de
Savigneux, une lettre qu'il le chargea de remettre à Monseigneur de Belley. 504
Le prélat exigea que Mr Vianney restât dans son diocèse, en lui laissant le
choix de se fixer à Beaumont ou à Montmerle, ou de revenir à Ars. Le Serviteur
de Dieu, après avoir dit la messe à Beaumont, revint à Ars, au grand
contentement de la population. Lorsqu'il voulut quitter Ars la seconde fois, il
me remit une lettre pour Mgr l’Évêque de Belley. On voit que dans ces diverses
circonstances, il resta toujours soumis à l'autorité épiscopale. Malgré le
projet qu'il avait formé de vivre dans la solitude, il se décida cependant à rester
où l'obéissance l'appelait. Quelques temps après la seconde fuite, les
habitants de Dardilly, ayant appris que Mr Vianney voulait quitter Ars,
envoyèrent deux hommes avec une voiture pendant la nuit. L'un de ces hommes
vint faire faction à la porte de la cure et attendre le moment où Mr le Curé
sortirait après minuit. Ce moment arrivé, il s'approcha du Serviteur de Dieu et
l'engagea à partir avec lui, en lui disant qu'il avait amené une voiture; il le
prit même par le bras pour l'entraîner avec lui. Mr Vianney lui répondit: Je ne
vous suivrai pas, je n'ai pas la permission de mon évêque.
Quoad
Religionem, testis respondit:
Le Serviteur
de Dieu aimait tout ce qui se rapporte au culte et à la gloire de la religion.
Il aimait les images, les croix, les scapulaires, les chapelets, les médailles,
l'eau bénite, les confréries, les reliques. Quand il pouvait se procurer des
reliques, il était dans une grande joie. Il aimait beaucoup à en recevoir et
peu à en donner; il en a cependant distribué à beaucoup de personnes. Son
église, sa chapelle de la Providence en étaient remplies. S'il rencontrait
quelqu'un qui devait faire le voyage de Rome, il lui disait: Ne manquez pas de
m'apporter des reliques. Il assistait avec un grand contentement aux cérémonies,
aux offices et aux sermons.
Il avait une
très grande dévotion pour la Ste Trinité; il avait une image représentant les
trois personnes divines pour marquer son bréviaire, et quand il changeait de
volume, il ne manquait jamais de prendre l'image. Il engageait les personnes à
se réunir au nombre de trois pour réciter des Gloria Patri. Jésus-Christ dans
le St Sacrement semblait être sa vie, il en parlait souvent et quand il en
parlait ou qu'il était près des autels, son coeur paraissait être en feu. 505
Il respectait toutes les pratiques de dévotions particulières en usage dans
l'Église et les conseillait volontiers. Il était du tiers-ordre de St François
et de plusieurs autres confréries. Il aimait à réciter l'office divin en union
avec Notre Seigneur et pour faciliter cette union, il avait attaché aux
différentes heures de l'office le souvenir des scènes de la Passion et il
m'avait chargée de les indiquer par écrit sur chacun des volumes du bréviaire.
Il engageait
les fidèles à prier et à agir avec des intentions particulières, à honorer le
Dimanche la très sainte Trinité, le lundi le St Esprit, le mardi les anges
gardiens, le mercredi les saints patrons ou St Joseph, le jeudi le St
Sacrement, le vendredi la passion de Notre Seigneur, le samedi l'immaculée
conception de la Ste Vierge. Il disait chaque jour sept Gloria Patri en
l'honneur du Sacré Coeur.
Sa dévotion à
la Ste Vierge commença dès son enfance. J'aimai, me disait-il, la Ste Vierge
même avant de la connaître. On m'avait donné une petite statue qui la
représentait; je ne pouvais pas me séparer d'elle, je la mettais dans mon lit
pendant la nuit. J'ai déjà parlé des petites statues qu'il faisait lui-même;
l'une a été conservée plusieurs années dans la famille. J'ai dit aussi qu'il
invitait ses petits compagnons à honorer avec lui dans les champs la reine du
Ciel. Quand il travaillait la vigne, il plaçait devant lui la statue de la Ste
Vierge qu'on lui avait donnée et la changeait de place à mesure qu'il avançait.
Vicaire à Ecully, il récitait avec Mr Balley tous les matins trois Ave Maria et
le soir un Pater et un Ave. Plusieurs personnes imitèrent leur exemple. Il
recommandait aux fidèles de dire dans la même intention un Ave Maria quand
l'heure sonnait, et il avait fait placer pour cela une horloge à l'église; il
s'arrêtait même au milieu de ses instructions pour réciter cette prière avec
les assistants. Tous les soirs à la prière, il disait, en chaire, le chapelet
de l'Immaculée Conception. Il avait fait voeu de dire la Ste Messe ou de la
faire dire tous les samedis en l'honneur de la Sainte Vierge. 506 Il disait:
J'aime beaucoup St Joseph et saint Jean, parce qu'ils ont pris soin de la
Sainte Vierge. Si je n'allais pas au Ciel, je serais fâché! Je ne verrais
jamais la Ste Vierge, cette créature si belle. Il disait encore: Supposez un
homme bien riche qui avait beaucoup d'enfants. Tous sont morts, excepté un
seul, qui hérite de sa fortune. Ainsi il en est des pauvres enfants d'Adam:
tous étaient morts, et la Ste Vierge a hérité des dons surnaturels qui leur
étaient destinés. Il avait sur ce sujet une infinité d'autres pensées belles,
pieuses et touchantes.
Le jour où le
dogme de l'Immaculée Conception fut défini fut pour lui un jour de joie
immense. Il fit faire une magnifique chasuble, pour rappeler ce touchant
souvenir. Depuis longtemps il a-vait consacré sa paroisse à Marie Immaculée.
Ces deux derniers mots étaient écrits sur plusieurs de ses livres. Il célébrait
avec une grande pompe les fêtes de la Ste Vierge. Il avait engagé tous les
ménages à avoir une image de la Vierge Immaculée, signée de sa main, avec le
nom de la famille, qui était ainsi consacrée à la Mère de Dieu, et à placer des
statues dans leurs maisons. Il avait fait placer une statue de la reine des
cieux sur la façade de son église. Il recommandait aux mères de famille de
consacrer tous les matins leurs enfants à la Ste Vierge, quand ce ne serait que
par un Ave Maria. Il conseillait des neuvaines au saint Coeur de Marie pour la
conversion des pécheurs. Je remercie Dieu d'avoir pris un si bon coeur pour les
pécheurs et d'en avoir donné un si bon à sa sainte Mère. Il avait établi dans
la paroisse l'Archiconfrérie du Coeur Immaculé de Marie. Il conduisit tous ses
paroissiens en pèlerinage à Fourvière, où il célébra la Ste Messe, et communia
un grand nombre des personnes qui composaient la procession.
Il avait
aussi une grande dévotion aux saints; il en vénérait quelques uns en
particulier. J'en ai écrit moi-même la liste sur le dernier feuillet de ses
bréviaires. Il avait voué un culte spécial à Ste Philomène, qu'il appelait sa chère
petite sainte. Il mettait sur son compte toutes les faveurs et tous les
prodiges qui ont contribué à la célébrité du pèlerinage d'Ars. 507 Il lui avait
fait construire une chapelle. Il lisait continuellement la vie des saints. Je
trouvais en effet chaque jour sur sa table le volume que j'avais la veille mis
à sa place dans la bibliothèque. Il ne se lassait pas de raconter les traits,
les épisodes, les circonstances les plus minutieuses de leur vie, qui s'offraient
à sa mémoire avec une abondance et une précision admirables.
Il
encourageait beaucoup à prier pour les âmes du purgatoire, lui-même ne cessait
de prier pour elles; il offrait à leur intention ses douleurs et ses insomnies
de la nuit. Ces saintes âmes, disait-il, ne peuvent rien pour elles, mais elles
peuvent beaucoup pour nous.
509 Session 51 - 16 mai 1863 à 3h de l'après-midi
Prosequendo
decimum octavum Interrogatorium et relative ad Orationem, testis respondit:
Je ne puis
rien dire de bien précis sur son oraison, mais tout indiquait dans sa conduite
habituelle, que son âme était continuellement unie à Dieu. Un grand nombre de
faits que j'ai rapportés le prouveraient suffisamment. 510 Dans ses prières et
ses oraisons, aucun signe extérieur, extraordinaire, ne révélait les opérations
de la grâce; on ne s'en apercevait qu'à son air pieux et profondément
recueilli; il était ennemi de toute affectation.
Quoad
fortitudinem, testis respondit:
Mr Vianney a
pratiqué la vertu de force toute sa vie. C'est elle qui lui a fait embrasser un
genre de vie si dur et si pénible à la nature. Il a été fort contre lui-même,
pour se vaincre et pour dompter ses passions; il a été fort contre les
obstacles et les difficultés qu'il a rencontrés. En parlant de l'Espérance,
j'ai assez montré quelle était sa confiance en Dieu. Quant à la constance, il
en a fait preuve en persévérant jusqu'à la fin dans la vie de mortification et
de sacrifices qu'il avait embrassée.
Quoad
Patientiam, testis respondit:
Il a pratiqué
toute sa vie la vertu de Patience, quoiqu'il fût naturellement d'un caractère
très vif. Pendant qu'il était réfugié aux Noës, il promit à Dieu de ne jamais
se plaindre, quoi qu'il lui arrivât. Voici à quelle occasion: Obligé de se
cacher pour échapper à une visite de gendarmes, il se trouva pendant plusieurs
heures dans la position la plus pénible. Jamais, disait-il plus tard, je n'ai
tant souffert. C'est alors qu'il fit la promesse en question et il la tint
toute sa vie.
Le Serviteur
de Dieu a eu beaucoup à souffrir de différentes infirmités qui s'aggravaient
d'année en année à mesure qu'il approchait de la vieillesse. Il était sujet à
des douleurs d'entrailles, àdes maux de tête fréquents, mais quelles que
fussent ses douleurs, non seulement il les supportait avec une grande patience,
mais encore il conservait toujours un visage calme et souriant; il plaisantait
lui-même sur ses grandes souffrances; il se contentait de dire parfois: Oui, je
souffre un peu. Il prenait très peu de sommeil et il convenait lui-même que lorsqu'il
avait dormi deux heures, cela était suffisant pour le reposer. Le plus souvent,
il ne jouissait pas même de ce repos. Accablé, épuisé de souffrance, il se
levait à tout instant, comme il l'a avoué parfois. On l'a vu si faible et si
abattu qu'il ne marchait qu'en chancelant et ne se rendait à l'église qu'avec
peine. Cet état de prostration ne l'arrêtait pas dans l'exercice de son zèle,
dans la visite de sa paroisse et des paroisses voisines, dans les soins qu'il
prodiguait aux pèlerins. 511 Pendant l'été, la chaleur l’étouffait au
confessionnal et lui donnait, il en convenait lui-même, une idée de l'enfer; il
en était de même en sens inverse pendant l'hiver. Au milieu de toutes ses
souffrances, jamais un mot de plainte. Sa patience n'était pas moins grande
quand il avait à supporter quelque humiliation ou quelque contradiction. Ce
n'est pas qu'il n'éprouvât intérieurement une vive répugnance. J'ai entendu,
moi-même, quelqu'un lui parler d'une manière très dure; le pauvre curé
tremblait de tous ses membres, mais pas un mot de reproche. Il disait lui-même
à la suite d'une autre scène de ce genre: Quand on a vaincu ses passions, on
laisse trembler ses membres.
Quelle
patience ne lui fallait-il pas chaque jour pour rester maître de lui-même et
plein de bonté au milieu de cette foule qui le poursuivait, le pressait, le
harcelait sans cesse, sans, épargner les importunités et les indiscrétions. On
allait jusqu'à lui couper ses cheveux. Une personne fut obligée de se tenir
auprès de lui à l'église pour empêcher ce zèle inopportun. Cette personne eut
de la peine un jour à empêcher un pèlerin d'exécuter son projet. Le bon Curé,
entendant la discussion qui s'éleva à ce sujet, se tourna et dit: Vous faites
bien tant de bruit. - Mais, Mr le Curé, on vous coupe les cheveux! - Il en
reste encore assez, répliqua-t-il sans la moindre marque d'impatience, et il
continua ce qu'il faisait. Une personne avec qui il vivait habituellement, a
beaucoup exercé sa patience, il ne l'en aima qu'avec plus de tendresse. Combien
je lui ai de reconnaissance! disait-il; sans elle, j'aurais eu de la peine à
savoir que j'aimais un peu le bon Dieu.
On le
calomnia souvent, on alla jusqu'à l'attaquer dans ses moeurs; on lui écrivit
des lettres remplies d'injures. Il supporta tout avec patience. Il se
contentait de dire à ce sujet: quand j'étais calomnié, j'étais heureux. Il me
disait un jour: Il ne faut jamais parler de ses souffrances. - Mais, Mr le
Curé, lui répondis-je, quand on a le coeur fatigué, c'est un soulagement de
verser ses peines dans le sein d'un ami. Il me répondit: Oh! non, il vaut mieux
ne rien dire. Une fois, j'éprouvais beaucoup d'ennuis, des contradictions, j'ai
voulu en faire part à quelqu'un de bien prudent, mais aussitôt après, je me
suis senti le coeur tout sec devant le bon Dieu.
Quoad
Temperantiam, testis respondit:
Pendant qu'il
faisait ses études à Ecully, il pratiquait déjà la mortification. 512 C'est
ainsi que j'ai appris de sa cousine Fayolle qu'il l'avait priée de lui faire sa
soupe sans beurre et sans lait et qu'il n'était pas content lorsqu'elle ne se
conformait pas à ses désirs; dès lors, il se contentait ordinairement de sa
soupe.
J'ai su que
pendant qu'il était vicaire à Ecully, il redoubla ses mortifications,
rivalisant de zèle avec son curé, Mr Balley. Effrayé des mortifications de ce
saint homme, il pria Mr Courbon, Vicaire Général, de le rappeler à la
modération; le curé en fit autant pour son vicaire. Ensemble, ils se privaient
de vin à leurs repas, mangeaient peu et toujours des mets assaisonnés de la
même manière pendant un assez long temps. Avant de mourir, Mr Balley remit
confidentiellement ses instruments de pénitences à son cher disciple.
En arrivant à
Ars, Mr Vianney amena avec lui pour lui servir de domestique une bonne veuve,
qui ne resta pas longtemps à poste fixe. Mr le Curé se passait volontiers de
cuisinière. La bonne femme revenait de temps en temps, seulement alors elle
était sûre de ne rien trouver dans le ménage de son curé, pas même du pain;
elle lui en apportait quand elle revenait; bientôt même cette femme ne revint
plus, Mr Vianney resta complètement seul. Une femme d'Ars, nommée Claudine
Renard, lui rendait quelques petits services pour son ménage. Cette bonne
voisine a souvent pleuré en voyant le régime si sévère de son curé. Il avait eu
en héritage de Mr Balley, curé d'Ecully, un petit mobilier; un lit, une
armoire, des chaises et des linges. Les pauvres en héritèrent à leur tour.
Lorsque Claudine Renard allait faire, le matin, le lit de Mr le Curé, elle
trouvait à coté la couette de plume, le matelas; elle remettait/tout en place,
mais bientôt ces objets avaient disparu, il ne restait plus que la paillasse.
Souvent même, Mr Vianney coucha dans son grenier, sur le plancher. Chaque
année, ses paroissiens lui donnaient du blé qu'on faisait moudre; il en faisait
des matefaims. J'avais bientôt, me disait-il, préparé mon dîner. Je faisais
trois matefaims; pendant que je faisais le second, je mangeais le premier; en
faisant le troisième, je mangeais le second; je mangeais le troisième en
rangeant ma poêle et mon feu. Je buvais un bassin d'eau et je m'en allais, et
j'en avais pour deux ou trois jours. Quand on lui faisait un pain, ce n'était
pas lui ordinairement qui achevait de le manger; les pauvres en avaient la plus
grande part. Un jour Claudine Renard lui porta un pain tout entier; le soir il
ne restait rien, Mr le Curé l'avait donné. 513 Cette même femme trouva une fois
Mr Vianney mangeant de l'oseille: dans son jardin; il lui dit: J'ai essayé de
manger de l'herbe, je n'ai pas pu y tenir, le pain paraît nécessaire. Mr
Vianney faisait aussi quelquefois cuire des pommes de terre pour plusieurs
jours et quand la faim le pressait, il prenait une ou deux de ces pommes de
terre et son repas était fait. Il achetait du pain des pauvres, il en faisait
sa nourriture. Mademoiselle Lacan remplaça Mme Renard à sa mort. Elle se
prêtait volontiers à rendre à Mr Vianney quelques petits services; elle lui
préparait de temps en temps sa nourriture, elle s'efforçait d'introduire
quelqu'adoucissement dans le régime si sévère du Serviteur de Dieu; mais elle
ne réussit pas mieux que ne l'avait fait Claudine Renard. Mademoiselle
Pignault, autre personne pieuse et dévouée qui prit pendant quelque temps soin
du ménage de Mr le Curé, ne fut pas plus heureuse. Un jour mademoiselle Lacan,
ayant préparé un pâté, le porta en cachette dans une armoire de la cure. Le
soir, quand Mr le Curé fut rentré, elle se rendit au presbytère et dit à Mr
Vianney d'un air tout joyeux: Mr le Curé, voulez-vous manger du pâté? -
Volontiers, répondit le Curé. Mais la bonne demoiselle étant allée à l'armoire,
ne trouva rien. Le pâté, découvert par Mr Vianney, avait disparu. Une autre
fois, mademoiselle Lacan porta à Mr le Curé un plat de beaux matefaims, que le
pasteur avait accepté d'avance. Quand le plat est devant lui, il joint les
mains, lève les yeux au ciel comme pour dire le Benedicite et tandis qu'on fait
le signe de la croix et qu'on se recueille autour de lui, il prend les
matefaims, descend rapidement et les porte aux pauvres. Mr Vianney macérait son
corps par de violentes disciplines. Mademoiselle Lacan m'a dit l'avoir entendu
se frapper, une heure ou deux. Un cilice en crin usé, son linge ensanglanté,
des morceaux de chaîne trouvés chez lui, prouvent la sévérité dont il usait à
l'égard de son corps. Il commanda un jour à un maréchal de petits morceaux de
fer qui pouvaient s'adapter à une chaîne. Nous achetâmes par ses ordres une
chaîne d'une grosseur déterminée; des clefs trouvées souvent éparses dans sa
chambre avaient sans doute servi aux mortifications qu'il s'infligeait. Il
cachait ses instruments de pénitence. Je vis néanmoins un soir une discipline
oubliée, il me recommanda d'en rien dire. 514 Nous lui préparions tous les
jours une tasse de lait avec un peu de chocolat, c'était tout ce qu'il prenait
quelquefois pendant huit ou neuf jours. Plus d'une fois, arrivé chez lui, il
appelait en secret une de nos enfants et lui faisait porter sa nourriture aux
pauvres. Nous nous apercevions souvent que le pain, le fromage, déposés chez
lui pour la journée, allaient aux pauvres. Il ne buvait point de vin à moins
qu'il ne fût en compagnie. Il prit un peu de vin blanc pendant sa maladie par
ordre du médecin. On lui portait le matin une tasse de lait, à midi un plat de
légume ou de la viande. Il nous avait défendu de lui servir plus d'un plat. Il
mangeait à peine une livre de pain par semaine. Pendant le Carême, il ne
faisait qu'un seul repas à midi; quelques années avant sa mort, il prenait
quelque chose le matin, mais il mangeait moins à midi. Je lui disais un jour:
Mr le Curé, mangez donc un peu plus, vous ne pourrez pas tenir en vivant de la
sorte. - Oh! que si! répondit-il gaîment; j'ai un bon cadavre, je suis dur.
Après que j'ai mangé, et que j'ai dormi deux heures, je peux recommencer. Il
était quelquefois si épuisé qu'il était obligé de se lever pendant la nuit pour
prendre quelque chose. Je le rencontrais une fois ne pouvant plus se soutenir.
Je lui dis: Vous êtes bien content maintenant. Il me répondit: Beaucoup! Allons,
disait-il quelquefois quand il pouvait à peine se soutenir, allons, mon pauvre
Colon, debout, tiens-toi bon!, faisant allusion à un ivrogne de ce nom qui
s'apostrophait ainsi pour se donner des jambes. Il nous disait: Je pense
souvent, mais je n'ose pas vous le dire; que si vous aviez plus de charité pour
moi; vous ne prépareriez rien pour moi; vous m'enverrez en purgatoire. Il me
dit un jour: Le matin, je suis obligé de me donner deux ou trois coups de
discipline pour faire marcher mon cadavre, ça réveille les fibres... Il vaut
mieux, disait-il encore, coucher sur un lit dur, il n'en coûte pas tant pour se
lever. Quoiqu'il craignît beaucoup le froid, il ne portait jamais de manteau et
il fallait avoir recours à des ruses pour lui faire porter des vêtements un
peut chauds. Pendant les premières années qu'il était à Ars, il pouvait plus
facilement, comme il me le disait, se livrer aux pratiques de la pénitence,
parce qu'il était plus libre. J'ai oublié de dire qu'une dame m'a raconté que
lorsqu'il était au grand séminaire, il se donnait la discipline une partie de
la nuit. 515 Elle tenait ce fait d'un ecclésiastique qui habitait à côté de sa
cellule.
J'ai trouvé
un billet écrit de sa main, où il se proposait de se priver de certains
aliments pendant un certain temps. Il aimait beaucoup les fruits, il n'en
mangeait jamais depuis un bon nombre d'années.
Quoad
Paupertatem, testis respondit:
A Ars, le
Serviteur de Dieu a presque continuellement vécu d'aumônes. Les pauvres meubles
qui meublaient sa chambre ne lui appartenaient pas. Parmi les pièces qui
composaient le presbytère, sa chambre à coucher seule était logeable et
cependant elle était plus modeste que celle d'un religieux. Dans cette petite
pièce laide, noire, enfumée, éclairée par deux fenêtres sans rideaux, tout
avait et tout a conservé jusqu'à présent un air de vétusté et de délabrement.
Je lui portais son déjeûner dans des tasses un peu convenables que l'on me
donnait pour avoir celle dont il s'était servi; elles disparurent et nous
trouvâmes les morceaux dans un coin. Nous lui fîmes des reproches. On ne peut
donc pas venir à bout d'avoir la pauvreté dans son ménage..., répondit-il. Il
ne s'occupait point du tout de son vestiaire; on
lui achetait ses soutanes et ses chemises. On rachetait ensuite les soutanes en
l'autorisant à les porter aussi longtemps qu'il voudrait. L'argent qu'on lui
donnait était pour ses pauvres. Le désordre de sa mise prêtait quelquefois à
des plaisanteries. C'est assez bon pour le Curé d'Ars, disait Mr Vianney: quand
on a dit: C'est le Curé d'Ars, on a tout dit. Un jour il jeta par mégarde un
billet de banque de cinq cents francs au feu. Je lui dis: Mr le Curé, vous avez
des billets de banque, prenez garde de ne pas les brûler. Il me répondit sans
émotion: Tiens, c'est fait. Il était complètement détaché de tous les biens de
ce monde et n'éprouvait aucun désir de voyager, dans ce siècle de voyages; 516
il n'a jamais vu les chemins de fer, qui amenaient tant de pèlerins à Ars et
qui passaient près de sa paroisse.
Quoad
humilitatem, simplicitatem et modestiam, testis respondit:
La simplicité
et la modestie brillaient d'une manière toute particulière dans le Serviteur de
Dieu. Chez lui point d'ostentation, point de mise en scène, rien de contraint
ni d'affecté, rien absolument de l'homme qui veut paraître. Une simplicité
d'enfant, un mélange d'abandon, de candeur, d'ingénuité, de grâces naïves qui,
se combinant avec la finesse de son tact et la sûreté de son jugement, donnait
un charme inexprimable à sa conversation et à toute sa conduite. Au milieu de
tous les éloges qu'il recevait, de la gloire qui l'entourait, il était d'une
humilité admirable. Il me dit un jour, en me racontant que Monseigneur avait
demandé si Mr le Curé d'Ars n'avait point d'orgueil au milieu de la foule qui
s'empressait autour de lui et lui donnait des marques si nombreuses de
vénération: Je serais plus tenté de désespoir que d'orgueil. Je n'ai jamais
remarqué, ni dans ses paroles, ni dans ses actions, rien qui indiquât un retour
sur soi-même, un sentiment d'orgueil. Mgr Devie lui avait offert la paroisse de
Fareins; il était décidé à accepter, parce qu'il pensait pouvoir établir plus
facilement sa Providence. Il fit part de son projet à mes compagnes et à moi.
Mais le lendemain il vint nous trouver et nous dit: Pauvre orgueilleux, j'étais
sur le point d'accepter Fareins, et je puis à peine faire le bien dans la
petite paroisse d'Ars. Pauvre orgueilleux! J'ai déjà tant de peine à me
défendre contre le désespoir à cause de la responsabilité des âmes. On l'a vu
plus d'une fois les jours de Dimanche quitter précipitamment sa stalle, se
réfugier dans la sacristie et en fermer la porte, parce que le prédicateur
disait quelques mots à sa louange. 517 Il se regardait comme le plus grand des
pécheurs et quant aux facultés intellectuelles, il se comparait à un idiot de
la paroisse.
519 Session 52 - 18 mai 1863 à 8h du matin
Prosequendo
decimum octavum Interrogatorium et relative ad humilitatem, testis respondit:
On avait fait
le portrait du Serviteur de Dieu sans son consentement, à cause de la
vénération qu'on avait pour lui. Ce portrait avait été lithographie et mis en
vente. Beaucoup de personnes le vendaient à Ars; il en était très peiné. Quand
il le voyait, il disait, avec mépris: Toujours ce carnaval... C'était le
nom qu'il donnait à son portrait. 520 Quand il eut vu le premier, il vint à la
Providence et me dit: On a fait mon portrait, c'est bien moi, j'ai l'air bête,
bête comme une oie... Il dit un jour à une petite marchande: Tu me pends et tu
me vends. Quelquefois on lui présentait ce portrait à bénir, à la sacristie.
Qu'est-ce que vous avez là? disait-il. On vous a trompé: cela ne vaut rien du
tout. Et il refusait de les bénir et de les signer. On avait mis en vente un
portrait mieux soigné et plus cher que les autres. Hélas! dit en souriant Mr
Vianney, on est bien averti à chaque instant du peu qu'on vaut... Quand on me
vendait deux sous, j'avais encore des acheteurs; depuis qu'on me vend trois
francs, je n'en ai plus...
Il n’aimait pas la publicité
qu'on donnait à son nom. Il était très peiné des biographies que l'on
imprimait. Pourquoi travaille-t-on tant sur moi et pas sur les autres,
disait-il. Un ecclésiastique qui avait été avec lui lui fit part du projet
qu'il avait de faire sa vie, il en fut très peiné. L'humilité était sa vertu
favorite, il en parlait sans cesse. Elle est pour les vertus, disait-il, comme
la chaîne du chapelet; si la chaîne est brisée, les grains s'en vont; si
l'humilité cesse, toutes les vertus disparaissent. Il rappelait souvent un
trait de la vie de saint Macaire. Le diable, disait-il, lui apparut un jour et
lui adressa ces paroles: Tout ce que tu fais, je le fais mieux que toi. Tu
jeûnes, je ne mange jamais; tu veilles, je ne dors jamais; mais il est une
chose que tu fais et que je ne puis faire; tu pratiques l'humilité.
Il recevait
souvent des lettres de louanges; il disait alors: Si on me connaissait, on ne
m'écrirait pas de la sorte. Il paraissait content toutes les fois que des
personnes, qui avaient entendu parler de lui avec éloge, disaient en le voyant,
avec une espèce de surprise, qui exprimait le désappointement: C'est donc
vous?... Des personnes haut placées, des évêques, des hommes illustres,
venaient visiter le Serviteur de Dieu; il était humilié de recevoir ces visites
et il disait: J'aimerais bien mieux voir une pauvre vieille femme qui viendrait
me demander l'aumône.
Monseigneur
Chalandon, évêque de Belley, le nomma chanoine honoraire, et lui apporta
lui-même le camail. Lorsqu'il voulut l'en revêtir, il pria Mgr de le donner à
un confrère qui était présent. Il consentit par obéissance à le garder pendant
la cérémonie. Il le vendit à une personne pieuse pour compléter une fondation.
Il me dit: Des personnes ont pensé que Mgr serait mécontent de ce que j'avais
vendu mon camail. Je lui ai écrit qu'il me manquait encore cinquante francs
pour compléter une fondation de mission et qu'il ne serait pas fâché d'y avoir
contribué. Il me disait plus tard: J'ai eu de l'esprit de vendre mon camail, on
se serait moqué de moi.
Lorsqu'il
reçut l'écrin dans lequel était la croix qui lui avait été conférée par le chef
de l'Etat, il ne savait pas ce qu'il renfermait, si c'était des reliques ou
autre chose. Quand il l'eut ouvert, il dit à Mr Toccanier qui lui avait apporté
l'écrin: C'est ma croix! Tenez, mon ami, vous aurez le profit, moi l'honneur.
J'aurais bien préféré qu'on m'eût donné quelque chose pour mes pauvres. J'étais
présente quand ce fait eut lieu.
J'ai demandé
à Dieu, me dit-il un jour, de connaître ma pauvre misère. Je l'ai connue et
j'ai été si accablé que je l'ai prié de diminuer la peine que j'éprouvais; il
me semblait que je ne pouvais plus y tenir.
Dès qu'il
s'apercevait qu'en parlant de lui, il attirait l'attention des personnes avec
lesquelles il conversait, il passait tout de suite à un autre sujet. On était
obligé d'avoir recours à la ruse et à l'adresse pour surprendre sa bonhomie et
apprendre de lui ce qu'on voulait savoir. Il nous avait défendu de rien dire de
ce qu'il nous avait communiqué ou de ce que nous avions remarqué nous-mêmes.
Quoad
castitatem, testis respondit:
Mr Vianney
eut toujours un grand amour de la chasteté. En parlant un jour des enfants qui
embrassaient leurs parents, il me dit: c'est permis, et cependant j'ai refusé
souvent d'embrasser ma pauvre mère. Je lui ai entendu dire aussi que s'il
n'avait pas été prêtre, il n'aurait pas connu le mal. Ses paroles, ses actions,
ses démarches ont toujours montré le grand amour qu'il avait pour la chasteté.
On n'a jamais rien pu surprendre chez lui qui méritât le moindre blâme ou pût
faire naître l'ombre d'un soupçon. Si quelques propos ont pu être tenus par des
gens mal intentionnés et sans bonne foi, ils n'ont jamais pu rencontrer la
moindre créance.
Ad decimum
nonum Interrogatorium, testis respondit:
Le Serviteur
de Dieu a pratiqué les vertus dont je viens de parler à un degré héroïque.
J'entends par vertu héroïque une vertu pratiquée à un haut degré de perfection.
Je crois en avoir fourni la preuve dans les dépositions que j'ai faites sur
chaque vertu. Le Serviteur de Dieu a persévéré jusqu'à la mort dans la pratique
de ces vertus. Loin de se relâcher, il est allé plutôt à une perfection plus
grande, et je n'ai jamais rien connu qui ait obscurci l'éclat des vertus qu'il
a pratiquées.
Ad vigesimum
Interrogatorium, testis respondit:
Les personnes
qui approchaient de plus près le Curé d'Ars ne savaient presque rien au sujet
des dons surnaturels. Mr Vianney tenait ses grâces secrètes, et nous ne savions
ordinairement quelque chose que par les personnes qui avaient été dans le cas
de mieux remarquer que nous ou à qui les choses étaient arrivées.
Quant au don
des larmes, le Serviteur de Dieu pleurait souvent au catéchisme, au
confessionnal, en chaire, en donnant la Ste Communion, et surtout quand il
parlait du péché et de l'amour de Dieu. Quelquefois, il paraissait tout
heureux; tout à coup sa voix s'altérait et il se mettait à pleurer.
J'ai entendu
dire qu'il lisait au fond des coeurs, mais je ne puis pas donner de détails.
Quant aux visions
et révélations, voici ce que je puis déposer. Un jour qu'il prenait son petit
repas à la Providence, ne sachant pas qu'il y avait quelqu'un dans
l'appartement, il dit: Depuis dimanche, je n'ai pas vu le bon Dieu. L'une de
mes compagnes qui l'entendit lui dit: Mr le Curé, avant Dimanche, vous le
voyiez donc? Il ne répondit rien.
Quelque temps
après qu'il eût érigé une chapelle à St Jean Baptiste dans l'église d'Ars, il
dit en chaire: Mes frères, si vous saviez tout ce qui s'est passé dans cette
chapelle, vous n'oseriez pas y'entrer; vous n'oseriez pas même y mettre les
pieds. Je n'en dis pas davantage: 525 si Dieu l'avait voulu, il vous l'aurait
fait connaître.
Quelque temps
après que le pèlerinage eût été établi, il nous dit à la Providence: J'avais pensé
qu'un jour Ars aurait de la peine à contenir les étrangers qui y viendraient.
Cela arriva effectivement plus tard.
J'ai ouï dire
qu'il dit un jour à une jeune fille: Il faut vous en aller. Le lendemain,
voyant qu'elle n'était pas partie, il lui dit encore: Il faut vous en aller.
Elle se hâta de terminer sa confession et partit; elle trouva sa mère ou sa
soeur malade ou morte. Je ne sais pas bien si c'est l'un ou l'autre.
Un autre
jour, il dit aussi à une jeune fille de s'en aller et de se trouver chez elle à
neuf heures du matin. Elle arriva effectivement à neuf heures et mourut
subitement.
A l'âge
d'environ trente ans, j'eus une maladie violente et le délire pendant plusieurs
jours. Le médecin me regardait comme tout à fait perdue dans le délire, j'aperçus
deux femmes habillées de blanc dans une attitude de prière. La fièvre disparut
subitement et je me sentis guérie. Cependant il me resta un état de faiblesse
pendant quelque temps. J'ai su que Mr le Curé d'Ars avait prié pour moi Ste
Philomène.
Un jeune
homme était venu à Ars avec des béquilles; il alla à la sacristie et demanda à
Mr le Curé s'il devait porter ses béquilles devant l'autel de Ste Philomène. Mr
le Curé lui dit de le faire. Quand il fut devant l'autel, il fut subitement
guéri. Je l'ai vu moi-même marcher très bien sans béquilles.
J'ai entendu
parler de beaucoup d'autres faits miraculeux, sur lesquels je ne puis pas
donner de détails précis.
524 Je lui ai entendu dire: Il faut que je prie Ste Philomène de ne
pas tant faire de miracles ici, mais de les faire plus loin. Cela nous amène
trop de monde.
Je lui ai
entendu dire qu'un jour qu'il distribuait la Ste Communion, la sainte hostie
alla elle-même se déposer sur la langue d'une personne qui communiait.
Le meunier
avait pris dans le grenier de la cure cent mesures de blé. Je sais que Jeanne
Marie, ma compagne, y alla avec Mr le Curé et trouva les cent mesures
remplacées et plus.
Nous étions
un jour presque sans farine à la Providence, et il était impossible d'en faire,
les moulins ne marchant pas. Je dis à celle de mes compagnes qui faisait le
pain: Si nous cuisions le peu de farine qui nous reste? - J'y ai pensé, me
répondit-elle, mais avant je veux consulter Mr le Curé. Il restait pour faire
trois pains; je craindrais d'exagérer en disant quatre. Sur la réponse de Mr le
Curé, ma compagne se mit à pétrir; pendant qu'elle pétrissait, la pâte
s'épaississait; elle mettait de l'eau; à la fin, le pétrin fut plein et elle
fit une fournée de dix gros pains de vingt à vingt-deux livres. Je portais
moi-même la farine et je fus aussi étonnée que ma compagne quand je vis le
nombre de pains qui étaient sortis du pétrin.
Je crois
qu'il y a eu une multiplication de vin et je n'en doute pas. Voici le fait. Un
tonneau s'était répandu tout entier. On recueillit le plus clair dans deux
petits seaux. On versa ce vin dans un tonneau qui était à peu près vide,
d'après ma conviction. On tira du vin de ce tonneau jusqu'à ce qu'on ne pût
plus en tirer, d'après ma conviction. Il y avait un petit tonneau vide à
moitié. Il ne restait que cinquante litres. On transvasa cette moitié de
tonneau dans celui dont je viens de parler, qui était de la contenance de deux
cent dix litres, et il se trouva plein. Je dis à Mr le Curé: Je ne sais pas si
c'est Jeanne ou Marie qui a fait un miracle, mais le tonneau s'est trouvé
plein. Mr Vianney répondit simplement: Ah! elles ont trouvé plus de vin
qu'elles ne pensaient. Il n'ajouta rien de plus.
525 Un jour, je distribuais aux enfants un plat de courge. Mr le
Curé prit le plat et se mit à servir lui-même. Comme il faisait les parts
beaucoup plus fortes que moi, je lui fis observer qu'il n'y en aurait pas pour
tout le monde. Il continua de la même manière et tout le monde fut servi. Je ne
saurais dire si je m'étais déjà servie de ce plat; du moins maintenant je n'en
suis pas sûre mais sur le moment j'ai regardé le fait comme un miracle.
527 Session 53 - 18 mai 1863 à 3h de l'après-midi
Prosequendo vigesimum Interrogatorium, testis respondit:
Le Serviteur
de Dieu avait une grande lumière pour la direction des âmes, pour connaître les
vocations; des grâces particulières pour la conversion des pécheurs. J'ai vu
beaucoup de personnes converties par lui et j'ai entendu parler de beaucoup de
conversions remarquables.
Ad vigestimum
primum Interrogatorium, testis respondit:
Je ne connais
point de livres écrits par le Serviteur de Dieu, point de traité, point
d'opuscules. Il a composé quelques prières qui ont été insérées dans un livre
de piété intitulé "Le guide des âmes pieuses". Il a écrit des
lettres; je ne sais à quelles personnes il les a adressées ni entre les mains
de qui elles pourraient se trouver.
Ad vigesimum
secundum Interrogatorium, testis respondit:
Le Serviteur
de Dieu est mort à Ars le quatre Août mil huit cent cinquante-neuf,
d'épuisement. Je lui remis un ruban pour porter le St Sacrement à la Fête-Dieu
de mil huit cent cinquante-huit; il me dit qu'il le porterait pour la dernière
fois. En effet il était si faible en mil huit cent cinquante-neuf qu'il n'eut
pas assez de force pour soutenir l'ostensoir. Au mois de Novembre de la même
année, il me remit un reçu pour toucher la rente de trois cent soixante francs
dont j'ai déjà parlé. En me le remettant, il me dit: Ce sera pour la dernière
fois. Il tomba malade le vendredi après avoir fait des efforts héroïques pour
rester au confessionnal toute la journée. Il semblait en effet y prolonger ses
séances à la fin de sa vie. J'allais le voir le samedi, il me dit: C'est ma
pauvre fin. Il faut aller chercher le Curé de Jassans ( - qui était son
confesseur -). - Ce ne sera rien, lui dis-je, je vais aller chercher le Frère
Jérôme. - Cela ne servira de rien, répondit-il. Sa maladie a duré sept jours.
Pendant tout le temps, il fut calme, sans inquiétude et d'une patience admirable.
On lui proposa le mardi de l'administrer le mercredi; il répondit: Non, tout de
suite. Il fut pendant sa maladie ce qu'il avait été pendant sa vie,
c'est-à-dire pieux et fervent.
Ad vigesimum
tertium Interrogatorium, testis respondit:
529 Le corps du Serviteur de Dieu fut exposé au rez-de-chaussée de
la Cure. Il fut déposé le samedi, après la cérémonie des funérailles, dans la
chapelle de St Jean Baptiste, jusqu'à ce qu'on eût préparé le caveau qui devait
le recevoir. Cinq ou six mille personnes assistaient aux funérailles, qui
furent présidées par Mgr l'Évêque. C'était des personnes de toutes conditions,
des prêtres, des religieux, des religieuses, des laïques de toutes les classes.
Je ne connais pas d'autres faits remarquables qui aient eu lieu dans cette
circonstance.
Ad vigesimum
quartum Interrogatorium, testis respondit;
Le Serviteur de Dieu a été inhumé dans l'église
d'Ars au milieu de la nef. Une pierre sépulcrale ordinaire, avec cette
inscription: Jean Marie Baptiste Vianney, Curé d'Ars, indique le lieu où il
repose. Les fidèles viennent en foule visiter ce tombeau; mais rien dans ces
visites ne ressemble à un culte public.
Ad vigesimum quintum Interrogatorium, testis respondit:
La réputation
de sainteté, de vertus et de dons surnaturels du Serviteur de Dieu a existé de
son vivant et après sa mort. Elle a eu sa source dans les vertus qu'il a
pratiquées, dans la sainteté de sa vie; elle n'a pas eu d'autre origine. Cette
réputation s'est formée parmi les personnes graves et instruites comme parmi
les ignorants. Cette réputation, qui avait commencé à Ecully, a continué à Ars,
s'est répandue peu à peu, s'est étendue bientôt on peut dire dans toute la
France, elle s'est même répandue à l'étranger; elle n'a jamais été interrompue,
elle n'a jamais subi ni de diminution, ni d'altération, et est allée sans cesse
en s'accroissant. Elle est la même aujourd'hui; on peut dire qu'elle est plus
florissante. On n'a rien écrit, rien dit et rien fait pour l'attaquer.
Ad vigesimum sextum Interrogatorium, testis respondit:
Je n'ai pas
ouï dire que la réputation de sainteté du Serviteur de Dieu ait été attaquée
par qui que ce soit. Elle a été si incontestable pendant sa vie, qu'une foule
de pèlerins accouraient à Ars; on peut en évaluer le nombre à quatre vingt
mille par an. On ne se bornait pas à le voir, à l'entendre, à recevoir sa
bénédiction; on voulait posséder un souvenir de lui, un objet qui lui eût
appartenu, une image qu'il avait signée. On tenait à avoir quelque chose qui
lui eût appartenu. On coupait son surplis, sa soutane, ses cheveux. On me
demandait ses objets usés pour les remplacer par des objets neufs. Quand il fut
mort, une foule immense circulait autour de son corps exposé, pour lui faire
toucher des images, des chapelets et autres objets de piété. Les habitants de
Dardilly auraient enlevé son corps, s'il ne l'eût légué à Ars, sur les
instances de Mgr Chalandon. Après sa mort, comme nous l'avons dit, un concours
considérable se fit autour du tombeau du Serviteur de Dieu, pour le vénérer et
demander des grâces par son intercession. Les fidèles tiennent plus que jamais
à avoir quelque chose qui lui ait appartenu.
Ad vigesimum
septimum Interrogatorium, testis respondit:
J'ai entendu
parler de plusieurs faits miraculeux opérés, depuis la mort du Serviteur de
Dieu, par son intercession.
En
particulier une dame de Tain, diocèse de Valence, m'a raconté qu'elle avait au
ventre une tumeur très mauvaise, depuis cinq ans; que les médecins avaient
déclaré la maladie incurable. Qu'elle avait fait une neuvaine au Curé d'Ars,
avait appliqué un morceau du cordon de ses souliers et qu'elle avait été
subitement guérie. La guérison a persévéré.
Une soeur
Clarisse de Lyon a amené à Ars une sourde-muette; elle m'a dit que par
l'intercession du Curé d'Ars, l'enfant entendait et parlait.
J'ai entendu
parler de la guérison miraculeuse d'un enfant de St Laurent lès Mâcon et de
beaucoup d'autres faits miraculeux opérés par l'intercession du Serviteur de
Dieu.
531 Ad vigesimum octavum Interrogatorium, testis respondit:
Relativement
à la tempérance, je puis ajouter à ce que j'ai dit que le Serviteur de Dieu
mortifiait l'odorat, soit en ne craignant pas les odeurs mauvaises, soit en
fuyant les odeurs agréables.
Un jour il me
disait: Si mon corps a faim, je mettrai un morceau de bois sur la table et je
lui dirai: Tiens, ronge si tu veux.
Il consacrait
presque tout son temps à la prière, à la mortification, à la charité à l'égard
du prochain. Quelques minutes lui suffisaient pour prendre son repas debout, et
il ne s'asseyait que très rarement, lorsqu'il était très fatigué.
Interrogé si
le témoin avait quelque chose à ajouter à sa déposition, il a répondu:
Je ne me
rappelle plus rien.
Et expleto examine
super interrogatoriis, deventum est ad articulos, super quibus testi lectis,
dixit, se tantum scire, quantum supra deposuit ad interrogatoria, ad quae se
retulit.
Sic completo
examine integra depositio perlecta fuit a me Notario a principio usque ad finem
testi supradicto alta et intelligibili voce. Qua per ipsum bene audita et
intellecta respondit se in eamdem perseverare et illam confirmavit.
PROCES
DE BEATIFICATION
ET CANONISATION
DE SAINT JEAN
MARIE BAPTISTE VIANNEY
CURE D’ARS
PROCES
INFORMATIF ORDINAIRE
(Tome I - p. 536 à 576)
Frère Jérôme
(535) Session 54 – 21 juillet 1863 à 9 h du matin
(536) Juxta primum interrogatorium,
monitus testis de vi et natura juramenti et gravitate perjurii, praesertim in
causis Beatificationis et Canonizationis, respondit :
Je connais parfaitement la nature et la
force du serment que je viens de faire, et la gravité du parjure dont je me
rendrai * coupable si je ne disais
pas toute la vérité.
Juxta
secundum interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Je m’appelle François Dunoyer, en
religion Frère Jérôme de la Sainte Famille de Belley. Je suis né à Rumilly,
Diocèse de Chambéry le cinq juin mil huit cent vingt-un. Mon père se nomme Baptiste Dunoyer, ma mère Monard.
Juxta tertium interrogatorium, testis
interrogatus respondit :
Je fais les
communions marquées par la règle, j’ai eu le bonheur de communier ce matin.
Juxta
quartum interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Je
n’ai jamais été traduit en justice devant aucun tribunal.
Juxta
quintum interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Je n’ai jamais encouru de censures ou de
peines ecclésiastiques.
Juxta
sextum interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Je n’ai été instruit par personne de la
manière dont je devais déposer dans cette cause. Je n’ai pas lu les Articles
rédigés par le Postulateur. Je ne dirai que ce que je sais par moi-même ou ce
que j’ai appris de témoins dignes de foi.
Juxta septimum interrogatorium, testis
interrogatus respondit :
J’ai sans doute une grande affection, une
grande vénération pour le Serviteur de Dieu Jean Marie Baptiste Vianney ;
je désire vivement sa béatification et sa canonisation ; mais en cela, je
ne me propose que l’honneur de l’Eglise et (537) la gloire de Dieu.
* nous avons respecté la ponctuation et
l’orthographe du document manuscrit original en mettant toutefois les fautes
d’orthographe en italique
Juxta octavum interrogatorium, testis
interrogatus respondit :
Je ne sais pas exactement le jour, le
mois, l’année de la naissance du Serviteur de Dieu. Je sais seulement qu’il est
né à Dardilly, paroisse du diocèse de Lyon. Ses parents étaient très vertueux,
sa mère surtout se distinguait par sa grande piété. Pendant son enfance, sa
mère remarqua en lui quelque chose de particulier : elle lui disait :
Jean Marie fais bien attention d’être sage, car si tu ne l’étais pas, tu me
ferais plus de peine que si c’était un autre de tes frères. Mr Vianney nous
disait aussi que quand tout le monde était couché il veillait quelquefois très
tard avec sa mère et une autre de ses sœurs pour parler du bon Dieu. Cette sœur
épousa Mr Melin et mourut comme une sainte en récitant l’Ave Maria, nous a
raconté le Serviteur de Dieu. Je ne sais quel jour Mr Vianney a été baptisé ou
confirmé. J’ai vu ici son extrait de baptême, je ne me rappelle pas
suffisamment ce qui y était contenu.
Juxta nonum interrogatorium, testis
interrogatus respondit : Je sais de témoins dignes de foi que le Serviteur
de Dieu a passé son enfance et la plus grande partie de son adolescence à
Dardilly auprès de ses parents. Je sais aussi que dès lors il donna des preuves
nombreuses d’une grande piété. Je n’ai pas entendu parler de quelque défaut
qu’il aurait montré à cet âge.
Juxta Decimum interrogatorium, testis
interrogatus respondit : Je tiens de personnes dignes de foi que Mr
Vianney s’occupa d’abord aux travaux de la campagne ; il gardait aussi les
troupeaux de son père. Vers l’âge de quinze ans, il se sentit appelé à l’état
ecclésiastique . son beau-frère, Mr Melin, pria Mr Balley, curé d’Ecully
de vouloir bien le recevoir auprès de lui, pour lui faire faire les études
nécessaires. Mr Balley ne connaissant pas le jeune homme, refusa d’abord de le
recevoir : je suis trop âgé et trop occupé pour me charger (538) de son
éducation. Mais lorsqu’il eût vu le jeune homme, il fut tellement frappé de son
air de piété qu’il l’admit aussitôt. Je sais par une de ses cousines chez
laquelle il logeait, que pendant le cours de ses études, Mr Vianney se livrait
à la pratique de la mortification. Ainsi il voulait qu’on lui trempât la soupe
avant qu’on y eut mis les
assaisonnements ordinaires. Il éprouva beaucoup de difficultés dans l’étude des
lettres. Pour les vaincre il fit un pèlerinage à Saint François-Régis. A la
suite de ce pèlerinage il eut moins de peine à apprendre.
Juxta undecimum interrogatorium, testis
interrogatus respondit : Je tiens de Mr Vianney lui-même qu’il fut obligé
d’interrompre ses études, à cause de la conscription militaire. Arrivé à Roanne
il tomba malade et à l’hôpital il se vit entouré de soins tout particuliers de
la part des religieuses, qui remarquèrent en lui je ne sais quoi
d’extraordinaire. Quand il fut rétabli, il se présenta pour avoir sa feuille de
route ; mais comme il était en retard on voulait le faire conduire à son
régiment par la gendarmerie. Les secrétaires firent remarquer qu’il s’était
présenté de lui-même et qu’il fallait lui signer comme aux autres sa feuille de
route. Il était en marche et paraissait ennuyé lorsqu’un jeune homme se
présenta à lui et lui dit : « je n’ai point de conseil à vous donner ;
mais si vous voulez me suivre, vous n’aurez rien à craindre » Mr Vianney
le suivit ; le jeune homme le conduisit dans une pauvre famille où il
passa la nuit. Le matin un membre de la famille le présenta au maire des Noës,
qui lui-même le conduisit chez une veuve. Je tiens du fils de cette veuve que
Mr Vianney passait la nuit à prier Dieu. Ce jeune homme coucha avec lui pendant
trois nuits. Il raconta à sa mère la manière dont Mr Vianney passait la
nuit ; sa mère lui dit alors qu’il fallait le laisser seul dans sa chambre.
Pendant son séjour d’environ quinze mois auprès de cette veuve, Mr Vianney
s’occupait l’été aux travaux des champs et l’hiver à faire l’école. Il se fit
remarquer par (539) sa grande piété ; il s’attira l’estime et l’affection
de tout le monde, au point qu’à son départ un grand nombre de personnes
s’empressait de lui faire accepter quelque chose pour son voyage. De retour à
Ecully il reprit ses études ecclésiastiques.
Juxta Duodecimum interrogatorium, testis
interrogatus respondit : Je sais seulement au sujet de cet interrogatoire
que Mr Vianney a été ordonné prêtre à Grenoble par Monseigneur Simon, Evêque de
Grenoble.
Juxta
decimum tertium interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Après son ordination à la prêtrise, le
Serviteur de Dieu fut placé comme vicaire à Ecully. Il se fit remarquer par sa grande piété et il se livra
avec Mr Balley à la pratique de la mortification.
Juxta
Decimum quartum interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Après la mort de Mr Balley, le Serviteur
de Dieu fut nommé curé de la petite paroisse d’Ars. Il y régnait plusieurs
abus ; les danses surtout y étaient très fréquentes. Je ne sais quels
moyens il employa pour les détruire. Je sais cependant qu’il donnait de
l’argent au cabaretier et au ménétrier pour les empêcher de continuer la danse.
Les deux moyens principaux qu’il employa pour réformer sa paroisse et y faire
refleurir la piété furent ses longues prières à l’église et la visite des
familles. Dès le grand matin, me disait un jour un homme de la paroisse, on le
voyait dans sa petite stalle les yeux fixés sur le tabernacle, le sourire sur
les lèvres ; cela me touchait. Dans ses fréquentes visites à ses
paroissiens, il profitait du moment des repas pour trouver toute la famille
réunie ; il leur parlait sans jamais s’asseoir de leurs terres d’abord, du
bon Dieu ensuite.
Juxta
decimum quintum interrogatorium, testis (540) interrogatus respondit :
Le Serviteur de Dieu pour mieux réformer
sa paroisse créa d’abord une providence pour recevoir des filles pauvres et
instruire celles de la paroisse. Cette Providence fut confiée plus tard aux
religieuses de St Joseph. Puis il a institué un établissement de frères de la
Sainte Famille de Belley pour l’instruction gratuite des garçons. C’est la
charité des fidèles qui lui a permis de faire ces fondations. Ces
établissements ont fait le plus grand bien dans la paroisse.
Juxta
decimum sextum interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Je sais que le Serviteur de Dieu a
pratiqué exactement les commandements de Dieu et de l’Eglise, et a rempli les
obligations de son état. Pendant les dix dernières années de sa vie, j’ai été
témoin chaque jour de la manière admirable dont il remplissait ses devoirs. Je
suis naturellement porté aux scrupules pour moi comme pour les autres et j’ai
eu la pensée qu’il avait pu manquer un jour à la charité en parlant d’une
personne devant deux ou trois témoins et j’étais du nombre. Mais il s’agissait
d’un certain personnage nommé Azun très connu surtout à Ars par ses
intrigues ; Monsieur le curé demandait continuellement à Dieu qu’il ne
parvint pas au sacerdoce auquel il
aspirait. Je concilie ses absences de la paroisse avec l’accomplissement de ses
devoirs par la pensée qu’il avait peu à faire dans les commencements et qu’il
se rendait utile dans les missions et les retraites où on l’employait. Sa
paroisse du reste n’en souffrait en aucune façon. Quant aux fuites, je n’étais
pas ici pour la première et pour la seconde il me dit : Un curé peut
d’après les statuts du diocèse absenter pendant quinze jours de sa paroisse, et
durant ce temps, j’écrirai à Monseigneur.
Juxta
Decimum septimum interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Je sais que Mr Vianney a eu à supporter
beaucoup de contradictions et de contrariétés. Il m’a dit un jour : si le
bon Dieu m’avait fait voir (541) d’avance ce que je devais souffrir à Ars, je
serais mort de chagrin. Les plus grandes contrariétés lui sont venues de la
part des prêtres qui trouvaient son genre de vie bizarre et extraordinaire. Il
a tout supporté avec une admirable patience et il me disait un jour : s’il
n’était l’offense de Dieu, j’aurais voulu que ces persécutions et contrariétés
continuassent toujours ; c’est le temps où Dieu m’a accordé le plus de
consolations.
(543) Session 55 - 21 juillet 1863 à 3h de
l’après-midi
Juxta
decimum octavum interrogatorium, testis interrogatus respondit :
J’ai vu par moi-même et entendu dire par
un grand nombre de personnes que le Serviteur de Dieu avait pratiqué toutes les
vertus chrétiennes jusqu’à la mort.
Quoad fidem in particulari interrogatus
testis sic respondit :
(544) Je n’ai rien de bien précis à
mentionner sur la première enfance de Mr Vianney. En répondant aux
interrogatoires précédents j’ai déjà donné les quelques détails que j’avais à
signaler au sujet de son adolescence, de ses études, de son séjour aux Noës, de
son vicariat à Ecully.
Arrivé à Ars Mr Vianney se fit remarquer
par sa grande piété ainsi que je l’ai déposé en répondant au quatorzième
interrogatoire. Il attachait à la prédication de la parole de Dieu une grande
importance. Il commençait à préparer dès le lundi l’instruction qu’il devait
faire le Dimanche suivant.
Je ne sais quels moyens particuliers Mr
Vianney employa pour établir l’adoration perpétuelle du St Sacrement, la
fréquentation des sacrements et différentes confréries ; mais j’ai vu
l’église presque continuellement remplie de personnes faisant leur
adoration ; j’ai vu tous les jours la sainte communion distribuée à un
grand nombre de fidèles. La confrérie du St Sacrement est encore aujourd’hui
très florissante.
Le Serviteur de Dieu parvint à faire
cesser le travail du Dimanche, il prêchait souvent sur cet article. On ne
vendait pas et on n’achetait pas le Dimanche. Les voitures publiques elles-mêmes
n’arrivaient pas et ne partaient pas le jour consacré au Seigneur. Lorsque
l’établissement du chemin de fer eu
rendu leur arrivée et leur départ nécessaires, elles s’arrêtaient à l’entrée du
village.
En mil huit cent vingt-six au moment du
grand jubilé, Mr Vianney se rendit volontiers à l’invitation de ses confrères,
il prêcha et surtout il confessa avec un grand succès. A Trévoux il vit
s’approcher de son confessionnal le sous-préfet et presque tous les membres du
barreau. On montrait à St Barnard une
très grande ardeur pour entendre les instructions du Serviteur de Dieu ;
on quittait tout quand on entendait la cloche appeler à l’église. Les
domestiques disaient à leurs maîtres : « retenez sur nos gages la
partie cor- (545) respondante au temps que nous passons à l’église. Je tiens ce
dernier détail de Mr Vianney lui-même.
Le Serviteur de Dieu montrait un grand
zèle pour tout ce qui tenait au culte divin. Il voulait pour l’église de beaux
ornements ; il était heureux toutes les fois qu’il pouvait s’en procurer.
Comme j’étais chargé de la sacristie il me disait agréablement : le ménage
du bon Dieu se monte bien ; il faut en avoir grand soin. Dans son grand
esprit de foi et son amour pour la pauvreté, il me disait aussi :
« une vieille soutane va bien avec une belle chasuble. » Quand il eut reçu du Vicomte d’Ars les beaux
ornements qu’il envoya de Paris, Mr Vianney conduisit en procession toute sa
paroisse à Notre Dame de Fourvières pour remercier Dieu. Quand la procession
passait devant quelque église on sonnait les cloches.
Parmi toutes les cérémonies du culte
divin, il aimait à déployer une grande pompe dans la procession du St
Sacrement. Il faisait lui-même au commencement les reposoirs, il voulait qu’ils
fussent aussi riches que possible. Il portait lui-même le St Sacrement. Sur la
fin de sa vie comme il était très faible on lui demanda après la procession
s'il était fatigué : Comment le serais-je ! je portais celui qui me
porte.
Quand Mr Vianney célébrait le saint
sacrifice, je croyais voir au commencement de la messe un autre St François de
Sales. J’étais surtout fortement ému lorsque au moment de la consécration et de
la communion je remarquais sur son visage une expression de piété, de foi
d’amour et de joie dont il paraissait comme embrasé. C’était le moment où
j’aimais à le voir. Quand il prêchait sur le St Sacrement, il le faisait dans
des termes qui m’impressionnaient fortement. J’ai été bien souvent frappé des
pensées et des comparaisons que le Serviteur de Dieu développait dans ses
instructions ou ses catéchismes. Je ne saurais les rappeler en détail ; je
me souviens cependant qu’il disait que le St Esprit repose dans une âme (546)
pure comme sur un lit de roses et qu’une âme pure est comme une belle perle. A
la suite d’une instruction sur le St Esprit un prêtre assez haut placé du
diocèse disait en ma présence : « il a fallu que je sois venu à Ars
pour connaître le St Esprit ».
J’ai entendu répéter à des personnes
dignes de foi que dans la première maladie de Mr Vianney les ecclésiastiques réunis
autour de lui avaient décidés
d’assister seuls à l’administration des derniers sacrements. Le malade
entendant cette décision : allez, dit-il, faire sonner ; ne faut-il
pas que les paroissiens prient pour leur curé ?
J’affirme enfin que la foi paraissait
être le grand mobile de toutes les actions du curé d’Ars.
Quoad spem testis interrogatus sic
respondit :
Mr Vianney montra dès son enfance, ainsi
que je l’ai appris de témoins dignes de foi, une grande espérance. J’ai pu m’assurer
par moi-même qu’il plaçait en Dieu toute sa confiance qu’il n’espérait et
n’attendait rien de lui-même. Les difficultés ne l’abattaient pas. Quand il
croyait que quelque chose pouvait contribuer à la gloire de Dieu et au salut
des âmes, il en poursuivait l’exécution avec une ardeur infatiguable.
Mr Vianney parlait dans ses instructions
du malheur d’une âme en état de péché en se servant d’expressions qui nous
impressionnaient vivement. Il disait en particulier : nous fuyons Dieu
notre ami et nous cherchons le démon notre bourreau. Le bon chrétien est assis
comme sur un char de triomphe, et c’est Notre Seigneur qui conduit la voiture.
Mais le pécheur est attelé lui-même aux brancards, et le démon frappe sur lui à
(547) grands coups pour le faire avancer. L’espérance des biens à venir faisait
estimer à Mr Vianney les grâces et les biens spirituels à leur juste valeur. Il
ne négligeait rien pour sauver les âmes confiées à ses soins.
En travaillant au salut des autres il
n’omettait rien pour assurer son propre salut ; quand la grande affluence
des pèlerins ne lui permit plus de se livrer à ses longues oraisons, il
choisissait le matin un sujet d’oraison et y rapportait tout ce qu’il faisait
pendant la journée.
Dieu permit que son Serviteur fut éprouvé par les attaques assez
fréquentes du démon. Mr Vianney racontait volontiers ce qui lui arrivait à ce
sujet. Je lui ai entendu dire que pendant un an le démon qu’il nommait le grappin
frappait d’heure en heure trois coups de massue à trois des portes de la cure ;
la première heure, trois coups à la porte extérieure, une heure après trois
coup à la porte de l’escalier, à la troisième heure trois coups à la porte de
sa chambre ; puis comme si le démon fut
entré dans sa chambre, il l’entendait battre la générale sur son pot à eau.
D’autres fois il faisait un bruit semblable à un escadron de cavalerie. En
montant l’escalier il entendait comme les pas d’un homme montant devant lui
avec des bottes de fer. Une fois (548) il se sentit comme saisi par le démon
qui voulait le jeter à terre. Le démon le tourmentait de mille manières. A la
mission de Montmerle, le démon faisait rouler par la chambre le lit sur lequel
Mr Vianney était couché. A la mission de St Trivier on entendit au milieu de la
nuit un grand bruit qui effraya tous ceux qui se trouvaient au presbytère. La
veille ses confrères l’avaient plaisanté sur les bruits qu’il entendait. Votre
esprit s’exalte avaient-ils dit, parce que vous ne mangez pas. Vous croyez que
tous les diables sont à votre poursuite. Mr Vianney a remarqué bien des fois
qu’il était plus tourmenté lorsque quelque grand pécheur devait s’approcher de
son tribunal, ou lorsqu’il voulait fonder quelque œuvre importante. On lui
demandait un jour en ma présence s’il n’avait pas peur lorsqu’il était ainsi
l’objet des attaques du démon : O !
non, reprit-il, nous sommes presque camarades. Une nuit il était accablé d’une
profonde tristesse ; tout à coup il entendit une voix qui lui dit ces
paroles : j’ai espéré en vous, je ne serais point confondu pour l’éternité. Il se leva, ouvrit son bréviaire
et les premiers mots qui frappèrent ses yeux furent ces mêmes paroles du
psaume. Le Serviteur de Dieu se trouva consolé.
Il fut aussi en butte aux contradictions
des hommes. Mais rien ne put lui faire perdre (549) confiance. A mesure que
tout lui manquait dans le monde, il se donnait et s’abandonnait davantage à son
sauveur.
(551) Session 56 – 22 juillet 1863 à 8h du matin
Pro sequendo decimum octavum
interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Le Serviteur
de Dieu ressentait souvent de grandes peines intérieures ; il ne se
décourageait pas pour cela et n’en continuait pas moins à travailler au salut
des âmes et à sa propre sanctification. Un jour il demanda à Dieu (552) à
connaître sa grande misère, comme il nous le raconta lui-même. Dieu l’exauça,
et Mr Vianney fut presque tenté à cette vue de tomber dans le désespoir . Il
pria Dieu de ne plus lui faire voir qu’une partie de ses misères, Dieu l’exauça
de nouveau et il se trouva consolé.
Le
Serviteur de Dieu éprouvait une vive peine en pensant au grand nombre des
pécheurs et aux crimes qui se commettaient. On offense tant le bon Dieu
disait-il souvent avec un accent qui indiquait sa profonde tristesse. Encore si
le bon Dieu n’était pas si bon ! mais il est si bon ! Il est bien,
disait-il, de prier pour les âmes du purgatoire ; mais elles sont sûres
d’aller au ciel. Il est bon de prier aussi pour les justes, mais la meilleure
prière est celle que l’on fait pour la conversion des pauvres pécheurs ;
il priait à cette intention toute la semaine à l’exception du lundi. Ce jour-là
il priait pour les âmes du purgatoire et il désirait vivement voir revenir le
mardi afin de reprendre ses prières pour les pécheurs.
Il était
sans cesse poursuivi de la crainte des jugements de Dieu, il redoutait la mort
et surtout il craignait de mourir avec la charge de curé. Cependant cette idée
ne l’abattait pas, et il a plus d’une fois parlé d’écrire un livre sur les délices
de la mort. Il désirait vivement aller dans la solitude pleurer sa pauvre
vie suivant son expression. Il ne put pas réaliser son désir ; il ne
laissa pas que de poursuivre jusqu’à sa mort les travaux qu’il avait entrepris
pour la gloire de Dieu. Lui qui avait tant redouté les jugements de Dieu et
tant craint la mort, vit arriver ses derniers moments avec un grand calme et
une grande assurance.
Quoad
charitatem erga Deum testis interrogatus respondit :
J’affirme que Mr Vianney a montré un
grand amour pour Dieu. Il suffisait de le voir et de l’entendre parler pour en
être convaincu. Je n’ai pas de détails précis sur les premières années de sa
vie. Je sais que lorsqu’il était vicaire à Ecully il menait avec Mr Balley une
vie pénitente et mortifiée. Il (553) ne parlait jamais de Mr Balley sans verser
des larmes et il ajoutait : pour être porté à aimer Dieu il suffisait de
voir Mr Balley et de l’entendre discourir sur Dieu.
Je puis affirmer que Mr Vianney semblait
n’avoir qu’une seule pensée : aimer Dieu et le faire aimer. Son grand
amour pour Dieu le porta à détruire les abus et à établir dans sa paroisse
différentes œuvres et différentes pratiques de piété. Je n’en ai pas vu
moi-même l’établissement, mais je les ai vues toutes fonctionner avec une
grande édification.
Le Serviteur de Dieu disait son office à
l’église et à genoux. Il était tellement recueilli, qu’il ne s’apercevait ni de
la foule qui l’environnait ni du bruit qui pouvait se faire. J’ai déjà dit de
quelle manière il célébrait le saint sacrifice de la messe. Il l’offrait tous
les jours et j’ai remarqué qu’il n’était ni trop long ni trop prompt à l’autel.
Il a avoué que les moments où il était le plus recueilli, c’était en disant la
messe et en annonçant la parole de Dieu. Quoiqu’il fut environné et souvent pressé par une foule indiscrète, quoiqu’il
fut harcelé de questions oiseuses,
interpellé de tous côtés, on le trouvait toujours égal à lui-même, toujours
gracieux et prêt à rendre service ; il aimait à ce qu’on lui parlât des
choses de Dieu, il savait toujours glisser quelques mots sur Dieu, même dans
les conversations qui paraissaient les plus indifférentes.
L’amour de Dieu avait porté le Curé d’Ars
à mener une vie très mortifiée et très pénitente ; il ne s’épargnait en
aucune façon. Dieu permit qu’il ressentît de vives peines intérieures, qu’il fut en butte aux attaques du démon et aux
contradictions des hommes. Rien ne put le détacher de l’amour de Dieu.
Quoad charitatem erga proximum, testis
interrogatus respondit :
Je tiens de Mr Vianney lui-même que dans
la maison paternelle on aimait à loger et à nourrir les pauvres qui passaient.
(554) Le bienheureux Labre fut si bien accueilli dans la maison Vianney, qu’il
écrivit une lettre de reconnaissance. Le Curé d’Ars a parlé souvent de cette
lettre. Il la donna plus tard à une personne qui l’en avait prié. Il aima
lui-même beaucoup les pauvres. Quand il fut curé d’Ars il ne négligea rien pour
procurer le salut des âmes confiées à ses soins ; il se levait de très
grand matin, vers deux heures, quelquefois même à minuit pour aller au confessionnal.
Il y passait en moyenne quatorze heures par jour. A onze heures il faisait le
catéchisme. Les infirmités que son genre de vie lui avait occasionnées, les
douleurs qu’il éprouvait, ne pouvaient ralentir son zèle et son courage .
Je sais qu’un jour un missionnaire lui dit : « Mr le Curé, si
le bon Dieu vous proposait ou de monter au ciel à l’instant même ou de rester
sur la terre pour travailler à la conversion des pécheurs, que
feriez-vous ? –Je crois que je resterais, mon ami. – Mais les saints sont
si heureux dans le ciel ! – C’est vrai, mais les saints sont des rentiers.
– Resteriez-vous sur la terre jusqu’à la fin du monde et vous lèveriez si
matin ? – Oh ! oui, mon ami, je ne crains pas la peine.
Son grand désir de sauver les âmes et de procurer
la conversion de pécheurs, lui a fait près de cent missions, qui doivent se
fonder de dix ans en dix ans dans différentes paroisses du diocèse. Il
affectionnait beaucoup cette œuvre et y consacrait à peu près toutes les
ressources (555) dont il put disposer pendant les dernières années de sa vie.
Mr Vianney était tout disposé à rendre
service à ses confrères et à les remplacer même. Comme dans le commencement de
son ministère à Ars il avait peu d’occupations il s’empressait de visiter les
malades des paroisses voisines lorsqu’il en était prié, ou lorsque les Curés
étaient absents ou infirmes. Il lui arriva plus d’une fois de rentrer à Ars
tout mouillé et tout exténué de fatigues.
Il aimait tout le monde ; il aimait
ceux même qui lui faisaient de la peine. Un jour il emprunta de l’argent pour
le donner à une personne dont il avait à se plaindre et qui se trouvait dans le
besoin. Il ne savait rien refuser aux pauvres qui sollicitaient sa charité. Il
ne donnait cependant pas indistinctement à tout le monde et savait mettre du
discernement dans ses aumônes, donnant beaucoup à ceux qui en avaient
réellement besoin, se contentant d’une légère aumône pour les pauvres
ordinaires. Il payait les loyers de plusieurs familles dans le besoin, et comme
dans le pays, on paye les loyers à la fête de St Martin, il regardait cette
époque comme un moment de gêne. Son amour pour les pauvres le porta à vendre
ses meubles, à donner son linge, et on fut obligé de prendre quelques
précautions pour lui en conserver un peu.
Quoad Prudentiam testis interrogatus
respondit :
J’affirme que le Serviteur de Dieu a
pratiqué (556) la vertu de Prudence. Il prenait les moyens qui conduisent au
salut ; il ne se contentait pas de l’observation des préceptes, il y
joignait encore la pratique des conseils évangéliques. Il semblait, comme je
l’ai déjà dit en parlant de la charité, n’avoir qu’une pensée : aimer Dieu
et le faire aimer. La perfection qu’il prêchait aux autres il en faisait la
règle de sa conduite. Il avait choisi pour lui le genre de vie le plus austère.
J’ai bien des fois entendu dire qu’on n’avait eu qu’à se louer des conseils
qu’il avait donnés.
Quoad Justitiam testis interrogatus
respondit :
J’ai déjà dit en répondant au sixième interrogatoire que le
Serviteur de Dieu avait exactement pratiqué les commandements de Dieu et de
l’Eglise et rempli les obligations de son état. Je dois ajouter qu’il
s’efforçait aussi de suivre les conseils évangéliques et de correspondre aux
inspirations de la grâce. J’ai cru le remarquer pendant tout le temps que j’ai
passé auprès de lui.
Mr Vianney était plein d’égards et
d’attentions pour tout le monde. Il était affable envers le pauvre comme envers
le riche ; il montrait un grand respect pour l’autorité civile et surtout
ecclésiastique. Il avait accordé aux ecclésiastiques le privilège de les
entendre quand ils réclamaient son ministère. Il voulait que ses collaborateurs
se soignassent parfaitement. Il était très reconnaissant des moindres services
qu’on pouvait lui rendre. En parlant de la veuve chez laquelle il avait logé
aux Noës et de Mr Balley , il disait : « j’ai connu beaucoup de
belles âmes, mais je n’en ai pas connu de plus belles. Les traits de son ancien
maître était tellement gravés dans
son esprit qu’il disait, même les dernières années de sa vie : si j’étais
peintre, je pourrais encore tirer son portrait. il en parlait souvent et il n’en parlait qu’en pleurant.
Le Serviteur de Dieu a pratiqué la vertu
d’obéissance. C’est par obéissance qu’il est resté quarante deux ans à Ars
malgré l’ardent désir qu’il avait d’aller dans la (557) solitude. Il nous
disait que s’il avait été religieux il n’aurait pas eu de peine à obéir.
Quoad Religionem testis interrogatus
respondit :
Mr Vianney voulait que tout ce qui tenait
au culte de Dieu fut beau. Il aimait
les images, les scapulaires, les beaux chapelets, les reliques. Dès que
quelqu’un revenait de Rome, il lui demandait s’il lui apportait quelque
relique. Il avait fini par en avoir une très grande quantité. Il assistait avec
bonheur à la prédication de la parole de Dieu. Il avait une grande dévotion
envers notre Seigneur dans le saint sacrement ; pour s’en convaincre il suffisait de le voir dire
la messe, faire la génuflexion en passant le tabernacle, etc. Il avait écrit
dans son bréviaire pour chacune des heures de l’office un des mystères de la
passion. Il aimait à célébrer les fêtes de Notre Seigneur, de la Ste Vierge,
quoiqu’elles ne fussent plus d’obligation. ce jour là les offices avaient lieu
comme le Dimanche. Il célébrait aussi les fêtes des saints anges gardiens, de
St Jean l’évangeliste et de quelques
autres, mais d’une manière moins solennelle.
Il montra toujours une grande dévotion
envers la Ste Vierge. Il aimait à célébrer la messe à son autel, il n’y
manquait jamais le samedi. Ce jour là après la messe il récitait les litanies
de la Sainte Vierge et disait un pater
et un ave Maria en l’honneur de l’immaculée conception. Tous les soirs à la prière il disait en chaire le
chapelet de l’Immaculée Conception. Quand l’heure sonnait, il récitait un Ave maria, c’est pour être plus fidèle
lui-même à cette pratique et y amener ses paroissiens qu’il a fait placer au
clocher une grande horloge. Son intention était ainsi de faire bénir l’heure ;
il a fait une fondation pour payer celui qui est chargé de régler l’horloge.
Dès son vicariat d’Ecully, il avait organisé avec Mr Balley une association de
prière en l’honneur de l’immaculée conception. En mil huit cent trente six
comme on (558) le voit sur un tableau placé à l’entrée de la chapelle de la
sainte Vierge, il avait consacré sa paroisse à la mère de Dieu, honorée sous le
titre d’immaculée. Il avait fait placer sur la façade de l’église la statue de
la reine des anges. Lorsque Mgr Chalandon envoya une circulaire pour
recommander de placer une statue de la Ste Vierge dans chaque localité, le Curé
d’Ars à ses paroissiens : Comme nous avons déjà une statue de la Ste
Vierge sur notre église, nous achèterons un bel ornement en l’honneur de l’immaculée Conception. Cet ornement tout
couvert d’or a servi le jour même de la définition du dogme de l’Immaculée
Conception. Il avait établi dans sa paroisse l’archiconfrérie du saint cœur de Marie pour la conversion des
pécheurs.
Le Curé d’Ars lisait continuellement la
vie des saints. Il ne cessait, dans ses instructions et ses catéchismes, de
citer une foule de traits et de détails tirés de leur vie. Les noms de ses
saints protecteurs et de ses saintes protectrices étaient inscrits dans son
bréviaire. Il aimait beaucoup St Jean l’Evangéliste parce qu’il avait eu bien
soin de la Ste Vierge.
Il semblait avoir voué un culte tout
particulier à Ste Philomène ; il lui avait fait construire une petite
chapelle. Quand on venait à Ars solliciter quelque grâce temporelle, il
conseillait de faire une neuvaine à Ste Philomène. C’est à elle qu’il a
attribué les grâces et les faveurs obtenues à Ars. Un jour en ma présence on
lui disait : « Mr le Curé on assure que vous avez défendu à Ste
Philomène de faire des miracles à Ars. –Oh ! oui, dit-il, ça nous amène
trop de monde ; je l’ai prié de guérir les âmes ici et de guérir les corps
plus loin : ni vu, ni connu ».
Mr Vianney ne se contentait pas de prier
lui-même pour les âmes du purgatoire. Il a fondé dans plusieurs paroisse une
octave de messes pour leur soulagement.
Quoad Orationem testis interrogatus
respondit :
Il me serait difficile de caractériser le
genre d’oraison de Mr Vianney. Je puis assurer qu’il était continuel- (559)
lement uni à Dieu : ce qui le prouve c’est ce profond recueillement dont
il ne paraissait jamais sortir malgré les agitations de la foule empressée
autour de lui
Quoad Fortitudinem, testis interrogatus
respondit :
Le Serviteur de Dieu a fait preuve d’une
grande force au milieu des épreuves, des peines et des contradictions qu’il a
eues à essuyer. On ne l’a pas vu démentir sa constance malgré ses grandes
épreuves ; ainsi que je l’ai dit il avait placé en Dieu toute se
confiance.
La patience de Mr Vianney n’a pas moins
jeté un vif éclat. Il avait promis à Dieu de ne pas se plaindre. Voici à quelle
occasion : pendant qu’il était caché aux Noës, pour éviter la poursuite
des gendarmes, il fut obligé de s’enfermer dans un grenier à foin au dessus de
l’écurie. la chaleur était telle, qu’il pensa être asphyxié ; il promit
alors à Dieu que s’il sortait de cette terrible position il ne se plaindrait
pas quoiqu’il lui arrivât. Et j’ai bien quasi tenu parole, ajoutait modestement
le Curé d’Ars en rappelant ce fait. Au milieu de la foule qui le pressait et le
harcelait de toutes façons, il ne donnait aucun signe d’impatience. Témoin de
cela une personne lui dit un jour : nous nous impatientons pour
vous ; vous devriez bien un peu vous fâcher.- Il y a trente six ans que je
suis à Ars : c’est un peu trop tard. La patience cependant ne lui était
pas une vertu naturelle, il était né avec un caractère impétueux.
Il a eu à souffrir de grandes douleurs
par suite des infirmités que son genre de vie lui avait attirées. On a constaté
qu’il avait deux hernies ; on le voyait souvent s’avancer le corps courbé
et comme plié en deux. Sur la fin de sa vie, une toux aiguë le fit bien
souffrir. Il ne prenait presque pas de repos : aussi avouait-il qu’il
avait beaucoup à souffrir du sommeil au confessionnal, vers les trois ou quatre
heures du matin. Ses nuits (560) étaient mauvaises. Il ressentait la souffrance
même en dormant, disait-il. Malgré ses douleurs presque continuelles surtout à
la fin de sa vie, il n’en continua pas moins à se rendre chaque jour au
confessionnal, à y faire les longues séances dont j’ai parlé, à se rendre
auprès des malades dès qu’on l’appelait, en un mot à suivre le genre de vie
qu’il s’était tracé.
Quoad
Temperantiam, testis interrogatus respondit :
J’ai déjà dit que lorsque Mr Vianney
faisait ses études à Ecully, il voulait que sa cousine lui trempat sa soupe avant qu’elle y mit le beurre. Quand elle y manquait, il
ne paraissait pas content. Vicaire à Ecully, il pratiquait la mortification de
concert avec Mr Balley ; il a avoué en ma présence que le bouilli à force
de reparaître sur la table, finissait par être tout noir.
Arrivé à Ars, il se livrait à de grandes
mortifications sous le rapport de la nourriture, ainsi que je l’ai entendu
répéter très souvent, à des personnes dignes de foi. Il avait essayé, nous
disait-il, de vivre en mangeant de l’herbe ; mais il n’avait pu y tenir et
il ajoutait : j’ai bien reconnu que le pain était nécessaire à l’homme.
pendant les dix dernières années de sa vie, j’ai vu par moi-même quel était son
régime. Il avait été forcé de l’adoucir ; voici cependant en quoi il
consistait : le matin, il prenait une tasse ordinaire de chocolat au
lait ; à midi il mangeait d’un plat qu’on lui avait préparé, quelque fois
il y ajoutait un peu de dessert ; mais il s’en priva complètement les deux
dernières années de sa vie. Le soir il ne prenait rien. Dans les fortes
chaleurs il acceptait quelquefois quelque petite chose. Les jours de jeûne il
ne mangeait qu’à midi ; sur la fin de sa vie, il se vit obligé de prendre
quelque chose (561) le matin. J’estime qu’il mangeait à peu près une livre de
pain par semaine. Un jour il mangeait son chocolat et prenait ensuite son pain
sec. Si vous trempiez votre pain dans votre chocolat, lui dis-je, il serait
meilleur. – Oh ! je le sais bien, reprit-il. Il n’en fit rien.
(563) Session 57 – 23 juillet 1863 à 8h du matin
Prosequendo
decimum octavum interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Mr Vianney
si mortifié sous le rapport de la nourriture, se gardait bien d’accorder à son
corps, qu’il appelait son cadavre, les choses qu’il aurait pu
légitimement se permettre. Son lit se composait d’une simple paillasse fort
dure, avec un traversin en paille. J’ai aperçu à côté de (564) son lit une
planche. Ma conviction est qu’il la mettait dans son lit ; cette
conviction est aussi celle de plusieurs personnes qui ont aussi vu cette
planche. Un jour qu’il était fatigué, on mit un matelas dans son lit ; il
me dit : je saurai assez m’en débarrasser. J’ai vu caché derrière le
rideau de son lit une discipline composée de trois chaînes en fer. J’ai encore
en ma possession un morceau d’un cilice en crin. J’ai entendu dire qu’on a
trouvé son linge taché de son sang. Il ne prenait aucune précaution pour se
garantir contre le froid pendant les longues heures qu’il passait, l’hiver, au
confessionnal. On finit par mettre sous son confessionnal une bouillotte. Le
bon Curé ne s’en aperçut pas et il fit un jour cette réflexion : le bon
Dieu a été bien bon pour moi, je n’ai pas eu froid cet hiver. Il s’en aperçut cependant
plus tard et il repoussait la bouillotte.
Quoad paupertatem, testis interrogatus
respondit :
Pendant les dix années que j’ai eu le
bonheur de vivre auprès de Mr Vianney, j’ai pu voir quel était son amour pour
la pauvreté. Il ne s’occupait en aucune façon de ce qui pouvait le
concerner ; on lui fournissait ses habits, son linge, sa nourriture :
pour lui il ne s’en occupait pas. Il avait vendu les meubles qui lui
appartenaient. Ceux qui garnissaient la cure appartenaient à la fabrique ou lui
avaient été prêtés. Le feu prit un jour à son lit pendant qu’il était à
l’église. Quand il sortit et qu’il vit la foule entrer et sortir du presbytère,
il me demanda ce que c’était. – Mais Mr le Curé, c’est votre lit qui vient de
brûler. –Ah ! répondit-il, sans émotion ; et il alla dire
tranquillement la messe. Deux personnes lui fournirent l’une le lit, l’autre
les rideaux, en lui faisant observer qu’on les lui prêtait seulement.
La chambre du Serviteur de Dieu était
alors telle qu’on la voit aujourd’hui, c’est-à-dire, dans un (565) grand état
de pauvreté. Quelques images de Notre Seigneur, de la Ste Vierge et des saints
décorent ça et là les murs noirs et enfumés de l’appartement. tout le reste
indique la pauvreté la plus complète.
Quoad Humilitatem, testis interrogatus
respondit :
La simplicité et la modestie du Curé
d’Ars se manifestaient dans toute sa conduite. On ne voyait chez lui rien
d’affecté, rien d’une personne qui veut paraître. C’était chez lui une
simplicité d’enfant. l’humilité du Serviteur de Dieu n’était pas moins
admirable. Au milieu de ce concours qui se faisait autour de lui et à cause de
lui, à le voir parler et agir, on eut
dit qu’il n’y était pour rien. Il se croyait le plus mauvais prêtre ; il
disait que si Dieu avait trouvé un plus mauvais prêtre, il l’aurait mis à sa
place. Un supérieur ecclésiastique du diocèse lui demanda un jour si au milieu
des témoignages de la vénération publique il n’avait pas quelque pensée de
retour sur lui-même. Ah ! reprit-il aussitôt, si je n’étais pas seulement
tenté de désespoir. Quand on lui donnait des louanges, on voyait aussitôt qu’on
lui faisait de la peine.
Il souffrit beaucoup de voir son portrait
reproduit sous toutes les formes et étalé aux vitrines des marchands du
village. Il l’appelait son carnaval. Jamais il ne voulut le signer quand il
s’en trouvait un exemplaire parmi les images qu’on lui présentait à signer. Il
le mettait de côté en disant aux personnes : ça ne sert que trois jours
dans l’année, voulant indiquer les trois jours de carnaval. Mr Cabuchet,
statuaire distingué voulut faire le buste du Curé d’Ars. Ce dernier ne voulut y
consentir en aucune façon. S’apercevant que l’artiste le fixait pendant son
catéchisme depuis plusieurs (566) jours, il comprit ce qu’il voulait
faire ; il lui dit publiquement : Vous, Monsieur, qui êtes là bas,
veuillez rester tranquille.
Il vit aussi avec peine paraître
différentes biographies le concernant. Je sais qu’il souffrît beaucoup le jour où Mgr Chalandon, évêque de Belley, lui apporta
les insignes de chanoine honoraire de la cathédrale. Rentré à la cure après la
cérémonie ou il avait dû en paraître
revêtu, il sembla consterné, affligé et comme abattu. Peu de jours après il
vendit le camail cinquante francs pour en employer le prix à ses bonnes œuvres.
Quand le maire d’Ars lui annonça que l’Empereur venait de lui accorder la croix
de la légion d’honneur, il demanda aussitôt s’il y avait quelque rente attachée
à cette décoration. Non, répondit Mr le Maire d’Ars.- dans ce cas là je n’en
veux point.
Quoad castitatem, testis interrogatus
respondit :
Je n’ai jamais rien vu ni entendu dire
qui put faire naître quelque soupçon
sous le rapport de la sainte vertu. J’ai pu constater au contraire que Mr
Vianney était d’une très grande modestie et d’une grande réserve.
Interrogatus demum an aliquid sciret quod
contrarium esse possit virtutibus supra enumeratis testis respondit :
Je n’ai rien vu, je ne connais rien qui
puisse infirmer les témoignages que j’ai donnés sur chaque vertu. Il m’a semblé
cependant que Mr Vianney avait trop laissé faire Mr Raymond qui lui avait été
donné comme prêtre auxiliaire. Mais en examinant de près, je crois que c’était
par charité, par prudence et par humilité qu’il en agissait ainsi.
Juxta
decimum nonum interrogatorium, testis respondit :
Le Serviteur de Dieu a pratiqué les
vertus (567) dont j’ai parlé au degré héroïque et par degré héroïque j’entends
un degré extraordinaire. Je crois inutile de donner ici des preuves
particulières de l’héroïcité des vertus ; je l’ai fait suffisamment en
répondant à l’interrogatoire précédent. Ce qui m’a frappé surtout c’est son
genre de vie, vraiment extraordinaire, et je dirais presque surnaturel. Je n’ai
jamais remarqué que le Serviteur de Dieu se fut relâché en aucune de sa ferveur. Il a persévéré jusqu’à la mort
dans la pratique des vertus héroïques.
Juxta vigesimum interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Il me semble d’abord que le Curé d’Ars
avait reçu de Dieu le don des larmes. On le voyait pleurer souvent, en chaire,
au catéchisme, au confessionnal, dans les entretiens particuliers. C’était
surtout lorsqu’il parlait de l’amour de Dieu, du péché ou d’autres sujets
semblables.
2° L’opinion générale est qu’il lisait au
fond des cœurs. J’ai entendu citer un certain nombre de faits à ce sujet, entre
autres le suivant : Mr Vianney disait un jour, je ne sais plus à quelle
occasion : j’ai été une fois bien attrapé. Une personne étant
entrée à la sacristie, je lui dis : Ma bonne dame, il ne faut pas faire
comme cela, vous avez mis votre mari à l’hôpital et vous n’allez pas le voir. –
Qui vous a dit cela, répondit cette personne toute déconcertée. Mr le Curé
ajouta : je croyais que vous me l’aviez dit.
Un jour il dit à une personne :
Partez vite ma petite. – Mais je n’ai pas fini ma confession. – Finissez la et
partez. Mr Descôtes, missionnaire du diocèse de Belley recommanda à cette
personne d’écrire quand elle serait arrivée et d’indiquer s’il y avait quelque
chose qui nécessitât son départ. Quelques jours après, elle répondit que son
frère était gravement malade.
Je n’ai que des souvenirs vagues sur les
autres faits.
3° L’opinion publique attribue à Mr
Vianney un (568) certain nombre de prédictions. Je n’ai pour moi aucun fait
précis à constater.
4° L’opinion publique attribue au
Serviteur de Dieu un grand nombre de guérisons miraculeuses, ou de grâces
extraordinaires. J’en ai entendu parler bien des fois ; cependant dans ce
moment ci je ne puis rien donner de précis.
J’ai entendu parler bien des fois de la
multiplication du blé dans un des greniers de la cure, de la multiplication du
vin et de la farine. Je ne sais là dessus que ce que raconte le public. Je n’ai
pas pris d’informations précises.
5° Je crois que Mr Vianney avait reçu de
Dieu un don tout particulier pour la conversion des pécheurs. C’est par
milliers qu’il faudrait compter les âmes qu’il a ramenées à Dieu. Il me disait
lui-même : ce n’est qu’au jugement dernier qu’on saura tout le bien qui
s’est fait à Ars.
Juxta vigesimum primum interrogatorium,
testis interrogatus respondit :
Je ne connais aucun écrit du Serviteur de
Dieu. Je n’ai moi-même entre les mains aucune de ses lettres. Je crois que Mr
Ballet, missionnaire aux chartreux de Lyon a une de ses lettres. Il avait écrit
un grand nombre d’instructions ; je ne sais ce qu’elles sont devenues.
Juxta vigesimum
secundum interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Quatre mois à peu près avant sa mort, le
Serviteur de Dieu en annonçant la construction de la nouvelle église, cita le
trait de Moïse rassemblant avant de mourir le peuple d’Israël. Plusieurs
personnes virent dans les paroles de Mr Vianney comme un discours
d’adieu ; elles en conclurent que sa fin n’était pas éloignée.
Le Curé d’Ars était depuis longtemps
exténué (569) de fatigues. Sa toux le faisait horriblement souffrir. Le samedi
matin trente juillet mil huit cent cinquante neuf, il se trouva si faible qu’il
ne put se lever et appela quelqu’un. Prévenu de la fatigue de Mr Vianney, vers
les deux heures du matin, je courus auprès de lui : allez chercher mon confesseur,
me dit-il. –je vais aussi chercher le médecin. – c’est inutile, il n’y fera
rien.
(571) Session 58 – 23 juillet 1863 à 3h de l’après-midi
Pro
sequendo vigesimum secundum interrogatorium, testis respondit :
La maladie du Serviteur de Dieu m’a paru
provenir d’un grand épuisement, accompagné des symptômes de la dyssenterie. Elle n’a duré que cinq jours.
Je n’ai rien remarqué d’extraordinaire pendant tout le cours de la
maladie ; il a montré une soumission parfaite à la volonté de Dieu ;
(572) lui qui avait refusé ordinairement les soins qu’on voulait donner dans
ses infirmités habituelles, fut alors docile comme un enfant et laissa faire
les personnes qui l’entouraient. J’ai déjà dit qu’il avait demandé spontanément
son confesseur. On devait lui donner la Ste communion le mercredi matin à
minuit, pour qu’il fût à jeun. On lui administra le St Viatique et
l’extrême-onction le mardi soir et j’ai toujours cru que c’était sur sa demande
qu’on en avait avancé le moment.
Juxta
vigesimum tertium interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Le Serviteur de Dieu est mort le jeudi
matin, vers deux heures, le quatre Août mil huit cent cinquante neuf, sans
agonie et sans violence ayant conservé sa connaissance jusqu’à son dernier
soupir. Dès le point du jour on descendit le corps dans l’appartement au
dessous de sa chambre ; c’est là qu’il est resté exposé jusqu’à la
cérémonie des funérailles. Il se fit autour du corps un concours
extraordinaire ; on ne saurait dire la quantité d’objets pieux et même d’autres
objets qu’on fit toucher à son corps. On fut obligé de mettre une barrière pour
empêcher la foule d’approcher trop près et de le dépouiller. A la cérémonie des
funérailles présidées par l’Evêque du diocèse, on vit près de deux cent quatre
vingts prêtres ; un très grand nombre de fidèles venus de tous les côtés.
Juxta
vigesimum quartum interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Le corps du Serviteur de Dieu mis d’abord
dans un cercueil en plomb et dans un autre en chêne à été enseveli au milieu de
la nef de l’église d’Ars. Le corps a été descendu dans le caveau une douzaine
de jours après la mort, c’est à dire dès que le caveau eut été préparé. Une
pierre tumulaire ordinaire indique l’endroit où il a été enterré. L’inscription
rappelle seulement ses noms, et prénoms et son titre de Curé d’Ars. (573) On
avait d’abord mis une barrière comme on a coutume en France d’en placer autour
des tombeaux ; on la fait
disparaître plus tard. Quand il y avait la barrière, les fidèles y suspendait des courronnes comme on en voit en grand nombre en France dans les
cimetières. J’ai vu qu’on avait pris soin d’éloigner ce qui aurait pu
ressembler à un culte public. Au moment où l’on descendit le cercueil dans le
tombeau les fidèles qui étaient présents s’empressèrent de le baiser en signe
de vénération. On voit encore les fidèles venir en grand nombre de tous les
côtés pour prier sur le tombeau du Curé d’Ars et solliciter par son
intercession des grâces particulières.
Juxta
vigesimum quintum interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Mr Vianney a joui pendant sa vie d’une
grande réputation de sainteté. On l’appelait communément le saint Curé et
surtout le saint père. Cette réputation que partageaient les personnages les
plus haut placés, tels que évêques, magistrats, prêtres distingués, etc., était
répandue non seulement en France, mais j’oserai dire dans une grande partie de l’Europe. C’est cette réputation
due à son genre de vie extraordinaire, qui lui attirait les fidèles de divers
pays, de toutes les classes et de toutes les conditions. On a estimé, dans les
dernières années de sa vie, que ce concours d’étrangers s’élevait annuellement
à quatre vingt mille. Il recevait aussi des lettres en grand nombre de
différents pays. On ne se contentait pas de lui parler ou de recevoir sa
bénédiction, on voulait encore posséder un souvenir de lui, par exemple un
objet qu’il avait béni, une image ou un livre sur lequel il avait mis sa
signature. On est allé jusqu’à couper ses cheveux par derrière. Presque tous les
jours on prenait son catéchisme et on le remplaçait par un autre.
Cette
réputation de sainteté n’a subi à mon avis aucune interruption jusqu’au moment
de la mort. (574) je ne sache même pas qu’elle ait subie après la mort aucune altération. Il y a eu sans doute la première
année de son décès une diminution très considérable dans le nombre des
pèlerins, et je l’explique tout naturellement puisque la plupart ne venaient
que pour voir le Serviteur de Dieu, lui parler, et se confesser à lui. Le
concours a recommencé, et aujourd’hui il est assez considérable. Quant à moi,
je l’ai regardé pendant sa vie comme un saint, et ma conviction sur ce point
n’a pas changé après sa mort. Les habitants de Dardilly, sa paroisse natale,
ont fait des démarches officielles auprès des autorités ecclésiastiques et
civiles, pour avoir sa dépouille mortelle.
Juxta
vigesimum sextum interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Je ne connais personne qui se soit élevé
contre cette réputation de sainteté. J’ai vu un homme qui paraissait
indifférent à ce sujet, sans cependant rien dire ou rien faire contre. A la vue
du concours extraordinaire qui eut lieu immédiatement après sa mort, il fut
singulièrement frappé et le regarda comme un saint.
Juxta vigesimum septimum interrogatorium,
testis interrogatus respondit :
J’ai entendu citer plusieurs guérisons
miraculeuses, mais je ne puis donner les détails. Je sais que les missionnaires
d’Ars ont recueilli avec soin les faits extraordinaires.
Juxta vigesimum octavum interrogatorium,
testis interrogatus respondit :
Je n’ai rien à ajouter à la déposition
que j’ai faite jusqu’à présent.
PROCES DE BEATIFICATION ET CANONISATION DE
SAINT JEAN MARIE BAPTISTE VIANNEY
CURE D'ARS
PROCES INFORMATIF ORDINAIRE
577 Session 59 - 24 juillet 1863 à 8h du matin
578 Juxta primum Interrogatorium, monitus testis de vi et natura
juramenti et gravitate perjurii, praesertim in causis Beatificationis et
Canonizationis, respondit:
Je connais
parfaitement la nature et la force du serment que je viens de faire, et la
gravité du parjure dont je me rendrais coupable si je ne disais pas toute la
vérité.
Juxta secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je m'appelle
Jean Baptiste Mandy; je suis né à Ars le onze juin mil huit cent onze. Mon père
se nommait Antoine Mandy et ma mère Benoîte Cinier. Je suis propriétaire d'une
modeste fortune.
Juxta tertium
Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je remplis
toutes les années le précepte de la confession et de la communion; il y a près
d'un mois que j'ai fait ma dernière communion. J'ai coutume de m'approcher
plusieurs fois dans le courant de l'année de la sainte table.
Juxta quartum
Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n'ai
jamais été traduit en justice devant aucun tribunal.
Juxta quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n'ai
jamais encouru de censures ou de peines ecclésiastiques.
Juxta sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n'ai été
instruit par personne de la manière dont je devais déposer dans cette cause.
579 Je n'ai pas lu les Articles rédigés par le Postulateur. Je ne dirai que ce
que je sais par moi-même, ou ce que j'ai appris de témoins dignes de foi.
Juxta
septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai une
grande affection et une grande vénération pour le Serviteur de Dieu-Jean Marie
Baptiste Vianney. Je désire sa Béatification et sa Canonisation; mais en cela
je ne me propose que l'honneur de l'Église et la gloire de Dieu.
Juxta octavum
Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je ne sais
pas exactement le jour et l'année de la naissance du Serviteur de Dieu. Je sais
qu'il est né à Dardilly, paroisse du diocèse de Lyon, de parents chrétiens qui
élevaient leurs enfants dans la pratique de la piété. Je ne sais quand il a été
baptisé et confirmé.
Juxta nonum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je tiens de
personnes dignes de foi que Mr Vianney a passé son enfance et son adolescence à
Dardilly auprès de ses parents.
Il s'occupait
aux travaux ordinaires de la campagne, mais dès lors il se distingua par sa
piété et sa conduite. Je tiens ce détail de mon père qui lui-même l'avait
recueilli de la bouche du frère de Mr Vianney. Je n'ai pas entendu dire qu'on
ait eu aucun défaut à lui reprocher à cette époque de sa vie.
Juxta decimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Vers l'âge de
quinze à seize ans, Mr Vianney abandonna les travaux de la campagne pour
s'adonner à l'étude des lettres. C'est auprès de Mr Balley, curé d'Ecully,
qu'il commença ses études.
Il n'avait pas de facilité. J'ai
appris de mon père qu'il donna des marques de piété dans ce temps-là.
Juxta
undecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
580 Je sais de Mr Vianney lui-même qu'il fut obligé d'interrompre
ses études pour obéir à la loi de conscription militaire; mais qu'il déserta et
se retira aux Noës. Sa conduite dans cette localité continua à être pieuse et
chrétienne. Quand il fut revenu à Ecully, il reprit le cours de ses études.
Juxta duodecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je sais,
toujours par le moyen de mon père, que Mr Vianney persévéra dans le dessein
d'embrasser la carrière ecclésiastique, et qu'enfin il fut ordonné prêtre; mais
j'ignore les circonstances du temps et du lieu.
Juxta decimum tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je sais que
le Serviteur de Dieu, aussitôt après son ordination, fut demandé par Mr Balley
pour être son vicaire à Ecully. Il y fut placé par l'autorité ecclésiastique et
il remplit avec une grande exactitude et une grande édification la fonction de
vicaire. A la mort de Mr Balley, les paroissiens le demandèrent pour leur curé.
Juxta decimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Mr Vianney
fut nommé Curé d'Ars au mois de Février mil huit cent dix-huit. Cette paroisse
ressemblait aux paroisses environnantes; il y régnait une grande indifférence
en matière de religion; les danses y étaient fréquentes. Pour les détruire, il
s'entendit avec l'autorité civile locale. Il ne craignit même pas de faire
quelques sacrifices pécuniaires, en donnant de l'argent soit au cabaretier du
village, soit au musicien.
Juxta decimum quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Mr Vianney
établit dès les premières années de son arrivée à Ars plusieurs confréries ou
associations pieuses. Pour l'éducation des jeunes filles il fonda la Providence
et plus tard il érigea l'école gratuite des jeunes gens. Ces différentes
institutions ont puissamment contribué à la réforme de la paroisse. 581
Juxta decimum
sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'atteste que
Mr Vianney a rempli exactement tous les commandements de Dieu et de l'Eglise,
les obligations auxquelles il était tenu comme prêtre, curé, fondateur ou
directeur des oeuvres dont je viens de parler. Il a persévéré jusqu'à la mort
dans le fidèle accomplissement de tous ses devoirs. Je ne sais rien qui puisse
infirmer ma conviction profonde sur ce point. Les absences qu'il a faites de sa
paroisse pour les missions, les jubilés ou les visites aux malades n'ont nui en
aucune façon au bien de la paroisse d'Ars. Du reste, il revenait tous les
Dimanches et si l'on avait besoin de lui pendant la semaine, il revenait
aussitôt. Dominé par l'idée d'aller dans la solitude pour s'occuper plus
activement de son salut, il voulut plusieurs fois quitter sa paroisse; mais il
n'eut jamais la pensée de réaliser son dessein sans avoir la permission de son
évêque: c'est du moins ma conviction. Quand il s'enfuit pour la première fois,
il écrivit ou il fit écrire immédiatement à son évêque.
Juxta decimum septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Je sais que
Mr Vianney a eu à supporter des contradictions et des injures. Il me serait
difficile de les spécifier. Ces contrariétés lui venaient et de la part des
laïques et de la part des ecclésiastiques; mais je ne sache pas qu'il y ait
donné occasion. Mr Vianney priait pour ceux qui cherchaient à lui faire du mal.
Parlant un jour à mon père de ses contrariétés, il disait: Il nous faut prier
pour eux.
Juxta decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'atteste que
Mr Vianney a persévéré jusqu'à la mort dans la pratique des vertus chrétiennes.
Je ne connais rien qui puisse indiquer quelque manquement sous ce rapport.
Quoad fidem,
testis respondit:
582 Je tiens de mon père, qui lui-même l'avait appris du frère de
Mr Vianney, que le Serviteur de Dieu se fit remarquer dès son enfance par un
goût tout particulier pour la prière et les exercices de piété. Sa mère, qui
était très vertueuse, prenait plaisir à développer ses heureuses dispositions.
Dès que le jeune Vianney entendait sonner l'angelus, il donnait l'exemple à
toute la famille en s'agenouillant le premier pour réciter l'Ave Maria. Il
semblait n'avoir aucun des goûts de son âge; il recherchait la solitude autant
que possible, il aimait peu à se trouver avec les autres enfants. On remarquait
qu'il priait souvent. Quand il travaillait à la vigne, il plaçait au-devant de
lui, sur une petite élévation, une statuette de la Ste Vierge; cette vue
l'animait et l'encourageait dans son travail. Dès qu'il avait atteint sa
statuette, il courait la reporter plus loin, et ainsi de suite tant que durait
le travail. J'ai entendu dire qu'il s'était toujours distingué par sa foi et sa
piété pendant le cours de ses études. Je sais qu'il ne fut admis à l'état
ecclésiastique qu'à cause de sa piété; on voulait le rejeter pour son peu de
talents.
J'ai entendu
dire par la voix publique que Mr Vianney, dès son arrivée à Ars, remplit tous
les devoirs d'un zélé pasteur. Il se préparait avec grand soin à annoncer la
parole de Dieu. On l'entendait s'exercer à débiter au presbytère les
instructions qu'il avait composées avec peine. J'ai vu par moi-même avec quelle
édification on sanctifiait le Dimanche. Quoique le travail soit assez fréquent
dans les paroisses voisines, il a à peu près cessé pleinement à Ars, le
Dimanche et les jours de fête. On ne vendait pas et on n'achetait pas. Quand on
lui présentait le Dimanche des objets à bénir, il demandait si on les avait
achetés ce jour-là: dans ce cas, il refusait de les bénir. Il ne laissait pas
partir les pèlerins le Dimanche. 583 Lorsque cependant l'établissement du
chemin de fer eut rendu l'arrivée et le départ des voitures nécessaires, on les
faisait arrêter à l'entrée du village, et c'est de là qu'elles partaient. J'ai
déjà dit que pour faire cesser les danses, il était allé jusqu'à donner de
l'argent au cabaretier et surtout au musicien.
585 Session 60 - 24 juillet 1863 à 3h de l'après-midi
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
La foi du
Serviteur de Dieu le porta à agrandir et à orner son église, sans recourir à
ses paroissiens. Il voulut aussi avoir de beaux ornements pour le saint
sacrifice, parce qu'il tenait beaucoup à la pompe du culte: 586 aussi on ne
saurait exprimer la joie qu'il montra lorsqu'il reçut les ornements que le
vicomte d'Ars envoya de Paris. Pour remercier Dieu, il conduisit sa paroisse en
procession à Notre-Dame de Fourvières. Mr Vianney célébrait la sainte Messe
avec la foi la plus vive; souvent je l'ai vu sourire au moment de la consécration
et de la communion; il semblait qu'il voyait quelque chose d'extraordinaire.
Quand il parlait sur la Ste Eucharistie, il était tellement pénétré, qu'il
paraissait être comme dans un bain de joie. S'il avait à discourir sur l'amour
de Dieu, sur le Ciel, sur le péché, sur l'état d'une âme en état de grâce, il
le faisait dans des termes qui nous impressionnaient vivement. Tout parlait
dans lui, ses yeux, ses gestes, sa figure surtout; on aurait dit qu'il voyait
d'une manière sensible ce qu'il expliquait. Si au contraire, il devait parler
sur le péché, il le faisait avec un de tristesse et de regret, qui indiquait
assez la peine qu'il éprouvait de voir offenser Dieu. Quand il priait, il
paraissait si recueilli et si pénétré de la présence de Dieu, que son extérieur,
son maintien réveillait la foi et ranimait la piété dans ceux qui en étaient
témoins.
Quoad Spem
respondit testis:
Le Serviteur
de Dieu a certainement pratiqué la vertu d'Espérance. Il avait placé en Dieu
toute sa confiance, il ne comptait point sur ses propres forces. Quand il avait
connu la volonté de Dieu, il s'efforçait de l'accomplir sans jamais se lasser,
ni se décourager. Il eut cependant à supporter des épreuves et des
contradictions. Il reçut même des lettres injurieuses de la part de quelques
ecclésiastiques. Ce qui là dessus paraissait lui faire le plus de peine,
c'était de penser que Dieu était offensé. On voyait dans toute sa conduite
qu'il n'agissait qu'en vue de Dieu et qu'il faisait tous ses efforts pour
conduire à Dieu les âmes qui lui étaient confiées. 587 Il me serait difficile
de donner des détails, ou de citer des faits particuliers concernant la vertu
d'Espérance de Mr Vianney. Ma conviction profonde est qu'il a pratiqué cette
vertu à un haut degré et je n'ai jamais rien vu dans sa conduite qui lui parût
opposé.
Quoad
Charitatem, testis respondit:
J'ai déjà dit
en répondant aux premiers Interrogatoires que Mr Vianney s'était toujours fait
remarquer par sa piété et son amour de la prière. Je n'ai point de nouveaux
détails à donner jusqu'au moment de son arrivée à Ars. Je tiens de mon père et
d'autres personnes que dès le commencement, Mr Vianney allait souvent à
l'église et y demeurait longtemps occupé à prier ou à méditer. J'ai vu moi-même
avec quel soin il se préparait à célébrer le saint sacrifice. J'ai déjà dit
avec quelle foi et quelle piété il disait la messe. J'en étais singulièrement
frappé. Sa figure s'illuminait; il y avait dans lui quelque chose de céleste,
surtout au moment de la communion. Il s'arrêtait alors un instant, semblait
converser avec Notre Seigneur, et puis consommait les saintes espèces.
Il disait son
office ordinairement à l'église, à genoux et sans appui. De temps en temps, il
jetait les yeux vers le tabernacle et l'on voyait sur sa figure l'expression de
la joie et du bonheur. Il était impossible de surprendre un moment de
distraction lorsqu'il était en prière. Quand le saint Sacrement était exposé,
il ne s'asseyait pas, au moins les dernières années de sa vie, et se tournait
vers l'autel avec un sourire expressif.
588 Le Curé d'Ars semblait n'avoir qu'une seule pensée, aimer Dieu
et le faire aimer. Il a tellement agi pour Dieu, que j'oserais dire qu'il ne
s'est jamais accordé la moindre jouissance.
Toutes les
fois qu'il avait à parler sur l'amour de Dieu ou sur le St Sacrement, il le
faisait dans des termes qui indiquaient l'amour dont il était lui-même embrasé.
Il y avait dans la manière dont il disait: Il faut bien aimer le bon Dieu, dans
la manière dont il prononçait l'adorable nom de Jésus, un accent qui frappait
tout le monde. Il terminait souvent ses instructions par ces mots: Être aimé de
Dieu, être uni à Dieu, vivre en la présence de Dieu, vivre pour Dieu, oh! belle
vie et belle mort.
Au
confessionnal, il ne cessait de porter les fidèles à aimer Dieu. Je me suis
senti moi-même fortement impressionné lorsque, m'adressant pour la confession
au Serviteur de Dieu, je l'entendais m'exhorter à aimer Dieu.
Ce qui, à mon
avis, prouve la grande charité de Mr Vianney, c'est la manière dont il se
comportait au milieu de la foule et du bruit. A quelque moment qu'on le vît,
environné, pressé par la multitude, harcelé de questions, interpellé de tous
côtés, on le trouvait toujours égal à lui-même, toujours gracieux, toujours aimable,
toujours la figure calme et souriante. Il semblait n'avoir point perdu de vue
la présence de Dieu et converser encore avec lui. Était-il entouré de respect,
escorté par la foule; la voyait-il s'agenouiller sur son chemin et s'incliner
pour recevoir sa bénédiction? 589 On le retrouvait toujours le même, simple
comme un enfant et n'ayant pas l'air de se douter qu'il fût pour quelque chose
dans le concours qui se faisait autour de lui. Il disait que tout autre prêtre
à sa place aurait fait plus de bien.
Il n'aimait
pas à parler des choses de ce monde; quand il était obligé d'entendre des
conversations sur ce sujet, on aurait dit presque qu'il avait la fièvre. S'il
le pouvait, il ramenait bien vite la conversation aux choses de Dieu. Dès qu'il
touchait ce sujet, son coeur semblait se dilater. Il parlait du ciel comme s'il
en était revenu. Il était fortement impressionné en prêchant ou en discourant
sur le péché; il versait aussitôt des larmes.
Son amour
pour Dieu et le St Sacrement l'engagea à porter les fidèles à la fréquente
communion. Il donnait au culte toute la pompe possible. Son ambition était
d'avoir de très beaux ornements. Rien n'est trop beau, disait-il, quand il
s'agit du bon Dieu.
Il se
plaignait quelquefois de ce que ses occupations et le concours des pèlerins ne
lui permissent pas de vaquer à l'oraison comme il l'aurait désiré. Il a
toujours eu le désir d'aller dans quelque ordre contemplatif ou dans la
solitude pour satisfaire plus facilement le besoin qu'il avait de s'unir à
Dieu. Il a souvent dit: qu'il ne voudrait pas mourir curé, mais là-dessus il
s'en remit à la décision de son évêque, ainsi que je l'ai indiqué en répondant
au seizième Interrogatoire.
590 Le Curé d'Ars n'arriva pas à ce degré d'amour de Dieu, dont j'ai
parlé, sans avoir beaucoup à souffrir. Il fut en butte en particulier aux
attaques du démon, qui tantôt d'une façon, tantôt d'une autre, venait
l'effrayer et troubler son sommeil. Dans le commencement il crut que c'était
des voleurs, et il pria deux jeunes gens, parmi lesquels se trouvait mon frère,
de coucher à la cure. Le bruit continua, mais les jeunes gens n'entendirent
rien. Le Curé comprit alors ce que c'était; il renvoya les deux jeunes gens et
s'abandonna entre les mains de Dieu. Comme les attaques du démon étaient plus
importunes lorsque quelque grand pécheur devait venir faire sa confession, Mr
Vianney s'en réjouissait en pensant au bien qui allait se faire et disait
parfois avec un aimable sourire: Le diable est en colère, c'est bon signe.
593 Session 61 - 25 juillet 1863 à 8h du matin
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je tiens de
mon père, qui l'avait appris, ainsi que je l'ai dit plusieurs fois, du frère
même de Mr Vianney, que le Serviteur de Dieu montra dès son enfance un grand
amour pour les pauvres. Il amenait à la maison paternelle les mendiants, qu'il
rencontrait sur son chemin. 594 Non content de leur procurer le logement et la
nourriture, il demandait encore à ses parents, pour ceux qui en avaient besoin,
des souliers ou des habillements.
Je ne sais
rien autre de particulier jusqu'à son arrivée à Ars. Il sembla se faire tout à
tous; il saisissait la moindre occasion de donner à chacun de ses paroissiens
des marques directes de son affection et de son dévouement pour eux. Ouvert,
complaisant, affable envers tout le monde, il n'aurait pas rencontré un enfant
sans lui adresser en souriant quelques mots aimables. J'en ai été témoin bien
des fois. Il n'allait pas seulement là où on l'appelait, il visitait encore
assez souvent ses paroissiens. Il choisissait plus volontiers l'heure du repas,
afin de trouver plus facilement la famille réunie. Pour ne causer ni
dérangement, ni surprise, il s'annonçait de loin en appelant par son nom de
baptême le maître de la maison; puis il entrait, s'appuyait un instant contre
un meuble, demandait des nouvelles de la famille, et avant de terminer sa
courte visite, adressait quelques mots d'édification. Je l'ai vu très souvent
faire ainsi ses visites dans la maison paternelle.
Mr Vianney ne
s'épargnait pas; j'ai su qu'il avait bien à souffrir et qu'il offrait ses
souffrances de la nuit pour la délivrance des âmes du purgatoire. Il disait: Si
je pouvais dormir deux heures, ce serait assez. Malgré ses douleurs et son
manque de sommeil, il se levait de grand matin, et reprenait avec courage les
travaux qu'il avait entrepris pour la gloire de Dieu. Il gémissait
continuellement sur le sort des pauvres pécheurs. Il ne cessait de prier pour
leur conversion. Tous les soirs il disait à la prière un pater et un Ave dans
cette intention. Il recommandait aux fidèles de prier pour eux et de donner des
messes pour ce sujet. Il désirait tellement travailler au salut des âmes qu'un
jour il dit à un des missionnaires qu'il resterait bien, pour cela, s'il le fallait,
jusqu'à la fin du monde; 595 qu'il ne craignait pas la peine. Dans le but de
procurer plus sûrement le salut des âmes, il a fondé avant sa mort un grand
nombre de missions. Cette oeuvre lui était particulièrement chère.
Lorsque dans
les commencements il était moins occupé, il se rendit volontiers à l'invitation
de ses confrères, et prit part, comme je l'ai dit, à différentes missions ou
jubilés. C'est alors qu'on connut les grandes vertus du Serviteur de Dieu. Il y
a toujours eu à Ars quelques étrangers qui venaient solliciter son ministère;
mais depuis l'époque de ses missions, le nombre alla en augmentant et finit par
atteindre un chiffre très considérable. Le bon Curé, comme je l'ai remarqué
moi-même très souvent, paraissait content et heureux, quand la foule était
considérable. On le voyait ennuyé et triste quand il y avait moins de monde.
Pour répondre au désir des pèlerins, il se rendait, vers deux heures du matin
pendant l'été, et vers quatre ou cinq heures en hiver, à l'église et y
entendait les confessions. Il passait en moyenne au confessionnal de douze à
quinze heures par jour. Si matinal que fût le Curé, la foule l'avait devancé et
l'attendait à la porte de l'église. Un grand nombre de personnes passaient la
nuit dans le vestibule de l'église.
Les fidèles
d'Ars avaient aussi compris le trésor qu'ils possédaient. Leur bon Curé, dans
les commencements, avait presque continuellement la fièvre; on suppose que
c'est pour ce motif qu'il avait demandé son changement. Les supérieurs
ecclésiastiques le nommèrent curé de Salles, dans le Beaujolais. Dès que les
habitants d'Ars le surent, ils envoyèrent une députation à la tête de laquelle
se trouvait mon père, alors maire de la commune, pour redemander leur curé.
L'autorité ecclésiastique obtempéra à leurs désirs.
Dès les
commencements de son séjour à Ars, Mr Vianney songea à l'éducation des jeunes
filles de la paroisse, et dès qu'il le put, il fonda sa Providence. 596 Il
vendit son patrimoine pour l'acquisition de la maison. Il reçut des jeunes
filles pauvres et abandonnées, autant que le local le permit. Grâce à des
ressources qui lui arrivèrent de différents côtés, il agrandit la maison, et
l'établissement compta en moyenne une soixantaine d'orphelines. Lui-même
pourvoyait à tout. Il trouvait encore le moyen de faire des aumônes assez
considérables aux pauvres de sa paroisse. Il a dit plus d'une fois à quelques
habitants pauvres: Venez chercher du blé. Il avait placé à la tête de sa
Providence deux filles de sa paroisse, qu'il avait mises en pension chez les
soeurs de Fareins pour les faire instruire et les former.
Plus tard, il
trouva le moyen de fonder l'école gratuite des jeunes gens et pour en assurer
l'avenir, il en confia la direction aux frères de la Ste Famille de Belley.
Mr Vianney
aima toujours les pauvres et se dépouilla de tout pour les secourir. Les mets
ou les provisions, que des personnes pieuses et charitables lui portaient, il
les distribuait aux mendiants qui - passaient ou aux pauvres de la localité. Il
aimait surtout à les donner à une pauvre aveugle de la paroisse, nommée la mère
Bichet. Il s'approchait d'elle doucement, déposait son aumône dans son tablier
et se retirait sans rien dire. La bonne aveugle, croyant que c'était une de ses
voisines, lui disait: Merci, ma mie, grand merci. Le curé s'en allait en riant
de tout son coeur.
J'ai appris
par l'opinion publique qu'il payait les loyers de plusieurs familles, soit à
Ars, soit ailleurs. Il visitait les pauvres honteux de sa paroisse et les
assistait dans leurs besoins. J'ai su aussi qu'on venait d'ailleurs solliciter
sa charité pour le même objet. 597 Il n'avait pas coutume de jeter son aumône
par la fenêtre, quand un pauvre se présentait à sa porte et que lui-même était
dans sa chambre. Il descendait pour le voir, et lui adresser quelques bonnes
paroles. J'ai bien des fois entendu dire
qu'il avait vendu ses meubles afin de trouver de l'argent pour ses pauvres.
C'est dans le même but qu'il a vendu quelques vieux habillements à des personnes
qui les lui demandaient et qui voulaient contribuer ainsi à ses bonnes oeuvres.
Quoad
Prudentiam, testis interrogatus respondit:
Je suis
convaincu que Mr Vianney a pratiqué la vertu de Prudence dès son enfance. Je
n'ai pas de preuves directes à donner. Dans la réforme des abus de la paroisse
d'Ars ou dans l'institution des différentes oeuvres dont j'ai parlé, Mr Vianney
a agi avec prudence: je n'ai en effet jamais entendu dire que personne eût été
froissé. Il parvint à faire cesser presque complètement le travail du Dimanche.
Ce jour-là, les offices étaient parfaitement fréquentés. Trois fois on se
rendait à l'église, le matin pour la messe, à une heure pour le catéchisme et
les Vêpres, et le soir pour la prière. C'était alors que Mr Vianney sortait de
son confessionnal pour nous faire une de ces instructions qui nous ont tant
frappées.
J'ai toujours entendu dire que le
Serviteur de Dieu demandait conseil à son Évêque pour les affaires importantes.
Il ne comptait pas sur lui-même, il s'abandonnait entre les mains de la
Providence, mais tout en comptant sur elle, il se gardait bien de lui demander
des prodiges. C'est ainsi que dans 1!établissement de la Providence, il prit
tous les moyens pour lui assurer quelques ressources. Il acheta des terres dans
ce but, puis il les revendit pour avoir une rente plus fixe. Il ne faisait les
différentes fondations dont il a été l'auteur, qu'autant qu'il avait les
ressources à peu près suffisantes; il faisait faire une neuvaine à Ste
Philomène, et il avait bientôt l'argent dont il avait besoin pour la fondation.
Dans le
commencement quelques personnes parurent un peu étonnées de la manière de faire
du curé d'Ars, mais lorsqu'il eut été mieux connu, il n'y eut plus qu'une voix
pour louer sa conduite. On remarqua qu'au confessionnal, il semblait
parfaitement connaître la position d'un chacun et donnait des avis en
conséquence. 598 Il a toujours joui de la réputation d'un homme de don conseil;
on est venu le consulter sur des affaires très importantes, et je n'ai jamais entendu
dire qu'on ait eu à se repentir de l'avoir écouté.
Dans le temps
où il était en butte aux contradictions dont j'ai parlé, il laissait dire et
faire. Un jour, comme il le rapporta à mon père, une personne se plaignait des
contrariétés dont elle était l'objet. Laissez dire et faire, répondit le curé;
quand on aura tout dit, on s'arrêtera.
Quoad
justitiam, testis interrogatus respondit:
Je ne doute
pas que Mr Vianney n'ait rempli tous les commandements de Dieu et de l'Église
et qu'il n'ait pratiqué autant qu'il le pouvait les conseils évangéliques.
Dans ses
rapports avec le prochain, j'ai toujours remarqué une très grande politesse. En
saluant une personne d'une certaine condition, il se servait ordinairement de
cette formule: Je vous présente bien mes respects; et il se laissait rarement
prévenir. Son respect pour les ecclésiastiques, et en général pour les
personnes consacrées à Dieu, se manifestait d'une manière très sensible; il
était pour eux plein d'égards et d'attention. Il montrait une grande bonté
envers les pauvres, les infirmes, les ignorants et les pécheurs.
Il était très
reconnaissant pour les moindres services qu'on lui rendait; il rappelait
souvent ceux qu'il avait reçus de sa pieuse mère, de Mr Balley et des habitants
des Noës.
J'atteste que
Mr Vianney a pratiqué la vertu d'obéissance. Non seulement je n'ai rien vu
contre, mais il me semble que sa vertu a paru d'une manière particulière dans
la fidélité avec laquelle il a rempli tous ses devoirs. Il était tourmenté du
désir de quitter sa paroisse; malgré ce désir, il y est resté jusqu'à la mort,
parce que son Évêque ne lui donna pas la permission qu'il sollicitait. Il
montra toujours envers les représentants des autorités civiles le respect et
l'obéissance qui leur sont dus dans les attributions de leurs pouvoirs. 599
601 Sesssion 62 - 27 juillet 1863 à 8h du matin.
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Le Serviteur
de Dieu rechercha toujours tout ce qui, de près ou de loin, se rapportait au
culte divin. Il aimait les objets de piété. Il entendait la parole de Dieu
autant qu'il le pouvait. 602 J'ai déjà dit comment il avait embelli son église
et lui avait procuré de beaux ornements.
Parmi toutes
les dévotions de Mr Vianney, il me semble que celle envers le St Sacrement
était la plus frappante. J'en ai donné des preuves en parlant de la Foi et de
la Charité. Il faisait le signe de la croix d'une manière grave, posée et
recueillie. Il recommandait souvent d'invoquer le Dimanche la Ste Trinité, le
lundi le St Esprit, le mardi les anges gardiens, le mercredi St Joseph. Le
jeudi, il recommandait d'honorer le St Sacrement, le vendredi la passion de
Notre Seigneur et le samedi la Ste Vierge. J'ai déjà dit que dès son enfance,
il avait une grande dévotion pour la Ste Vierge. Quand il fut prêtre, il disait
la messe à son autel et en son honneur tous les samedis, à moins qu'il n'y eût
empêchement. Il récitait le chapelet de l'Immaculée Conception à l'exercice
public de la prière du soir. Lorsque l'heure sonnait, il disait un Ave Maria et
recommandait beaucoup cette pratique. Il y était tellement fidele, lui-même,
que dans ses instructions, il s'interrompait au son de l'heure pour réciter
l'Ave Maria. Il eut toujours une grande dévotion à l'Immaculée Conception. Dès
l'année mil huit cent trente-six, il avait consacré sa paroisse à Marie
Immaculée. Ayant, avant la définition du dogme, érigé une statue à Marie
Immaculée, il voulut néanmoins témoigner sa joie de la définition du dogme en
faisant acheter en son honneur un très bel ornement pour son église.
Mr Vianney
déployait une grande pompe aux fêtes de la très sainte Vierge. Ces jours-là,
les offices se célébraient comme les dimanches, alors même que ce n'était pas
fête d'obligation. Il recommandait beaucoup la dévotion au saint Coeur de
Marie; il avait établi en son honneur l'Archiconfrérie de Notre-Dame des
Victoires, et il conseillait souvent de faire des neuvaines à ce sujet. 603 Les
fidèles de sa paroisse, répondant à la dévotion et aux instructions de leur
pasteur, avaient partout érigé des statues à la Ste Vierge dans leurs maisons.
Parmi les
saints qu'il honorait d'une manière spéciale, je puis citer St Joseph, St
Jean-Baptiste, St François d'Assise, Ste . Thérèse, etc. Il lisait fréquemment
la vie des saints et y puisait des traits admirables, qu'il racontait dans ses
instructions avec une onction toute pénétrante. Mais sa dévotion particulière
avait surtout pour objet Ste Philomène, qu'il nommait sa chère petite sainte.
Il lui avait fait construire une chapelle, il conseillait des neuvaines en son
honneur, et son humilité était charmée de rejeter sur son compte tous les
prodiges qui s'opéraient à Ars.
Les âmes du
purgatoire lui étaient très chères; il priait beaucoup pour elles à des jours
déterminés, et il offrait pour leur soulagement les terribles souffrances qu'il
endurait pendant la nuit. Il recommandait vivement cette dévotion aux fidèles,
et lui-même avait fondé des neuvaines et des octaves pour obtenir leur
délivrance.
Quant à ce
qui concerne l'Oraison, je puis déposer: Je ne sais rien de particulier sur la
manière dont Mr Vianney faisait oraison, mais à son attitude profondément
recueillie à l'église, j'ai toujours pu juger que son âme était toujours
intimement pénétrée de la présence de Dieu et unie à lui.
Quoad
Fortitudinem, testis interrogatus respondit:
L'une des
vertus qui me paraît avoir brillé avec le plus d'éclat dans Mr Vianney, est la
vertu de Force. Dans le genre de vie si austère qu'il a suivi jusqu'à sa mort,
dans ses souffrances si nombreuses et si graves, dans les contradictions de
toutes espèces qu'il a rencontrées, elle ne s'est jamais démentie. Sa constance
a été inébranlable; 604 c'est toujours en Dieu et dans l'attente de son
assistance continuelle qu'il a puisé sa fermeté et son courage.
Mr Vianney a
montré toute sa vie une patience héroïque. Atteint, vers la fin, des douleurs
les plus cruelles, jamais il n'a laissé échapper de plainte; c'est à peine si
parfois, dans les moments de souffrances plus vives, on lui entendait dire, en
réponse aux pressantes demandes qui lui étaient adressées: Je souffre un peu;
oui, je suis un peu fatigué. Souvent je l'ai vu n'en pouvant plus, courbé, plié
en deux, n'en pas moins continuer les pénibles fonctions de son ministère. Une
fois que j'étais malade, il est venu me voir; il était plus malade que moi. En
quittant ma chambre, il s'affaissa de fatigue et tomba sur lui-même. Je l'ai vu
bien souvent ne pouvant pas se soutenir lorsqu'il montait en chaire. Mais à
peine avait-il commencé à nous adresser la parole, l'ardeur de son zèle lui
donnait des forces extraordinaires; ce n'était plus le même homme; il était
tout transformé. Je sais qu'il a reçu des lettres anonymes pleines d'injures;
il en était peiné à cause de l'offense faite à Dieu; mais pour ce qui le
concernait lui-même, il n'en témoignait que de la joie. Il a raconté à mon père
avoir reçu un jour deux lettres, dont l'une était pleine d'éloges, l'autre de
paroles outrageantes. Ce sont là de ces choses, lui a-t-il dit, auxquelles il
ne faut pas faire attention. J'ai pu conjecturer par ses prédications qu'il
était d'un caractère naturellement vif. Vous vous plaignez, disait-il aux
fidèles, de ne pouvoir point pratiquer la patience à cause de votre vivacité;
eh! mon Dieu, tout le monde en a bien... Paroles qui me faisaient croire qu'en
les prononçant il pensait à lui-même. J'ai toujours admiré son extrême patience
à l'église au milieu de la foule des pèlerins et surtout des importunités de
quelques personnes indiscrètes.
Quoad Temperantiam, testis interrogatus respondit: :
J'ai souvent
entendu parler des mortifications auxquelles Mr Vianney se livrait. 605 Le
bruit public rapporte qu'il ne couchait que sur une paillasse fort dure et
quelquefois même sur une planche. On parlait dans le village de beaucoup de
mortifications extraordinaires qu'il faisait, par exemple, qu'il avait essayé
de ne vivre que d'herbages, mais qu'au bout de huit jours il avait dû renoncer
à ce régime; qu'il achetait le pain des pauvres pour s'en nourrir et autres
choses de ce genre. Mais pour moi, je ne sais rien de personnel à ce sujet. Un
jour cependant, me trouvant à la cure pendant son repas principal, je l'ai vu
prendre une tasse de lait, y mettre quelques miettes de pain et manger ensuite
une des deux pommes de terre qu'on lui avait servies. Il me présenta la
seconde; je la refusais, craignant de l'en priver; mais lui alors l’écarta en
disant: "C'est bien assez comme cela." Je demandais ensuite à la
personne qui le servait depuis combien de temps elle lui avait apporté le
morceau de pain où il avait pris quelques miettes. Depuis quatre jours, me
répondit-elle. - Je ne pense pas qu'il manquât au morceau de pain, tel qu'il
lui avait été remis, plus de cent grammes, quoiqu'il eût cependant vécu
là-dessus quatre jours.
Je sais qu'au
confessionnal, où il passait de longues heures, il se refusait toute espèce de
soulagement, tels que coussinet, bouillotte pour se tenir les pieds chauds
pendant l'hiver, etc. Ces habitudes de mortification étaient telles qu'un jour
son Évêque, Mgr Devie, l'ayant contraint à assister à un repas et obligé à
prendre quelques nourritures de plus, son estomac accoutumé à l'abstinence en
fut tellement fatigué qu'il éprouva une indigestion violente, si bien qu'à
partir de là Mgr Devie le laissa tout à fait libre de suivre son régime
ordinaire. Pendant un hiver, on vint à bout d'introduire à son insu une
bouillotte d'eau chaude sous le marchepied de son confessionnal. Ignorant cette
pieuse industrie, il manifestait son étonnement de n'avoir pas eu froid aux
pieds cet hiver.
606 Sa vie mortifiée n'avait rien d'austère ni de rebutant pour les
autres. J'ai moi-même été témoin d'un fait qui prouve son amabilité à cet
égard. Il arrivait souvent qu'avec d'autres gens de la paroisse, nous lui amenions
les différentes provisions dont il pouvait avoir besoin pour sa Providence.
Il nous accueillait avec la plus exquise bonté, nous faisait préparer un repas
bien convenable, nous exhortait à bien manger, nous servait lui-même à table;
mais jamais nous n'avons pu le décider à prendre quelque chose avec nous.
Quoad
Paupertatem, testis interrogatus respondit:
Mr Vianney a
montré un grand amour pour la pauvreté. Tout en lui, tout autour de lui
respirait cette vertu. Jamais il n'a rien voulu posséder en propre; on a été
obligé de pourvoir à ses vêtements, de lui fournir ses meubles, sa nourriture,
jusqu'à la pauvre tasse de lait qu'il prenait tous les jours. L'argent qu'il
recevait, semblait lui brûler les doigts et il se hâtait d'aller le porter aux
missionnaires; il n'en faisait de cas absolument que parce qu'il y trouvait le
moyen de faire des bonnes oeuvres. C'est ainsi qu'il lui arriva un jour de
brûler par hasard un billet de banque; comme on lui exprimait quelques regrets:
Il y a moins de mal, dit-il, que si l'on avait offensé Dieu par un péché
véniel. Sa chambre, la seule pièce habitable de la cure, était dans un état de
délabrement qu'il est facile de constater encore aujourd'hui. Rien de plus
pauvre que son mobilier; il se servait pour ses repas d'une mauvaise tasse en
terre; on voulut la remplacer un jour par une tasse en faïence, il la repoussa
en disant, ainsi qu'il m'a été rapporté: Il n'y a donc pas moyen d'être maître
de pratiquer la pauvreté chez soi. Il était entièrement étranger à tout le mouvement
du monde et à tous les intérêts matériels. Il n'a jamais vu aucun chemin de
fer, quoique celui de Paris à Lyon passât tout près d'Ars et lui amenât chaque
jour un si grand nombre de pèlerins. 607
609 Session 63 - 27 juillet 1863 à 3h de l'après-midi
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai pu
constater bien des fois que la simplicité et la modestie semblaient revêtir Mr
Vianney de la tête aux pieds. Il y avait chez lui une simplicité d'enfant
jointe à une certaine finesse d'esprit. 610 On croirait que le curé d'Ars était
tenté d'orgueil au milieu du concours des pèlerins et des démonstrations de
respect qu'on lui prodiguait; mais il n'en était rien. Son humilité était si
profonde qu'il semblait n'avoir pas même la conscience du bien qu'il faisait.
J'ai plusieurs fois remarqué que lorsqu'on lui donnait des éloges, il éprouvait
le plus grand embarras. Il ne commençait jamais à parler de lui-même, et
lorsqu'on mettait la conversation sur lui, il y coupait court au plus vite.
L'une des grandes souffrances, je pourrais dire l'une des grandes humiliations
de sa vie a été de voir son portrait étalé et vendu dans sa paroisse. Il finit
cependant par s'y accoutumer, mais il en plaisantait agréablement en l'appelant
son carnaval. Lorsqu'on lui présentait des objets à bénir et que son portrait
se trouvait avec eux, s'il l'apercevait, il avait soin de l'écarter.
J'ai entendu
dire que lorsque le Père Lacordaire vint le visiter à Ars, après son départ il
dit: Savez-vous la réflexion qui m'a frappée pendant cette visite? C'est que ce
qu'il y a de plus grand dans la science est venu s'abaisser devant ce qu'il y a
de plus petit dans l'ignorance. Les deux extrêmes se sont rapprochés.
J'ai été
témoin moi-même de l'humiliation qu'il éprouva lorsque le camail lui fut remis
par Mgr l’Évêque de Belley. Il semblait avoir des épines sur le dos, il se
retira à la sacristie et il s'en serait dépouillé immédiatement sans
l'observation d'un vicaire général qui était présent et qui lui fit entendre
qu'un acte pareil serait un manque de respect à son Évêque.
Quoad
castitatem, testis respondit:
Ses paroles,
ses actions, toute sa manière de vivre ont toujours témoigné du plus grand
amour pour la chasteté. 611 Il n'a jamais eu à son service des personnes du
sexe d'une manière permanente. Quelques personnes pieuses de la paroisse se
sont occupées successivement de mettre un peu d'ordre de temps en temps dans
son ménage, de préparer ses misérables repas; mais presque jamais quand il
était présent à la cure.
Interrogatus
demum an sciat vel dici audiverit, servum Dei unquam aliquid gessisse
virtutibus supradictis quoquo modo contrarium, respondit testis:
Je ne connais
absolument rien qui puisse ternir l'éclat des vertus sur lesquelles j'ai
déposé.
Juxta decimum nonum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je suis
convaincu que le Serviteur de Dieu a pratiqué les vertus dont j'ai parlé au
degré héroïque, et par degré héroïque j'entends la vertu pratiquée d'une
manière supérieure à celle que l'on rencontre même dans les bons chrétiens.
Pour juger qu'il a pratiqué les vertus à ce degré, je me réfère à mon
interrogatoire. Si je ne l'ai pas suffisamment prouvé, c'est que je n'ai pas su
mieux m'exprimer. Du reste, la vivacité de sa foi, qui est allée toujours en
croissant, sa fidélité à un ministère pénible et écrasant, sa vie austère et
pénitente pendant de si longues années, sa persévérance dans toutes les choses
les plus pénibles à la nature montrent assez que la vertu en lui était bien
supérieure à tout ce que l'on a droit d'attendre même des âmes les plus
fidèles.
Juxta
vigesimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai
plusieurs fois remarqué que le Serviteur de Dieu, pendant ses instructions,
versait des larmes.
L'opinion
publique à Ars est qu'il lisait souvent dans les coeurs. On racontait à ce
sujet un grand nombre de faits. En voici un qui m'est personnellement connu:
612 Un jour, il y avait dans l'église plus de soixante personnes attendant leur
tour pour se confesser. Deux vieillards, dont l'un était très pressé, se
trouvaient à l'extrémité de la foule. Mr Vianney arrive et fait signe à ce
vieillard de se présenter de suite à son confessionnal. Son compagnon, prenant
le signe pour lui, s'avançait le premier. Le curé dit: Ce n'est pas celui-là,
mais l'autre; néanmoins, qu'ils viennent tous les deux. Ils s'en retournèrent
très contents. Le lundi suivant, l'un des deux dit à mon frère à Villefranche:
On dit qu'il est bien difficile de parler à votre curé; mais quand il le veut,
c'est bien facile; il sait alors vous faire signe et vous faire passer.
J'ai entendu
parler d'un grand nombre de faits extraordinaires qui se sont accomplis; mais
je n'ai rien vu personnellement. Seulement un jour, à la messe, j'ai entendu
crier une jeune personne; je présumais qu'elle était idiote; mais dans la
journée on a assuré dans la paroisse qu'une muette avait recouvré la parole et
que cette muette était cette jeune personne. Si je ne puis pas témoigner d'une
manière positive et sûre sur des miracles, c'est que presque tous se sont
opérés au dehors.
Juxta vigesimum primum Interrogatorium, testis respondit:
Je ne connais
rien sur cet Interrogatoire.
Juxta vigesimum secundum Interrogatorium, testis respondit:
Mr Vianney
est mort à Ars le quatre Août mil huit cent cinquante-neuf; je présume que
c'est d'épuisement. Il a reçu les sacrements de l'Église avec édification. Je
sais qu'il a été très patient, très résigné pendant sa maladie; qu'il s'est
abandonné aux personnes qui le servaient, sans opposer le moindre refus aux
secours qui lui étaient prodigués; 613 mais n'ayant pas été présent, je ne puis
donner aucun détail précis.
Juxta vigesimum tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Le corps du
Serviteur de Dieu est demeuré exposé deux jours dans l'un des appartements du
rez-de-chaussée de la cure. Les funérailles ont été remarquables par
l'affluence extraordinaire de prêtres et de fidèles. Je présume qu'il y avait
de cinq à six mille fidèles, de toutes conditions et environ trois cents
ecclésiastiques. La cause de ce concours doit être uniquement attribuée à
l'opinion que l'on avait de la Sainteté du Serviteur de Dieu. A part ce
concours immense, je ne connais aucun fait extraordinaire qui ait signalé ses
funérailles.
Juxta vigesimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Le corps du Serviteur de Dieu a
été enseveli au milieu de l'église d'Ars dans un petit caveau préparé à cette
fin et recouvert d'une pierre sépulcrale à fleur du sol. Procès verbal de la
sépulture a été dressé et déposé, à ce que je crois, dans les archives de la
mairie d'Ars. Ce procès verbal pourra donner les détails que j'omets ici. Je
n'ai jamais remarqué qu'on ait fait aucun acte qui sente le culte public. Le
concours sur son tombeau a commencé immédiatement après sa mort, et, depuis
deux années surtout, il a augmenté d'une manière considérable. Je ne puis pas
préciser le nombre des pèlerins, mais la quantité de voitures qui les amène
tous les jours montre assez qu'il atteint un chiffre très élevé.
Juxta vigesimum quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai entendu
dire et je sais positivement que l'opinion publique a été que le Curé d'Ars
était un saint et qu'ainsi il a joui de la réputation de sainteté. J'entends par
cette réputation l'opinion publique et générale sur des faits ou sur des
personnes. Je ne puis assigner à cette réputation d'autre origine que la
sainteté dû Serviteur de Dieu, les vertus qu'il a pratiquées, les dons
extraordinaires dont Dieu l'a comblé. Je ne sache pas qu'aucun moyen non
avouable ait jamais été employé en faveur de cette réputation. 614 Elle était
universelle, aussi bien chez les personnes graves et prudentes que parmi le
peuple, aussi bien chez les hommes les plus instruits que chez les ignorants.
C'est là un fait tellement public, qu'il est à la connaissance de tout le
monde.
Elle a
commencé, je crois, vers mil huit cent trente; elle est toujours allée en
croissant; de là le pèlerinage, le respect dont on l'entourait, les conseils
qu'on lui demandait de toutes parts, l'affluence autour de son confessionnal,
l'empressement à se procurer, à lui dérober même le moindre objet qui lui eût
appartenu; de là son portrait partout répandu, son nom dans toutes les bouches,
etc. La mort, bien loin d'interrompre cette renommée, l'a plutôt accrue. La
paroisse de Dardilly, lieu de sa naissance, a disputé, comme aux premiers
siècles de l'Église, son corps à la paroisse d'Ars. La réputation du Serviteur
de Dieu est en vigueur, non seulement à Ars et aux environs, mais en France, en
Europe, on pourrait dire dans le monde entier.
Bien loin
d'avoir subi aucune interruption après sa mort, la réputation du Serviteur de
Dieu prend de nos jours un accroissement beaucoup plus considérable encore que
par le passé; elle devient beaucoup plus générale, s'étend à toutes les classes
de la société, sans qu'il soit possible d'assigner à ce fait aucune autre cause
que l'opinion de la sainteté de Mr Vianney. Il n'est pas à ma connaissance
qu'il ait été rien dit, écrit, ou fait pour porter atteinte à cette réputation.
Quant à mon sentiment personnel, j'adhère à l’opinion publique qui regarde Mr
Vianney comme un saint.
Juxta vigesimum sextum Interrogatorium, testis respondit:
Ma déposition
au précédent Interrogatoire déclare suffisamment que je ne connais rien de
contraire à l'opinion de sainteté dont jouit le Serviteur de Dieu.
Juxta
vigesimum septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Deux miracles
signalés sont à ma connaissance. Le premier est la guérison d'un jeune enfant
de St Laurent-lès-Macon, perclus de tous ses membres. Il a été apporté par son
père, sa mère et Mr le Curé de St Laurent sur le tombeau du curé d'Ars; là il a
été guéri. Je n'ai pas vu l'enfant avant la guérison, mais immédiatement après;
il marchait, courait; le père, la mère et Mr le Curé de St Laurent, m'ont
raconté le fait et dépeint l'état dans lequel l'enfant se trouvait
antérieurement. La guérison a persévéré, car plusieurs fois il est revenu en
pèlerinage à Ars. Le père a été converti.
Le second est
la guérison d'une jeune sourde-muette de Lyon. Amenée sur le tombeau du curé
d'Ars, elle a recouvré la parole; je l’ai vue, elle parlait tour à tour par
signe comme les sourds-muets et avec des paroles qui, sans être parfaitement
articulées, étaient cependant intelligibles.
Juxta
vigesimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n'ai plus
rien à dire.
Et
expleto examine super Interrogatoriis, deventum est ad Articulos, super quibus
testi lectis, dixit, se tantum scire, quantum supra deposuit ad Interrogatoria,
ad quae se retulit.
615 Sic completo examine, integra
depositio jussu Rmarum Dominationum suarum perlecta fuit a me Notario a
principio ad finem testi supradicto alta et intelligibili voce. Qua per ipsum
bene audita et intellecta, respondit se in eamdem perseverare, et illam iterum
confirmavit.
PROCES DE BEATIFICATION ET CANONISATION D E
SAINT
JEAN MARIE BAPTISTE VIANNEY CURE D'ARS
PROCES INFORMATIF ORDINAIRE
617 Session 64 - 28 juillet 1863 à 8h du matin
618 Juxta primum Interrogatorium, monitus testis de vi et natura
juramenti et gravitate perjurii, praesertim in causis Beatificationis et
Canonizationis, respondit:
Je connais
parfaitement la nature et la force du serment que je viens de faire et la
gravité du parjure dont je me rendrais coupable si je ne disais toute la
vérité.
Juxta secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je m'appelle
Guillaume Villier; je suis né à Ars le vingt-six Décembre mil sept cent
quatre-vingt dix-neuf. Mon père se nommait François Villier et ma mère Suzanne
Bernard. Je suis propriétaire cultivateur, jouissant d'une modeste fortune.
Juxta tertium
Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je remplis
toutes les années le précepte de la confession et de la communion; je suis dans
l'habitude de m'approcher encore des sacrements à Noël; je n'ai pas communié
depuis Pâques.
Juxta quartum
Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n'ai
jamais été traduit en justice devant aucun tribunal.
Juxta quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n'ai
jamais encouru de censures ni d'autres peines ecclésiastiques.
Juxta sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n'ai été
instruit par personne de la manière dont je devais déposer dans cette cause. Je
n'ai pas lu les Articles rédigés par le Postulateur. Je ne dirai que ce que je
sais par moi-même, ou ce que j'ai appris par des témoins dignes de foi.
619 Juxta septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai une
grande affection et vénération pour le Serviteur de Dieu Jean Marie Baptiste
Vianney. Je désire sa Béatification et sa Canonisation; mais en cela, je ne me
propose que la gloire de Dieu et l'honneur de l'Église.
Juxta octavum
Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je ne connais
pas exactement le jour et l'année de la naissance du Serviteur de Dieu. Je sais
qu'il est né à Dardilly, paroisse du diocèse de Lyon, de parents chrétiens qui
élevaient leurs enfants dans la pratique de la piété. Je regarde comme certain
qu'il a été baptisé et confirmé; mais j'ignore l'époque où il a reçu ces
sacrements.
Juxta nonum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je tiens de
personnes dignes de foi que Mr Vianney a passé son enfance et son adolescence à
Dardilly auprès de ses parents. Il était occupé à garder les troupeaux de son
père, et se livrait aux divers travaux de la campagne. Il se faisait dès lors
remarquer par sa piété. Je tiens ces détails des bruits publics répandus dans
la paroisse d'Ars et suffisamment confirmés par les personnes qui sont
fréquemment venues ici de Dardilly. Je n'ai pas entendu dire qu'on ait eu à lui
reprocher aucun de ces défauts qui sont si communs à cet âge.
Juxta decimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je ne sais
pas à quel âge il a commencé ses études; il fut obligé de les interrompre à
cause de la conscription militaire. J'ignore les circonstances qui concernent
cette époque de sa vie.
Juxta
undecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai entendu
dire qu'il avait toujours persévéré dans son dessein d'embrasser la carrière
ecclésiastique, et que, pendant tout le cours de ses études, il avait
constamment donné des marques d'une grande piété.
Juxta duodecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je sais qu'il
a été ordonné prêtre, mais je ne puis donner aucun détail.
620 Juxta decimum tertium Interrogatorium,
testis interrogatus respondit:
Je ne
pourrais dire dans quelle paroisse il fut placé vicaire après son ordination à
la prêtrise. J'ai seulement entendu dire que son curé était très pieux et que
Mr Vianney ne lui cédait en rien sous ce rapport.
Juxta decimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Mr Vianney
fut nommé Curé d'Ars au mois de Février mil huit cent dix-huit. Cette paroisse
ressemblait aux paroisses environnantes; les pratiques de piété y étaient peu
suivies; il y avait quelques danses; cette paroisse n'était cependant pas
irréligieuse.
Juxta decimum quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Le Serviteur
de Dieu avait trouvé établie la Confrérie du St Sacrement; mais il lui donna
une nouvelle impulsion. Il fonda celle du saint Rosaire; je me rappelle très
bien qu'avant Mr Vianney on ne disait jamais le chapelet publiquement à
l'église, sauf une fois par an le vingt-cinq Mars; mais dès l'arrivée de Mr
Vianney, on se mit à le dire tous les dimanches après Vêpres. Plus tard il
établit l'Archiconfrérie du Saint Coeur de Marie pour la conversion des
pécheurs. Afin de procurer aux jeunes filles une éducation chrétienne, il fonda
la Providence et en confia la direction à quelques pieuses filles de la
localité. Sur les instances de son Évêque, qui désirait en assurer l'avenir, il
céda cet établissement aux soeurs de St Joseph. Il travailla aussi à
l'éducation des jeunes garçons en faisant venir dans sa paroisse des frères de la
Ste Famille de Belley. Ces différentes institutions ont fait beaucoup de bien
et fortement contribué à l'amélioration religieuse d'Ars.
Juxta decimum sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'atteste que
Mr Vianney a rempli tous les commandements de Dieu et de l'Église, les
obligations auxquelles il était tenu comme prêtre, curé, fondateur ou directeur
des institutions dont je viens de parler. Il a persévéré jusqu'à la mort dans
le fidèle accomplissement de tous ses devoirs: c'est du moins ma conviction
profonde. Les absences qu'il a pu faire de sa paroisse ont toujours eu pour but
la gloire de Dieu, le salut des âmes ou sa propre sanctification. Quand il
était en mission, il revenait chaque Dimanche dans sa paroisse pour faire les
offices de l'Église. 621 Avant de partir, il avait bien soin de recommander
chaque fois de recourir, s'il en était besoin, aux prêtres du voisinage. Je ne
crois pas qu'il y ait jamais eu nécessité de le faire.
Je ne sais
pas bien au juste quels ont été les motifs de ses fuites; mais d'après ce que
j'ai entendu dire et ce que j'ai vu, je présume que la première a été
déterminée par quelques difficultés qui s'étaient élevées dans la commune, par
quelques contestations qui avaient eu lieu entre les voituriers et les logeurs.
En quittant Ars, il se proposait, je crois, de rétablir la paix et la bonne
harmonie dans la paroisse. Son absence ne dura que quelques jours. Avec lui
disparurent tous les pèlerins; après son retour ils revinrent. Quand il rentra
ce fut une grande joie à Ars; on sonna les cloches; les paroissiens accoururent
sur son passage; pour lui, au lieu d'aller se reposer au presbytère, comme il
aurait dû le faire après une très longue marche, il se rendit à l'église et
après avoir adoré le St Sacrement, il retourna se renfermer dans son
confessionnal.
Juxta decimum septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je sais que
le Curé d'Ars a été critiqué dans les paroisses voisines, qu'on l'accusait
d'ambition, d'avarice, qu'on plaisantait les habitants d'Ars de ce qu'ils
étaient trop dévots; j'ai remarqué que ces accusations, qui du reste n'avaient
point de fondement, avaient cessé vers la fin de sa vie. Je ne me suis jamais
aperçu qu'il se soit plaint de toutes ces choses ni en public, ni en particulier.
Juxta decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'atteste que
Mr Vianney a pratiqué toutes les vertus chrétiennes et qu'il y a persévéré
jusqu'à la mort. J'en ai pour garant toute sa conduite, dont j'ai été témoin
pendant toute la durée de son séjour à Ars, n'ayant jamais moi-même, pendant
tout ce temps-là, quitté la paroisse.
Quoad Fidem,
testis interrogatus respondit:
Ma conviction
est que le Curé d'Ars a eu une grande foi. J'ai toujours entendu dire ici qu'étant
encore bien jeune, il aimait à s'instruire des vérités de la religion, qu'il
écoutait avec empressement les leçons de sa mère et qu'il trouvait son plaisir
dans 622 la prière. J'ai appris qu'un jour on le croyait perdu; sa mère
inquiète le cherchait partout et elle finit par le trouver à genoux dans un
coin de l'étable, devant une crèche et occupé à prier le bon Dieu. Quand il
gardait ses troupeaux, il priait souvent tout seul devant une petite statue de
la Ste Vierge qu'on lui avait donnée; souvent aussi il réunissait ses
compagnons et les engageait à faire de même. Devenu un peu plus grand et
capable de travailler aux champs, il plaçait sa petite statue à quelques pas
devant lui, et lorsqu'il l'atteignait, il se mettait à genoux, et puis courait
la placer plus loin, se remettant ensuite avec une ardeur toujours nouvelle à
son travail. J'ai entendu très fréquemment répéter ces détails à Ars, et je
crois qu'ils avaient pour auteurs les gens de Dardilly, qui y sont venus en
pèlerinage.
Lorsque Mr
Vianney fit sa première entrée dans la paroisse, il nous parut plein de bonté,
de gaîté et d'affabilité; mais jamais nous ne l'aurions cru si profondément
vertueux. Nous remarquâmes qu'il allait souvent à l'église et qu'il y restait
longtemps. Le bruit ne tarda pas à se répandre qu'il menait une vie très
austère. Il n'avait point de servante, n'allait pas dîner au château d'Ars
comme le faisait son prédécesseur, n'allait pas visiter ses confrères et ne les
recevait pas chez lui. Ce qui nous frappait aussi beaucoup, c'est qu'on
s'aperçut tout d'abord qu'il ne gardait rien; nous étions ravis d'une conduite
aussi peu commune, et nous nous disions dès lors: notre curé n'est pas comme
les autres; c'est un saint.
Il semblait
avoir choisi l'église pour son domicile; si l'on voulait le trouver, c'est là
qu'il fallait aller le chercher. Quand il disait son office, nous remarquions
que de temps en temps il regardait avec bonheur le tabernacle. J'ai entendu
dire que dès le commencement de son séjour à Ars, il priait beaucoup pour la
conversion des pécheurs; ce que je sais bien, c'est qu'il ne cessait de nous
recommander de prier à cette même intention. Il nous exhortait fortement à
visiter le plus souvent possible le St Sacrement; peu à peu il a amené ses
paroissiens à cette pieuse dévotion et à la communion fréquente. Avant lui, on
se contentait généralement de faire ses pâques.
Je crois
qu'il a commencé peu de temps après son arrivée à faire tous les soirs la
prière publique à l'église. Il vint à bout d'enrôler beaucoup de monde dans les
confréries qu'il avait établies, ou comme renouvelées. Quoique les offices
fussent déjà passablement fréquentés les dimanches et les fêtes, il amena ses
paroissiens à les fréquenter encore davantage et à y assister presque tous. 623
Il fit aussi à peu près cesser le travail du Dimanche. Je dois faire remarquer
néanmoins, pour dire l'exacte vérité, que les travaux les jours défendus
n'étaient pas très communs avant l'arrivée de Mr Vianney. Ils n'avaient guère
lieu qu'à certaines époques de l'année, particulièrement au moment des
récoltes. Lorsque le pèlerinage fut établi, la sanctification du Dimanche était
si bien observée, que les voitures amenant les étrangers n'arrivaient pas et ne
partaient pas ce jour-là.
625 Session 65 - 28 juillet 1863 à 3h de l'après-midi
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Un autre
désordre que Mr Vianney vint à bout de faire disparaître, ce fut la danse. Il
menaçait de quitter la paroisse, si l'on continuait à se livrer à ce
divertissement dangereux. Les pères et les mères surtout entendirent la voix de
leur pasteur et retinrent leurs enfants. 626 Il est arrivé au Serviteur de Dieu
de donner de l'argent au ménétrier pour l'empêcher de jouer à certains jours de
fête. Il a fait la même chose à l'égard du cabaretier.
Mr Vianney
ayant renouvelé sa paroisse, se rendit à l'invitation de ses confrères pour
donner des missions dans les paroisses environnantes. Il y montra un tel zèle
et un tel esprit de foi, qu'il produisit des fruits abondants de salut. Son
confessionnal était assiégé et il confessait plus à lui seul que tous les
autres. Ce qui attirait surtout la confiance des fidèles, c'était sa vie
austère et mortifiée. Les missions auxquelles il prit part devinrent l'occasion
qui donna naissance au pèlerinage, les personnes qu'il avait dirigées revenant
à Ars pour réclamer ses conseils. C'est ce qu'on commença à remarquer surtout
après la mission de Trévoux, qui eut lieu en mil huit cent vingt-trois.
La foi de Mr
Vianney lui inspirait un grand zèle pour tout ce qui tenait au culte divin.
C'est ainsi que lui, si simple et si pauvre pour tout ce qui tenait à sa
personne, avait à coeur d'avoir pour son église les plus beaux ornements. Rien
ne saurait égaler la joie qu'il éprouva lorsqu'il reçut de Mr d'Ars un dais
magnifique, de riches bannières, de superbes chasubles et un grand ostensoir en
vermeil. Il faisait beaucoup de dépenses pour son église. Un marchand
d'ornements de Lyon disait: Il y a en Bresse un petit curé, qui semble ne rien
avoir, qui achète plus que tous les autres, qui veut tout ce qu'il y a de plus
beau et qui paye toujours comptant. Ce curé était le Curé d'Ars. Sa foi
éclatait plus vive qu'à l'ordinaire pour la fête du St Sacrement, soit
lorsqu'il faisait préparer les reposoirs, soit surtout lorsqu'à la procession
il portait Notre Seigneur entre les mains. Sa figure enflammée et la vivacité
de ses regards exprimaient l'ardeur de sa foi. Je l'ai vu plusieurs fois verser
des larmes en célébrant le saint sacrifice de la messe. Par moments, il était
tellement touché que les fidèles pouvaient s'en apercevoir. Un tel feu brillait
dans ses regards que l'on aurait dit qu'il voyait le bon Dieu. C'était
d'ailleurs une opinion fort répandue dans la paroisse que cela lui arrivait parfois
réellement.
627 Sa foi ne se manifestait pas moins dans sa manière d'instruire
les fidèles, dans ses catéchismes, dans ses instructions. Il parlait souvent de
la présence réelle de Notre Seigneur dans l'Eucharistie, et il le faisait avec
un tel accent de conviction que ses paroles allaient à l'âme de ses auditeurs
et leur faisaient une impression profonde. Lui-même était vivement ému;
quelquefois la respiration lui manquait et il demeurait comme en suspens. On
était touché en le voyant porter le saint viatique aux malades. Ses
exhortations respiraient alors les sentiments de la foi la plus vive.
Il éprouvait
un très grand respect envers les prêtres, et il revenait souvent dans ses
instructions sur la grandeur du sacerdoce. Il disait: Le prêtre ne se comprendra
bien que dans le Ciel... Si l'on rencontrait un prêtre et un ange, il faudrait
d'abord saluer le prêtre.
J'ai remarqué
que dans ses catéchismes et ses instructions, il citait beaucoup de traits de
la vie des saints; il le faisait avec un tel charme qu'il intéressait vivement
ses auditeurs. Il avait quelques sujets de prédilection sur lesquels il
revenait souvent. C'est ainsi qu'il parlait fréquemment de l'amour de Dieu, de
sa présence, de la nécessité de lui demeurer uni pour sanctifier ses actions,
du bonheur et des joies du paradis, de la beauté de l'âme en état de grâce, des
bienfaits du St Esprit, de la nécessité de la prière, des avantages des croix.
Quand il parlait sur le péché et sur le malheur des pauvres pécheurs, il
versait des larmes abondantes.
Mr Vianney
m'a paru agir toujours et en toute circonstance uniquement par esprit de foi et
jamais par des motifs ou des considérations humaines. Le seul but qu'il se
proposait était de plaire à Dieu. Cet esprit de foi était si apparent qu'il
frappait beaucoup les étrangers qui venaient à Ars. Après l'un de ses
catéchismes, j'ai entendu à côté de moi un prêtre, qui y avait assisté, dire:
Quelle foi en cet homme-là! Je crois vraiment qu'il voit le bon Dieu.
Quoad spem,
testis interrogatus respondit:
Mr Vianney
n'a pas moins pratiqué la vertu d'Espérance que celle de la Foi; 628 elle a
brillé en lui sans se démentir jamais pendant tout le cours de
sa vie.
Il comptait
avec la plus ferme espérance sur les biens à venir; c'est à cause de cela que
dans toutes ses instructions, il parlait si fréquemment du Ciel, ainsi que je
l'ai déclaré précédemment. Ce bonheur qu'il désirait pour lui-même, il ne le
désirait pas moins pour les autres. Il nous disait fréquemment: Oh! mes frères,
cherchons à aller tous en paradis; là, nous verrons Dieu; que nous serons
heureux!... Nous irons tous en procession, si la paroisse est sage, et votre
curé sera à votre tête. C'est ce même désir de procurer le Ciel aux âmes, qui
lui faisait multiplier dans sa paroisse les missions, les jubilés, les divers
exercices spirituels; c'est encore ce même désir qui lui inspirait une si
grande horreur du péché, qui prive du Ciel et conduit en enfer les malheureux
pécheurs, et qui le faisait pleurer amèrement lorsqu'il parlait du péché et de
ses suites funestes. Je lui ai entendu dire en chaire, à la suite de sa
première maladie, que c'était un bien grand malheur de se trouver à l'article
de la mort quand on n'était pas prêt à paraître devant Dieu; que pour lui, pendant
cette maladie, il avait encore quelque chose qui l'embarrassait; mais que
maintenant il ne craignait plus rien.
Il ne
comptait sur lui-même, ni pour se sauver, ni pour sauver les autres, mais
uniquement sur la grâce de Dieu. Dans ses besoins, ses peines, ses embarras, il
mettait en lui toute sa confiance. C'est par là qu'il eut le courage
d'entreprendre l'amélioration de sa paroisse et la constance de l'accomplir. Il
comptait tellement sur la grâce de Dieu, que cette confiance lui faisait
regarder le salut comme facile. Il nous disait souvent qu'il y avait moins de
peine pour se sauver que pour se damner. Il avait un don particulier pour
communiquer cette confiance aux autres et pour consoler les âmes dans leurs
afflictions. Cette confiance néanmoins ne lui faisait pas négliger de prendre
les moyens nécessaires pour travailler à son propre salut et à celui des
autres, ainsi qu'il est facile de s'en convaincre par sa vie pénitente et par
son zèle qui s'est maintenu toute sa vie.
Son abandon à
la divine Providence était sans bornes. Il ne s'inquiétait jamais. Et lorsque
les ressources lui manquaient pour sa Providence ou diverses autres
entreprises, il se tenait toujours pour assuré que Dieu lui viendrait en aide.
J'ai su qu'il avait été plusieurs fois en butte aux assauts du démon. Au
commencement, ne sachant pas encore à quoi s'en tenir sur ce sujet, il en fut
un peu effrayé et engagea quelques jeunes gens à coucher dans sa cure; mais
bientôt, instruit par l'expérience, il les renvoya, et dès lors, il n'eut
jamais plus aucune crainte du démon.
L'Espérance
des biens éternels avait inspiré à Mr Vianney un profond mépris pour tous les
biens de ce monde. Il n'y attachait de prix qu'autant qu'il pouvait les
rapporter aux biens spirituels. Sa constance dans les peines et les souffrances
ne s'est jamais démentie.
Je sais qu'il
craignait les jugements de Dieu, qu'il parlait quelquefois de sa pauvre vie,
qu'il désirait aller pleurer dans la solitude; mais je ne crois pas que pour
cela il ait manqué de confiance. Il n'avait pas peur de la mort.
Quoad
caritatem, testis interrogatus respondit:
Ma conviction
profonde est que Mr Vianney a, pendant toute sa vie, aimé le bon Dieu de toute
son âme, de toutes ses forces, que toutes ses pensées, tous ses sentiments,
toutes ses actions ont eu Dieu pour objet, et que cet amour, loin de diminuer
avec les années, n'a fait que s'accroître jusqu'à sa mort.
J'ai entendu
dire que dès l'âge de trois ou quatre ans, il se mettait à genoux, joignait ses
petites mains pour prier le bon Dieu, ou bien les mettait entre les mains de sa
mère afin de prier avec elle. 630 J'ai raconté précédemment que tout petit
enfant, il s'était retiré dans une écurie afin de vaquer plus facilement à la
prière. J'ai déjà dit précédemment le peu que je savais avant son arrivée à
Ars, ce qu'il a fait dans les premières années de son séjour dans cette
paroisse et l'impression de piété qu'il a laissée dans l'esprit de ses
paroissiens. Je suis profondément convaincu que l'amour de Dieu a été le
principe et le mobile de toutes ses actions et de toutes les oeuvres qu'il a
entreprises à Ars.
Son amour
pour Dieu se manifestait cependant d'une
manière plus particulière quand il disait la sainte messe, quand il donnait la
communion ou la bénédiction du très saint Sacrement, quand il prononçait le
saint nom de Jésus, ou qu'il parlait de l'amour de Notre Seigneur envers les
hommes. Je crois qu'il n'a jamais perdu l'union de son âme avec Dieu, même au
milieu de la foule qui l'assiégeait; il était toujours égal à lui-même,
toujours bon, agréable, gracieux; jamais il ne se fâchait. Quand on lui parlait
des choses de ce monde, il semblait n'être plus dans son élément, et ramenait,
autant qu'il le pouvait, la conversation sur les choses de Dieu. A mon avis,
s'il a cherché plusieurs fois à se retirer dans la solitude, c'était afin
d'aimer le bon Dieu davantage et de mieux se conduire tout seul. Je sais que
son coeur était si plein de l'amour de Dieu qu'il le communiquait facilement
aux autres, en chaire, au confessionnal et même dans ses conversations
particulières. L'amour de Dieu était l'un des sujets les plus habituels de ses
prédications, et alors il était tellement pénétré qu'il faisait une vive
impression sur ses auditeurs. Il en était de même lorsqu'il parlait de la Ste
Eucharistie. 631 Lorsque je me suis adressé à lui au tribunal de la pénitence,
j'ai été bien touché des paroles qu'il m'adressait sur l'amour de Dieu et la
fuite du péché. Je sais qu'il en était de même pour les autres.
633 Session 66 - 29 juillet 1863 à 8h du matin
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je ne doute
pas que Mr Vianney n'ait montré toute sa vie une grande charité envers le
prochain. Il semblait avoir puisé cet amour dans le coeur de ses parents. La
maison Vianney jouissait de la réputation d'être très bonne pour les pauvres.
634 Je ne sais rien de bien spécial jusqu'à l'arrivée du Serviteur de Dieu dans
la paroisse d'Ars.
Dès les
commencements, il s'y livra à toutes les oeuvres spirituelles et corporelles de
miséricorde. Ainsi il visitait de temps en temps ses paroissiens; cependant ce
n'était pas fréquemment; presque jamais il ne s'asseyait. Personne ne songeait
à s'en formaliser parce qu'on savait qu'il était très occupé et qu'il faisait
de longues prières. Il commençait, dans ces visites, à demander des nouvelles
de la famille, et de tout ce qui pouvait l'intéresser; puis insensiblement il
passait aux choses spirituelles. Quoique ce dernier sujet allât davantage à son
coeur, il ne se refusait pas néanmoins à s'entretenir des choses temporelles.
Il était bienveillant et affable pour tous ses paroissiens, les saluait
toujours le premier, et il était bien difficile de pouvoir jamais le prévenir.
Je me rappelle qu'étant jeune, lorsque nous étions dans les champs et que nous
le voyions venir de loin, nous prenions bien nos précautions pour le saluer les
premiers et que rarement nous avons pu en venir à bout; il était encore à
quatre ou cinq cents pas de nous que déjà il nous avait levé son chapeau. Son
aménité et sa bienveillance, non moins que sa piété, lui avaient attiré
l'affection de ses paroissiens.
Mr Vianney ne
négligeait rien pour procurer le bien spirituel des âmes. On le voyait
s'appliquer à toutes les oeuvres qu'un zélé curé sait entreprendre.
J'ai entendu
dire que le jour, il offrait ses peines pour la conversion des pécheurs, et, la
nuit, pour le soulagement des âmes du purgatoire. Il gémissait continuellement
sur le sort des pauvres pécheurs. Que de fois nous l'avons entendu en chaire
faire la peinture de leur malheur... Je sais qu'il a fondé des messes pour
demander à Dieu leur conversion. Il priait fréquemment pour eux et nous
engageait beaucoup à prier pour la même intention. C'est son amour pour le
salut des âmes qui l'a porté à fonder un si grand nombre de missions, surtout
dans les paroisses voisines. 635 C'est pour le même motif qu'il avait un grand
attachement pour les missionnaires qui se consacrent à cette oeuvre.
Poussé
toujours par ce même amour des âmes, il se rendait très volontiers aux
invitations de ses confrères, qui réclamaient son concours, soit pour les
missions, soit pour les jubilés. Lorsque les curés des paroisses voisines
étaient infirmes ou absents, on s'adressait plus volontiers à lui qu'à tout
autre pour la visite des malades ou les autres fonctions du saint ministère. Il
fut même chargé pendant quelque temps du soin d'une paroisse qui manquait de
prêtre. Il y allait très volontiers, malgré la distance et la fatigue, toutes
les fois qu'on l'appelait. Il fit ces choses jusqu'à l'établissement du
pèlerinage.
Ainsi que je
l'ai dit, il y a eu à Ars dès le commencement de son séjour des personnes
étrangères venant se confesser au Serviteur de Dieu. Après la mission de Trévoux
le nombre augmenta d'une manière considérable et alla toujours croissant
d'années en années. Aussitôt que le pèlerinage fut établi, il fut obligé de se
confiner entièrement dans sa paroisse. Dès lors sa vie tout entière ne fut plus
consacrée qu'au bien des âmes. Il en passait la plus grande partie au
confessionnal. Le matin, il se levait de très bonne heure, à deux heures,
quelquefois plus tôt; il se rendait à l'église, confessait jusqu'à sept heures,
disait la messe, rentrait au confessionnal, à onze heures faisait un
catéchisme, à midi sortait, prenait son modeste repas, visitait les
missionnaires ou, avant leur arrivée, la Providence, traversait la place et
rentrait à l'église, où il se remettait pour la troisième fois au
confessionnal; il y restait jusqu'à la prière du soir; vers les neuf heures il
rentrait à la cure pour prendre son repos. Je sais qu'il y donnait très peu de
temps. Malgré le temps considérable qu'il donnait ainsi chaque jour aux
confessions, jamais il ne suffisait à entendre toutes les personnes qui se
présentaient. Il eût passé sa vie tout entière au confessionnal, qu'il eût été
sans cesse occupé. 636 Il était tellement assiégé par la foule qu'il fallait
attendre quelquefois des journées entières avant de pouvoir être admis; il est arrivé
maintes fois que des personnes ont donné de l'argent à de pauvres gens afin de
faire retenir leur place; il fallait pour cela quelquefois passer la nuit sous
le vestibule de l'église.
Quelque
assiégé qu'il fût par le grand nombre de pèlerins, il entendait la confession
de ses paroissiens dès qu'ils se présentaient. Ils jouissaient du privilège
qu'il avait accordé aussi aux ecclésiastiques de les faire passer les premiers.
Tel était son
zèle pour le salut des âmes, qu'il y trouvait le mobile de tout son ministère
sacerdotal. J'en puis citer un exemple: lorsqu'après quelques mois de séjour à
Ars, il fut nommé, conformément à ses désirs, curé de Salles, il refusa
lorsqu'on lui apprit qu'il y avait beaucoup de danses dans cette paroisse.
Il ne
laissait échapper aucune occasion pour pratiquer les oeuvres corporelles de
miséricorde. Il était bon, affectueux pour les pauvres et il recevait avec
empressement les misérables qui venaient à lui. Il ne gardait rien pour
lui-même, il vendit même son patrimoine pour faire des bonnes oeuvres dans sa
paroisse. Une de ses oeuvres les plus remarquables fut l'établissement de sa
Providence. Il se proposa d'y recevoir et d'y faire élever de petites filles
abandonnées; il y adjoignit une école pour l'instruction des jeunes filles de
la paroisse. Cet établissement prit bientôt un développement considérable; le
nombre des orphelines s'éleva jusqu'à cinquante ou soixante; il en venait non
seulement des lieux environnants, mais un peu de partout; Mr le Curé en reçut
autant qu'il en pouvait tenir dans la maison. Lui-même s'était aidé (* sic) à
construire le local qui les abritait; il ne négligea rien pour leur créer des
ressources; il fut souvent réduit à une grande détresse; mais Dieu vint
toujours à son aide, et quelquefois, à ce qu'on dit, d'une manière
merveilleuse. 637 Lui-même pourvoyait à tout, achetait les provisions, payait
toujours comptant, et quoiqu'il ne marchandât jamais, on abusa rarement de sa
confiance.
J'ai entendu
dire qu'il payait beaucoup de loyers, particulièrement pour des pauvres
honteux. Il alla jusqu'à donner les draps de son lit ou autres objets les plus
indispensables à son service. Il était très pauvrement habillé,
particulièrement avant le pèlerinage. Après que celui-ci fût établi, il était
un peu mieux vêtu parce que des personnes charitables prenaient soin de son
vestiaire. Il lui arriva pendant la mission Trévoux (sic) de donner à un pauvre
un haut de chausses, que ses confrères lui avaient acheté par cotisation; et
comme, à quelques jours de là, ils lui en demandaient des nouvelles: Je l'ai
prêté, dit-il, à fonds perdu, à un pauvre que j'ai rencontré. J'ai entendu dire
que pendant la même mission, ayant rencontré un pauvre à un endroit, dit les
Grandes Balmes, le long d'une pente abrupte et verglacée, il lui donna le
bras, l'aida à marcher, se chargea de sa besace et le conduisit ainsi jusqu'aux
portes de la ville. Il y avait tout près de l'église d'Ars une pauvre vieille
aveugle, nommé la mère Bichet. Il lui portait très fréquemment des provisions,
les déposait doucement dans son tablier, sans se faire connaître, et la bonne
vieille, croyant que c'était une voisine, lui disait: Merci, ma mie. Lorsqu'on
lui demandait l'aumône à la porte de la cure, il descendait de sa chambre,
donnait lui-même de sa propre main et adressait quelques bonnes paroles. Il
avait toujours dans sa poche de l'argent destiné à ses aumônes, le distribuait
sans regarder. Il arrivait bien quelquefois que l'on abusait de sa charité; on
lui en faisait des observations; il se contentait de répondre: Quand on fait
l'aumône, il ne faut pas regarder au pauvre, mais à Notre Seigneur. 638 On lui
portait souvent dans sa chambre différentes provisions, mais elles ne tardaient
pas à disparaître au profit des indigents.
Quoad
Prudentiam, testis interrogatus respondit:
Mr Vianney a
pratiqué la prudence chrétienne. Je puis l'attester au moins pour tout le temps
qu'il a passé à Ars. Nous l’avons toujours vu prendre les moyens les plus
propres à assurer son salut; il avait pour cela embrassé une vie très
pénitente; il mettait un soin exact à remplir tous ses devoirs, à fuir
l'apparence même, du mal.
Cette vertu
le porta à prendre les moyens les plus efficaces pour procurer le salut de ses
paroissiens ou des personnes qui lui confiaient la direction de leurs âmes. Il
s'occupa, ainsi que je l'ai dit, dès le commencement, à faire refleurir la
piété. Avant d'entreprendre les oeuvres dont j'ai parlé ou de détruire les abus
dont il gémissait, il s'adressa à Dieu par la prière; il fit pénitence; puis il
ne craignit pas de dire du haut de la chaire ce qu'il pensait. Quoiqu'il mît
dans ses paroles beaucoup de force, il sut tellement allier la douceur au zèle
de la gloire de Dieu, qu'il ne blessa personne, et qu'il obtint tout ce qu'il
avait en vue. J'ai mentionné plus haut ce qu'il a fait ; j'ai toujours remarqué
que tout avait été conduit selon les règles de la prudence. On venait lui
demander conseil de tous les côtés. Je ne sache pas que personne ait eu à se
repentir d'avoir fait ce qu'il avait conseillé.
Nous avons
toujours remarqué qu'il était très prudent dans toutes les fonctions de son
ministère. Au confessionnal, il accueillait tout le monde avec bonté; il
semblait cependant avoir des prédilections pour les pauvres pécheurs; il
n'était pas sévère pour eux; lorsqu'une personne était plus avancée dans la
voie de la vertu, il demandait davantage d'elle, afin de la conduire dans les
voies de la perfection. On disait que s'il demandait peu des grands pécheurs,
il se chargeait lui-même de faire pénitence pour eux. 639 Je me rappelle très
bien qu'à la suite d'un jubilé, quelques personnes étant demeurées sans en
profiter, il les pressait vivement, dans une instruction à l'église, de
s'approcher des sacrements, et nous disait: Si elles veulent venir, je me charge
de faire pénitence pour elles.
641 Session 67 - 29 juillet 1863, 3h de l'après-midi
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'atteste que
Mr Vianney a pratiqué avec une grande perfection la vertu de justice, aussi
bien par rapport à Dieu que par rapport aux hommes. Non seulement il a été très
exact, pendant toute sa vie, à tous ses devoirs d'obligation dans le service de
Dieu, mais encore il a été très fidèle observateur des conseils évangéliques.
Je ne connais rien où il ait jamais été en défaut. Avec le prochain, il était
d'une bonté, d'une bienveillance extrême, il avait pour tous des soins, des
prévenances, des attentions délicates. Sa politesse était exquise, comme je
l'ai déclaré plus haut. En toutes choses, il s'oubliait entièrement lui-même
pour ne penser qu'aux autres, pour ne s'occuper que des autres. Il était plein
de respect pour tout le monde; on le décidait difficilement à s'asseoir en
présence des personnes devant lesquelles il se trouvait; lui au contraire,
lorsqu'on se levait à son arrivée, insistait vivement pour faire asseoir ceux
qui lui rendaient cet honneur. Sa bonté était accompagnée d'une certaine
familiarité et d'un certain abandon. Il avait quelque chose qui ressemblait à
la candeur et à l'ingénuité d'un enfant. Il ne faisait aucune acception de
personnes; je l'ai toujours trouvé très bien pour tout le monde. J'ai néanmoins
toujours vu en lui beaucoup de respect et d'affection pour les pauvres. Il
savait témoigner sa reconnaissance pour les moindres services qu'on lui
rendait. Lorsque nous lui menions du bois, du blé, etc., pour sa Providence, il
nous recevait et nous traitait très bien; lui-même nous servait à boire et
mettait beaucoup d'amabilité et d'instances à nous faire accepter ses politesses.
Il trinquait volontiers avec nous, mais ne buvait pas.
Sur la vertu
de Justice ainsi que sur quelques autres, je ne puis dire que des choses
générales, n'ayant jamais vécu moi-même dans l'intimité avec Mr Vianney.
Quoad
obedientiam, testis interrogatus respondit:
Je ne sais
rien de particulier sur cette vertu; ma conviction est qu'il l'a pratiquée
aussi bien que toutes les autres. S'il y avait eu quelque manquement, on
n'aurait pas manqué d'en parler dans la paroisse; je n'ai jamais rien entendu dire.
Quoad
Religionem, testis interrogatus respondit:
643 J'affirme sans aucune hésitation que Mr Vianney a
parfaitement rempli tous les devoirs de la vertu de Religion; j'en ai déjà
donné des preuves en parlant de sa foi et de son amour pour Dieu. Rien dans sa
conduite, pendant tout le temps de son séjour à Ars, ne me permet de croire
qu'il se soit démenti un seul instant sous ce rapport. Il avait la plus grande
estime pour tout ce qui tient au culte divin et aux objets consacrés à la
religion, tels que les vases sacrés, les croix, les images, les reliques des
saints. Les reliques surtout lui étaient très chères et il en avait fait une
abondante provision. Il aimait la parole de Dieu et l’écoutait volontiers. J'ai
dit plus haut tout ce qu'il avait fait pour la décoration de son église, pour
la pompe et l'éclat des cérémonies.
Sa dévotion
particulière me paraît avoir été celle au saint Sacrement. J'en ai déjà parlé;
sa tenue, en face de la divine Eucharistie, témoignait de l'amour qui était
dans son coeur; j'ai souvent remarqué comme un sourire de bonheur sur sa
figure. Il récitait volontiers son bréviaire à l'église, à genoux, sans
s'appuyer. Quand il prononçait le nom de Jésus, il y avait quelque chose dans
son accent qui respirait la dévotion la plus vive; sa seule manière de faire le
signe de la croix faisait impression.
Après sa
dévotion au Saint Sacrement, ce qui m'a le plus frappé en lui, c'est sa
dévotion envers la Ste Vierge. Il avait érigé une statue sur le fronton de son
église à Marie Immaculée avant même la définition du dogme; il lui avait
consacré sa paroisse; il distribuait beaucoup de chapelets, d'images, disait le
samedi, autant qu'il le pouvait, la messe de la Ste Vierge, récitait le soir à
la prière le chapelet de l'Immaculée Conception. A l'époque de la définition du
dogme, il acheta un bel ornement pour témoigner sa joie et sa reconnaissance.
Lorsque l'heure sonnait, il récitait un Ave Maria; il demeurait fidèle à cette
pratique en toute circonstance, même en prêchant; il s'arrêtait, disait sa
petite prière et continuait ensuite son instruction. Il en faisait tout autant
pendant ses catéchismes; si l'heure venait à sonner pendant qu'il récitait le
chapelet, il ajoutait un Ave Maria à la dizaine commencée. 644 La dévotion
qu'il avait pour la Ste Vierge, il l'avait communiquée à ses paroissiens. Tous
ou presque tous avaient dans leur maison, des images ou des statues de Marie,
bénies par leur Curé. Pour moi, je conserve précieusement dans ma maison une
image encadrée, au-dessous de laquelle sont écrits les noms de ma famille. Elle
a reçu la bénédiction de Mr Vianney. Je sais que plusieurs habitants d'Ars ont
un objet semblable chez eux. C'est Mr Vianney lui-même qui nous avait inspiré
cette dévotion.
En mil huit
cent vingt-trois, le six du mois d'Août, jour la (sic) fête patronale de la
paroisse, il nous a conduits en procession à Notre Dame de Fourvières. J'ai
pris part à cette procession et j'en puis parler comme témoin oculaire. Le
motif de Mr le Curé fut, par cet acte solennel, de témoigner sa reconnaissance
pour les beaux ornements qu'il avait reçus de Mr le Vicomte d'Ars. Deux curés
du voisinage nous accompagnaient, Mr Martin, Curé de Savigneux, et Mr Robert,
Curé de Ste Euphémie. Ce dernier était âgé de près de quatre-vingts ans. Nous partîmes
d'Ars après minuit. Je pense que les deux tiers de la paroisse étaient du
pèlerinage. Nous allâmes en procession jusqu'à Trévoux, précédés de trois
belles bannières, chantant des cantiques, des hymnes, récitant le chapelet. Au
jour, nous étions à Trévoux; nous nous y embarquâmes sur deux bateaux. Nous
prîmes terre à Lyon un peu au dessus de Valse, et nous nous dirigeâmes
processionnellement sur Fourvières. Mr le Curé d'Ars y célébra la Ste Messe,
que nous entendîmes avec piété; plusieurs d'entre nous reçurent la Ste
Communion de sa main. Nous descendîmes ensuite dans le même ordre avec lequel
nous étions montés. Les gens se pressaient sur notre passage et manifestaient
leur étonnement. Mr Vianney, lorsque nous fûmes arrivés à nos bateaux,
s'embarqua l'un des premiers avec un certain nombre de ses paroissiens; mais
comme les autres tardaient un peu d'arriver, les mariniers, hommes durs et
grossiers, se mirent à proférer des jurements; 645 Mr le Curé sortit alors
incontinent du bateau avec un petit nombre de personnes qui le suivirent, et il
s'en alla à pied jusqu'à Neuville; c'est là que quelques heures après nous le
rejoignîmes, ayant nous-mêmes accompli notre retour par la Saône. De Neuville,
nous revînmes à Ars en procession. Nous n'étions rentrés qu'à la nuit close.
Je sais que
Mr Vianney avait aussi une dévotion particulière pour les saints, spécialement
pour St Jean-Baptiste son patron, St Pierre, St Joseph, St François-Régis, St
Louis de Gonzague, Ste Catherine de Sienne, Ste Thérèse; ces noms et quelques
autres revenaient souvent dans ses instructions. Sa Sainte de prédilection
était Ste Philomène. Il l'honorait d'un culte tout spécial, l'appelait
familièrement sa petite sainte; il avait fait construire une chapelle en son
honneur; c'est à elle qu'il attribuait toutes les grâces extraordinaires qui
étaient reçues à l'occasion du pèlerinage d'Ars. Et afin qu'on ne soupçonnât
pas qu'il pouvait y être pour quelque chose, il la priait de guérir les
malades, ou d'opérer les divers prodiges ailleurs.
Mr Vianney
avait une tendre dévotion pour les âmes du purgatoire. Il célébrait chaque
année l'octave des morts et nous engageait, pendant ce temps-là, à offrir pour
elles nos prières, nos souffrances et nos bonnes oeuvres. J'ai dit déjà que
lui-même était dans l'habitude d'offrir à leur intention toutes ses souffrances
de la nuit.
Quoad
Orationem, testis respondit:
Je crois que
Mr Vianney était toujours uni à Dieu et qu'il ne perdait pas de vue sa
présence.
Quoad
Fortitudinem, testis respondit:
Mr Vianney a
toujours montré une force extraordinaire et qui ne pouvait avoir pour cause
qu'une assistance surnaturelle; de là son inaltérable confiance et sa constance
à toute épreuve jusqu'à la fin de sa vie.
Quoad
Patientiam, testis interrogatus respondit:
Mr Vianney a
eu à souffrir de très grandes douleurs, surtout dans les dernières années de sa
vie; il était tourmenté par une toux continuelle. 646 Mais quelle que fût la
violence du mal, jamais il n'a manqué de patience. Rien dans ses paroles, ni
dans ses gestes, ni dans les traits de sa figure ne manifestait ce qu'il avait
à souffrir intérieurement. On ne s'en apercevait que lorsque les forces
venaient à lui manquer, et qu'il succombait d'épuisement et de fatigue. Je l'ai
vu plusieurs fois le dimanche après Vêpres, au sortir de l'église, se rendre à
la cure, n'en pouvant plus. Ses paroissiens attendris s'empressaient de le
suivre pour lui porter secours; mais lui ouvrait sa porte, entrait rapidement,
puis fermait et demeurait seul. Je sais qu'il dormait peu, qu'il vivait d'une
mauvaise et insuffisante nourriture, qu'en toute chose, il était dur à son
corps, qu'il appelait son cadavre. Il a été très patient à l'égard des pèlerins
qui le harcelaient sans cesse et partout, qui le pressaient, le bousculaient,
lui coupaient ses cheveux, sa soutane. Jamais en toutes ces choses et beaucoup
d'autres semblables, le moindre signe d'impatience. Je crois qu'il avait en
cela d'autant plus de mérite qu'il était naturellement d'un tempérament vif et
impétueux, comme il était facile de s'en apercevoir à la vivacité de ses
démarches, de ses mouvements, de son regard.
Quoad Temperantiam, testis interrogatus respondit:
Ma conviction
est que Mr Vianney a pratiqué la vertu de Tempérance au suprême degré. C'est
même, ce me semble, cette vertu qui constitue le caractère le plus
extraordinaire de sa vie. Je crois qu'il a plus souffert encore avant l'époque
du pèlerinage, que lorsque le pèlerinage eut été établi. Pendant cette première
période, il était presqu'entièrement livré à lui-même, ne préparait rien pour
ses repas, se contentait pour son dîner d'une ou deux pommes de terre, de deux
ou trois matefaims de blé noir, d'un bassin d'eau; enfin se faisait souffrir de
toute manière. Après l'établissement du pèlerinage, quoique sa vie fût toujours
extrêmement dure, il y avait au moins quelques personnes qui avaient soin de
lui, soit pour la nourriture, soit pour le vêtement. 647 Il n'a jamais eu de
personnes du sexe à son service; j'ai entendu dire qu'il couchait sur un
mauvais lit, quelquefois sur une planche ou des fagots. Il achetait le pain des
pauvres pour s'en nourrir. Une personne qui le servait m'a assuré qu'il ne
mangeait pas une livre de pain par semaine; et cela à l'époque même du
pèlerinage.
649 Session 68 - 30 juillet 1863 à 8h du matin
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Quand on lui
préparait quelque chose de plus pour ses repas, il réprimandait les personnes
qui se proposaient ainsi de le soulager un peu. Un jour on lui disait: Mr le
Curé, vous avez bien grondé Catherine, (il s'agissait de Catherine Lassagne,
qui le servait plus habituellement, et qui s'obstinait à lui apprêter pour ses
repas une nourriture un peu plus soignée.) - Ah! répondit-il, c'est qu'elle est
bien patiente. Il ne mangeait guère que pour s'empêcher de mourir. Il ne se
mettait jamais en peine du lendemain. Pendant le pèlerinage, il se contentait
souvent pour son repas d'une tasse de lait avec un peu de chocolat; il le
prenait debout, presque sans s'arrêter, quelquefois même dehors en traversant
la place. J'ai entendu dire qu'il portait sur lui des instruments de pénitence.
Toutefois, je ne sais rien de particulier à ce sujet, si ce n'est qu'un jour il
commanda une chaîne au maréchal du village. Celui-ci m'en parla et me dit que
sa pensée était que Mr le Curé avait commandé cette chaîne pour se faire
souffrir. C'était aussi la mienne.
Il craignait
beaucoup le froid et néanmoins il s'habillait peu pendant l'hiver, surtout dans
les premiers temps de son séjour à Ars. Je l'ai vu à l'église, transi de froid,
tremblant de tous ses membres; souvent quand il montait en chaire, il
grelottait très fort. Dans ses longues séances au confessionnal, pendant
l'hiver, il ne prenait aucune précaution pour se réchauffer; en vain
essaya-t-on de lui mettre un réchaud sous les pieds; il le repoussa toujours,
en prétextant que cela lui faisait mal. On essaya de remplacer le réchaud par
une bouillotte d'eau chaude; la bouillotte lui faisait encore mal. On parvint
cependant, pendant un hiver, à glisser sous le plancher de son confessionnal
une bouillotte. Il s'en trouva très bien, sans se douter de la cause d'où cela
provenait. Le bon Dieu est bien bon, disait-il à ce sujet; je ne sais pas
comment cela s'est fait; mais je n'ai pas du tout souffert du froid cet hiver.
Quoad
Paupertatem, testis interrogatus respondit:
Mr Vianney a
aimé et pratiqué toute sa vie la pauvreté; c'est encore là une de ses vertus
spéciales. J'ai souvent vu sa chambre; rien de plus pauvre: un mauvais lit, quelques
chaises plus que modestes, une petite table, quelques livres, point
d'assiettes, un petit pot pour manger sa soupe ou toute autre nourriture, point
de rideaux à la fenêtre; telle était sa misérable cellule. Elle était
d'ailleurs propre et constamment balayée.
651 L'habillement répondait au logement; avant le pèlerinage,
sa soutane était toujours d'un drap grossier, toujours la même en été et en
hiver, souvent raccommodée; il la portait jusqu'à ce qu'elle fut complètement
usée. Ses souliers étaient ceux des paysans; il ne les cirait jamais; mais il
les tenait propres néanmoins en les humectant avec de l'huile. Habituellement,
il ne portait point de chapeau, ni de bonnet, ni de calotte. Lorsque dans les
premiers temps de son séjour, il sortait de sa paroisse, il tenait son chapeau
sous son bras; je pense que c'était par respect pour le bon Dieu et pour faire
ses prières.
Quoiqu'il reçût beaucoup
d'argent, il n'y tenait en aucune manière et ne l'envisageait que comme un
moyen de faire du bien. Il avait le plus grand mépris pour tous les biens de la
terre; cependant lorsqu'il était avec nous, il nous parlait avec complaisance
et bonté de l'état de notre fortune, de nos récoltes; mais on voyait que
c'était par un effet de sa grande charité et il tâchait toujours d'y mêler
quelques paroles qui pussent nous porter au bon Dieu.
Quoad
Humilitatem, simplicitatem et modestiam, testis interrogatus respondit:
Je ne pense
pas qu'il soit possible de trouver un homme plus simple, plus modeste et plus
humble que Mr Vianney. Ces trois vertus reluisaient dans toute sa personne et
dans toutes ses actions, elles ne se sont jamais démenties. Ce sont elles qui
lui donnaient cet air bienveillant, gracieux, plein d'abandon et d'ingénuité,
qui le rendaient si aimable. Il s'intéressait à tout le monde, s'oubliant
constamment lui-même; il avait même fréquemment de charmantes réparties, mais
constamment tempérées par son humilité et une douce charité, qui faisait
qu'elles n'offensaient jamais personne. Après l'établissement du pèlerinage,
lorsque des foules d'étrangers de toute condition arrivaient chaque jour à Ars
et se pressaient autour de lui avec les sentiments du plus profond respect, il
n'avait pas l'air de s'apercevoir qu'il fût lui-même l'objet de cette pieuse
vénération. Il la recevait absolument comme si elle se fût adressée à un autre.
Je n'ai
remarqué qu'il parlât de lui, ni en bien ni en mal; seulement, en chaire, lorsqu'il
nous disait combien nous étions pécheurs, il se mettait toujours du nombre.
Les premières
fois qu'il vit son portrait suspendu à la devanture des boutiques d'Ars, il en
fut très affligé; il voulut même le faire enlever et disparaître; les marchands
le supplièrent très instamment de le leur laisser vendre; c'était un moyen, lui
disaient-ils, de gagner leur pauvre vie. Le bon Curé se laissa toucher. 162
Combien vendez-vous ce portrait? leur demanda-t-il. - Deux sous, Mr le Curé. -
Ah! c'est bien assez cher pour ce misérable carnaval, répliqua-t-il. Eh! bien,
faites donc. Et après il n'eut presque plus l'air de s'apercevoir de rien.
Je sais que
Mr Vianney a reçu souvent la visite de grands personnages; il n'avait pas l'air
d'en être ému le moins du monde; c'était pour lui comme toute autre chose.
Il nous
parlait fréquemment, dans ses instructions, de l'humilité et s'élevait vivement
contre l'orgueil, qu'il nous montrait comme un très mauvais vice.
Je sais qu'il
a été très humilié quand on lui donna le camail, et qu'il eût mieux aimé qu'on
le donnât à son confrère.
Quoad
Castitatem, testis respondit:
Je suis
pleinement convaincu que Mr Vianney a toujours pratiqué la chasteté de la
manière la plus exemplaire, et avec la conscience la plus délicate. Dans les
commencements de la Providence, il y a eu quelques propos tenus par quelques
mauvais sujets étrangers à la paroisse, mais jamais personne n'y a fait la
moindre attention. La conviction universelle a toujours été que Mr Vianney
était inattaquable sur ce point. J'ai dit, du reste, ailleurs qu'il n'avait
jamais eu régulièrement des personnes du sexe à son service.
Interrogatus
demum an sciat vel dici audiverit, servum Dei unquam aliquid gessisse
virtutibus supradictis quoquo modo contrarium, testis respondit:
Je ne sais
absolument rien qui puisse ternir l'éclat des vertus sur lesquelles je viens de
déposer.
Juxta decimum nonum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'affirme que
Mr Vianney a pratiqué toutes les vertus dont je viens de parler au degré
héroïque: c'est là ma conviction profonde. Par vertu héroïque, j'entends une
vertu supérieure à celle qu'on rencontre, même dans les bons chrétiens.
J'atteste qu'il a pratiqué la vertu de cette manière pendant toute sa vie et
jusqu'à sa mort, sans se démentir jamais. Je crois en avoir, dans ma
déposition, fourni des preuves suffisantes.
Juxta
vigesimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
N'ayant pas
eu des relations fréquentes et directes avec Mr Vianney, je ne puis rien dire
de précis sur les dons extraordinaires que Dieu lui a accordés. Presque tout ce
que j'en sais, c'est par ouï-dire. 653 Je suis cependant convaincu que Dieu a
opéré par lui bien des choses extraordinaires; on m'a répété souvent qu'il
devinait quelquefois ce qui se passait dans les coeurs à distance. Je l'ai vu
souvent pleurer à l'église; cela arrivait surtout lorsqu'il parlait du péché ou
du malheur des pécheurs; mais il arrivait souvent aussi qu'après avoir parlé
sur ce sujet en versant des larmes abondantes, il nous entretenait du Ciel;
aussitôt la joie se peignait sur sa figure et il était subitement tout
transformé. L'opinion publique dans la paroisse a été qu'il y avait eu dans le
grenier de la cure une multiplication de blé; on a aussi parlé d'une
multiplication de farine à la Providence; mais on ne s'est pas beaucoup occupé
dans la paroisse de constater ces faits, parce que 1° il était difficile de
pénétrer à la Providence ou à la cure, 2° parce que l'opinion de sainteté qu'on
avait de Mr Vianney était telle qu'il ne paraissait pas extraordinaire que Dieu
eût opéré des prodiges en sa faveur. On trouvait pareilles choses toutes
naturelles.
Juxta
vigesimum primum Interrogatorium, testis respondit:
Je ne sais
rien sur cet interrogatoire.
Juxta vigesimum secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je sais que
le Serviteur de Dieu est mort à Ars, le quatre Août mil huit cent
cinquante-neuf. Je pense qu'il est mort d'une maladie d'épuisement. Je sais
qu'il a reçu les sacrements de l'Église; j'ignore s'il les a demandés lui-même.
Je l'ai vu dans son lit, le dernier jour de sa vie; il était calme et
tranquille comme un ange. Je ne sais rien autre de particulier à ce sujet.
Juxta vigesimum tertium Interrogatorium, testis respondit:
Son corps a
été exposé, pendant deux jours, dans une chambre du rez-de-chaussée de la cure,
où il est demeuré jusqu'à la cérémonie des funérailles. Il y a eu une grande
affluence de monde pour faire toucher à son corps toute espèce d'objets de
piété; on cherchait à avoir de ses cheveux ou des choses qui lui avaient
appartenu. Ce concours était attiré par la haute idée qu'on avait de la
sainteté du Serviteur de Dieu.
Juxta vigesimum quartum Interrogatorium, testis respondit:
Une foule
immense a assisté à ses funérailles; on dit généralement à Ars qu'il y avait
trois cents prêtres et six mille fidèles; on remarquait des personnes de toutes
conditions. Je ne sache pas qu'aucun fait extraordinaire ait eu lieu. Le corps
est resté pendant quelques jours à l'église, sans que je puisse préciser au
juste combien de jours. On l'a descendu ensuite dans un caveau préparé à cette
fin. Ce caveau est au milieu de l'église et recouvert d'une pierre en marbre
noir posée à fleur du sol et portant une modeste inscription. Il vient, depuis
sa mort, beaucoup de monde à son tombeau et le nombre des visiteurs ne fait
qu'augmenter d'année en année. Je n'ai rien vu qui ressemblât à un culte
public.
Juxta vigesimum quintum Interrogatorium, testis respondit:
L'opinion que
l'on a du Serviteur de Dieu est celle que l'on a ordinairement d'un saint.
J'entends par réputation l'opinion publique et générale sur des faits ou des
personnes. L'origine de cette réputation de sainteté ne peut être attribuée
qu'à la sainteté même du Serviteur de Dieu. Elle est commune aux personnes de
toutes les classes. Parmi elles, il s'en trouve beaucoup de très éclairées,
comme des prêtres, des Évêques, etc. Depuis sa mort, sa réputation de sainteté
s'est étendue au loin; je crois qu'elle est répandue dans le monde entier; ce
qui me le fait croire, c'est qu'on le dit généralement et qu'on voit venir à
Ars des gens de tous les pays. On demande avec empressement le moindre objet
lui ayant appartenu. Cette opinion ne s'est jamais affaiblie; au contraire elle
semble s'accroître de jour en jour. Quant à moi personnellement, je regarde Mr
Vianney comme un grand saint.
Juxta vigesimum sextum Interrogatorium, testis respondit:
Il n'est pas
en ma connaissance que personne ait jamais attaqué d'une manière sérieuse la
sainteté du Serviteur de Dieu, soit pendant sa vie, soit après sa mort.
Juxta
vigesimum septimum Interrogatorium, testis respondit:
J'ai entendu
dire que, depuis sa mort, il s'est opéré plusieurs miracles par l'intercession
du Serviteur de Dieu; mais je ne suis pas en état de témoigner quelque chose de
positif.
Juxta
vigesimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n'ai rien
à ajouter à ma déposition.
Et
expleto examine super Interrogatoriis, deventum est ad Articulos, super quibus
testi lectis, dixit, se tantum scire, quantum supra deposuit ad Interrogatoria,
ad quae se retulit.
Sic
completo examine, integra depositio jussu Rmarum Dominationum suarum perlecta
fuit a me Notario a principio ad finem testi supradicto alta et intelligibili
voce. Qua per ipsum bene audita et intellecta respondit se in eandem
perseverare, et illam iterum confirmavit. Sequentia tamen addidit:
Lorsqu'il
allait visiter les malades dans les paroisses voisines, chemin faisant, s'il
avait à dire son bréviaire, avant de commencer et en finissant, il se mettait
toujours à genoux, quel que fût le temps et l'état du lieu où il se trouvait.
Quibus
peractis, injunctum fuit praedicto testi, ut se subscriberet, prout ille
statim, accepto calamo scribere nesciens signum crucis fecit, ut sequitur.
PROCES DE BEATIFICATION ET
CANONISATION DE
SAINT
JEAN MARIE BAPTISTE VIANNEY
CURE D'ARS
PROCES INFORMATIF ORDINAIRE
657 SESSION 69 - 31 Juillet 1863 à 8h du matin
658 Juxta primum Interrogatorium, monitus testis de vi et natura
juramenti, et gravitate perjurii, praesertim in causis Beatificationis et
Canonizationis, respondit:
Je connais
parfaitement la nature et la force du serment que je viens de faire et la
gravité du parjure dont je me rendrais coupable, si je ne disais pas toute la
vérité.
Juxta secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je m'appelle
Jacob Planche, en religion Frère Athanase; je suis né à Châlons sur Saône,
diocèse d'Autun, le deux janvier mil huit cent vingt-cinq. Mon père s'appelle
Fleury Planche et ma mère Claudine Verley. Je suis religieux de la Congrégation
de la Ste Famille de Belley.
Juxta tertium
Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Conformément
à notre Règle, je me confesse tous les quinze jours, je fais la sainte
communion deux fois par semaine, et j'ai communié hier.
Juxta quartum
Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n'ai
jamais eu de procès et n'ai pas été traduit en justice.
Juxta quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n'ai
jamais encouru de censures ni d'autres peines ecclésiastiques.
Juxta Sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n'ai été
instruit par personne de vive voix, ni par écrit, de la manière dont je dois
déposer. Je n'ai pas lu les Articles rédigés par le Postulateur; je ne dirai
que ce que j'ai vu ou entendu par moi-même, ou ce que j'ai appris par des
témoins dignes de foi.
Juxta
septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'avais une
très grande affection pour le vénérable Curé d'Ars. Je désire sa Béatification
pour la seule gloire de Dieu, et ma déposition ne m'est inspirée par aucun
motif humain.
Juxta octavum
Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Le Serviteur
de Dieu est né le huit Mai mil sept cent quatre-vingt-six de Matthieu Vianney
et de Marie Béluse. J'ai entre les mains une copie authentique de son acte de
naissance. Ses parents se faisaient remarquer par leur piété; ils élevèrent
chrétiennement leurs enfants et en particulier Jean Marie Vianney. D'après
l'acte de naissance dont je viens de parler, le Serviteur de Dieu fut baptisé
en l'église de Dardilly le huit Mai mil sept cent quatre-vingt-six. Il m'a dit
qu'il prit le nom de Baptiste lorsqu'il reçut le sacrement de confirmation.
Juxta nonam Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je sais par
sa soeur encore vivante et par le Serviteur de Dieu lui-même qu'il a passé son
enfance et sa jeunesse dans la paroisse de Dardilly; il se livrait aux travaux
de l'agriculture; il gardait les troupeaux dans les champs. Ses moeurs étaient
pures, sa piété était tendre et ardente. Il était très exact à remplir les
devoirs de sa position. Je ne connais rien de contraire à la vie sainte qu'il
mena dès son enfance.
Juxta decimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Il ne
commença, je crois, des études (d'après le témoignage de son beau-frère) qu'à
l'âge de dix-neuf ans, dans le but d'entrer dans l’état ecclésiastique. Il
étudiait avec peu de succès. Je lui ai entendu dire que dans ce temps-là, il
n'avait pas beaucoup de peine à aimer le bon Dieu avec Mr Balley, curé
d'Ecully, chez lequel il étudiait.
Juxta
undecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je vais
déposer sur cet interrogatoire ce que je sais de Mr Vianney lui-même. Obligé de
quitter ses études pour se rendre sous les drapeaux, il vint à Lyon prendre sa
feuille de route. Arrivé à Roanne, il tomba malade. Quand il fut rétabli, il
alla faire sa prière dans une église, où il resta un peu trop longtemps.
Lorsqu'il se présenta pour faire viser sa feuille de route, on lui dit qu'il
était en retard et que s'il ne se hâtait pas, on allait le faire conduire par
les gendarmes, comme déserteur; il se mit en route; il rencontra un homme qu'il
ne connaissait pas. Celui-ci, le voyant très fatigué, lui proposa de prendre
son sac et de le conduire. Ils marchèrent par des sentiers détournés, à travers
les bois, où la nuit les surprit. Ils arrivèrent auprès d'une chaumière où Mr
Vianney entra. 660 L'étranger s'éloigna et depuis il ne l'a jamais revu.
Lorsque le jeune conscrit alla le lendemain trouver le maire de la commune, ce
magistrat lui dit qu'il ferait mal de se rendre sous les drapeaux, parce
qu'étant trop en retard, il serait considéré comme déserteur. Mr Vianney resta
aux Noës, d'après les conseils du maire, pendant dix-huit mois. Il logea chez
une veuve pieuse; il employa son temps à faire la classe aux enfants, à leur
apprendre le catéchisme, et à rendre au prochain tous les services qui étaient
en son pouvoir. On admira son zèle, sa foi et sa charité. Le fils de la veuve
chez laquelle il demeurait couchait avec Mr Vianney, et le Serviteur de Dieu
l'empêchait de dormir en récitant son chapelet toute la nuit. Le fils se plaignit,
et sa mère les sépara. Après ces dix-huit mois environ, son frère le remplaça à
l'armée; quant à lui, il revint dans son pays pour y continuer ses études.
Juxta duodecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je sais que
le Serviteur de Dieu persévéra dans son dessein d'embrasser la carrière
ecclésiastique et qu'il se disposa à recevoir lest saints ordres par une
conduite sage et pieuse, qu'il a reçu la prêtrise à Grenoble et qu'il s'est
montré dès le commencement comme un prêtre plein de foi et de ferveur.
Juxta decimum tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je tiens du
Serviteur de Dieu que, sur la demande de Mr Balley, curé d'Ecully, il fut nommé
vicaire de cette paroisse, où il exerça saintement les fonctions du ministère
pendant dix-huit mois environ. J'ai entendu dire qu'après la mort de Mr Balley,
les habitants d'Ecully le demandèrent pour curé. Je ne sais pour quel motif
l'administration diocésaine ne l'a point nommé.
Juxta decimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai entendu
dire que le Serviteur de Dieu prit possession de la paroisse d'Ars le treize
Février mil huit cent dix-huit. En le nommant, Mr Courbon, vicaire général de
Lyon, lui dit: Je vous envoie, dans une petite paroisse où l'on n'aime pas
beaucoup le bon Dieu; mais vous apprendrez aux habitants à l'aimer. Mr le Curé
m'a dit que la population, lorsqu'il arriva, était très indifférente, et qu'il
y avait presque tous les dimanches des danses auxquelles venaient prendre part
les jeunes gens et les jeunes filles du voisinage.
661 Juxta decimum quintum Interrogatorium,
testis interrogatus respondit:
Je ne sais
pas si les confréries du Rosaire et du Saint Sacrement existaient déjà dans la
paroisse d'Ars, lorsque Mr Vianney y fut nommé; mais je sais qu'il donna à ces
confréries une vive impulsion. Il a établi lui-même la confrérie du Rosaire
vivant. Il a fondé une Providence pour l'éducation des jeunes filles et un
établissement de Frères pour l'éducation des jeunes garçons. Il constitua ces
deux oeuvres au moyen de ses sacrifices personnels et des dons qu'il reçut des
personnes pieuses. L'école des filles fut dirigée d'abord par des personnes
séculières dont il avait reconnu la piété, et confiée plus tard aux soeurs de
St Joseph. L'école des garçons fut dirigée par les frères de la Ste Famille de
Belley. En ce qui concerne la congrégation de la Ste Famille, il avait obtenu
l'autorisation de l’Évêque diocésain. Je ne connais point de règles
particulières données aux premières directrices de la providence. Les deux
Congrégations qu'il avait appelées avaient leurs Constitutions. La bonne
éducation des enfants de la paroisse d'Ars a été le résultat des deux
fondations dont je viens de parler.
Juxta decimum sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je puis
affirmer que le Serviteur de Dieu a rempli exactement tous les commandements de
Dieu et de l'Église, toutes les obligations auxquelles il était tenu comme curé
et comme directeur des oeuvres qu'il avait fondées. Il a persévéré jusqu'à la
mort dans la pratique fidèle de tous ses devoirs. La preuve que j'en puis
donner, c'est la sainteté de sa vie, sainteté dont j'ai été témoin pendant dix
ans. Je ne connais rien qui puisse infirmer cet exact accomplissement des
commandements de Dieu et de l'Église et des devoirs de son état. Il est vrai
que, dans les commencements de son ministère, Mr Vianney s'est absenté quelques
fois de sa paroisse pour prendre part aux missions et aux jubilés; mais elle
n'avait point à souffrir de ses absences. Dans ces circonstances, il avait pour
but d'aider ses voisins et de sauver les âmes. J'ignore les motifs et les
détails de la première fuite; quant à la seconde, je sais que le Serviteur de
Dieu désirait sortir du ministère pour s'occuper dans la retraite avec plus de
liberté et de temps de son propre salut. Il avait écrit, avant son départ, une
lettre à Mgr l'évêque de Belley pour lui apprendre qu'il quittait sa paroisse.
La fuite eut lieu au milieu de la nuit; j'en avais quelque pressentiment et
j’étais resté levé pour voir ce qui se passerait. 662 Lorsque Mr Vianney sortit
du presbytère, je le suivis jusque chez Catherine Lassagne, avec Mr Toccanier.
Nous le suppliâmes de ne pas partir et comme nos supplications n'avaient aucun
résultat, je le prévins que j'allais faire sonner le tocsin pour réunir la
paroisse. Il partit néanmoins, suivi par Mr Toccanier et les frères. Ceux-ci
cherchèrent à l'égarer. Le tocsin se mit à sonner; il demanda ce que c'était;
on lui répondit que c'était l’angelus; il se mit à genoux pour le réciter. Mr
Toccanier ayant eu la précaution de s'emparer de son bréviaire, il se résigna à
rentrer à la cure pour le chercher. Au son de la cloche, les habitants étaient accourus
et ils pressèrent Mr le Curé de rester. Il se rendit à l'église, où il pria à
genoux en versant des larmes. Il entra ensuite au confessionnal pour entendre
les personnes qui l'attendaient. J'ai été témoin oculaire et auriculaire de ce
qui se passa dans cette circonstance. Cette tentative eut lieu en septembre mil
huit cent cinquante-trois.
Juxta decimum septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai entendu
dire au Serviteur de Dieu que dans les premières années de son ministère à Ars,
c'est-à-dire pendant une dizaine d'années, il eut à souffrir beaucoup de
contradictions, à cause de son genre de vie. On alla jusqu'à pousser des cris
sous ses fenêtres et à afficher, aux portes du presbytère, des placards
injurieux. On écrivait à l'Évêché contre lui, et Mr le Curé de Trévoux, son
curé de canton, vint à Ars par ordre de l'Évêque, pour prendre des informations
sur sa conduite. Il reçut un jour d'un ecclésiastique une lettre remplie
d'injures; le Serviteur de Dieu n'avait donné aucun sujet à ces diverses
persécutions. Je sais qu'il supportait tous ces traitements non seulement avec
patience, mais avec joie. Il appelait plus tard cette époque le beau temps de
sa vie. Il aurait désiré que Monseigneur l'Évêque, convaincu de sa culpabilité,
l'eût éloigné de sa paroisse pour lui donner le temps de pleurer sa pauvre vie
dans la retraite. S'il avait pu combler de ses bienfaits tous ses ennemis, il
n'aurait point manqué de le faire. Aussi s'empressa-t-il de faire du bien à une
famille qui l'avait persécuté.
Juxta decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je sais et
j'ai entendu dire que le Serviteur de Dieu a pratiqué les vertus chrétiennes et
sacerdotales jusqu'au moment de sa mort.
665 Session 70 - 31 Juillet 1863 à 3h de l’après-midi
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'atteste que
Mr Vianney a pratiqué pendant sa vie tout entière la vertu de foi. Elle parut
en lui dès sa plus tendre enfance; il écoutait avec bonheur les instructions
religieuses que sa mère lui donnait. Celle-ci était étonnée de l'esprit de foi
qui brillait dans son jeune enfant: 666 Vois-tu, Jean-Marie, disait-elle
quelquefois, j'aime bien tes autres frères, et je serais bien affligée s'ils
offensaient le bon Dieu; mais pour toi, si tu l'offensais, je le serais bien
davantage. Le Serviteur de Dieu m'a raconté qu'il tenait de sa mère l'habitude
de dire l'Ave Maria toutes les fois que l'heure sonnait. Il avait dès son plus
jeune âge un tendre amour pour la Ste Vierge: Je l'ai aimée, disait-il, avant
de la connaître. On lui avait donné une petite statue de la Mère de Dieu; il
l'honorait d'un culte spécial, et ne pouvait s'en séparer.
L'un de ses
plus grands bonheurs était d'aller à la messe. Afin d'y assister parfois dans
la semaine, il priait l'un de ses frères de le remplacer dans ses occupations,
et il lui donnait même de l'argent à cette fin. Cette époque de sa jeunesse
avait laissé dans l'esprit de Mr Vianney de doux souvenirs; il en parlait
volontiers. J'étais heureux en ce temps-là, disait-il; je n'avais pas la tête
cassée comme aujourd'hui; je priais Dieu tout à mon aise. Je crois que ma
vocation était d'être berger toute ma vie.
Je sais de
lui qu'il a fait sa première communion dans une grange pendant la révolution;
il y avait été préparé par une religieuse de St Charles. Il n'en parlait
qu'avec émotion, ce qui me fait croire qu'il avait fait sa première communion
avec de grands sentiments de foi.
Je sais qu'il
commença ses études afin d'être prêtre chez Mr Balley, curé d'Ecully. Il
éprouva d'abord de grandes difficultés.
Son
intelligence était lente et sa mémoire ingrate. Pour obtenir de Dieu la grâce
de réussir suffisamment dans ses études, il fit voeu d'aller en pèlerinage à la
Louvesc, au tombeau de St François-Régis, à pied et en mendiant son pain. Il
fut rebuté de toutes; parts et eut beaucoup à souffrir. Mais fidèle à son voeu,
quoiqu'il eût de l'argent sur lui, il ne voulut rien acheter; néanmoins, il fit
commuer ce voeu pour son retour. Les désirs du pieux jeune homme furent
exaucés. Son pèlerinage accompli, il continua ses études avec plus de facilité
et de succès.
J'ai raconté
comment ses études furent interrompues par la conscription militaire, et j'ai
dit quel esprit de foi il montra pendant son séjour aux Noës. Au moment où il
était sur le point d'être élevé aux ordres sacrés, il fut refusé pour cause
d'incapacité. 667 D'autres personnes m'ont raconté que sa piété et la vivacité
de sa foi le firent ensuite admettre.
Mr Vianney
est entré dans la paroisse d'Ars comme curé le treize Février mil huit cent
dix-huit. Je lui ai entendu dire dans une conversation qu'au premier moment où
il aperçut la paroisse, il lui vint une pensée singulière: C'est bien petit, se
dit-Il à lui-même, elle ne pourra tenir tous ceux qui doivent y venir. Il
passait dès le commencement de son séjour de longues heures à l'église; il en
avait fait sa demeure habituelle; il y allait de très grand matin, sonnait
lui-même l’angelus, composait à la sacristie ses instructions, à la préparation
desquelles il consacrait toute la Semaine.
L'un des
principaux soins de son ministère, fut d'établir la communion fréquente; il y
réussit parfaitement pour les femmes, beaucoup moins pour les hommes, qu'il
amena du reste à pratiquer exactement leurs devoirs religieux. Quel dommage,
disait-il, s'ils communiaient plus souvent, ils seraient des saints. - Son
esprit de foi lui fit établir où ranimer diverses confréries, qui lui furent
d'un grand secours pour détruire les abus de sa paroisse. Il a fait disparaître
entièrement le travail du dimanche; deux familles seulement, à ma connaissance,
ont résisté de temps en temps à la voix de leur pasteur. A l'époque même de la
plus grande affluence des pèlerins, les voitures publiques qui venaient en
grand nombre à Ars n'arrivaient pas le Dimanche et n'en partaient pas. Les
choses se passèrent ainsi jusqu'à l'établissement du chemin de fer. Depuis
lors, les omnibus du chemin de fer amenèrent des étrangers; mais ils
s'arrêtèrent constamment en dehors du village.
Le Serviteur
de Dieu trouva dans les danses, qui étaient fréquentes dans sa paroisse, un
grand abus à déraciner. Je lui ai entendu dire qu'il en était venu à bout
beaucoup plus par ses prières que par ses paroles et ses instructions.
Lorsqu'elles avaient lieu, il avait coutume de se montrer, et sa seule présence
suffisait pour faire disparaître les personnes qui s'y livraient. Il employa
divers moyens pour en détourner les jeunes filles; il les retenait après
Vêpres, leur apprenait et leur faisait chanter des cantiques et leur procurait
même quelques délassements dans son jardin. 668 Il alla même jusqu'à donner à
un ménétrier, pour l'empêcher de faire danser, le double de la somme qui lui
avait été promise.
La foi de Mr
Vianney lui fit bientôt trouver sa paroisse trop étroite: aussi s'empressa-t-il
de venir au secours de ses confrères du voisinage pour des missions, des
jubilés. Il y déploya un si grand zèle, qu'il s'attira l'estime et la confiance
des fidèles, qui commencèrent à venir à Ars pour lui demander des conseils; ce
fut l'origine du pèlerinage.
La foi du
Serviteur de Dieu lui inspira un grand amour pour tout ce qui tient au
culte-divin. Il n'omit rien pour procurer à sa pauvre église des vases sacrés
et des ornements, non seulement convenables mais riches. Dès les commencements
de son ministère, il en acheta lui-même de ses propres deniers. Rien ne peut
égaler la joie qu'il éprouva, lorsqu'il reçut du vicomte d'Ars un dais
magnifique, de riches bannières, de superbes chasubles, un grand ostensoir en
vermeil, un tabernacle en cuivre doré, de beaux chandeliers et six grands
reliquaires. Il invitait ses paroissiens à venir voir ces objets. Il m'a chargé
plusieurs fois d'aller à Lyon acheter ce que je pourrais trouver de plus beau pour
le culte divin.
La foi de Mr
Vianney éclatait surtout dans tout ce qui concerne la Ste Eucharistie. Il
aimait beaucoup la fête du très Saint Sacrement. La procession que l'on fait ce
jour-là était l'un de ses bonheurs; il la préparait avec le plus grand soin
afin d'y mettre le plus de pompe possible. Il avait soin qu'il y eût de beaux
reposoirs et il l'es multipliait, afin de multiplier aussi les bénédictions. La
foi la plus vive respirait dans tous ses traits lorsqu'il portait le Saint
Sacrement. Un jour, à la suite de l'une de ces processions pendant laquelle il
avait fait une très grande chaleur, le prêtre qui servait d'aide à Mr Vianney
lui dit: Mr le Curé, vous devez être bien fatigué. - Oh! non, répondit-il,
celui que je portais me portait.
669 Il célébrait le saint sacrifice de la messe avec une foi très
vive. C'est ce qui paraissait surtout à l'élévation et à la communion. J'en ai
été moi-même fréquemment frappé; quelquefois je voyais un sourire sur ses
lèvres, ou des larmes sur ses joues. Un étranger s'était adressé en confession
à Mr le Curé et n'ayant pas voulu se résoudre à faire ce que celui-ci lui
demandait, sortit de l'église brusquement et très mécontent. On le décida
cependant le lendemain à venir à la messe avant son départ. Il fut tellement
frappé en voyant l'expression de la figure de Mr Vianney au moment de la
communion, qu'il se convertit. Je tiens ce fait du converti lui-même.
Je lui ai
entendu peu faire d'instructions où il n'ait été question de la présence
réelle. Lorsqu'il parlait sur ce sujet, il y avait quelque chose
d'extraordinaire sur sa figure et dans ses yeux. Il s'entretenait avec délices
du Saint Sacrement dans ses conversations.
Je l'ai
accompagné deux ou trois fois lorsqu'il administrait les derniers sacrements
aux malades; je l'ai vu attendri et versant des larmes.
Sa foi lui
inspirait un grand respect pour les prêtres. Il parlait fréquemment du
sacerdoce. On ne comprendra bien la grandeur du prêtre que dans le ciel,
disait-il.
Les
prédications de Mr Vianney étaient animées de l'esprit de foi, surtout
lorsqu'il parlait sur certains sujets de prédilection. Il parlait de Dieu avec
une émotion profonde. Il disait souvent: Être aimé de Dieu, être uni à Dieu,
vivre pour Dieu, vivre en la présence de Dieu, oh! belle vie! La pensée du Ciel
revenait souvent dans ses discours. Un jour qu'il expliquait l'évangile du
deuxième dimanche de Carême, le ravissement des apôtres sur le Thabor
réveillant en lui l'idée du bonheur de l'âme contemplant dans le ciel la sainte
humanité de Notre Seigneur, il s'écria, comme hors de lui-même: Nous le
verrons, nous le verrons!!! Oh! mes frères, y avez-vous bien pensé, nous le
verrons face à face. Il répéta ces paroles longtemps et en versant des larmes.
Il n'était
pas moins ému lorsqu'il parlait du malheur des pécheurs et de leur réprobation.
Je l'ai entendu répéter avec des sanglots et des cris ces paroles: Maudit de
Dieu, être maudit de Dieu, 670 quel malheur! Pendant un quart d'heure, il ne
put dire autre chose.
Il aimait à
peindre le bonheur d'une âme en état de grâce et l'action du St Esprit en elle.
Le Saint Esprit est notre conducteur, disait-il; l'homme n'est rien par
lui-même, mais il est beaucoup avec l'Esprit Saint. L'homme est tout terrestre
et tout animal; il n'y a que l'Esprit Saint qui puisse élever son âme et la
porter en haut.
On m'a
raconté que le P. Lacordaire l'ayant entendu prêcher sur le Saint Esprit, fut
si émerveillé qu'il le suivit à la sacristie et le remercia en lui disant: Vous
m'avez appris à connaître le Saint Esprit.
Il comparait
la prière au feu qui gonfle les ballons et les fait monter vers le ciel.
L'un des
sujets sur lesquels il entretenait volontiers ses auditeurs était l'amour des
croix. Il y revenait aussi fréquemment dans ses conversations. Il disait que
pour lui, il n'avait jamais été plus heureux que lorsqu'il avait eu des croix à
porter. Il m'est arrivé plusieurs fois, ayant moi-même quelques ennuis
particuliers, d'aller lui demander des conseils et des consolations. Ah! mon
ami, me répondait-il, tant mieux, cela ranime la foi.
En toute
chose et en toute circonstance il était animé par la foi la plus vive et
pratiquait cette parole de l'Ecriture: Mon juste vit de la foi.
Il montra un
grand esprit de foi dans sa dernière maladie, j'en ai moi-même été témoin.
J'étais auprès de lui avec un de mes frères au moment où l'on se disposait à
l'administrer. Lorsqu'il entendit sonner la cloche, il se mit à pleurer. Mon
confrère lui demanda ce qu'il avait, et pourquoi il pleurait: Êtes-vous plus
fatigué? - Oh! non, répondit-il, je pleure en pensant combien Notre Seigneur
est bon de venir nous visiter dans nos derniers moments.
671 Deinde ob tarditatem horae dimissum fuit examen praedicti Dni
Fr. Athanasii, Jacob Planche testis animo illud resumendi et continuandi usque
dum perficiatur. Cum autem praedictus testis pro nunc examinis continuationi
sese subjicere non possit, Rmi Dni Judices delegati illius rationes
admittentes, ipsi in-junxerunt ut alio tempore se subjiceret examinis
continuationi; quod testis libentissime promisit.
803 Session 87 - 24 Août 1863 à 8h du matin
804 Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis
interrogatus respondit:
Mr Vianney a
pratiqué la vertu d'espérance. Il agissait en vue du ciel et il ne comptait,
pour y arriver, que sur la grâce de Dieu. Lorsqu'il songeait à sa grande
misère, il en était comme effrayé. Un jour, il demanda à Dieu la grâce de
connaître ses misères. Dieu exauça sa prière. Mr Vianney en fut tellement
effrayé qu'il demanda aussitôt la grâce de ne pas les connaître. Dieu l'exauça,
de nouveau; mais, comme il me l'a avoué, car c'est de lui que je tiens ce fait,
il lui laissa encore assez de connaissance de ses misères pour qu'il vît que
par lui-même il n'était capable de rien. Il ne comptait point sur lui-même;
malgré les peines, les embarras de toute espèce qu'il rencontra dans l'exercice
du saint ministère, il ne se décourageait pas. Quand il avait plus de
difficultés, il s'abandonnait davantage entre les mains de Dieu. Il me disait,
dans son expression naïve, qu'alors il se jetait devant le tabernacle comme un
petit chien aux pieds de son maître. Dans une des dernières années de sa vie,
je le vis pendant une huitaine de jours triste, abattu et comme découragé. Un
matin, avant sa messe, je vis qu'il avait repris sa sérénité habituelle. J'en
fis la remarque à Mr l'abbé Toccanier, qui me répondit: Mr Vianney vient de me
raconter que pendant la nuit, il a entendu par deux fois une voix qui lui
répétait ces paroles: In te Domine speravi, non confundar in aeternum. - C'est sans
doute le grappin, ai-je repris. - Oh! non, le grappin ne parle pas comme cela.
Je n'ai rien
de particulier à signaler pour les premières années de sa vie au sujet de la
vertu d'Espérance. Lorsqu'il eut pris possession de la paroisse d'Ars, on vit
très bien combien l'espérance chrétienne animait ses paroles et ses actions. On
pouvait juger de sa grande espérance quand il avait à parler du ciel. 805 J'ai
déjà signalé, en parlant de la foi, combien il avait été admirable et avait
impressionné le jour où, expliquant l'évangile de la Transfiguration, il
s'était écrié, comme hors de lui-même: Nous le verrons, nous le verrons! Après
les grandes fêtes de l'Eglise, il nous disait souvent avec un air et des
expressions qui indiquaient tout son bonheur: Oh! mes frères, si les fêtes de
la terre sont si belles, que sera-ce des fêtes du Ciel? - Pauvres protestants,
ajoutait-il quelquefois: c'est pour eux toujours la même chose. Aujourd'hui,
ils n'ont rien eu de particulier, disait-il avec un air de pitié et presque; en
pleurant, après une fête du St Sacrement, autant que je puis me le rappeler.
L'Espérance
du Serviteur de Dieu, jointe à sa grande foi, lui faisait déplorer sans cesse
le malheur des pauvres pécheurs. Il pleurait presque toujours à chaudes larmes
en parlant du péché et des pécheurs. Il se servait d'expressions et de
comparaisons bien capables d'inspirer une grande horreur pour le péché. Je me
rappelle qu'en particulier il disait: Le péché est le bourreau du bon Dieu et
l'assassin de l'âme. Oh! mes frères, que nous sommes ingrats! Le bon Dieu veut
nous rendre heureux et nous, nous ne voulons pas. - S'il y allait de notre
fortune, que ne ferions-nous pas? Mais parce qu'il n'y va que de notre ante,
nous ne faisons rien. Le sujet d'une image l'avait singulièrement frappé, comme
on pouvait en juger par le plaisir qu'il mettait à nous en parler. Elle
représentait le bon chrétien assis sur un char et Notre Seigneur conduisant la
voiture. Elle montrait au contraire le pécheur attelé aux brancards d'une autre
voiture et le démon frappant sur lui à grands coups pour le faire avancer.
Mr Vianney
semblait avoir reçu de Dieu un don tout particulier pour consoler les âmes
affligées et relever leur courage. Presque tous, après s'être entretenus avec
lui, emportaient des pensées plus sereines et montraient plus de force pour
supporter les misères présentes. J'en ai été témoin bien des fois.
806 En travaillant au salut des âmes par tous les moyens que son
zèle lui inspirait, il ne négligeait rien de ce qui pouvait assurer sa propre
sanctification. Dans les commencements, ainsi que je l'ai appris de personnes
bien informées, il consacrait son temps à la-prière, à la méditation, à la
lecture de la vie des saints, et à d'autres exercices de piété. Durant le temps
que je l'ai connu, il ne pouvait, plus, à cause de la grande affluence des
pèlerins, suivre le même règlement que dans les premières années. Il en
exprimait souvent le regret, et c'est pour cela qu'il désirait si vivement se
retirer dans la solitude. Il satisfaisait son besoin de communication avec Dieu
par des aspirations fréquentes. Il m'a avoué qu'il perdait rarement de vue la
présence de Dieu, et il regardait cette grâce comme une compensation aux
consolations qu'il aurait éprouvées en donnant plus de temps à l'oraison.
Le Curé d'Ars
s'abandonnait entièrement entre les mains de la Providence. Il se plaisait à
rappeler les soins que le bon Dieu avait pris de lui, les bienfaits qu'il en
avait reçus. Alors il récapitulait tout ce qui lui était arrivé, soit pendant
ses études, soit pendant son séjour aux Noës, soit dans d'autres circonstances
de sa vie, et il ajoutait: J’ai toujours été l'enfant gâté de la Providence; je
ne me suis jamais occupé de rien, et il ne m'a jamais rien manqué. Qu'il fait
bon s'abandonner uniquement, sans réserve et pour-toujours à la conduite de la
divine Providence! Dieu nous aime plus que le meilleur des pères, plus que la
mère la plus tendre. Nous n'avons qu'à nous abandonner à sa volonté avec un
coeur d'enfant.
Dieu permit
que Mr Vianney fût en butte aux attaques du démon. J'ai souvent entendu le
Serviteur de Dieu raconter lui-même les vexations de toutes sortes qu'il avait
eu à endurer de la part de l’ennemi du salut. 807 Le démon commença à lui faire
la guerre d'une manière sensible peu de temps après la fondation de la
Providence. C'est de Mr Vianney que je tiens cette particularité. Il se
plaisait à nous décrire les différents assauts du démon. A Mont-merle, le
démon, que Mr. Vianney appelait le Grappin, traînait par la chambre le lit où
reposait le Curé d'Ars, pour l'empêcher de dormir. Cela lui serait arrivé
plusieurs fois, à ce qu'on m'a rapporté. A la mission de St
Trivier-sur-Moignans, ainsi que je le tiens de Mr Vianney lui-même et d'un des
prêtres qui assistaient à la mission, on entendait beaucoup de bruit du côté de
la chambre du Curé d'Ars. Les ecclésiastiques qui logeaient au presbytère,
croyant que ce bruit venait de Mr Vianney qui ne se couchait pas, lui en
faisaient des reproches. C'est le Grappin, répondait celui-ci, qui est fâché du
bien que nous faisons ici. Ses confrères ne voulant pas le croire, lui
disaient: Vous ne mangez pas, vous ne dormez pas, c'est la tête qui vous
chante. Un soir, la conversation était revenue sur ce sujet et les reproches
avaient été plus vifs. Mr Vianney ne répondit rien. Pendant la nuit, on
entendit comme le bruit d'une grosse voiture très chargée et ébranlant le pavé.
La cure trembla, les vitres des fenêtres résonnèrent; tout ; le monde se leva
effrayé, et on courut à la chambre de Mr Vianney. Ils le trouvèrent couché dans
son lit, qui était au milieu de la chambre. C'est, leur dit-il en souriant, le
Grappin qui a traîné mon lit jusque là. Il les rassura en leur disant: N'ayez
aucune crainte. Ses confrères cessèrent de le plaisanter à ce sujet et de lui
faire des reproches.
808 A Ars, le grappin frappait très souvent à la porte extérieure du
presbytère un grand coup, comme avec un gros marteau de maréchal; il frappait
ensuite un autre coup à la porte d'entrée, puis il l'entendait monter dans
l'escalier, comme s’il avait eu de grosses bottes de cavalier; le troisième
coup, tout aussi fort, avait lieu à la porte de sa chambre. Le Grappin
quelquefois l'appelait par son nom d'une manière moqueuse, ou bien il faisait
d'autres bruits, dans le galetas, dans les escaliers et jusque dans sa chambre.
Quelquefois il imitait le bruit d'un marteau qui aurait enfoncé des clous dans
le plancher, battait comme du tambour sur sa, table, sur sa cheminée et même
sur son pot à eau. D'autres fois il remuait les chaises et les meubles, ou bien
il s'accrochait aux rideaux de son lit et les secouait avec fureur. Il a senti
plusieurs fois comme une main, qui lui aurait passé sur la figure, ou comme des
rats qui auraient marché sur lui. Une fois, il a entendu comme le bruit d'un essaim
d'abeilles ou de mouches; il s'est levé, a allumé sa chandelle; il allait
ouvrir sa croisée pour les chasser mais il ne vit rien. Une autre fois, le
grappin essaya de le jeter à bas de son lit en tirant la paillasse; effrayé, Mr
Vianney fit le signe de la croix et le grappin le laissa tranquille; il avait
été tiré jusqu'au bord du lit. Un jour il était dans son lit depuis un instant;
il lui sembla tout à coup que son lit, cependant si dur, devenait extrêmement
doux et qu'il s'enfonçait comme dans un duvet. En même temps, une voix moqueuse
répétait: Ah! Ah! Allons, allons. Mr Vianney ayant peur fit le signe de la
croix et tout fut fini à l'instant. 809 Un jour après-midi, se trouvant près de
sa table, il vit le bénitier qui était à la tête de son lit tomber sur le
traversin; quelques secondes après, le bénitier s'est brisé comme s'il était
tombé de haut sur un corps dur; j'en ai vu moi-même les débris. Le Curé d'Ars
entendait parfois un bruit infernal dans la cour, comme s'il y avait eu une
troupe d'individus se disputant et parlant une langue étrangère. D'autres fois,
il entendait chanter d'une voix aigre, et il disait: Le grappin a une bien
vilaine voix. ,
811 Session 88 - 24-Août 1863 à 3h de l'après-midi
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Au sujet des
persécutions du démon, j'ai encore à déposer ce qui suit: Dans les
commencements, Mr Vianney, ne sachant ce que c'était, eut grandement peur; 812
mais quand il se fut assuré que les bruits ne venaient point des voleurs ou des
gens mal intentionnés, et ne pouvaient avoir pour cause que le malin esprit, il
congédia les gardes qu'il avait d'abord acceptés et s'abandonna entièrement
entre les mains de Dieu. Un jour, en ma présence, les missionnaires lui disaient:
Ces bruits et ces voix que vous entendez dans la nuit, tout cela ne vous fait
pas peur? - Oh! non, répondit-il en riant: je sais que c'est le grappin; ça me
suffit. Depuis le temps que nous avons affaire ensemble, nous sommes quasi
camarades. Durant sa maladie de mil huit cent quarante-trois, il entendit du
bruit et ces mots: Nous le tenons, nous le tenons !
Le bon Curé
remarquait que ces bruits étaient plus intenses et les attaques plus importunes
lorsque quelque grand pécheur allait lui faire sa confession ou lorsqu'il
travaillait à quelque oeuvre importante ayant pour but surtout la conversion
des pécheurs. C'est ainsi qu'un jour il me dit: Il paraît que le grappin n'est
pas content de cette fondation (il s'agissait d'une fondation de cinquante
messes à faire célébrer annuellement pour la conversion des pécheurs dans la
chapelle de notre Maison Mère à Belley); il fait du bruit toute la nuit dans le
galetas au-dessus de ma chambre ; il sonne avec une clochette comme pour la
messe: c'est bon signe.
Un jour, en
présence du Frère Jérôme et à la sollicitation de Mr l'abbé Renard, aujourd'hui
décédé, j'ai entendu un brigadier de gendarmerie, nommé, je crois, Napoly,
retraité à Messimy, raconter ce qui suit: J'étais venu à Ars voir un de mes
amis; apprenant que Mr Vianney avait coutume de se rendre à l'église vers une
heure du matin; je voulus voir par moi-même ce qu'il en était. Me trouvant
entre minuit et une heure vers la porte du presbytère, je vis un certain nombre
de pèlerins couchés à la porte de l'église; je les fis partir, en leur disant
que le Curé ne viendrait pas si tôt. Quand je me rapprochais de la porte de la
cure, j'entendis une voix aigre crier: Vianney, Vianney! Va-t-en, Va-t-en! Je
fus effrayé et je me rendis sur le devant de l'église. 813 Je vis une lumière
dans la chambre de Mr le Curé qui, sans doute, avait été réveillé par le
premier cri. Je me rapprochai de la cure et j'entendis la même voix répéter les
mêmes paroles. Un instant après, lorsque le curé descendait pour se rendre à
l'église, j'entendis pour la troisième fois la même voix crier: Vianney,
Vianney! Va-t-en, Va-t-en! Quand il parut, je m'approchai de lui et lui dit: Mr
le Curé, y a-t-il quelqu'un qui vous attaque? Je viens d'entendre du bruit. -
Mr Vianney, me prenant doucement la main: Ne craignez rien, me dit-il, c'est le
grappin. En m'emmenant à l'église, il me donna sur ma vie des détails
extrêmement précis, ce qui me frappa beaucoup et ne contribua pas peu à me
faire faire une bonne confession. Tel fut le récit du brigadier. Je voulus
parler de ce fait à Mr le Curé lui-même. Il se contenta de me dire: C'est vrai,
ce bon gendarme avait bien peur, il tremblait.
Le Serviteur
de Dieu avait de très nombreuses peines intérieures. Il était en particulier
tourmenté du désir de la solitude; il en parlait souvent. C'était comme une
tentation qui l'obsédait le jour et plus encore la nuit. Lorsque je ne dors pas
la nuit, me disait-il, mon esprit voyage toujours, je suis à la Trappe, à la
Chartreuse; je cherche un coin pour pleurer ma pauvre vie et faire pénitence de
mes péchés. Il disait souvent aussi qu'il ne comprenait pas qu'à la vue de ses
misères, il ne tombât pas dans le désespoir. Il avait une grande frayeur des
jugements de Dieu; il tremblait chaque fois qu'il en parlait; il pleurait et
disait que sa plus grande appréhension était de tomber dans le désespoir au
moment de sa mort. Il redoutait et portait avec crainte la charge pastorale. Il
n'aurait pas voulu mourir curé. Ce fut cette crainte, comme il l'a avoué, qui
fut la cause de sa seconde tentative de fuite. J'ai voulu, me dit-il, en
présence de l'abbé Toccanier, mettre le bon Dieu au pied du mur, afin de lui
faire voir que si je meurs avec la chargé de curé, c'est bien malgré moi et
parce qu'il le veut. 814 Il éprouvait un grand combat chaque matin pour se
lever avant le jour et il n'allait à l'église recommencer son pénible ministère
qu'avec la plus grande répugnance: C'est tous les jours à recommencer, me
dit-il, toujours la même répugnance.
Malgré les
peines et les contradictions auxquelles il fut en butte, on le vit jusqu'à sa
mort poursuivre les travaux qu'il avait entrepris, sans donner au corps le
repos qu'il réclamait. Lorsqu'on le pressait de se reposer: Oh! nous avons bien
le temps de le faire quand nous serons au cimetière. Il avait dit, lorsqu'il
était plus rompu et plus exténué qu'à l'ordinaire: Ah! les pécheurs tueront le
pécheur! Il ajoutait quelquefois: Je connais quelqu'un qui serait bien attrapé,
s'il n'y avait point d'autre vie. D'autres fois, il avait dit: Ah! je pense
souvent que, quand même il n'y aurait point d'autre vie, ce serait un assez
grand bonheur d'aimer Dieu dans celle-ci, de le servir et de faire quelque
chose pour Sa gloire. Lui qui avait tant redouté les jugements de Dieu et tant
craint la mort, vit arriver ses derniers moments avec beaucoup de calme et
d'assurance. Il s'endormit en paix dans le Seigneur.
Quoad
Caritatem, testis respondit:
Mr Vianney a
montré un grand amour pour Dieu. Dès sa plus tendre enfance, ainsi que je l'ai
dit en parlant de la foi, il s'efforçait d'aimer le bon Dieu et de correspondre
aux instructions de sa vertueuse mère. J'ai entendu dire que partout où il
avait passé, Mr Vianney avait laissé un souvenir de sa foi et de sa piété. Dans
ma déposition sur la foi, j'ai assez fait connaître quels furent les travaux du
Serviteur de Dieu pour la réforme de sa paroisse et pour y faire refleurir la
piété. Sa grande charité envers Dieu se manifestait dans toutes ses actions.
Qu'il était beau Surtout lorsqu'il disait la sainte messe! Il faisait sa
préparation à genoux sur les dalles du choeur, immobile, les mains jointes, les
yeux fixés sur le tabernacle. 815 Rien n'était alors capable de le distraire.
On le voyait quelquefois pleurer, d'autres fois sourire. J'aimais à le voir au
moment de la consécration et de la communion. Après le Domine non sum dignus,
il restait un moment en adoration, dans l'attitude d'une personne conversant
avec une autre; il souriait ou pleurait en ayant les yeux fixés sur la sainte
hostie. J'ai remarqué qu'il ne donnait point la communion pendant la messe,
sans se servir de la patène qu'il tenait avec le ciboire dans l'intention de
recevoir la Ste Hostie, si elle venait à tomber, ou de retenir les parcelles
qui se seraient échappées. Un jour, il versait des larmes en parlant des
parcelles qui peuvent tomber à terre, et il disait: On marche pourtant sur le
bon Dieu; oh! que c'est triste… Cela fait de la peine rien que d'y penser. Je
lui ai entendu dire que rien n'était assez précieux pour contenir le corps et
le sang de Notre Seigneur Jésus Christ. Il a exprimé plusieurs fois le désir
d'avoir un calice en or massif. Il recommandait toujours d'acheter ce qu'il y
avait de plus beau. Au commencement de son ministère à Ars, il allait souvent à
Lyon faire des emplettes d'ornements pour son église. Il nous a avoué qu'il
faisait toujours ses voyages à pied, et que souvent il allait et revenait à
jeun; que même une fois,- il s'était fait saigner à mi-chemin. Or le marchand
auquel il s'adressait dit un jour à un autre prêtre, qui le redit à Mr Vianney:
Il y a un petit curé dans la Dombe, qui vient souvent acheter des ornements
chez moi; il prend toujours ce que j'ai de plus beau et paye bien.
816 Mr Vianney récitait son office à genoux et sans s'appuyer.
Lorsque, dans ses instructions et ses catéchismes, il parlait du saint
sacrement et de l'amour de Dieu, et il en faisait peu sans aborder ces deux
sujets, sa voix devenait plus forte, ses gestes plus animés, ses yeux-plus
ardents; il se tournait du côté du tabernacle en joignant les mains ou le
montrant du doigt; puis il pleurait, et souvent les. sanglots finissaient par
étouffer sa voix. Je me souviens d'une instruction qu'il fit un dimanche sur la
communion. Il n'a presque fait que répéter ces paroles pendant toute cette
instruction: Oh! mon âme, quel est ton bonheur! Quelle est ta grandeur! Nourrie
d'un Dieu, abreuvée du sang d'un Dieu. Sa voix n'était plus la même;
quelquefois, il poussait des cris; d'autres fois, il ne pouvait prononcer que
quelques paroles, étouffées par ses sanglots. Il disait un jour, en
conversation: L'Église a bien raison d'appeler le péché d'Adam une heureuse
faute; sans cette faute, nous n'aurions pas eu la Ste Vierge, ni Jésus-Christ
dans le sacrement de l'autel. Une fois, à la messe de minuit, le chant d'un
cantique pendant l'élévation fit attendre quelques instants Mr le Curé pour le
chant du Pater. Or pendant qu'il tenait la sainte hostie sur le calice, il
paraissait très ému; il souriait et pleurait tout à la fois. Après l'office, Mr
l'abbé Toccanier lui demanda la cause de cette émotion si profonde. Mr le Curé
répondit par ces paroles, que Mr Toccanier me rapporta: 817 Je disais au bon
Dieu: Si je savais que je ne dusse jamais vous voir dans le ciel, je ne vous
lâcherais plus, maintenant que j'ai le bonheur de vous tenir dans mes mains.
819 Session 89 - 25 Août 1863 à 9h du matin
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Mr Vianney
revenait sans cesse, dans ses instructions, sur l'amour de Dieu; il les
terminait souvent par ces mots: Être aimé de Dieu, être uni à Dieu, vivre en la
présence de Dieu, vivre pour Dieu! Oh! belle vie et belle mort! 820 Quand il
plaignait le sort des pauvres pécheurs, c'était toujours parce qu'ils
n'aimaient pas le bon Dieu. Que de fois on l'a entendu s'écrier: Oh! que les
pauvres pécheurs sont malheureux de ne pas aimer le bon Dieu! Qu'ils sont
ingrats en offensant un Dieu si bon et un père si tendre! Toujours, des larmes
accompagnaient ses paroles. Que c'est donc triste, disait-il quelquefois, de
n'entendre raconter que des choses qui offensent Dieu... Il a fallu que je
fusse prêtre, pour savoir ce que c'est que le péché. Que c'est une triste
chose...
Dans ses
conversations, il ne tarissait pas lorsqu'il pouvait parler de l'amour de Dieu;
on voyait qu'il était dans son élément. Il aimait beaucoup un prêtre qui venait
le voir de temps en temps, parce que, disait-il, on pouvait parler avec lui
tout à son aise de l'amour de Dieu. Lorsqu'il avait à s'entretenir des choses
temporelles, il le faisait autant que la politesse le demandait; mais on voyait
qu'il n'y attachait pas grand intérêt; il paraissait plus froid et semblait
s'ennuyer; il tâchait toujours de ramener la conversation à l'amour de Dieu ou
de finir par quelques pensées s'y rapportant. On s'apercevait que tout ce qui
intéressait l'Église pu l'honneur de Dieu, lui causait un grand plaisir. Au
contraire, les nouvelles fâcheuses concernent l'Église étaient pour lui le
sujet d'une vive peine.
Le Curé d'Ars
n'est arrivé à ce grand amour de Dieu que par la voie du sacrifice. Il était
tellement mort à lui-même que rien ne semblait capable de le distraire de la
pensée de Dieu. On le voyait au milieu de la foule qui l'environnait et qui
souvent l'importunait de toutes manières, aussi calme, aussi recueilli que s'il
avait été dans la solitude.
Au sujet de
la charité envers le prochain, je dépose ce qui suit: La maison Vianney
jouissait de la réputation d'accueillir et de loger les pauvres. Il y en avait
quelquefois jusqu'à trente. Parmi ces pauvres se trouva un jour le Bienheureux
Benoît Joseph Labre. 821 Mr Vianney se plaisait à raconter différents traits se
rapportant à l'hospitalité qu'ils recevaient dans la maison. Il le faisait avec
un plaisir qui faisait supposer que lui-même ne restait pas étranger à ce qui
se passait dans sa famille.
Dès le moment
de son arrivée à Ars, comme je l'ai appris des habitants, le Serviteur de Dieu
tâcha de se faire aimer de ses paroissiens. Doux, affable envers tout le monde,
il n'aurait pas rencontré un enfant sans le saluer et lui adresser en souriant
quelques paroles agréables. Il allait assez souvent visiter ses paroissiens. Il
choisissait de préférence l'heure des repas, afin de trouver toute la famille
réunie. Pour ne pas causer une trop grande surprise, il appelait du dehors le
maître de la maison par son nom de baptême; puis il entrait et se mettait à
causer sur les choses qui pouvaient intéresser la famille; il y glissait
toujours quelques mots d'édification et quelques bons conseils. Pour lui, il ne
s'asseyait pas et refusait toujours ce qu'on lui offrait.
Le Curé d'Ars
aima toute sa vie beaucoup ses paroissiens; il était pour eux d'un dévouement
vraiment extraordinaire; il ne se faisait pas attendre lorsqu'on l'appelait. Au
moment même de la plus grande affluence des pèlerins, il quittait tout,
lorsqu'un de ses paroissiens réclamait son ministère ou lorsqu'on l'appelait
pour quelque malade. Ses paroissiens l'affectionnèrent aussi beaucoup et lui
donnèrent dans plusieurs circonstances des preuves de leur estime et de leur
affection.
Mr Vianney
remplit toujours tous les devoirs d'un zélé pasteur. J'ai assez fait connaître
en parlant de la foi ce qu'il a fait dans la paroisse d'Ars. Le désir de sauver
les âmes et de se rendre utile à ses confrères le porta à les seconder dans les
missions, les jubilés ou dans d'autres exercices du saint ministère. Lorsque le
pèlerinage eut été établi, il ne s'appartint plus, pour ainsi dire, et sa vie
se passa presque entièrement au confessionnal.
822 Quand je suis arrivé à Ars en mil huit cent quarante-neuf, le
pèlerinage était déjà très fréquenté. On pouvait évaluer à vingt-cinq mille
environ le nombre des étrangers qui venaient chaque année voir, consulter Mr
Vianney ou se confesser à lui. Celui-ci ne quittait déjà plus son
confessionnal, et un vicaire le remplaçait pour les fonctions curiales. Depuis
cette époque, j'ai vu le pèlerinage aller toujours en augmentant, et il y eut
plus tard jusqu'à douze voitures publiques amenant chaque jour les pèlerins qui
venaient à Ars; souvent même ces voitures ne suffisaient pas, tant la foule
était considérable. On a calculé que pendant les six dernières années de la vie
de Mr Vianney le nombre des étrangers qui venaient à Ars était en moyenne de
cent mille par an. La foule des pèlerins était composée en majeure partie de
personnes de la classe moyenne et ouvrière. Cependant on y voyait aussi
beaucoup de personnes des classes les plus élevées, des hommes connus par leurs
talents, leur science ou leur haute position. Les prêtres venaient en grand
nombre. Tous voulaient voir, entendre celui qu'ils appelaient le saint curé, le
bon père et même le saint père. Tous voulaient lui parler, avoir ses conseils,
recevoir sa bénédiction. Chacun s'en allait content, heureux, consolé. Je n'ai
jamais vu personne partir mécontent d'Ars. Cette foule était grave, recueillie;
et ne quittait l'église ou les abords du lieu saint que pour s'attacher aux pas
du bon Curé, qu'elle suivait là où il allait, et jusque chez les malades.
C'était alors à qui serait le plus près de lui pour lui parler, l’entendre, le
toucher, recevoir de lui une médaille, etc. L'empressement était si grand que
malgré les deux ou trois personnes qui le suivaient pour le protéger, on le
faisait trébucher. 823 On le fit même tomber une fois ou deux, et il se fit
dans une de ces chutes une plaie à la tête et une autre à la jambe qui fut très
longue à guérir. Quel que fût l'empressement, quelle que fût l’importunité de
cette foule, Mr Vianney avait une bonne parole pour tous, il souriait à tous,
il répondait à toutes les questions, autant que possible. Je l'ai suivi très
souvent dans ses promenades, jamais je n'ai vu lui échapper un mouvement
d'impatience, ni je n'ai entendu de parole, qui trahît la moindre émotion. Bien
souvent il lui était impossible d'entrer dans sa cure; les issues étaient
assiégées par les pèlerins, qui voulaient le voir ou lui parler. Il jetait
alors quelquefois une poignée de médailles, et pendant que l'on se précipitait
pour les ramasser, il entrait vite dans sa cure et se hâtait d'en fermer les
portes. Après une de ces scènes, il nous dit: Un saint ne pouvait se
débarrasser de la foule qui le pressait de toutes parts; il s'avisa de jeter de
l'argent: on laissa bien son argent pour le suivre. On ne fait pas comme cela
pour moi, ajouta-t-il en riant, ce qui prouve bien que je ne suis pas encore un
saint: on me laisse pour courir après mes médailles.
Le bon Curé
était souvent fatigué et paraissait comme exténué par suite de ses longues
séances au confessionnal. Lorsqu'il voyait les pèlerins très nombreux à Ars, il
ne pouvait se résigner à prendre un peu de repos: C'est mal fait, disait-il, de
faire attendre ces gens, qui viennent de si loin, qui passent les nuits pour
pouvoir se confesser. Il faudrait bien que le bon Dieu me donnât la faculté
qu'il a accordée à plusieurs saints, celle d'être dans plusieurs endroits à la
fois.
Il avait
tellement à coeur la conversion des pécheurs, qu'un jour il me disait, en présence
de plusieurs personnes: Si j'avais déjà un pied dans le Ciel et qu'on vint me
dire de revenir sur la terre pour travailler à la conversion d'un pécheur, je
reviendrais volontiers. 824 S'il fallait rester jusqu'à la fin du monde, me
lever à minuit et souffrir connue je souffre, je resterais volontiers pour
continuer à travailler à la conversion des pécheurs. - Un autre jour, Mr
Toccanier lui disait en ma présence: Si Dieu vous proposait de monter au ciel à
l'instant même, ou de demeurer sur la terre pour sauver les âmes, que
feriez-vous? - Je crois que je resterais. - Oh! Mr le Curé, est-ce possible?
Les saints sont si heureux dans le ciel! - C'est vrai, mon ami, mais ce sont
des rentiers. - Resteriez-vous sur la terre jusqu'à la fin du monde? - Tout de
même.
Voici quel
était l'ordre de sa journée pendant les dix ans et demi que j'ai passés auprès
de lui. Il se levait tous les jours entre minuit et deux heures du matin. Il se
rendait à l’église et confessait jusqu'à sept heures. Il disait la messe vers
sept heures et demie, bénissait les objets de piété qu'on lui présentait,
apposait sa signature sur des images, ou des livres, et rentrait à la cure, où
il prenait une petite tasse de lait, dans laquelle on mettait quelquefois du
chocolat; il émiettait parfois un peu de pain dans ce lait ou ce chocolat. Un
quart d'heure après, il rentrait à l'église et se mettait à confesser. A onze
heures, il faisait une instruction, qui durait environ trois quarts d'heure;
puis il entendait quelques personnes, qui lui étaient plus spécialement
recommandées, des malades ou des infirmes. Il rentrait à la cure pour prendre
son frugal et rapide repas de midi, lisait ses lettres, prenait quelques
instants de repos; puis sortait vers une heure moins un quart, allait visiter les
malades, passait quelques instants chez son vicaire, et rentrait à l'église
vers une heure pour confesser jusqu'à la tombée de la nuit, à huit heures et
demie en été et à six heures en hiver. Il récitait alors le chapelet en public,
faisait la prière du soir et rentrait à la cure. 825 Les dimanches et les
fêtes, il faisait deux instructions, l'une à une heure en forme de catéchisme,
et l'autre à la tombée de la nuit en forme d'homélie. Lorsque le soir il
rentrait à la cure, il était souvent si fatigué qu'il avait peine à monter
l'escalier de sa chambre. Je l'ai vu tomber contre le mur. Il plaisantait sur
sa faiblesse et disait parfois: Allons, le vieux sorcier a encore bien fait
aller son commerce aujourd'hui, faisant allusion à une parole qu'on avait dite à
son sujet.
827 Session 90 - 25 Août 1863 à 3h de l'après-midi
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Le désir de
travailler à la conversion des pécheurs a porté Mr Vianney à fonder l'oeuvre
des missions. Il en a établi près de cent dans différentes paroisses du diocèse
et même hors du diocèse; comme on peut le voir sur le registre des fondations
qu'il me faisait tenir. 828. Il affectionnait beaucoup cette oeuvre; aussi éprouvait-il
une grande joie lorsqu'il recevait une somme importante pour cet objet. Un
jour, il me dit à la sacristie: Camarade, vous êtes-vous levé de bon matin
aujourd'hui? - Comme à l'ordinaire, lui répondis-je. - Tant pis, reprit-il
aussitôt. Si vous aviez fait comme moi, vous auriez fait une bonne journée. On
m'a donné pour une fondation de mission et il y a encore de reste. Cet argent
lui était venu à la suite d'une demande qu'il avait adressée à Dieu. J'avais
des doutes, nous dit-il; je désirais savoir si en travaillant exclusivement à
l'oeuvre des missions, je faisais une chose agréable à Dieu, et je l'ai prié de
me le faire connaître à quelque marque. Ce matin, en sortant de la cure, j'ai
trouvé un jeune homme, qui m'attendait à la porte et qui m'a donné mille francs
pour mes missions; puis une autre personne, dans la chapelle de St
Jean-Baptiste, m’en a remis tout autant; une troisième m'a donné plus qu'il ne
fallait pour compléter la fondation. Il était à peu près sept heures du matin,
quand Mr Vianney nous raconta ce fait.
D'après le
registre que j'ai entre les mains, il résulte que Mr Vianney a fondé, à Ars ou
dans d'autres paroisses, cent soixante dix-huit messes qu'on doit dire
annuellement pour la conversion des pécheurs et soixante-dix messes pour la
propagation de la foi. Il a fondé vingt messes en l'honneur du saint Coeur de
Marie, afin de demander sa protection pour les prêtres du diocèse de Belley.
Dans les paroisses où il a fait quelques
fondations de messes, il y en avait toujours une en l'honneur du saint
Coeur de Marie pour le curé et ses paroissiens.
Je n'étais
pas ici lorsque Mr Vianney fit la fondation de sa Providence pour l'éducation
des jeunes filles de sa paroisse et aussi pour recueillir de pauvres
orphelines. 829 Lors de mon arrivée, cet établissement avait déjà été confié à
la Congrégation des soeurs de St Joseph. Je vois par le registre des fondations
que la Providence, au moment de sa transformation, avait été estimée quarante
mille francs.
Afin de procurer aux jeunes gens une éducation
gratuite, le Curé d'Ars fit la fondation d'une école qu'il confia à notre
Congrégation. Il y employa un capital de vingt mille francs; il donna pour sa
part une somme de douze cents francs qui lui restait encore. Il a contribué à
la fondation de plusieurs écoles dans d'autres paroisses, et en particulier à
Jassans, à Beauregard et à Ste Euphémie dans le diocèse de Valence.
Le Serviteur
de Dieu aima toujours beaucoup les pauvres. Sa charité pour eux ne se lassait
jamais. Il m'a avoué que souvent avant le jour il avait déjà donné près de cent
francs en aumônes. Il appelait en riant la poche de sa soutane qui contenait
l'argent de ses aumônes, la poche à la navette, parce que l'argent ne faisait
qu'entrer et sortir. Le soir, il comptait ce qu'il appelait son bénéfice; il
lui arrivait parfois de ne trouver que cinquante centimes et quelquefois même
il n'y restait rien. Plus d'une fois même il a dû emprunter, lorsqu'il n'avait
rien, pour ne pas laisser partir des pauvres sans leur donner. Un jour, je me
permis de lui faire observer qu'une femme, à qui il faisait l'aumône, le
trompait. J'aime mieux qu'elle me trompe, reprit-il aussitôt, que de me tromper
moi-même. Il vendait tout pour avoir de l'argent à donner aux pauvres: c'est
ainsi que tout son mobilier a été vendu à diverses personnes. Les choses qu'il
ne pouvait pas vendre, il les donnait. On était obligé de lui donner son linge
et les autres objets indispensables au fur et à mesure qu'il en avait besoin;
830 sans cette précaution, il aurait bientôt été dans le dénuement le plus
complet. Ce qu'on lui donnait, il le donnait à son tour. Notre Supérieur
Général lui avait apporté de Rome un chapelet que le St Père avait béni d'une manière
spéciale pour le curé d'Ars; cet objet qu'il avait reçu avec beaucoup de
plaisir, il ne tarda pas à s'en dépouiller.
Lorsque
venait la St Martin, on remarquait que Mr le Curé devenait plus économe et
qu'il tâchait d'amasser de l'argent. Quand on lui en demandait la raison, il
répondait: C'est que je veux payer mes fermes. Ces fermes n'étaient autre chose
que les loyers qu'il payait pour plusieurs familles pauvres, auxquelles il
donnait encore du bois, du charbon, etc. pour l'hiver. Sans faire aucune recherche,
j'ai su qu'il soutenait ainsi une douzaine de familles.
Le carrelage
de sa chambre était en très mauvais état; on parla devant lui de le faire
réparer. Combien cela coûtera-t-il, demanda-t-il aussitôt? - Cela coûtera tant.
- Oh! donnez-moi cela pour mes pauvres, s'empressa-t-il de répondre. Lorsque Mr
des Garets vint lui annoncer que l'empereur allait le nommer chevalier de la
légion d'honneur: Y a-t-il une rente, demanda-t-il sans autre réflexion? Et sur
la réponse négative, il répartit: Eh bien! puisque les pauvres n'ont rien à y
gagner, dites à l'Empereur que je n'en veux point. J'étais présent lorsque ce
fait arriva. Malgré ses refus, les démarches furent continuées, de la part de
Mr des Garets, maire d'Ars, et de Mr de Castellane, sous-préfet de Trévoux. Mr
Vianney reçut un jour une lettre de la Grande Chancellerie, par laquelle on lui
réclamait douze francs pour l'expédition du brevet et de la croix. Mais j'ai
refusé, dit-il; d'ailleurs je me garderais bien d'envoyer douze francs pour
cela: je puis,- avec cet argent, nourrir douze pauvres, et il sera bien mieux
placé.
Une personne
lui avait volé une somme assez considérable en plusieurs fois. 831
Non-seulement il ne la fit pas poursuivre, mais encore, comme elle se trouvait
dans le besoin, il lui faisait des aumônes. Un jour, n'ayant pas d'argent, il
en emprunta à une personne pour le lui donner. Je tiens cette particularité de
la personne même, qui avait prêté.
Il avait
renoncé à la jouissance de son jardin, afin d'augmenter ses ressources pour les
pauvres. Il me disait un jour: J'ai fait tous les commerces imaginables (et il
entra dans différents détails concernant ce qu'il avait fait pour la
Providence, etc.) Il me rappela aussi les petites industries qu'il employait
afin d'obtenir de l'argent pour ses pauvres, et il finit ainsi: Une personne
vint ici; chaque fois qu'elle venait, elle me donnait
de l'argent pour les pauvres; je l'avais vue plusieurs fois et elle ne
m'avait rien donné. Je lui dis: Vous ne me donnez donc plus rien. Mais,
Monsieur le Curé, reprit-elle, je vous donne toujours et vous ne me donnez
rien. - Que voulez-vous que je vous donne? lui dit Mr Vianney en riant; je n'ai
plus en ma possession que ces deux vieilles dents qui branlent. - Eh bien!
combien en voulez-vous? - C'est pour rire que vous me faites une pareille
proposition. - C'est bien sérieusement. - Eh bien! donnez-m'en douze francs
pièce. La dame compta immédiatement les vingt-quatre francs, et comme Mr le
Curé se mettait en devoir de les arracher, elle l'arrêta en lui disant: Mr le
Curé, je vous en laisse la jouissance jusqu'à ce qu'elles tombent.
Quoad
Prudentiam, testis respondit:
Je n'ai rien
à signaler touchant les premières années de Mr Vianney; il en est de même des
travaux auxquels il se livra à Ars pour détruire les abus et reformer sa
paroisse. Je crois qu'il a déployé tout le zèle que la foi inspire et que la
prudence dirige. Je sais qu'il a parlé quelquefois avec véhémence, mais je ne
sache pas qu'on en ait été froissé. 832 J'ai su qu'il s'était servi
d'expressions assez fortes en parlant contre les cabarets, contre les danses et
contre le travail du Dimanche. Tous ceux qui établiraient des cabarets à Ars,
dit-il, se ruineraient. Quant au travail du Dimanche, je lui ai entendu dire:
Allez par les terres de ceux qui travaillent le dimanche, ils en ont toujours à
vendre.
Lorsque Mr
Vianney voulait entreprendre quelque oeuvre importante, il avait coutume de
consulter Dieu dans la prière, de redoubler ses mortifications. Il a plusieurs
fois demandé à Dieu de lui faire connaître par quelque signe si l'oeuvre qu'il
projetait lui était agréable. J'en ai déjà cité un trait en déposant sur la
charité. Une autre fois, il travaillait à une bonne oeuvre que je ne me
rappelle pas, et il désirait aussi connaître, nous dit-il, par quelque marque
si le culte particulier qu'il rendait à Ste Philomène était bien agréable à
Dieu. Le matin, en se levant, il trouva dans son tiroir, qu'il avait vu vide la
veille, un gros tas d'écus de cinq francs, et par-dessus une image de Ste
Philomène.
Sa Prudence
brillait dans ses conversations, comme j'en ai fait la remarque plusieurs fois.
Je sais qu'en particulier il était très réservé pour les matières politiques.
Il me disait
un jour: On me reproche de n'être pas assez sévère pour les pénitences que je
donne au confessionnal, d'absoudre trop facilement les pénitents. 833 Mais
vraiment, puis-je être sévère pour des gens qui viennent de si loin, qui font
tant de sacrifices, qui souvent sont obligés de se cacher pour venir ici? Il me
disait une autre fois: Un pénitent me demanda pourquoi je pleurais en entendant
sa confession. Je pleure, ai-je répondu, parce que vous ne pleurez pas.
J'ai remarqué
sa grande prudence au sujet de l'affaire de la Salette. Immédiatement après
l'entrevue de Maximin, il me fit écrire à l'Evêque de Belley et à celui de
Grenoble pour leur annoncer ce qui venait de se passer. Il fut très peiné de la
publicité que l'on donna à cette affaire.
Fin du premier volume manuscrit
Commencement du tome II
835 Session 91 - 7 septembre 1863 à 8h du matin
Et
prosequendo Decinum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Mr Vianney,
ainsi que je l'ai déposé, a rempli toute sa vie les commandements de Dieu et de
l'Eglise, il a pratiqué aussi les conseils évangéliques, et, autant que j'en ai
pu juger, il a été très fidèle à suivre les inspirations de la grâce.
836 Le Curé d'Ars, si exact à remplir tous ses devoirs envers Dieu,
n'était pas moins fidèle à remplir ceux que les hommes se doivent mutuellement.
J'ai déjà assez fait connaître, je le crois, sa grande charité. Il observait
toutes les règles de la plus aimable politesse; il n'y avait cependant rien de
recherché, mais un grand abandon. Il savait, dans sa politesse, tenir compte du
rang et de la position des personnes qu'il voyait
ou qu'il recevait. Un jeune homme de Marseille paraissant appartenir à une
famille très respectable, s'entretint un jour à la sacristie avec Mr Vianney.
En sortant, il vint dans notre maison et me demanda de quelle famille était Mr
Vianney, ce qu'il avait fait avant d'être prêtre, et les postes qu'il avait
remplis avant d'être curé d'Ars. Étonné de ces questions, je lui demandais
pourquoi il m'interrogeait à ce sujet. Il me répondit que c'était parce qu'il
avait été frappé de la manière distinguée avec laquelle le Curé d'Ars l'avait
accueilli. Je pourrais citer d'autres traits de ce genre: car sa grande
politesse était remarquée de tout le monde. Lorsqu'il confessait les hommes à
la sacristie, il ouvrait lui-même la porte pour les introduire, les saluait le
premier, les faisait mettre à genoux, et ne s'asseyait lui-même que lorsqu'ils
étaient ainsi placés au confessionnal. Après la confession, il se levait lui-même
le premier, ouvrait la porte, saluait le pénitent qui sortait et en
introduisait un autre avec le même cérémonial. Un jour, nous lui faisions la
remarque qu'il était bien poli avec ses pénitents en agissant ainsi; ; il nous
répondit avec un aimable sourire: Oh! c'est que ça me repose.
Le Curé d'Ars
était bon, gracieux avec tout le monde. Il faisait asseoir tous ceux qui se
présentaient chez lui; il y mettait même de l'insistance; pour lui, il ne
voulait pas s'asseoir. Sa formule en saluant les visiteurs était celle-ci: Je
vous présente bien mon respect. Il était plein de soin et d'attention pour les
personnes qui l'entouraient, comme j'en ai été témoin bien des fois. 837 Dès
qu'il les savait malades, ou simplement indisposées, il allait les visiter,
leur recommandait de bien se soigner, leur donnait à ce sujet des conseils
vraiment minutieux, leur faisait porter des remèdes et jusqu'à des douceurs. Il
offrait le tout avec tant de grâce et de bonté qu'on était obligé d'accepter.
Il ne manquait jamais d'accompagner les personnes qu'il recevait chez lui; il
donnait même cette marque de politesse à celles qu'il voyait presque
continuellement.
Mr Vianney
témoignait un grand respect envers les ecclésiastiques; dès qu'ils réclamaient
son ministère, il quittait tout. Le soir, très volontiers il introduisait dans
sa chambre ceux qui demandaient à le voir, et mettait dans ses conversations
une grande simplicité et un grand abandon.
Il semblait
avoir pour les pauvres et les malades une plus grande charité qu'envers les autres
personnes. Il était pour eux prodigue d'attention, de prévoyance et de
condescendance. En un mot, autant il était dur pour lui-même, autant il était
bon, sensible, charitable envers les autres. S'il voyait ses collaborateurs un
peu fatigués, de suite il leur conseillait le repos, au besoin leur interdisait
la chaire ou le confessionnal, et s'offrait à les remplacer.
On ne pouvait
lui rendre le moindre service sans qu'il en exprimât sa reconnaissance dans des
termes qui indiquaient combien il y était sensible. Il trouvait toujours qu'on
en faisait trop pour lui.
Bien souvent
il parlait de ses parents et surtout de sa mère, et on voyait combien il était
reconnaissant pour les services qu'il en avait reçus. Quand son frère, sa
soeur, son beau-frère, ou un autre de ses parents, venaient à Ars, il leur
donnait quelques marques particulières d'affection.
Le nom de Mr
Balley, son ancien maître, revenait souvent dans ses conversations; l'idée qui
lui en était restée, c'était que Mr Balley était un saint et un savant. 838
Lorsqu'il en parlait, les larmes lui venaient souvent aux yeux; il nous disait:
Pour aimer le bon Dieu, il suffisait de voir Mr Balley. Je lui ai entendu dire
que s'il était peintre, il pourrait encore faire son portrait d'après nature,
tant les traits de son ancien maître étaient restés gravés dans son esprit. La
veuve Fayot, qui lui avait donné l'hospitalité aux Noës, était l'objet de da
reconnaissance spéciale de la part du Curé d'Ars. Je sais qu'il a fait une
fondation de plusieurs messes pour ses bienfaiteurs, tant vivants que défunts.
Quoad
Obedientiam, testis respondit:
J'ai la
conviction que le Serviteur de Dieu a toujours pratiqué l'obéissance; je n'ai
cependant rien de particulier à signaler pour la plus grande partie de la vie
de Mr Vianney. Pendant mon séjour à Ars, je l'ai vu constamment aimer les
règles de l'Église, les suivre avec exactitude et les faire observer. On ne
pouvait lui parler de Rome et du Souverain Pontife sans lui procurer un grand
bonheur. Entendant les missionnaires s'entretenir quelquefois de la question
liturgique, qu'on venait de soulever en France, Mr Vianney témoignait alors sa
disposition à prendre le bréviaire romain; il en avait même fait acheter un
exemplaire et il l'aurait dit certainement s'il eût vécu plus longtemps.
Il se montra
toujours très obéissant envers son évêque. Chaque fois que celui-ci venait à
Ars, il lui demandait la permission d'aller dans la solitude, et comme elle lui
fût constamment refusée il resta à son poste jusqu'à la mort. Vers la fin de sa
vie, étant accablé par les confessions, par ses infirmités, il né pouvait
qu'avec peine réciter le soir ses matines. Mgr Chalandon son Évêque, non
seulement jugea nécessaire de l'en dispenser, mais encore il ordonna au
missionnaire qui servait de compagnon à Mr Vianney de lui commander de
s'abstenir de les réciter lorsqu'il remarquerait qu'il serait trop fatigué. 839
Mr Vianney faisait ordinairement quelques observations, en disant qu'il n'était
pas aussi fatigué qu'on le pensait, que son bréviaire, du reste, était sa seule
consolation. Si le missionnaire insistait et surtout invoquait l'autorité de
l'Évêque, il se soumettait comme un enfant.
Il voulait
qu'on obéît à l'autorité civile, et lui-même en donnait constamment l'exemple.
Jamais je n'ai entendu un seul mot sortir de sa bouche contre les autorités.
J'ai donné
les détails qui concernent sa désertion. A mon avis, il n'y a eu dans ce fait
aucun acte de désobéissance, au moins dans son-intention. Il a été amené à
déserter insensiblement, par suite des circonstances qui se sont succédées
naturellement, et il avait si peu l'intention de le faire que, le lendemain de
son arrivée aux Noës, il alla trouver le maire de cet endroit pour lui demander
ce qu'il avait à faire, en lui présentant sa feuille de route; ce qui indique
clairement qu'il avait l'intention de rejoindre son corps. Le magistrat l'en
dissuada, en lui faisant observer qu'il était trop en retard, qu'il serait
traité comme déserteur, qu'il n'avait rien de mieux à faire que de demeurer aux
Noës et de s'y cacher. Il lui offrit même ses bons offices pour lui procurer
une retraite; il le conduisit en lieu sûr, chez la veuve Fayot, et lui promit
de l'avertir si les gendarmes venaient pour le chercher.
Quoad
Religionem, testis respondit:
La vertu de
Religion dans Mr Vianney était aussi grande que possible. J'en ai déjà donné
des preuves nombreuses en déposant sur la Foi et la charité. Il aimait et
recherchait tout ce qui se rapportait au culte de Dieu; tout son plaisir était
de s'en occuper. C'était un vrai bonheur pour lui d'avoir des croix, des
médailles et surtout des reliques. A son avis, le plus beau cadeau qu'on
pouvait faire, était de donner un objet de piété. Il entendait la parole de Dieu
toutes les fois qu'on l'annonçait dans son église.
840 Il respectait toutes les pratiques que l'Eglise a approuvées et
il les conseillant suivant les différentes circonstances. Il semblait
affectionner les confréries. Il avait établi dans sa paroisse le tiers-ordre de
St François et lui-même en faisait partie. L'exercice de l'heure sainte, grâce
à ses recommandations, se faisait et se fait encore très régulièrement pendant
la nuit du Jeudi Saint.
J'ai déjà assez fait connaître sa
dévotion envers le Saint Sacrement. Il honorait d'une manière particulière la
passion de Notre Seigneur. Il avait distribué les principales scènes de la
Passion pour les différentes heures de l'office, et afin sans doute quelle
souvenir ne lui échappât pas, il les avait écrites en tête des heures, comme je
l'ai vu moi-même sur son bréviaire. Il a fondé un certain nombre de messes en
l'honneur de l'agonie de Notre-Seigneur au jardin des olives, pour obtenir la
conversion des mourants. D'autres messes ont été fondées en l'honneur des cinq
plaies afin d'obtenir la conversion des pécheurs.
En déposant
sur la Foi, j'ai fait connaître que Mr Vianney avait montré dès son enfance une
grande dévotion envers la Ste Vierge. Lorsqu'il fut prêtre, il ne manquait pas,
les samedis, de dire la messe à son autel, et de réciter ses litanies pour la
conversion des pécheurs. Les soirs, à la prière, il disait le chapelet de
l'Immaculée Conception. Lorsque l'heure sonnait, il s'interrompait pour dire
avec les fideles un Ave Maria, suivi d'une invocation à la Vierge immaculée. Il
témoigna toujours une grande dévotion pour l'Immaculée Conception. Quand il
apprit que ce dogme venait d'être défini, il fit éclater sa joie de la manière
la plus vive. Il avait déjà fait faire une magnifique chasuble dont il se
servit la première fois le jour même où Pie IX proclamait ce dogme. Il fit
ériger une statue dans le clos des frères de la Ste Famille en signe de joie et
de reconnaissance.
841 Il avait consacré sa paroisse à la Ste Vierge en mil huit cent
trente six. Pour en perpétuer le souvenir, il avait signé et distribué des
images de la Ste Vierge, qu'il engagea ses paroissiens à conserver
religieusement dans leurs maisons; l'habitude s'en est maintenue.
843 Session 92 - 7 Septembre 1863 à 3h de l'après-midi
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Mr Vianney a
fait plusieurs fondations de messes pour remercier Dieu d'avoir créé la Ste
Vierge immaculée dans sa conception. Il a mis sous le vocable de l'Immaculée
Conception la chapelle de sa Providence. 844 Parmi les autres fondations de
messes qu'il a faites, j'en ai remarqué qui avaient pour but d'honorer les
douze privilèges de Marie, afin d'obtenir pour les fidèles sa protection
lorsqu'ils vont recevoir le sacrement de pénitence. Il en existe une autre en
l'honneur du saint Coeur de Marie au profit spirituel des missionnaires et pour
la propagation de la foi. Une autre encore a pour but de réclamer la protection
du saint Coeur de Marie pour les prêtres du diocèse de Belley.
Il célébrait
les fêtes de la Ste Vierge avec beaucoup de solennité; il engageait les fidèles
à s'approcher ces jours-là des sacrements. On remarquait que les pèlerins
affluaient en ces circonstances en bien plus grand nombre. Il en profitait pour
prêcher sur la Ste Vierge, et il le faisait avec beaucoup d'onction; son
bonheur était, en public et en particulier, de parler
de Marie. Il recommandait beaucoup les neuvaines à la Ste Vierge pour
obtenir la conversion des pécheurs.
Il avait
aussi une grande dévotion aux saints, qu'il appelait ses protecteurs auprès de
Dieu. Aussi attachait-il une grande importance à tout ce qui tenait à leur
culte; il les honorait et les faisait honorer, se procurait leurs reliques,
qu'il regardait comme le-plus précieux de tous les trésors, aimait à citer les
traits les plus beaux, les plus touchants de leur vie et il en tirait d'utiles
enseignements.
Parmi les
saints, il en est quelques uns qu'il honorait d'un culte spécial, tels que St
Joseph, St Jean-Baptiste, St Jean l'Evangéliste, St François d'Assise, St
François Régis, etc. et parmi les saintes, Ste Agnès, Ste Catherine de Sienne
et surtout Ste Philomène, qui a été sa sainte de prédilection et qu'il
n'appelait que sa petite sainte. Il fut le premier en France à lui faire ériger
une chapelle et à propager son culte. C'est par son intercession qu'il
réclamait la plupart des grâces qu'il demandait au Ciel; c'est à elle qu'il
attribuait tous les prodiges qui s'opéraient à Ars. Dans la crainte qu'il ne
lui en revint à lui-même quelque honneur, il la priait familièrement d'opérer
ses miracles partout ailleurs qu'à Ars. 845 Un jour, après une guérison qui
avait fait assez de bruit, il lui échappa de dire: Ste Philomène aurait bien dû
ne pas me manquer de parole. J'ai remarqué qu'il avait fait écrire sur son
bréviaire les noms des saints qui revenaient le plus fréquemment dans ses
instructions et que sans doute il invoquait plus souvent.
La dévotion
aux âmes du purgatoire lui était très chère. Il priait beaucoup pour elles et
leur consacrait toutes ses souffrances de la nuit et toutes ses actions du
Lundi. Sa dévotion aux âmes du purgatoire était non seulement très tendre, mais
encore très éclairée. Ayant un jour entendu un prédicateur peindre très vivement
la désolation de ces âmes, répéter leurs cris de douleur, les lamentations
qu'il les supposait adresser aux vivants, le Curé d'Ars, après le sermon, le
reprit doucement en lui disant qu'il s'était écarté de la vérité, que ces âmes
connaissaient la justice de Dieu, y étaient soumises et souffraient avec
résignation.
Quoad
Orationem, testis respondit:
Je crois que
l'esprit d'oraison a constamment été l'âme de toute la vie intérieure de Mr
Vianney. Il a avoué lui-même qu'il perdait rarement le souvenir de la présence
de Dieu. S'il a si vivement et si souvent désiré quitter sa paroisse et se
retirer dans la solitude, je suis convaincu que c'était pour pouvoir y vaquer
avec plus de liberté à l'oraison. Son union habituelle avec Dieu ne se
trahissait cependant, ordinairement au moins, par aucun signe particulier. Il
était au contraire très simple dans sa piété et évitait toute affectation.
Quoad
Fortitudinem, testis respondit:.
L'ensemble de
la vie de Mr Vianney démontre suffisamment que la force a été l'un des traits
les plus saillants de son caractère. Quoiqu'il fût d'une extrême bonté, il
savait cependant être ferme lorsque les circonstances l'exigeaient. Il a
pratiqué dans une grande perfection les vertus annexes de la Force, la Patience,
la confiance en Dieu et la constance. 846 Je ne pense pas que l'exercice de ces
vertus ait jamais souffert en lui la moindre altération.
Quoad Patientiam, testis
respondit:
A l'époque où
Mr Vianney était en état de désertion, il fut obligé, pour se dérober à une
perquisition des gendarmes, de se cacher dans un tas de foin récemment accumulé
sur une étable à boeufs; la chaleur était étouffante, il y souffrait
affreusement; jamais de ma vie, disait-il plus tard, je n'ai tant souffert.
C'est alors qu'il promit à Dieu de ne jamais se plaindre, quoi qu'il pût lui
arriver. Ma conviction profonde est qu'il a parfaitement tenu parole.
Vers la fin de sa vie, il avait
contracté de nombreuses et graves infirmités, une hernie, des douleurs
d'entrailles très fréquentes, des maux de tête presque continuels, une toux
sèche et violente. Elles étaient le résultat de ses mortifications excessives,
surtout de celles de son jeune âge, qu'il appelait quelquefois lui-même, en
plaisantant, les folies de sa jeunesse. Ses maux de tête étaient si forts qu'il
ne pouvait pas même supporter un bonnet pendant la nuit. C'est à cause de cela
qu'il avait l'habitude de se faire couper les cheveux très près sur le devant
de la tête. Au milieu de toutes ces souffrances, non seulement il ne se
plaignait jamais, mais il en riait et en plaisantait gaiement. C'est ainsi
qu'au sujet de sa toux, qui le fatiguait constamment, il disait: C'est dommage,
cela me fait perdre du temps. Quelquefois, quand il rentrait le soir dans sa
cure, il s'affaissait, n'en pouvant plus, était obligé de s'appuyer contre les
murs, et si on lui faisait quelques observations en ayant l'air de le plaindre,
il s'en tirait par quelque agréable plaisanterie.
Quelque accablé de fatigue qu'il
fût par toute une journée de travail, venait-on l'appeler pour un malade, il y
allait aussitôt. Je l'ai souvent accompagné.
847 Je l'ai souvent entendu parler de ses insomnies: Un soir qu'il
paraissait très souffrant, Mr Toccanier lui dit en ma présence de rester couché
le lendemain matin plus tard que de coutume. Il répondit: On me fait un grand
mérite de me lever matin, et je n'en ai point; je souffre tellement la nuit que
je n'ai pas une demi heure de bon sommeil; je brûle dans mon lit, et lorsque je
veux me reposer un peu, je me lève et je m'appuie contre ce meuble; alors je
souffre moins.
Ses souffrances au confessionnal étaient
extrêmes. Vers les quatre heures du matin, le sommeil le gagnait. Pour y
résister, la lutte était terrible, ainsi que lui-même l'a plusieurs fois avoué.
C'est une heure qu'il redoutait. Il lui arrivait parfois d'être tellement
fatigué qu'il était obligé de sortir quelques instants. Son confessionnal était
dans une petite chapelle; pendant l'été, la chaleur y était étouffante, l'air y
manquait; on y respirait aussi fréquemment les plus mauvaises odeurs; Mr
Vianney, qui était naturellement très délicat, était extrêmement sensible à ces
inconvénients; il lui arrivait même parfois de se trouver mal et de s'évanouir.
C'est pourquoi les personnes qui le soignaient tenaient du vinaigre à sa
disposition et lui-même le demandait et le respirait.
On remarquait
que s'il était un jour très abattu, il arrivait facilement que le lendemain il
avait repris toutes ses forces. Plus il avait de besogne, plus il montrait de
courage. Il parlait de l'époque où il avait eu des contradictions à supporter
comme d'un vrai temps de bonheur. Ce qui paraît avoir été, dans ces épreuves,
la cause de sa joie, c'est qu'il se flattait que le mal qu'on disait de lui,
les accusations dont on le chargeait, finiraient par le faire chasser de sa
paroisse et lui donneraient la liberté de se retirer dans la solitude. Je lui
ai entendu raconter qu'il avait reçu deux lettres anonymes, dont l'une le
comblait de louanges et l'autre l'accablait d'injures. Voyez, disait-il à ce
sujet, ce que c'est que les hommes; les uns vous envoient au Ciel et les autres
en enfer, il faut faire peu de cas de leurs jugements.
848 Il était d'un caractère naturellement très vif et je crois que
si la vertu ne l'eût pas complètement dominé, il se fût facilement emporté.
Aussi était-t-il obligé, pour se contenir, de se faire des violences extrêmes.
J'ai pu m'en convaincre moi-même par quelques signes presque imperceptibles. En
certaines circonstances, lorsque des personnes très impatientantes l'agaçaient,
il tordait avec une certaine violence le mouchoir qu'il avait l'habitude de
tenir dans sa main, et je voyais au mouvement de ses lèvres quels efforts il
faisait pour réprimer l'impatience. Du reste, il fallait être très familier
avec lui pour s'en apercevoir; rien ne paraissait sur sa figure. Un jour, comme
il sortait de l’église, quelques personnes étaient indignées des importunités
sans nombre auxquelles il venait d'être en butte; l'une d'entre elles lui dit:
Mr le Curé, vous devriez bien envoyer promener tout ce monde; - à votre place,
je me fâcherais tout rouge. - Eh! mon Dieu! répondit-il, il y a trente-six ans
que je suis curé à Ars; je ne me suis jamais fâché; je suis trop vieux pour commencer.
Rien
n'égalait, comme je l'ai dit plus haut, sa patience au confessionnal. Il lui
arrivait cependant parfois de se débarrasser momentanément des importuns par
une petite ruse de guerre. Il faisait semblant de se rendre dans un
confessionnal; les pénitents s'y précipitaient; il avait même soin quelquefois
de faire approcher de la grille les plus bruyants; alors il disparaissait tout
d'un coup et allait confesser ailleurs.
Quoad
Temperantiam, testis respondit:
Mr Vianney a
pratiqué la mortification toute sa vie. Vicaire à Ecully, il mena avec Mr
Balley une vie très dure et très austère. Lui-même m'a avoué que Mr Balley
avait été son maître dans l'exercice de cette vertu. Je sais par ouï-dire que
dès son arrivée dans la paroisse d'Ars, il mit tout en oeuvre pour se mortifier
de toutes les manières. Il vivait du pain des pauvres, couchait sur des fagots,
se contentait pour nourriture de quelques matefaims qu'il faisait lui-même, de
quelques pommes de terre. Il ne s'inquiétait ni du boire ni du manger, ni du
vêtement; les personnes qui le soignaient devaient pourvoir à tout; encore
n'arrivaient-elles à lui faire accepter la moindre chose qu'à force de
sollicitations et d'industries.
Je vais dire
maintenant ce que j'ai vu moi-même ou entendu de sa bouche.
Il m'a avoué
qu'il aimait beaucoup les fruits et cependant je ne l'ai jamais vu en manger.
Je tiens de lui que c'était par suite d'une promesse. Deux fois il reçut une
corbeille d'abricots; il me les donna en disant: Voilà pour vos enfants. 849 -
J'ai beaucoup de plaisir à recevoir, disait-il, quand on lui faisait remarquer
qu'il ne gardait rien pour lui; mais j'en ai plus encore à donner.
Il prenait si
peu de nourriture qu'il souffrait beaucoup de la faim. Il y a pour moi deux
heures terribles dans la journée, disait-il, sept heures du matin et sept
heures du soir. Il lui est arrivé plusieurs fois d'être obligé de se lever
pendant la nuit pour prendre quelque chose. Il a avoué avoir essayé de ne faire
qu'un repas tous les deux jours, mais n'avoir pas pu réussir à s'y habituer. Le
plus que j'ai fait, disait-il un jour qu'on le poussait sur ce chapitre, c'est
d'avoir passé une semaine avec trois repas. Il me semble lui avoir vu faire les
deux carêmes de mil huit cent quarante-neuf et cinquante, et peut-être même
encore celui de mil huit cent cinquante et un, avec un seul repas par jour.
Dans tout le cours de l'année, il ne prenait rien le soir. Il ne se reprochait
pas moins sa gourmandise et son hypocrisie. Tout lui était bon, il trouvait que
tout était toujours trop bien pour lui, que l'on prenait pour lui trop de
peine. Lorsqu'on lui apportait quelque chose à manger avec son pain, il disait:
c'est dommage, le pain est si bon. On peut bien vivre avec une livre de pain
par semaine.
Il
adoucissait cependant cette sévérité de régime lorsqu'il devait recevoir ses
confrères et ses parents. Quand il recevait les premiers, c'est-à-dire ses
confrères, il était très honorable. A la dernière conférence qui se tint à Ars
avant sa mort, plusieurs des ecclésiastiques qui y avaient assisté m'en
parlèrent et me, dirent: Nous avons eu le plus beau dîner du canton. Le soir,
Mr Toccanier témoigna à Mr Vianney, qui avait lui-même commandé le repas, la
satisfaction de MMrs les Curés. - Tant mieux, dit Mr Vianney, c'est toujours
comme cela qu'il faut faire. Quand on reçoit ses confrères, il faut le faire
noblement. C'est comme cela qu'agissait Mr Balley. Lorsque nous n'étions que
nous deux, nous vivions de ce qu'il y avait, tout était bon; mais si quelqu'un
venait, il était sûr d'être bien traité. Ah! Mr Balley, il avait tant de
bonté...
Dans d'autres
circonstances au contraire, Mr Vianney ajoutait à ses mortifications
ordinaires, s'il s'agissait d'obtenir quelques grâces spéciales. J'ai remarqué
qu'il agissait ainsi lorsqu'il devait recevoir la visite de son évêque. 850 Son
intention était d'obtenir de Dieu qu'il disposât le prélat à lui accorder la
permission de se retirer dans la solitude.
Pendant les
cinq dernières années de sa vie, il apporta quelques adoucissements à ses
austérités. Ce fut sur l'ordre de ses supérieurs; il obéit avec simplicité. Il
permit dès lors qu'on lui servît un plat de légumes à son repas, quelquefois
même un peu de viande, mais jamais deux jours de suite. Il prit aussi quelques gouttes
de vin.
J'ai vu
longtemps dans sa chambre une discipline pendue contre le mur, derrière le
rideau, à la tête de son lit. Elle était composée de deux chaînes de fil de fer
de moyenne grosseur, longues d'à peu près vingt ou vingt-cinq centimètres chacune,
attachées au bout d'une ficelle de chanvre, noircie par un long usage; les
chaînes au contraire étaient brillantes. J'ai vu vers mil huit cent cinquante,
dans un tiroir d'armoire de la chambre de Mr Vianney, une ceinture faite de
mailles de fil de fer mince, large de quatre ou cinq centimètres, hérissée d'un
côté de pointes aiguës de deux millimètres. J'ai vu aussi des débris de son
cilice, qui était en crin, et en laine. Il y avait à la tête de son lit, une
planche qui était cachée et que le frottement avait rendue lisse. Je n'ai pu
qu'en soupçonner l'usage. Je crois que Mr Vianney couchait dessus.
Il avait
l'art de si bien arranger la paillasse de son lit, où il y avait quelques
feuilles de maïs, qu'il trouvait le moyen de coucher à peu près sur les planches.
Au
confessionnal, il n'acceptait ni coussin pour s'asseoir, ni bouillotte pour se
tenir les pieds au chaud. La porte de sa chambre fermait mal et donnait passage
à l'air; on l'avait fait doubler d'une autre fermant mieux; il l'enleva
lui-même.
853 Session 93 - 9 Septembre 1863 à 8h du matin
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Ma conviction
profonde est que Mr Vianney a constamment pratiqué la pauvreté dans sa plus
haute perfection, qu'il ne faisait aucun cas des richesses, ni d'aucun bien de
ce monde. S'il aimait à recevoir de l'argent, c'était uniquement pour le
consacrer en bonnes oeuvres. Il en a reçu en effet beaucoup, surtout dans les
dernières années de sa vie; 854 mais il l'a presque entièrement employé en
aumônes, en fondations de missions, en fondations de messes, en achat
d'ornements, de vases sacrés pour son église, ou pour d'autres, etc. Il faisait
volontiers appel à la générosité des fidèles, toutefois sans importunité.
Il déplorait
beaucoup le matérialisme de notre temps, et dans ses instructions, il revenait
souvent sur ce sujet: les hommes, disait-il, ressemblent à des taupes, qui
creusent la terre et qui s'élèvent rarement jusqu'à la lumière du jour.
Je puis dire
qu'il a vécu toute sa vie d'aumônes; car on était obligé de pourvoir à tous ses
besoins et de tout lui fournir, nourriture, vêtements, bois de chauffage, etc.;
pour lui, il ne s'en inquiétait en aucune façon. Rien n'égalait la pauvreté de
sa chambre et de son ameublement. Ce dernier fait est de notoriété publique, je
n'entre pas dans les détails. Sa chambre était même dans un état de délabrement
plus complet qu'elle n'est aujourd'hui. Elle était en partie décarrelée, et il
s'est refusé à toute réparation.
Son mobilier
ne lui appartenait pas; il l'avait vendu pour les pauvres et il ne le tenait
plus que d'emprunt. Après que son lit eût brûlé, je lui ai entendu dire en
riant: Grâce à Dieu, je suis maintenant le plus pauvre de la paroisse; chacun y
a au moins son lit, et moi je n'en ai point. Et il ne s'inquiéta en aucune
manière pour s'en procurer un autre. Des personnes charitables se hâtèrent de
lui en offrir plusieurs; il choisit pour le lit et l'ameublement tout ce qu'il
y avait de plus pauvre.
Il ne
pratiquait pas moins la pauvreté dans la manière de se vêtir. Pendant les
premières années de son ministère à Ars, il portait ses soutanes jusqu'à ce
qu'elles fussent entièrement usées; il les raccommodait lui-même; j'en ai
encore vu qui étaient dans cet état. Plus tard, son vêtement était un peu
mieux, quoique toujours simple et pauvre, parce qu'on avait soin de le changer,
et qu'il arrivait même fréquemment que par un sentiment de vénération, on lui
enlevait quelques uns de ses habillements. Lui arrivait-il d'avoir plusieurs
soutanes, il se hâtait de se réduire au strict nécessaire. C'est ainsi que
moi-même j'en ai reçu trois.
Son
traitement de curé était presque toujours engagé d'avance pour de bonnes
oeuvres. Afin de trouver de l'argent, disait-il, il faut savoir tout donner. -
Il lui est arrivé une fois de jeter au feu par mégarde six cents francs en
billets de banque. Je lui ai entendu dire immédiatement après: "Je viens
de faire des cendres un peu chères; mais il y a moins de mal qu'à un péché
véniel. Le bon Dieu du reste peut bien les remplacer." C'est ce qui arriva
le jour même.
Deux jours
avant sa mort, je me trouvais seul avec lui dans sa chambre. Il me dit: Il me
reste trente-six francs; priez Catherine Lassagne de les prendre et de les
donner au médecin qui m'a soigné; c'est tout ce qui me reste. Je crois que
c'est à peu près ce qui lui revient; et qu'elle lui dise ensuite de ne plus
revenir me voir, parce que je ne pourrais pas le payer.
Quoad
Humilitatem, simplicitatem et modestiam, testis respondit:
L'un des
traits les plus caractéristiques de la vie de Mr Vianney, c'est son humilité
accompagnée de la plus grande simplicité et de la plus exquise modestie. En
lui, rien d'affecté; rien qui annonçât le moindre retour sur lui-même. Tout
était simple, naturel; il s'oubliait totalement; le moi était entièrement mort.
Je ferai ici
deux remarques importantes. La première, c'est que lorsque nous voulions savoir
quelque chose qui le concernait et qui était à son éloge, il fallait user
d'industrie et l'amener insensiblement et sans qu'il s'en aperçût, à parler;
aussitôt qu'il remarquait où nous en voulions venir, il s'arrêtait subitement
en disant, si nous voulions continuer: C'est assez; j'en ai déjà trop dit; la
seconde, c'est qu'il lui arrivait assez souvent à lui-même de raconter ce qui
pouvait avoir trait à quelque point de sa vie; mais c'était dans la familiarité
de la conversation et par suite de la simplicité et de l'abandon de son
caractère. 856 Il était manifeste alors qu'il n'y avait aucun retour sur lui-même,
qu'aucun principe d'amour propre n'était en jeu et qu'il parlait même des
choses qui pouvaient lui être favorables, absolument comme si elles avaient
concerné une personne étrangère. J'ajoute qu'il y avait chez lui un grand
besoin de communication et qu'à la suite de ses longues séances au
confessionnal, il se laissait aller facilement, le soir surtout, à des
épanchements de coeur avec les missionnaires ou les autres personnes qui
vivaient familièrement avec lui.
Aussi
personne n'a-t-il été plus éloigné que lui de ce qu'il avait coutume d'appeler
humilité à crochet. S'il parlait de son
ignorance, de son indignité, de ses misères, c'était naturellement et sans y
mettre jamais aucune affectation.
Au milieu de
la vénération publique dont il était l'objet, je l'ai toujours vu complètement
insensible. J'en étais étonné. Quelqu'un lui dit un jour en ma présence que
tous ces témoignages devaient être de nature à lui inspirer quelque vanité: Eh!
mon ami, répondit-il, s'il y a des coups d'encensoir, il y a bien aussi des
coups de pied; je connais ma profonde misère; comment voulez-vous que je sois
tenté d'orgueil? Si seulement je n'étais pas tenté de désespoir!... - Il avait
en effet, ainsi que je l'ai dit déjà, demandé à Dieu de se connaître lui-même
et cette vue l'avait tellement abattu qu'il avait prié le Seigneur d'en
affaiblir le sentiment. Dans d'autres circonstances, je lui ai entendu dire: Si
le bon Dieu avait trouvé un prêtre plus ignorant et plus indigne que moi, il l'aurait
mis à ma place, afin de mieux faire voir la grandeur de ses miséricordes pour
les pauvres pécheurs.
Si on lui
faisait des compliments, il n'avait pas l'air de s’en offenser. Il était facile
de voir cependant que ce genre de conversation ne lui plaisait pas, car il
passait adroitement à un autre sujet. Quelquefois cependant il manifestait
assez vivement sa répugnance. Nous allions chaque année avec nos élèves, la
veille de St Jean Baptiste, lui souhaiter sa fête, et lui demander sa
bénédiction. Lorsque nous nous y rendîmes pour la première fois, un élève
devait lui débiter un compliment. 857 Lorsqu'il vit l'enfant s'approcher de lui
un papier à la main, il comprit de quoi il s'agissait; il se précipita sur lui
et lui arracha le papier des mains en disant: Va-t-en réciter un Ave Maria pour
moi, ça vaudra mieux. – Le même jour, un fait du même genre arriva chez les
soeurs.
Lorsqu'on
commença à exposer et à vendre son portrait à Ars, j'ignore s'il en fut
vivement affecté; mais pendant tout le temps que je l'ai vu, j'ai toujours
remarqué qu'il en riait et en plaisantait de mille manières, quelquefois très
amusantes. Un jour il me demandait, en tenant à la main son portrait, qu'il
appelait son carnaval: Est-ce que j'ai bien l'air aussi niais que ça? - Il s'en
consolait cependant parfois en pensant que la vue de ses traits pourrait
contribuer à rappeler à quelques pèlerins les bons conseils qu'il leur avait
donnés. On avait moulé une fois une petite statuette qui le représentait en
pied. Cette statuette était exposée dans une boutique et se vendait dix-huit
francs. Elle resta longtemps sans être vendue. Le bon curé, qui l'avait vue
plusieurs fois en passant, finit un jour par demander à la marchande: Combien
vendez-vous cela? - Dix-huit francs, Mr le Curé. - Je ne suis pas étonné alors
que vous ne puissiez pas vous en débarrasser; tant que vous vendrez le Curé
d'Ars plus de deux sous, vous n'en tirerez rien; c'est déjà bien trop.
Un statuaire
distingué, Mr Cabuchet, avait entrepris de mouler aussi exactement que possible
les traits du Curé d'Ars. Personne n'ayant jamais pu obtenir de le faire poser,
il avait été réduit à le suivre et à l’observer à l'église ou ailleurs, pendant
ses catéchismes, ses instructions, etc. Mr Vianney s'en aperçut et lui fit des
observations sévères. L'artiste n'en continua pas moins. Un jour, pendant son
catéchisme, Mr Vianney le remarqua modelant avec ses doigts une statuette de
cire. Le Curé s'interrompit brusquement et l'apostrophant avec vivacité, il lui
dit: Restez tranquille, Monsieur, vous distrayez tout le monde et vous me
troublez moi-même. 858 - Quelques temps après, s'étant trouvé seul avec Mr
Cabuchet, il lui défendit de continuer son travail et lui ordonna de le briser;
il ajouta même: Vous me faites de la peine. - L'artiste déconcerté se disposait
à obéir; Mr Toccanier et moi, nous l'en dissuadâmes. La statuette achevée, il
nous la remit. Nous la portâmes dans la maison des missionnaires et la plaçâmes
sur la fenêtre de la salle à manger. Mr Cabuchet était avec nous, tout tremblant,
en attendant l'arrivée du curé. Celui-ci vint, comme il avait coutume de faire
après son repas. Mr Toccanier le prit par la main en lui disant: Mr le Curé,
venez voir, je veux vous montrer quelque chose; et il lui fit voir la statue.
L'ayant regardée, Mr Vianney dit: Oh! c'est le Curé d'Ars, et il ajouta d'un
ton sévère: Qui a fait cela? - Mr Cabuchet se jeta à ses pieds en lui demandant
pardon. Mr Vianney le gronda sévèrement de sa désobéissance; il parut même
hésiter un instant à lui accorder sa grâce; sur nos vives instances il s'y
résigna; mais il exigea de Mr Cabuchet la promesse de ne pas livrer ce buste au
public avant sa mort.
Mr le Curé
d'Ars refusa constamment de signer ses portraits. Un Monsieur de Lyon avait
fait sa biographie. On la présenta un jour au Curé d'Ars pour qu'il y mît sa
signature; il répondit: Jetez cela au feu, c'est un mauvais livre.
Le Serviteur
de Dieu avait une telle estime de l'humilité, qu'il en parlait constamment,
surtout dans ses instructions. Il me disait fréquemment au sujet de notre
Pensionnat: Restez dans la simplicité; plus vous resterez dans la simplicité,
plus vous ferez de bien.
Il avait la
plus grande estime et il éprouvait une véritable reconnaissance pour tous ceux
qui l'humiliaient. Eux seuls le connaissaient bien, disait-il. - Un prêtre du
voisinage lui écrivit un jour une lettre dans laquelle on lui reprochait son
ignorance. Mr Vianney répondit par la lettre la plus aimable et la plus
affectueuse; 859 il lui exposait les raisons qu'il avait de l'aimer, puisque
lui seul l'avait bien connu et qu'il avait eu la charité de l'avertir et de
s'intéresser au salut de son âme. Il le conjurait à la fin de se joindre à lui
pour obtenir de son Évêque la permission de quitter sa paroisse et de se
retirer dans la solitude pour y pleurer sa pauvre vie. Je tiens ce fait de Mr
Vianney lui-même. L'ecclésiastique fut tellement touché qu'il vint aussitôt lui
faire ses excuses et que chaque année dans la suite il amena ses enfants de la
première communion à Ars pour les faire bénir par Mr le Curé.
A l'époque où
il fut en butte à toutes sortes de persécutions, il s'attendait à tout instant
à être chassé ignominieusement. Je lui demandais un jour si ces persécutions
lui faisaient de la peine: Non, répondit-il, c'était au contraire le bon temps
de ma vie.
Il lui est
arrivé assez souvent de recevoir des personnes de distinction; il les
accueillait avec respect mais avec simplicité et je n'ai jamais remarqué qu'il
parût flatté de l'honneur de ces visites. Un jour qu'il avait reçu Mr le Préfet
de l'Ain et Mr le Général commandant le département, Mr des Garets félicitait
Mr le Curé d'Ars: Ce sont des corps et des âmes, se contenta-t-il de répondre.
Lorsque Mgr
Chalandon lui donna le camail, il en fut très attristé. J'aurais mieux aimé,
m'a-t-il dit, qu'il m'eût donné des coups de bâton et surtout qu'il m'eût
accordé mon changement. - Après que son Évêque l'eût revêtu, à la porte de
l'église, des insignes de chanoine, il éprouva un embarras extrême. Au lieu de
Soumettre à sa place ordinaire, il se retira dans l'embrasure de la porte de la
sacristie, tout honteux comme s'il eût voulu se cacher. Je lui dis: Mr le Curé,
sortez donc de là, vous êtes au courant d'air. - Je suis bien là, laissez-moi,
reprit-il. Je lui fis observer un jour qu'il était le dernier chanoine nommé.
860 Je crois bien, me répondit-il, Mgr s'est trompé une fois, il ne veut pas y
revenir. Jamais, malgré les plus pressantes sollicitations, il n'a voulu porter
le camail, même en présence de l’Evêque.
Il éprouva la
même humiliation lorsqu'on lui donna la croix d'honneur. C'est bien la première
fois, dit-il, que l'on décore un déserteur. - Il ne porta jamais cette croix et
il la donna à Mr Toccanier.
Quoad
Castitatem, testis respondit:
Le Serviteur
de Dieu m'a raconté plusieurs fois que dans le commencement de son séjour à
Ars, on avait affiché à sa porte des placards infâmes, et il ajoutait que de
toutes les calomnies dont il avait été l'objet, c'était la seule qui lui eût
fait de la peine. Les personnes qui l'avaient calomnié sur ce point ayant
reconnu plus tard leur erreur, ont été du nombre de celles qui lui ont témoigné
le plus de vénération. Pour mon compte, je n'ai jamais rien entendu dire, et je
suis convaincu qu'il a pratiqué la Chasteté de la manière la plus parfaite.
Interrogatus
demum an aliquid sciret quod aliquo modo sit contrarium virtutibus supradictis,
testis respondit:
Je ne connais
absolument rien qui puisse ternir l'éclat des vertus sur lesquelles je viens de
déposer.
Juxta decimum nonum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Ma conviction
profonde est que le Serviteur de Dieu a pratiqué toutes les vertus au degré
héroïque. J'entends par degré héroïque non seulement le degré dans lequel les
bons et même les très bons chrétiens pratiquent la vertu, mais un degré
supérieur. Ma raison pour croire que le Curé d'Ars a pratiqué la vertu dans un
degré héroïque, c'est qu'il l'a pratiquée constamment, sans interruption,
jusqu'à sa mort, et qu'il l'a pratiquée avec des sacrifices continuellement
au-dessus des forces communes de la nature. Ma déposition, du reste, contient
des preuves plus que suffisantes de cette allégation.
863 Session 94 - 9 Septembre 1863 à 3h de l'après-midi
Juxta vigesimum Interrogatorium,
testis interrogatus respondit:
Ma conviction
est que le Serviteur de Dieu avait reçu plusieurs dons extraordinaires.
1° Il avait
très certainement le don des larmes; on le voyait pleurer très souvent, comme
je l'ai déjà indiqué, lorsqu'il-parlait de l'amour de Dieu, de la Ste
Eucharistie, etc. ou lorsqu'il disait la messe.
864 2° D'après l'opinion publique, le Curé d'Ars lisait souvent au
fond des coeurs et annonçait des choses qu'il ne pouvait pas connaître
naturellement. J'ai entendu citer un grand nombre de faits. Je puis attester les
suivants:
Le fondateur
de notre Société m'a raconté qu'il vint à Ars recommander aux prières de Mr
Vianney sa Congrégation naissante. Le Curé d'Ars, en le voyant entrer, le salua
par son nom et lui demanda où il en était par rapport à son oeuvre. Notre Supérieur
n'en revenait pas: Mais comment me connaissez-vous, Mr le Curé, c'est la
première fois que j'ai l'honneur de vous voir. - Oh! reprit celui-ci, les amis
du bon Dieu se reconnaissent partout.
J'introduisis
un jour auprès de Mr Vianney un notaire accompagné de ses deux filles. La plus
âgée de celles-ci voulait se faire religieuse. Elle avait une soeur aînée qui
l'était déjà; le père redoutait ce second sacrifice; il venait cependant
consulter le Curé d'Ars, résolu à faire ce qu'il lui conseillerait. Le père
exposa l'objet de sa visite, mais sans faire connaître celle de ses filles qui
avait l'intention d'embrasser la vie religieuse. Mr Vianney se recueillit un
instant, et sans hésiter, s'adressant à la plus âgée des deux soeurs: Vous,
vous vous ferez religieuse, et vous (à la seconde), vous vous marierez et vous
soutiendrez votre père. - Et le père s'étant mis à pleurer: Vous, lui dit-il,
vous porterez votre croix, et si vous la portez courageusement, elle vous
portera au Ciel.
Un pèlerin de
la Bourgogne que je connais particulièrement, m'a raconté qu'il avait dit à Mr
le Curé d'Ars: Je manque souvent les Vêpres le Dimanche, parce que ma maison
est éloignée de l'église. - Un quart d'heure n'est pourtant pas bien loin,
reprit Mr Vianney, qui ne pouvait pas connaître la distance. Ce pèlerin avait
avec lui sa fille, qui était impatiente de finir sa confession. 865 Vous devez
passer quinze jours ici, lui dit Mr Vianney, vous n'êtes donc pas aussi pressée
que vous voulez bien le dire. - Il était tombé juste pour les deux faits.
Un homme de
Rive-de-Gier ayant demandé au Curé d'Ars s'il devait vendre une propriété dont
on lui offrait un prix très modique, celui-ci répondit sans hésiter: Ne vendez
pas. Quelque temps après, on découvrit dans ce terrain un riche filon de
houille, qui assura au propriétaire un revenu considérable.
Un inspecteur
des mines de la Loire demanda à Mr Vianney s'il devait abandonner la place
qu'il occupait et qui consistait dans l’inspection de cinq puits, pour en
accepter un autre, qui lui donnerait les mêmes appointements et où il n'aurait
cependant qu'un seul puits à surveiller. Mr le Curé lui dit de refuser.
Quelques jours après, l'eau envahit ce dernier puits et causa la mort de
plusieurs personnes. Je tiens ces détails de l'inspecteur lui-même.
Quatre
ecclésiastiques du canton de Thoissey vinrent un jour à Ars. Deux de ces
messieurs avaient des préventions contre Mr Vianney. Une instruction sur
l'amour de Dieu à laquelle ils assistèrent, commença à les ébranler. Mais ce
fut bien autre chose lorsque, dans une entrevue avec Mr le Curé à la sacristie,
l'un de ces messieurs recommandant une association de jeunes personnes qu'il
formait dans sa paroisse, Mr Vianney lui dit sans lui laisser le temps
d'achever: "Et pour laquelle vous avez beaucoup d'embarras. Mais prenez
courage, vous réussirez." L'autre ecclésiastique recommanda aux prières de
Mr le Curé la même association qu'il formait aussi dans sa paroisse. Toujours
sans laisser achever, Mr Vianney répondit: "Vous n'en avez pas besoin,
tout va bien." Il avait dit juste pour l'un et pour l'autre. L'un de ces
messieurs vint dans notre maison après l'entrevue, et me prenant par la main il
me dit d'un ton très ému: Mon frère, vénérez bien votre curé, c'est un saint.
Une femme de
l'Auvergne avait tenté inutilement, après avoir déjà passé la nuit sous le
clocher, de parler à Mr Vianney. 866 C'était un dimanche. A la fin du jour,
voyant que toutes ses démarches avaient été infructueuses, elle alla se mettre
dans un confessionnal où Mr le Curé ne devait pas revenir de la journée, et
elle fit cette prière: Mon Dieu, si vous voulez que je me confesse, faites-le
venir. Or, Mr Vianney, au moment où il allait monter en chaire, sans avoir été
prévenu par personne, se détourna pour entendre sa confession. Il fit ensuite
son instruction comme d'habitude.
Lorsque nous
faisions à Mr Vianney quelques observations sur ces faits et d'autres
semblables, et que nous lui demandions comment il avait pu les connaître, il
répondait: Je ne sais pas, c'est une idée qui m'est venue par la tête; je suis
un prophète d'almanach.
Le Serviteur
de Dieu m'a dit à moi-même, au sujet de l'un de mes frères, militaire dans
l'armée sarde, plusieurs choses qui m'ont singulièrement étonné, qui se sont
vérifiées, mais qui ne me paraissent pas cependant avoir un caractère assez
surnaturel pour que je croie devoir entrer dans le détail.
3° Mr Vianney
a opéré un certain nombre de guérisons extraordinaires pendant sa vie. On en a
cité beaucoup; je puis attester les suivantes:
Un jeune
homme presque paralysé de ses jambes à la suite d'une chute de cheval, vint à
Ars; il fut porté sur les bras par un de mes confrères, depuis l'hôtel
Pertinand jusqu'à la sacristie. Après son entrevue d'une dizaine de minutes
avec Mr le Curé, il sortit seul, s'aidant péniblement d'un bâton. Le lendemain
vers une heure, il vint dans notre maison. Il monta seul avec le secours de son
bâton un escalier qui conduit au premier étage. Sa soeur, qui l'accompagnait,
en était stupéfaite. Il y a deux ans, disait-elle, qu'il n'en a pas fait
autant. - Ce jeune homme me raconta que dans l'entrevue de la veille, Mr
Vianney lui avait dit: Ayez bon courage, mon ami, vous quitterez votre bâton;
867 mais commençons par guérir l'âme. - Il alla de mieux en mieux, fit sa
confession, communia et partit d'Ars parfaitement guéri.
Une femme
avait besoin de béquilles pour pouvoir marcher. Elle avait déjà fait plusieurs
neuvaines, sans que son état se fût amélioré. Avant d'en faire une nouvelle,
elle voulut savoir ce qu'en pensait Mr Vianney: Faites bien votre neuvaine à
Ste Philomène, lui dit celui-ci; je crois que cette fois vous allez laisser vos
béquilles a Ste Philomène. En effet, le jour où elle termina sa neuvaine, elle
se servit de ses béquilles pour aller à la sainte Table, mais là, après avoir
communié, elle les quitta et retourna à sa place, marchant comme les autres.
C'était Mr Vianney qui donnait la communion. Il y avait alors à Ars quatorze ou
quinze de nos frères et un grand nombre d'étrangers. Beaucoup de personnes
furent-témoins de ce fait. Il fut remarqué particulièrement par les deux frères
qui servaient la messe de Mr Vianney et qui s'empressèrent de me le rapporter.
J'ai vu moi-même, le même jour, un prêtre dire la messe en action de grâces
pour cette guérison.
Une femme de
Pommiers, près Villefranche, était sujette à des crises si étranges, qu'on ne
l'appelait plus que la possédée. Elle vint à Ars se recommander aux prières de
Mr le Curé. Je la vis presque à son arrivée, et je fus témoin d'une ou deux
crises. C'était des grimaces, des contorsions horribles, des cris effrayants.
Après une visite ou deux à Mr Vianney, elle fut parfaitement guérie. Son mari
fut si touché de cette guérison qu'il vint à Ars quelques jours après et fit
une bonne confession; il avait oublié ses devoirs religieux depuis plusieurs
années. La guérison a persévéré.
Un Monsieur
atteint d'une affection cancéreuse très grave depuis six années, fut amené à
Ars par une de ses parentes. Mr le Curé lui dit en l'abordant: Mon ami,
guérissons vite l'âme, vous irez ensuite à Lyon vous faire opérer. Ste
Philomène bénira l'opération, tout ira pour le mieux; vous guérirez
certainement. - 868 L'opération, que le malade redoutait tant et qu'il aurait
voulu éviter, se fit sans peine et quelques jours après, la guérison était
complète. J'ai vu ce Monsieur à l'hôpital de Lyon le lendemain de l'opération;
il était très calme. Une des soeurs qui le soignait m'en parla avec étonnement;
lui-même me dit que le chirurgien lui avait exprimé sa surprise par ces paroles:
Je ne comprends pas comment vous êtes bâti; cent autres, à votre place,
auraient une fièvre de cheval. - Le malade, pour toute réponse, lui avait
montré une médaille qu'avant son départ pour Lyon Mr Vianney lui avait remise.
J'ai été
témoin de la guérison d'un jeune homme de Cébasas (Puy de Dôme) nommé Charles
Blasy. Ce jeune homme, privé de l'usage de ses jambes depuis plus de trois ans,
se fit apporter à Ars en mil huit cent cinquante-huit, au commencement du mois
d'Août. Il fit une neuvaine à Ste Philomène, comme Mr Vianney le lui conseilla.
Le soir de l'Assomption, appuyé sur ses béquilles, il se rendit à la sacristie,
où se trouvait Mr le Curé, et lui dit: Est-ce cette fois que je dois porter mes
béquilles à Ste Philomène? - Oui, mon ami, lui répondit-il. - A l'instant, le
jeune homme sortit et levant ses béquilles en l'air, traversa ainsi l'église à
la vue d'une grande foule et les porta à la chapelle de Ste Philomène. Il ne
s'en est plus servi depuis. Ce fait s'est passé sous mes yeux.
Un soir, Mr Vianney
nous montra une lettre venant de Belgique et renfermant un billet de cent
francs. Voici ce qu'il nous dit en riant: Savez-vous qu'on me fait faire des
miracles sans que je le sache? Tenez, voici un monsieur de Belgique, qui avait
ses deux enfants bien malades; il les a recommandés à mes prières; puis ils ont
été guéris tout de suite. Il m'envoie ce billet pour me remercier; mais je n'y
ai rien fait. Ce que c'est que d'avoir la foi! - On a su depuis que ce monsieur
était un médecin et que ses deux enfants, atteints de la petite vérole, étaient
à l'extrémité.
869 Un jour,
j'entendis raconter que le Curé d'Ars venait de guérir par un simple
attouchement une loupe qu'un enfant avait au-dessous de l'oeil. J'allais le
soir passer quelques Instants à la cure; Mr Vianney nous dit en riant: Il m'est
arrivé aujourd'hui une drôle de farce. Puis prenant un air plus sérieux, il
ajouta: Le bon Dieu fait bien encore des miracles. Une dame m'a présenté son
enfant; il avait un gros mal là (il montrait la place où était la loupe); elle
m'a prié de le toucher; je l'ai fait et ça a tout fondu.
4° J’ai dit
précédemment que Mr Vianney était dans l'habitude de prier pour la conversion
des pécheurs. Un jour qu'il se livrait à ce pieux exercice, Dieu lui fit
comprendre combien cela lui était agréable; car un soir que j'étais chez lui,
il dit: Le bon Dieu m'a fait voir combien il aime que je prie pour les pauvres
pécheurs. Un soir, je lisais un papier; ma discipline s'est mise à marcher sur
ma table comme un serpent; je l'ai ramenée à l'autre bout, elle s'est remise à
marcher comme la première fois. Et comme on le questionnait pour savoir ce que
contenait ce papier, il répondit: Je vous en ai déjà trop dit.
Il m'a avoué
qu'il y avait eu au grenier de la cure une multiplication considérable de blé;
il s'étonnait même que la poutre qui se trouvait au-dessous de l'appartement
n'eût pas été brisée sous le poids. Cette poutre en effet était en mauvais
état. Il a eu soin de me dire qu'auparavant il n'y avait presque point de blé
dans le grenier.
5° Mr Vianney
avait reçu de Dieu un don particulier pour la conversion des pécheurs; il est
impossible de dire le nombre considérable d'entre eux qu'il a ramenés à Dieu.
Un prêtre disait un jour à Ars: Tous ceux de mes paroissiens qui viennent ici
sont convertis et deviennent des modèles. 870 Je voudrais pouvoir y amener
toute ma paroisse. - Un autre prêtre disait en parlant de ses paroissiens: J'ai
dans ma paroisse dix convertis du Curé d'Ars.- Un autre disait encore: Ma
paroisse fait exception au milieu de celles qui l'entourent, depuis que je suis
venu la recommander aux prières du Curé d'Ars.
Ces miracles
de conversion, il les opérait souvent d'un mot, d'un regard, d’autres fois en
versant des larmes abondantes.
Un Monsieur
nommé Morin, venu à Ars par complaisance pour sa femme, consentit, à sa
sollicitation, à voir Mr le Curé, se présenta à lui à la sacristie, et, après
un instant de conversation, il se disposait à sortir lorsque Mr Vianney, le
retenant, lui dit: Vous partez, mon ami, mais vous avez encore quelque chose à
me dire. - Rien, Mr le Curé, j'étais venu pour vous présenter mon respect. -
Mettez-vous là, reprit le Curé, en montrant son confessionnal. - Je ne suis pas
venu pour me confesser; je n'y ai pas songé. - Le Curé insista vivement; Mr
Morin se mit à genoux et commença sa confession. Le lendemain, nouvelle séance;
mais au bout de quelques minutes il se leva brusquement, quitta la sacristie et
déclara à sa femme qu'il voulait absolument partir. Celle-ci ne le retint qu'à
grand peine. Le lendemain, il consentit à entendre la messe du Curé d'Ars; il
ne l'eut pas plutôt vu à l'autel que son coeur fut changé. Spontanément il
retourna à la sacristie et reprit sa confession. Sa conversion fut complète. Il
édifia pendant plusieurs jours à Ars par son recueillement et sa piété. Je
tiens tous ces détails de Mr Morin lui-même. Il m'a avoué que le motif qui
l'avait fait abandonner si brusquement le confessionnal, c'est qu'il
appartenait à une société secrète et qu'il ne voulait pas se rendre aux justes
exigences de Mr le Curé. La conversion a persévéré; Mr Morin a fait ériger par
reconnaissance un oratoire dans sa maison; 871 j'y ai prié moi-même. Le père du
converti était au comble de la joie du changement survenu en son fils. Celui-ci
est mort après deux ans d'une pénitence si rigoureuse que son directeur était
obligé de le modérer. Dieu l'avait aussi visité par des souffrances très
grandes, qu'il supporta avec une patience exemplaire. Je tiens ces derniers
détails du directeur lui-même.
En mil huit
cent cinquante-six, j'ai été témoin de la conversion d'un vieillard octogénaire
impie, blasphémateur, ennemi acharné des prêtres. Comme il était impossible de
l'amener à l'église, vu surtout qu'étant aveugle il avait été amené à Ars par
surprise, et qu'informé de cette ruse pieuse il était entré en fureur, Mr.
Vianney, prévenu à. temps, alla le voir à l'hôtel, le visita plusieurs fois,
sans pouvoir le calmer; mais à la fin il se jeta à ses pieds en pleurant et en
lui disant: Sauvez votre âme, sauvez votre pauvre âme; et il lui serrait les
mains avec la plus tendre affection. Le vieillard se mit à son tour à pleurer;
puis il récita l'Ave Maria, qu'il n'a presque plus cessé de dire jusqu'à
l'heure de son départ. Mr le Curé le confessa plusieurs fois et mit le sceau à
sa conversion par une communion fervente. La famille du converti a donné par
reconnaissance à la chapelle de notre établissement une statue de la Ste
Vierge. J'ai revu plusieurs fois ce vieillard, qui est mort saintement, il y a
deux ans et demi environ.
En mil huit
cent cinquante-cinq, j'ai vu à Ars un jeune, homme du département de l'Hérault,
nommé Sylvain Louis François Dutheil. Soldat à seize ans, il avait contracté,
par suite de ses excès, une maladie de poitrine qui l'avait forcé de rentrer
dans sa famille. 872 Passant un jour dans une rue de Montpellier, il aperçut le
portrait du Curé d'Ars et s'en moqua. Sa soeur l'en reprit en lui disant que
s'il avait confiance en ce saint homme, il pourrait peut-être obtenir sa
guérison. Nouvelles moqueries de la part du jeune militaire. Mais pendant la
nuit, le Curé d'Ars lui apparut en-songe, tenant à la main une pomme plus qu'à
moitié pourrie, mais conservant encore quelques parties saines. Frappé de ce
rêve, le jeune homme demanda à voir le Curé d'Ars. Sa mère l'amena. Mr Vianney
allait chaque jour le visiter à l'hôtel où il était logé et s'entretenait avec
lui. Le samedi matin, il fit sa communion à l'église. A la sacristie, il
s'écriait: Que je suis heureux! Je n'ai jamais de ma vie éprouvé un pareil
bonheur. Reconduit à l'hôtel, il se jeta dans les bras de sa mère et lui dit en
pleurant: La joie de cette communion me fait oublier toutes mes souffrances; je
ne veux plus quitter ce saint homme, je veux mourir ici. Il mourut en effet la
nuit suivante. Je tiens ces détails du jeune homme lui-même et j'ai été témoin
oculaire.
875 Session 95-10 Septembre 1863 à 8h du matin
Juxta
vigesimum primum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n'ai entre
les mains aucun écrit du Serviteur de Dieu, et je ne connais qu'un sermon, qui
est entre les mains de Catherine Lassagne, et qu'une lettre, que Mr Ballet,
missionnaire des Chartreux à Lyon, m'a dit conserver religieusement.
876 Juxta vigesimum secundum Interrogaiorium, testis
interrogatus respondit:
Le Serviteur
de Dieu est mort à Ars à deux heures du matin le quatre Août mil huit cent
cinquante-neuf. Depuis quelque temps, Mr Vianney s'affaiblissait à vue d'oeil.
Les grandes chaleurs de Juillet l'éprouvèrent cruellement. Une toux aiguë, dont
il souffrait depuis longtemps, devenait chaque jour plus pénible et plus
continue. Le vendredi, vingt-neuf Juillet, après une journée écrasante, il
rentra chez lui, n'en pouvant plus. Lorsque, le lendemain matin, à une heure,
il se fut levé comme d'habitude pour aller à l'église, il s'aperçut en
descendant l'escalier que les forces lui manquaient. Il appela; on arriva
aussitôt. Vous êtes fatigué, Mr le Curé? - Oui, répondit-il, je crois que c'est
ma pauvre fin. - Nous allons chercher le médecin. - C'est inutile, il n'y
pourra rien faire. Il est impossible de peindre la douleur et la consternation
qui régnèrent dans la paroisse et parmi les pèlerins, lorsque l'on ne vit plus
le-bon Curé paraître à l'église selon ses habitudes. Plusieurs paroles qu'il
avait dites ne firent que trop craindre que réellement il avait fourni sa
carrière. Quand au milieu de Juillet, on lui présenta son mandat de Curé, il le
remit à son vicaire en disant: Ce sera pour payer mon enterrement. On lui avait
donné pour la procession du St Sacrement un magnifique ruban pour soutenir
l'ostensoir: Je ne m'en servirai qu'une fois, avait-il dit en l'acceptant. Au
mois de mai de la même année, une personne dit à Mr Vianney en le quittant: Je
reviendrai vous voir au mois d'Août. - Si vous ne venez qu'au mois d'Août,
reprit le Curé, vous viendrez à mon enterrement.
Malgré ses
souffrances, augmentées encore par une chaleur excessive, Mr Vianney fut
constamment d'une douceur, d'un calme, d'une résignation et d'une patience
admirables. Il acceptait tout ce qu'on lui présentait; il ne refusa que le
matelas qu'on voulait lui donner. 877 Les craintes si vives de la mort qu'il
avait manifestées dans d'autres circonstances, disparurent complètement dans
cette dernière maladie.
Le mardi soir,
il demanda à recevoir les derniers sacrements; toute la paroisse, les étrangers
en grand nombre se pressèrent autour du presbytère pendant cette cérémonie, à
laquelle assistèrent des prêtres venus de fort loin. J'ai déjà dit qu'il pleura
en entendant sonner la cloche qui lui annonçait la visite du divin Maître. Le
lendemain, le bon Curé eut la consolation de recevoir une dernière visite et
une dernière bénédiction de son Évêque, accouru en toute hâte. La nuit qui
suivit cette touchante entrevue, à 2 heures du matin, le Serviteur de Dieu
rendit le dernier soupir, sans violence et sans agonie.
Juxta vigesimum tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Le corps de
Mr Vianney fut descendu dans un appartement, au rez-de-chaussée, converti en chapelle
funéraire. On accourut de toutes parts pour contempler les restes vénérés du
Curé d'Ars. Pendant les deux jours que le corps resta exposé, l'appartement où
il était ne désemplit pas. Deux frères de la Ste Famille se tenaient auprès du
lit de parade, protégé par une forte barrière, et leurs bras se lassaient de
présenter les objets que l'on voulait faire toucher au corps du Serviteur de
Dieu. Les funérailles eurent lieu le samedi matin et furent présidées par Mgr
l'Évêque du diocèse. Plus de trois cents prêtres étaient venus pour assister à
cette cérémonie, quoique la circonstance du samedi en eût retenu un grand
nombre. Il y avait environ six mille fidèles. On fut obligé de prendre les
précautions les plus sévères pour préserver du pillage les objets qui avaient
appartenu à Mr Vianney ou dont il s'était servi. Malgré ces mesures, il y eut
plusieurs larcins pieux à regretter.
Juxta vigesimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Après la
cérémonie des funérailles, le corps du Serviteur de Dieu fut déposé
provisoirement dans la chapelle de St Jean-Baptiste, pendant, qu'on creusait au
milieu de la nef le caveau où on devait le descendre. 878 Le seize Août, après
une messe célébrée pour le repos de son âme, on déposa le corps dans le caveau
préparé. Un procès verbal que j'ai entre les mains indique d'une manière
précise la forme du tombeau et les autres particularités concernant cet objet.
Sur la pierre tumulaire, on lit cette inscription: Jean-Marie Baptiste Vianney,
Curé d'Ars. Les fidèles en grand nombre viennent prier sur cette tombe; mais je
n'ai jamais rien vu qui ressemblât à un culte public.
Juxta vigesimum quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Le Serviteur
de Dieu a joui pendant sa vie d'une grande réputation de sainteté; on ne
l'appelait que le saint Curé. Cette réputation n'avait d'autres causes que la
vie extraordinaire, les vertus et les dons surnaturels de Mr Vianney. Par
réputation, j'entends l'opinion qu'on a d'une personne. Cette réputation de
sainteté était générale; elle était partagée par les personnes de toutes les
classes, de tous les pays. On voyait accourir à Ars des personnages très haut
placés. On y a vu un bon nombre d'évêques. L'ambition des pèlerins, que sa
réputation de sainteté lui amenait de toutes les parties du monde, ne se
bornait pas à le voir, à lui parler, à recevoir sa bénédiction; elle allait
encore à vouloir posséder un souvenir de lui, un objet qu'il avait béni, une
image ou un livre qu'il avait signé. Son nom se trouvait sur toutes les
bouches; son portrait se trouvait partout. Un grand nombre de pèlerins
désiraient avoir quelque objet qui eût appartenu au Curé d'Ars; on nous en
réclamait continuellement. Plusieurs ne pouvant être satisfaits, coupaient des
morceaux de sa soutane, de son surplis, de son chapeau; lui enlevaient des
feuillets de son bréviaire, prenaient son catéchisme. On était obligé de faire
la garde autour du bon Curé.
Les habitants
de Dardilly, sa paroisse natale, enviaient à celle d'Ars le trésor qu'elle
possédait. Ils firent faire à Mr Vianney un testament par lequel il demandait à
être enterré à Dardilly. Quand on le sut à Ars, ce fut une véritable
consternation; l’Évêque dut intervenir pour faire changer le testament. 879
Quand Mgr lui en fit la proposition, Mr Vianney, tout confus, répondit: Pourvu
que mon âme soit auprès du bon Dieu, peu m'importe le lieu où sera mon cadavre.
Il fit le testament comme Mgr le désirait. Il le refit dans sa dernière
maladie, à la demande de Mr Toccanier, de Mr des Garets. Après la mort, les
habitants de Dardilly réclamèrent avec instances une partie du corps du
Serviteur de Dieu. On ne put les satisfaire.
Cette
réputation de sainteté n'a jamais été interrompue; jamais personne, à ma
connaissance, ne l'a attaquée. Elle semble, depuis la mort, aller en
augmentant; j'en juge par l'affluence très considérable des pèlerins, qui
viennent de tous les cotés.
Quant à moi,
je regarde le Serviteur de Dieu comme un grand saint.
Juxta vigesimum sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Ce que je
viens de dire à l'interrogatoire précédent répond à celui-ci.
Juxta
vigesimum septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Une personne
de Rive-de-Cier, atteinte d'un mal très grave à un pied, arriva à Ars la veille
de la mort de Mr le Curé. Elle fit toucher des bandelettes de toile au corps de
Mr Vianney, lorsqu'il était exposé, après sa mort; puis elle s'en enveloppa le
pied; le lendemain, elle fut complètement guérie. Je l'ai vue à la sacristie,
elle frappait du pied et marchait comme si elle n'avait jamais eu aucun mal, et
cela en présence de plusieurs personnes.
Le premier
Mai mil huit cent soixante-deux, un enfant de St Laurent-les-Mâcon, perclus de
tous ses membres, ayant par jour dix-huit à vingt crises d'épilepsie, fut
apporté à Ars par ses parents. Le trois Mai, Mr le Curé de Si Laurent écrivit à
Mr Toccanier pour lui annoncer que l'enfant était guéri. Je l'ai vu moi-même à
la fin de la neuvaine marcher parfaitement, courir et sauter sur les fondations
de la nouvelle église. Sur la recommandation de Mgr de Belley, une neuvaine en
l'honneur du Curé d'Ars avait été faite dans la famille de l'enfant. J'ai revu
plusieurs fois l'enfant; il était toujours bien portant.
J'ai entendu
citer un certain nombre de faits; mais je ne connais pas assez les détails pour
les donner ici.
Voici ce qui
m'est arrivé à moi-même: l'année même de la mort de Mr Vianney, au mois de
Novembre, je tombai malade et je gardai le lit pendant cinq semaines. 880 La
dernière surtout fut très mauvaise. Comme je transpirais beaucoup, on était
obligé de changer mon linge plusieurs fois par jour. Un soir, le Frère qui
voulut me rendre ce service, ne trouvant pas la clef de l'armoire du linge, alla
me chercher dans une malle une des quelques chemises que nous avons du Curé
d'Ars. Je la pris sans le savoir. Un quart d'heure après, me trouvant très
bien, je demandais à me lever: ce que je fis sans peine. Je restai levé assez
longtemps. On venait de terminer une neuvaine faite pour moi en l'honneur de
Ste Philomène et du Curé d'Ars. Le médecin vint me voir le lendemain matin et
fut étonné de me trouver si bien; néanmoins il m'ordonna de prendre encore
quelques remèdes, mais je ne pus le faire: ces remèdes me fatiguaient au lieu
de me soulager.
Je possède
une fiole renfermant du sang de Mr Vianney, provenant d'une saignée qu'on lui
fit le trente Décembre mil huit cent, cinquante-trois. Ce sang est toujours
resté liquide. Le sang que d'autres personnes ont gardé, quoique ne provenant
pas de la même saignée, est pareillement resté liquide.
Juxta
vigesimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
En parlant de
la Patience, j'ai oublié le fait suivant: Mr Vianney eut beaucoup à souffrir du
caractère d'un prêtre auxiliaire, d'ailleurs plein de dévouement pour lui.
Ayant entendu un jour une scène pénible, j'en exprimai ma douleur à Mr le Curé:
Vous l'avez donc entendu? me dit-il; tant pis. Il n'y a point de mal quand
personne, ne s'en aperçoit. J'y suis bien habitué. Puis il se mit à excuser son
confrère. Mr le Curé, un mercredi saint, je crois, me fit appeler et me pria
d'écrire une lettre dont il me dicta le sens et presque les paroles. Cette
lettre devait mettre fin à tout en amenant l'éloignement de l'ecclésiastique en
question. La lettre était du reste pleine de charité. Quand je la présentai à
Mr le Curé pour la faire signer, il la lut et la déchira en disant: J'ai pensé
: que le bon Dieu avait porté sa croix cette semaine. Je puis bien porter aussi
la mienne à mon tour.
881 Et expleto examine super
Interrogatoriis, deventum est ad Articulos, super quibus testi lectis, dixit,
se tantum scire, quantum supra deposuit ad Interrogatoria, ad quae se retulit.
Sic completo
examine, integra depositio jussu Rmarum Dominationum : suarum perlecta fuit a
me Notario a principio ad finem testi supradicto alta et intelligibile voce.
Qua per ipsum bene audita et intellecta respondit se in eamdem perseverare, et
illam iterum confirmavit.
PROCES DE BEATIFICATION ET
CANONISATION D E
SAINT
JEAN MARIE BAPTISTE VIANNEY
CURE D'ARS
PROCES INFORMATIF ORDINAIRE
673 Session 71 – 1er Août
1863 à 8h du matin
674 Juxta primum Interrogatorium, monitus testis de vi et natura
juramenti, et gravitate perjurii, praesertim in causis Beatificationis et
Canonizationis, respondit:
Je
connais la force et la nature du serment que je viens de prêter et la gravité
du parjure que je commettrais si je venais à le violer.
Juxta
secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je m'appelle Jeanne Marie Chanay; je suis
née à Jassans, diocèse de Belley; je suis âgée de soixante-quatre ans. Mes
parents étaient cultivateurs et vivaient de leur travail. Je n'ai pour
subsister que les modestes ressources qu'ils m'ont laissées.
Juxta
tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Non
seulement j'accomplis le précepte de la confession et de la communion pascales,
mais encore j'ai l'habitude de me confesser souvent et de communier tous les
jours.
Juxta
quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je
n'ai jamais eu de procès; je n'ai jamais été traduite en justice; seulement
j'ai comparu comme témoin deux fois pour la même cause.
Juxta
quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n'ai point encouru de censures ni de
peines ecclésiastiques.
Juxta
sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Personne, ni de vive voix, ni par écrit,
ne m'a suggéré ce que je dois déposer ou passer sous silence. Je n'ai pas lu
les Articles du Postulateur. Je déposerai ce que j'ai vu ou entendu moi-même,
ce que j'ai appris de témoins oculaires ou auriculaires dignes de foi.
Juxta
septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
675 J'ai toujours eu une grande affection pour Mr le Curé d'Ars et
une grande confiance en lui. Je ne suis poussée à déposer par aucune
considération humaine, aucune espérance, aucune crainte. Je me propose
uniquement en cela la gloire de Dieu.
Juxta
octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai
ouï dire que Mr Vianney était né dans le mois de Mai; je ne me rappelle pas
l'année. Je ne connais pas les noms de ses parents. Il m'a raconté souvent que
sa mère l’élevait dans les sentiments de foi et de piété et qu'elle lui parlait
souvent du bon Dieu. Sur son baptême je sais seulement qu'on eut quelque peine
à lui trouver un parrain et une marraine. Je ne sais rien relativement à la
confirmation.
Juxta
nonum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai
entendu dire que le Serviteur de Dieu a passé son enfance et son adolescence
dans la paroisse de Dardilly; qu'il s'occupait de la culture des champs et de
la garde des troupeaux; que ses mœurs avaient toujours été pures et sa piété
fervente.
Juxta
decimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Le Serviteur de Dieu m'a raconté qu'il
avait quitté les travaux des champs pour se livrer à l'étude. Il désirait
vivement être prêtre pour sauver les âmes et procurer la gloire de Dieu. Il
apprenait avec beaucoup de difficulté; cependant Mr Balley, curé d'Ecully, chez
lequel il étudiait, l'encourageait beaucoup.
Juxta
undecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
La
conscription militaire obligea Mr Vianney, comme il me l'a dit lui-même,
d'interrompre le cours de ses études. Il prit sa feuille de route à Lyon et se
rendit à Roanne, où il tomba malade. Revenu à la santé, il partit pour
rejoindre l'armée; en marchant, il disait son chapelet : Je ne l'ai jamais dit
de meilleur coeur, me disait-il. Il rencontra un inconnu qui lui proposa de
prendre son sac et de le conduire. Ils voyagèrent ensemble à travers les bois
et arrivèrent auprès d'une chaumière pendant la nuit. La commune dans laquelle
Mr Vianney se trouvait, était la commune des Noës. Là, il s'occupa de la
culture des champs; il donna des leçons aux enfants et leur fit le catéchisme.
Pendant ce temps, Mr Balley faisait prier pour lui. J'ai appris depuis de
plusieurs habitants des Noës que le Serviteur de Dieu avait été parmi eux un
modèle de foi, de piété et de conduite chrétienne. Il put enfin revenir à
Ecully et continuer ses études.
Juxta
duodecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
676 Je sais que Mr Vianney persévéra dans son dessein d'embrasser
la carrière ecclésiastique et qu'il reçut la prêtrise à Grenoble au moment de
l'invasion des Autrichiens.
Juxta
decimum tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je sais qu'il fut nommé vicaire de la
paroisse d'Ecully; j'ignore combien de temps il exerça cette fonction.
Juxta
decimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai entendu dire que le Serviteur de
Dieu fut nommé Curé d'Ars. Je ne connais ni le jour, ni le mois, ni l'année de
sa nomination. Quant aux abus qui régnaient dans la paroisse, je sais seulement
que les habitants aimaient beaucoup à s'amuser et s'adonnaient en particulier
au plaisir de la danse.
Juxta
decimum quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je ne sais si les confréries du Rosaire
et du St Sacrement existaient au moment de l'arrivée de Mr Vianney à Ars, mais
je puis affirmer qu'il donna à ces confréries une vive impulsion et qu'il établit
les confréries du Rosaire vivant et du Sacré Coeur. Afin d'élever les jeunes
filles dans la piété, il fonda une Providence pour les recevoir. Je fus chargée
de la diriger avec deux autres filles. Plus tard, il créa l'école des frères,
qui fut confiée à la Congrégation des frères de la Sainte Famille de Belley.
Des religieuses de St Joseph nous remplacèrent à la Providence. Nous n'avions
pas de règles particulières; nous suivions un règlement qui déterminait
seulement l'ordre général de la maison. J'ignore si Mr le Curé d'Ars s'était
entendu avec Mgr de Belley pour ces différentes fondations; je le suppose.
Juxta
decimum sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai entendu dire que Mr Vianney, avant
de venir à Ars, s'était toujours distingué par une très grande vertu, et je
sais personnellement que depuis son arrivée dans cette paroisse, il a
fidèlement accompli jusqu'à la mort tous les commandements de Dieu et de
l'Eglise, toutes ses obligations de prêtre, de curé et de directeur des oeuvres
qu'il avait établies. Je n'ai jamais rien vu ni appris de contraire à
l'accomplissement de ses devoirs.
Le zèle de Mr Vianney ne se bornait
pas à sa paroisse; 677
il allait dans les paroisses voisines aider
ses confrères pour les missions et les jubilés. Il rentrait tous les samedis et
prenait toutes les précautions nécessaires pour que ses paroissiens n'eussent
pas à souffrir de ses absences. La charge de curé lui inspirait des craintes à
cause de la responsabilité qui l'accompagne. Il aurait voulu aussi avoir plus
de temps pour s'occuper de sa sanctification et de son salut. Ce furent les
motifs qui l'engagèrent deux fois à quitter sa paroisse. Je suis assurée qu'il
ne voulait point se soustraire à l'obéissance qu'il devait à son évêque et
qu'il avait l'espérance qu'après son départ, on lui accorderait l'autorisation
qu'il désirait.
Juxta
decimum septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je sais que le Serviteur de Dieu a eu à
supporter pendant bien des années des injures, des persécutions de la part des
laïques et même des ecclésiastiques. J'ai entendu dire qu'on poussait des cris
sous ses fenêtres et qu'on avait affiché à sa porte des placards injurieux. Le
Serviteur de Dieu supportait tout avec patience et était disposé à rendre service
aux personnes qui lui faisaient de la peine.
Juxta
decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je sais et j'ai entendu dire que le
Serviteur de Dieu a pratiqué avec éclat toutes les vertus chrétiennes jusqu'à
la mort.
Quoad
Fidem, testis respondit:
La
foi de Mr Vianney se manifesta dès sa plus tendre enfance. Il aimait à
apprendre et à faire ses prières; il se mêlait avec empressement à tous les
exercices de piété; il était très fidèle à tous les enseignements de sa mère,
qui était très pieuse et qui l’aimait beaucoup. Je tiens ces détails de la sœur
de Mr Vianney. Il avait une petite statue de la Ste Vierge devant laquelle il
faisait volontiers ses petites prières; il ne s'en séparait pas et allait
jusqu'à la mettre coucher avec lui dans son lit. Pendant qu'il était encore
fort jeune, il disparut un jour durant plusieurs heures de la maison
paternelle. Sa mère, très inquiète, le chercha longtemps. Elle le trouva enfin
dans l'étable, priant à genoux et avec la plus grande ferveur.
Lorsqu'il
fut capable de garder les troupeaux dans les champs, il aimait à se retirer à
l'écart pour prier. Afin d'être libre de le faire plus longtemps et plus
souvent, il donnait de petits cadeaux à ses camarades pour les déterminer à
veiller sur son troupeau pendant son absence. Il agissait de même pour se
procurer le bonheur d'entendre la sainte messe les jours sur semaine. Dans ses
jeux avec ses camarades, il aimait à imiter les cérémonies de l'Eglise.
678 Mr Vianney, devenu Curé d'Ars, nous parlait avec tant de plaisir
de sa première communion, que j'ai lieu de croire qu'il l'a faite avec une
grande ferveur. Sa foi ne s'affaiblit pas lorsqu'il étudia pour être prêtre.
Ayant très peu de succès dans ses études et désespérant de pouvoir réussir dans
le dessein qu'il avait de parvenir à l'état ecclésiastique, il fit voeu d'aller
à pied en demandant l'aumône au tombeau de St François Régis. C'est ce qu’il
exécuta; mais il eut à dévorer chemin faisant tant de rebuts et de paroles
injurieuses, qu'il fut obligé de faire commuer son voeu pour le retour.
Je
sais d'une manière générale que durant le commencement de ses études, pendant
son séjour aux Noës, à son retour à Ecully et tandis qu'il était au grand
séminaire, Mr Vianney s'est fait remarquer par son grand esprit de foi. Je ne
sais rien de particulier sur son ordination, sinon que Mr Balley avait répondu
pour lui et il ajoutait à ce sujet que Mr Balley aurait bien à faire à cause de
cela quelques années de purgatoire!
Je
n'étais pas encore à Ars au moment où Mr Vianney y est arrivé comme Curé;
j'habitais une paroisse voisine. Je sais que la bonne odeur de ses vertus s'est
répandue rapidement à Ars et dans les lieux environnants. Attiré moi-même par
la réputation du Serviteur de Dieu, je n'ai pas tardé à me mettre sous sa
direction. Dès les premiers temps de son ministère, il passait une grande
partie de sa journée et même de la nuit à l'église.
Après
quelques années, j'ai été employée à l'oeuvre de la Providence. Je puis
témoigner que j'ai vu dès lors Mr Vianney mettre le plus grand zèle à corriger
les abus de sa paroisse et à faire fleurir la vertu et la piété. Il s'élevait
avec force dans ses instructions, qu'il préparait avec peine et néanmoins avec
le plus grand soin, contre les cabarets, les danses, le travail du Dimanche. A
force de sollicitations et de zèle, il amena insensiblement ses paroissiens à
la pratique de la visite du saint Sacrement, à la communion fréquente parmi les
femmes. Il vint à bout d'amener les hommes à s'approcher régulièrement des
sacrements. 679 La transformation de la paroisse fut si complète qu'après
quelques années, il put dire en chaire avec vérité: Ars n'est plus Ars. Le
moyen qui lui avait le plus servi pour déraciner les abus et établir la piété,
il l'avait trouvé dans les confréries, qu'il avait ou ranimées ou fondées.
681 Session 72 - 1er Août 1863 à 3h de l'après-midi
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Le
Serviteur de Dieu était si bien venu à bout de faire cesser le travail du
Dimanche, que les nombreuses voitures publiques qui amenaient à Ars les
pèlerins, n'y arrivaient pas et n'en partaient pas ce jour-là; il en fut ainsi
jusqu'à l'établissement du chemin de fer. Depuis lors, elles arrivèrent à Ars,
mais s'arrêtèrent au-dessus du village.
682 La Foi faisait mettre à Mr Vianney tout en oeuvre pour détruire
les abus de sa paroisse et en particulier les danses; il eut surtout recours à
la mortification personnelle. Je lui ai entendu dire un jour qu'il en ferait
jusqu'à ce qu'il n'en pourrait plus. Je sais qu'il a donné de l'argent à un
ménétrier pour l'empêcher de faire danser.
Sa
foi parut beaucoup dans les diverses missions auxquelles il prit part et il
donna une si haute idée de sa piété, que ce fut l'origine du pèlerinage. Il
avait la plus grande estime pour tout ce qui tient au culte divin; il procura à
sa pauvre église les plus beaux ornements. Quand il en avait reçu de nouveaux,
il venait à la Providence et nous en témoignait toute sa joie. Il attachait
beaucoup d'importance aux processions du Saint Sacrement, faisait préparer de
beaux et nombreux reposoirs et portait lui-même la sainte Hostie, avec les
sentiments de la foi la plus vive.
Il
avait le plus grand respect pour le prêtre et il cherchait à l'inspirer dans
ses instructions et ses conversations.
A
l'autel, son attitude frappait tous ceux qui assistaient à la messe. Je l'ai
moi-même peu vu, parce que je m'efforçais de mettre en pratique ce qu'il
recommandait si souvent: d'être entièrement recueilli pendant le saint
sacrifice et de ne pas regarder même le prêtre. Dans ses discours publics et
ses catéchismes, il manquait rarement de parler de la sainte Eucharistie. Il y
avait alors quelque chose d'extraordinaire dans son attitude; on aurait dit que
l'amour de Dieu sortait de son coeur et respirait dans tous ses traits. Quand
il parlait de l'amour de Dieu, il était comme hors de lui-même. Être les amis
du bon Dieu, disait-il, quel bonheur! Et il prononçait ces paroles avec de tels
sentiments de foi que tous ses auditeurs en étaient émus. Il peignait aussi
avec les traits les plus admirables le bonheur d'une âme en état de grâce. Il
la comparait à une perle précieuse, ou se servait d'autres charmantes
comparaisons. L'un des sujets les plus habituels de ses discours, c'était
l'action du St Esprit sur les âmes. 683 Il disait que le St Esprit est tout
entier à notre service pour nous combler de ses dons. Il pratiquait et
recommandait beaucoup la prière. Il disait que par la prière, l'âme est comme
un poisson dans l'eau; plus les eaux sont abondantes, plus le poisson est
content. Plus l'âme se livre à la prière, plus elle est heureuse.
Il
avait un goût prononcé pour les croix et il nous engageait nous-mêmes à les
porter avec courage. Je lui disais un jour: Mais, Mr le Curé, s'il ne me
fallait manger que des prunes toutes vertes, il faudrait donc m'en contenter? -
Sans doute, me répondit-il. Il disait aussi que les croix étaient pleines de
douceur et qu'elles étaient comme un peu de vinaigre avec beaucoup d'huile. Il
disait encore que lorsqu'on aimait les croix, on n'en avait jamais point; mais
que lorsqu'on les repoussait, on en était écrasé. Il ajoutait: La plus grande
croix, c'est de n'en point avoir.
Je
crois qu'il vivait entièrement de l'esprit de foi et qu'il n'y avait aucune de
ses actions qui n'en fût animée.
Dans
sa première grande maladie, il montra un grand esprit de foi. Comme, au moment
de l'administrer, on lui dit qu'on ne sonnerait point les cloches, afin de ne
pas trop émouvoir ses paroissiens: Non, dit-il, faites sonner; un curé a assez
besoin qu'on prie pour lui.
Quoad
Spem, testis interrogatus respondit:
Ma
conviction est que Mr Vianney a pratiqué toute sa vie et jusqu'à sa mort, dans
un très haut degré, l'espérance chrétienne. Je ne sais rien à ce sujet sur sa
jeunesse; seulement il est facile de conclure par le pèlerinage qu'il a fait au
tombeau de St François-Régis que dès lors il ne comptait que sur Dieu pour
obtenir des succès suffisants dans ses études.
La
preuve que dans les premiers temps de son ministère à Ars, il a pratiqué la
vertu d'espérance, c'est qu'il a compté beaucoup plus pour la réforme de sa
paroisse, sur la prière que sur tout autre moyen. Il avait la plus grande
estime pour les biens éternels; aussi parlait-il du Ciel avec un bonheur
ineffable. 684 Un jour en parlant du Ciel, après avoir dit que la foi et
l'espérance n'existeront plus, il ajouta: Mais l'amour! Oh! nous en serons
enivrés, nous serons noyés, perdus, dans l'océan de l'amour divin. Il montrait
qu'il n'était pas aussi difficile d'aller au Ciel qu'on le croyait communément.
Le bon chrétien, disait-il, est comme sur un beau char, dont Jésus-Christ
lui-même est le conducteur; mais le pécheur au contraire est attelé à la
voiture et le démon frappe sur lui à grands coups pour le faire avancer.
L'amour
et l'espérance du Ciel lui inspirait une vive horreur du péché qui le fait
perdre, et une grande compassion pour les pauvres pécheurs. Il parlait
fréquemment de leur malheur; il disait quelquefois: Ah! si je pouvais me
confesser pour eux... Il s'appliquait de toutes ses forces à leur inspirer des
sentiments de confiance, et il en venait ordinairement à bout.
Il
s'abandonnait entièrement à la divine Providence, et nous recommandait
fréquemment d'en faire autant. Quelquefois, comme nous étions dans une certaine
détresse au sujet de nos enfants, je montrais quelque inquiétude: il m'en
reprenait sévèrement. Il témoignait souvent sa reconnaissance pour tous les
bienfaits dont Dieu l'avait comblé.
Il
fut fréquemment en butte aux assauts du démon. Il nous parlait assez
facilement, même en présence des enfants, des attaques dont il était l'objet de
la part de cet ennemi du salut. D'après ses récits, nous avons pu conclure que
assez souvent le démon allait frapper à la porte de sa cure, puis à celle de sa
chambre, qu'ensuite il entrait, faisant de grands bruits, frappant sur le pot à
eau comme sur un tambour, s'approchant de son lit, le soulevant, se moquant de
lui, ricanant de toutes manières. Il lui arrivait aussi de bondir comme un
cheval dans un appartement au-dessous de sa chambre. Les premières fois que ces
manifestations arrivèrent, Mr Vianney fut effrayé, craignant d'avoir affaire à
des voleurs, ou à des personnes qui voulaient lui faire peur; il fit même venir
pendant quelques nuits plusieurs jeunes gens pour le garder; 685 l'un d'eux
nommé Verchère entendit un soir quelques bruits et fut très épouvanté. Mr
Vianney ayant deviné plus tard la cause de tous ces bruits, riait fort, en nous
racontant cette aventure, de la frayeur du pauvre homme: Mon pauvre Verchère,
disait-il, était tout tremblant avec son fusil; et il représentait avec une
attitude fort plaisante son embarras.
Quelque
ferme que fût l'espérance du Curé d'Ars, il ne laissait pas que d'avoir une
grande frayeur des jugements de Dieu; il craignait d'être damné, se regardant
comme le plus grand et le plus misérable des pécheurs. Il nous parlait
quelquefois de ses appréhensions dans des termes qui nous inspiraient une
véritable compassion. Ses terreurs m'ont presque toujours paru avoir pour cause
la responsabilité de son ministère. Je ne suis pas fâché d'être prêtre,
disait-il quelquefois; mais je ne voudrais pas être curé. Cette crainte des
jugements de Dieu se manifesta d'une manière frappante dans sa première
maladie.
La
vue du péché l'attristait profondément. Il disait que quand on voyait tant de
mal dans le monde, on ne pourrait pas y rester si l'on ne rencontrait pas de
temps en temps quelques bonnes âmes. Quand on pense, disait-il en pleurant à
chaudes larmes, à l'ingratitude des hommes envers Dieu, on est tenté de s'en
aller de l'autre coté des mers pour ne pas en être témoin. C'est effrayant!
Encore, si le bon Dieu n'était pas si bon! Mais il est si bon!
Il
disait quelquefois en riant: Ah! je connais quelqu'un qui serait bien attrapé,
s'il n'y avait point de paradis!
C'est
parce qu'il se regardait comme très misérable et incapable de bien remplir ses
fonctions de curé qu'il a pris deux fois la fuite, pour être libre de prier
plus à son aise et de travailler à son salut, non moins que pour pleurer, comme
il disait, sa pauvre vie.
686 Quoad caritatem, testis interrogatus respondit:
Je
suis profondément convaincue que le Serviteur de Dieu a pratiqué la charité
d'une manière très parfaite. On en vit en lui les signes dès sa plus tendre
enfance. C'est pour se livrer plus facilement à ce besoin d'aimer Dieu qu'il
recherchait la solitude, s'adonnait à la prière. Nommé vicaire à Ecully, il
rivalisa de piété avec Mr Balley, son curé, dont il nous parlait souvent avec
reconnaissance. Dès les premiers temps de son ministère à Ars, sa vie fut tout
amour de Dieu. Il s'appliqua à sa sanctification personnelle et à celle de ses
paroissiens. Ce fut pour les amener à la piété qu'il fonda ou ranima les
diverses confréries dont j'ai déjà parlé. Il y déploya un grand zèle. Il
poussait vivement à la fréquentation des sacrements. Tous ceux qui s'approchent
des sacrements, disait-il, ne sont pas des saints; mais les saints seront
toujours pris parmi ceux qui les reçoivent souvent. Dans ses instructions, ses
catéchismes, ses conversations, tout en lui débordait du sentiment de l'amour
de Dieu. De là encore son zèle pour le culte divin, l’ornement des autels et de
l'église, les processions du St Sacrement. Au saint sacrifice de la messe, on
remarquait son amour pour Notre Seigneur. Quand il parlait de la charité de ce
divin maître, il semblait ne plus pouvoir se contenir. Être aimé de Dieu,
disait-il, quel bonheur! Et sa voix était profondément émue.
En
confession, quelques paroles sorties de sa bouche inspiraient l'horreur du
péché et l'amour de Dieu. Il ne perdait guère, même au milieu de la foule qui
l'accablait, le sentiment de la présence de Dieu et l'union de son âme avec
lui. Un chrétien, disait-il, ne devrait pas plus perdre la pensée de Dieu que
la respiration. Il était insensible à toutes les choses de ce monde ou ne s'y
intéressait qu'autant qu'elles avaient Dieu pour objet. Lorsqu'il apprenait
quelques nouvelles contraires à l'honneur de Dieu et au bien de l'Église, il en
était profondément attristé.
Mr
Vianney était arrivé à cette charité parfaite par l'esprit de sacrifice et le
détachement de lui-même ; aussi les peines, les croix, les contradictions,
loin de l'abattre, le fortifiaient-elles dans son amour pour Dieu. - S'il fut
tourmenté plusieurs fois par la pensée de quitter sa paroisse, et s'il essaya
deux fois de fuir, il était poussé par le désir d'aimer Dieu davantage.
687 Lorsque le démon le tourmentait plus que de coutume, il
en concluait que quelque grand pécheur ne tarderait pas de lui arriver.
L'expérience lui avait appris qu'il en était ainsi ordinairement.
689 Session 73-3 Août 1863 à 3h de l'après-midi
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Mr
Vianney n'a pas moins pratiqué la charité à l'égard du prochain qu'à l'égard de
Dieu. Je sais que lorsqu'il était élève, l'un de ses condisciples se faisait un
jeu de le tourmenter. 690 Mr Vianney souffrit avec tant de patience ces mauvais
traitements et lui témoigna tant de bonté que celui-ci en fut profondément
touché et devint ensuite l'un de ses amis les plus dévoués; ce condisciple
était Mr Loras, devenu depuis évêque de Dubuque, en Amérique.
Dès
son arrivée dans la paroisse d'Ars, il témoigna beaucoup d'affection à tous les
habitants; il les visita dans leurs maisons, les traitant avec une familiarité
pleine de dignité. Les paroissiens regrettèrent beaucoup ses visites lorsque
l'affluence des étrangers absorba tous les instants de leur curé.
On
peut dire que Mr Vianney se proposait constamment le bien du prochain; il
offrait ses souffrances du jour pour la conversion des pécheurs, et celles de
la nuit pour la délivrance des âmes du purgatoire. Je lui ai souvent entendu
dire qu'il souffrait vingt fois plus la nuit que le jour. C'était un
soulagement pour lui quand il pouvait dormir deux heures. Rien de plus dur
cependant que sa journée. Pendant les grandes chaleurs, il était au
confessionnal comme dans une étuve; il y étouffait. Il lui arrivait souvent de
se lever avant minuit. Je lui disais quelquefois en riant: Mais, Mr le Curé,
vous ne faites pas votre prière du matin!..., voulant lui dire qu'il était déjà
à l'oeuvre avant minuit.
Il
gémissait constamment sur la perte des âmes; j'ai entendu dire à Mr Toccanier
qu'il lui a exprimé cette pensée qu'il consentirait volontiers à rester sur la
terre jusqu'à la fin du monde pour sauver des âmes. C'est le zèle pour le salut
des âmes qui l'a porté à fonder un si grand nombre de missions. Cette oeuvre
était son oeuvre favorite. Il engageait vivement à y concourir.
Sa
charité le portait à venir au secours de ses confrères du voisinage en leur
prêtant son concours dans la visite des malades, dans l'administration des
sacrements lorsqu'ils étaient infirmes ou absents. C'est la même raison qui l'a
engagé à leur venir en aide dans les missions ou jubilés.
Il
passait sa journée presque entière et une bonne partie de la nuit au
confessionnal. Lorsqu'il se levait de meilleure heure que de coutume, il
encourageait son corps en lui promettant quelques instants de repos pendant le
jour; mais ensuite il n'en faisait rien; il l'attrapait, disait-il lui-même, en
ajournant ce même repos pour la nuit. Ses relations avec le prochain étaient
pleines de bonté et d'affabilité, sans distinction de personnes. Il avait
néanmoins une prédilection particulière pour les pauvres, les infirmes, les
estropiés; il leur donnait tout ce qu'il pouvait, ce qu'on lui préparait à
lui-même pour sa nourriture, les draps de son lit, son linge; il vendit à leur
profit tout ce qui lui appartenait, ses pauvres meubles, sa montre, que l'on
fut obligé plusieurs fois de remplacer en lui en achetant ou en lui en prêtant
une autre. Nous étions obligées de prendre les plus grandes précautions pour lui
conserver les objets les plus nécessaires à son usage. Un jour, je lui avais
remis une paire de souliers fourrés tout neufs; j'avais malheureusement oublié
de lui soustraire ceux dont il usait auparavant. Quel ne fut pas mon
étonnement, le soir, de ne lui voir aux pieds que ses vieux souliers. Vous les
avez donnés! lui dis-je avec humeur. - Peut-être bien..., me répondit-il
tranquillement. Ceci se passait à la cure. Un instant après, craignant de
m'avoir fait de la peine, il vint à la Providence et m'adressa quelques bonnes
et consolantes paroles. Il lui arriva aussi une autre fois de donner à un
pauvre un haut de chausses dont on lui avait fait cadeau quelques jours
auparavant.
Il
y avait dans la paroisse une pauvre vieille aveugle, nommée la mère Bichet; il
aimait à lui porter quelques provisions, et souvent ce qu'il avait de mieux; il
les déposait doucement et sans rien dire dans son tablier. La bonne vieille, ne
sachant pas que c'était Mr le Curé, croyant plutôt que c'était une voisine,
répondait: Merci, ma mie. Mr Vianney riait de bon coeur de cette réponse. Un
jour, Melle Lacan, l'une des filles qui le servaient de temps en temps, avait
déposé en son absence dans un des meubles de la cure un petit pâté, pensant
bien régaler Mr le Curé. Lorsque celui-ci fut rentré, elle lui dit en ma
présence: Mr le Curé, voulez-vous prendre quelque chose? Vous en avez bien
besoin. - Oh! non, répondit-il. - Eh! bien, vous accepterez au moins un peu de
pâté. - Tout de même, répondit-il avec empressement. Melle Lacan, tout
heureuse, m'envoya vite chercher le pâté; mais le pâté avait disparu. - Vous
l'avez donc donné! lui dit Melle Lacan. - Peut-être bien, reprit-il.
Il
payait beaucoup de loyers, soit dans la paroisse d'Ars, soit ailleurs.
Souvent
il venait à la Providence et nous dérobait nos provisions, du pain, etc., qu'il
se hâtait de porter aux pauvres. Il usait des plus ingénieuses industries pour
ne point laisser apercevoir ses générosités; il cachait habilement sous sa
soutane les divers objets qu'il destinait aux pauvres. Sa charité parut surtout
dans l'établissement et l'entretien de la Providence; il lui consacra toutes
les ressources personnelles dont il pouvait disposer. Il nous fit recueillir un
nombre considérable de malheureuses orphelines, qui nous arrivaient souvent à
moitié nues et toutes couvertes de vermine. Rien n'égalait la tendre affection
qu'il portait à ces pauvres enfants. 693 Quelquefois, dans les commencements
surtout, nous étions bien dans la gêne; il me grondait quand je m'inquiétais.
Il m'est arrivé une fois de rencontrer devant la petite porte de l'église un
enfant nouveau né. Il nous a ordonné de le recueillir et de le mettre en
nourrice après lui avoir fait son trousseau. De bonnes gens l'ont ensuite
adopté. Une autre fois, ayant appris qu'une femme bien malheureuse était
mourante dans une paroisse voisine, il m'a envoyée auprès d'elle avec une de
mes compagnes, pour prendre son petit enfant, que nous avons fait élever.
Une
autre preuve de sa charité, c'est l'établissement des frères, qu'il a fondé
dans sa paroisse.
Quoad
Prudentiam, testis respondit:
Je
n'ai rien remarqué dans Mr Vianney qui ait pu indiquer qu'il ait jamais manqué
de Prudence chrétienne soit pour lui-même, soit pour les autres.
Pour
lui-même: afin d'assurer plus sûrement sa sanctification, il a constamment eu
recours à la prière et à la mortification; il ne s'est jamais relâché sous ce
rapport. Il y a joint l'application constante à pratiquer toutes les vertus et
les conseils évangéliques. Je puis donner pour exemple de sa Prudence son
pèlerinage à St François Régis et l'habitude où il était d'avoir recours à la
prière et à la mortification quand il voulait connaître la volonté de Dieu.
Pour
le prochain, il montra beaucoup de Prudence dans la manière dont il traita ses
paroissiens dans le commencement de son ministère; quoiqu'il ait déployé
beaucoup de fermeté pour déraciner les abus, jamais il n'a froissé personne.
Pour arriver à la conversion de sa paroisse, il compta beaucoup plus sur les
moyens surnaturels que sur les moyens naturels. 694 Il faisait des pénitences,
se livrait à des jeunes plus rigoureux quand il se proposait quelque bonne
oeuvre à entreprendre, ou quelque abus à déraciner. Il lui arrivait aussi alors
de venir nous trouver et de demander à nos enfants une neuvaine de prières à
son intention.
Il
a montré une grande Prudence dans la fondation et l'entretien des deux
établissements dont j'ai parlé plusieurs fois. Quoiqu'il comptât principalement
sur les moyens surnaturels, il ne voulait pas qu'on négligeât les moyens
humains. Il nous disait souvent qu'il ne fallait pas tenter le bon Dieu, ni lui
demander des miracles.
J'ai
remarqué que les personnes qui venaient à lui pour le consulter, s'en
retournaient contentes et consolées. Quand on le consultait, sa réponse ne se
faisait pas attendre; elle était ordinairement prompte, claire et décisive.
Quelquefois il s'arrêtait un instant, je pense que c'était pour demander à Dieu
des lumières; d'autres fois, il renvoyait sa décision jusqu'après sa messe. Il
prétendait que le prêtre doit toujours être prêt à répondre aux besoins des
âmes. Il doit constamment être enveloppé du St Esprit, disait-il, comme il
l'est de sa soutane.
Relativement
à l'incident de la Salette, je ne sais rien de bien précis pour les détails; mais
j'ai toujours remarqué chez lui une grande réserve à ce sujet. Toutes les fois
qu'on lui en a parlé en ma présence, il a toujours cherché à éluder les
questions qui lui étaient adressées. Cette réserve tenait à ce que ayant cru
d'abord lui-même à l'apparition de la Salette, il avait entendu Maximin lui
dire qu'il n'avait rien vu. Dès lors il avait suspendu son jugement en
attendant celui de l'Eglise.
697 Session 74 - 4 Août 1863 à 8h du matin
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai
la conviction que Mr Vianney a pratiqué la vertu de Justice, soit à l'égard de
Dieu, soit à l'égard du prochain, et qu'il l'a pratiquée non seulement dans les
limites de ses devoirs, mais bien au-delà. Je crois qu'il a grossi le trésor
des indulgences de l'Eglise. On lui disait quelquefois: Mais, Mr le Curé, vous
en faites bien trop! Quand vous arriverez à la porte du paradis, vous serez
bien trop chargé! - Eh! bien, disait-il gaîment, j'en ferai part à mes amis!
Mes précédentes dépositions montrent suffisamment qu'il a parfaitement pratiqué
la Justice à l'égard de Dieu.
J'ai
dit qu'il était bon à l'égard de tout le monde. Il n'aurait pas voulu faire de
la peine à un enfant; mais cette bonté allait jusqu'au respect; ainsi il ne s'asseyait
pas en présence des personnes qui venaient le visiter, quelqu'accablé de
fatigue qu'il fût. Et ce n'était pas simplement pour se reposer de la situation
qu'il avait constamment au confessionnal; car je l'ai vu souvent, immédiatement
après, s'asseoir ou s'appuyer. Il était très respectueux pour les prêtres, pour
les personnes élevées en dignité; mais j'ai toujours remarqué en lui une
tendresse particulière pour les pauvres et les misérables. Il aimait mieux,
disait-il, la visite d'une pauvre femme qui venait lui demander l'aumône, que
celle d'un personnage important.
Dans
ses rapports avec nous, il était plein de bonté et d'attention, mais aussi de
fermeté. Il ne nous mettait pas des coussins sous les coudes.
Il
montrait une profonde vénération pour son père et sa mère et beaucoup
d'affection pour les habitants des Noës. Il avait conservé pour Mr Balley, curé
d'Ecully, les sentiments de la plus vive gratitude. Il n'en parlait qu'avec la
plus vive reconnaissance. Il a conservé longtemps divers objets mobiliers qui
lui avaient appartenu; il a fini cependant par s'en défaire au profit des
pauvres.
Quoad
Obedientiam, testis respondit:
Je
ne doute pas que le Serviteur de Dieu n'ait pratiqué la vertu d'Obéissance
aussi bien que toutes les autres vertus. Il l'avait en telle estime qu'il nous
disait: Un acte de renoncement à sa propre volonté, vaut mieux aux yeux du bon
Dieu que trente ou quarante jours de jeûne. Il avait souvent demandé à son
évêque l'autorisation de quitter sa paroisse. Ses refus réitérés l'ont toujours
trouvé obéissant. 699 Seulement en deux circonstances il a pris la fuite,
convaincu qu'après coup il obtiendrait son assentiment. Mais de lui-même, après
avoir tenté de fuir, il est rentré dans sa paroisse. Quant à ce qui concerne le
fait de sa désertion, je crois que sa désobéissance fut plus apparente que
réelle et que s'il ne rejoignit pas les drapeaux, cela tint plutôt aux
circonstances qu'à un dessein préconçu.
Il
était très obéissant à toutes les lois et prescriptions de l'Église et il a
toujours professé une vénération profonde pour l'autorité du Saint Siège.
Quoad
Religionem, testis respondit:
La
vertu de Religion brillait en Mr Vianney d'une manière toute spéciale. Elle lui
faisait rechercher tout ce qui de près ou de loin se rapportait au culte et à
la gloire de Dieu. Le plus petit objet lui devenait cher dès qu'il avait une
signification pieuse. Il aimait les images, les croix, les scapulaires, les
médailles, les confréries. Il avait une prédilection particulière pour les reliques;
son église, sa chapelle de la Providence, sa chambre, en étaient remplies. Il
était avide d'entendre la parole de Dieu et l'on voyait qu'il s'en faisait
l'application à lui-même. J'ai déposé ailleurs sur sa dévotion au St Sacrement.
Il
tenait en grande estime toutes les pratiques de l'Église, quelques petites
qu'elles fussent. Il nous recommandait de nous mettre volontiers des diverses
confréries; il disait que cela fait toujours du bien; il y a tout à gagner,
rien à perdre. Lui-même était du tiers-ordre de St François. Je sais que dans
la récitation de son office, il se proposait à chaque heure des intentions
particulières, qui avaient surtout pour objet d'honorer la passion de Notre
Seigneur.
Il
avait une tendre dévotion à la Ste Vierge. Elle se manifesta dès son enfance;
il avait une petite statue qui la représentait et quand il allait travailler
dans les champs, il la plaçait à quelques pas devant lui pour s'exciter à son
travail, et quand il l'avait atteinte, il la déplaçait, la portait plus loin et
recommençait ainsi à diverses reprises. Chaque samedi il disait autant que
possible la messe en l'honneur de la Ste Vierge. Je crois que c'est par suite
d'un voeu. Le soir à la prière, il récitait le chapelet de l'Immaculée
Conception. Il ajoutait à l'Ave Maria qu'il avait coutume de dire lorsque
l'heure sonnait, cette invocation: 700 Bénie soit la très sainte et Immaculée
Conception de la bienheureuse Vierge Marie. Il engageait ses paroissiens à être
fidèles à cette pratique. Il mettait le plus grand zèle à propager la dévotion
à la Sainte Vierge. Il a consacré sa paroisse à son Coeur Immaculé, ainsi qu'en
fait foi un tableau déposé dans l'église d'Ars. Il a conduit
processionnellement sa paroisse en pèlerinage à Notre Dame de Fourvières.
Sa
dévotion aux saints n'était pas moins remarquable; il lisait habituellement
leurs vies et en tirait pour ses instructions les traits les plus touchants. Il
n'a pas renoncé à cette lecture, même à l'époque du pèlerinage, lorsqu'il
passait sa journée toute entière au confessionnal et qu'il rentrait chez lui le
soir assez tard et accablé de fatigue. Souvent le matin, en faisant sa chambre,
j'ai trouvé sa vie des saints sur sa table. Il honorait quelques saints d'un
culte particulier, St Joseph, St Jean-Baptiste, Sainte Colette, etc.; mais
surtout sainte Philomène.
Il
s'appliquait dans ses prières au soulagement des âmes du purgatoire; il
engageait non seulement à prier pour elles, mais encore à les prier. Elles ne
peuvent rien pour elles-mêmes, disait-il, mais elles peuvent beaucoup pour
leurs bienfaiteurs.
Il
recommandait beaucoup l’oeuvre de la propagation de la foi et il disait à ce
sujet: Dieu ne permettra pas qu'on perde la foi en travaillant à la procurer
aux autres.
Quoad
Orationem, testis respondit:
Je
crois que l'Oraison de Mr Vianney était continuelle et qu'il ne perdait jamais
de vue la présence de Dieu.
Quoad
Fortitudinem, testis respondit:
Mr
Vianney a pratiqué toute sa vie la vertu de force. Je crois même que c'est
l'une des vertus qui ont le plus brillé en lui. Elle s'est manifestée par sa
confiance en Dieu et sa constance inaltérable, dans set vie mortifiée et dans
ses diverses épreuves.
Quoad
Patientiam, testis respondit:
La
Force de Mr Vianney s'est surtout manifestée par sa patience. 701 Dans les
dernières années de sa vie, il était sujet à de vives douleurs d'entrailles, à
de violents maux de tête; il était tourmenté par une toux fréquente. Je ne l'ai
jamais entendu se plaindre. Quand il succombait et n'en pouvait plus, il disait
agréablement: Ah! vraiment, il y a de quoi rire!... Quel que fût l'excès de sa
fatigue, jamais il n'a différé d'un seul instant d'aller administrer les
sacrements dans sa paroisse et même dans les paroisses voisines. Sa Patience
n'a pas moins paru dans les épreuves et les contradictions auxquelles il a été
en butte. Il nous citait à ce sujet un exemple: Un saint dit un jour à l'un de
ses religieux: Allez au cimetière et dites beaucoup d'injures aux morts; le
religieux obéit. A son retour, le saint lui demanda: Que vous ont-ils répondu?
- Rien. - Eh! bien, retournez encore et vous leur ferez beaucoup d'éloges.
Ayant obéi de nouveau, le religieux revint. - Que vous ont-ils dit cette fois?
- Rien. - Eh! bien, dit le saint, si l'on vous adresse des éloges ou des
injures, faites comme eux.
Il
me reste encore quelques traits à citer sur sa patience. Étant allé un jour
administrer un malade dans une paroisse voisine, après son retour il nous dit:
J'étais plus malade que le malade. Dans une autre circonstance il alla faire un
enterrement dans une paroisse du voisinage; le froid était terrible; il revint
le visage presque gelé. Une autre fois, il fut obligé, après avoir rempli un
ministère semblable, de rentrer de nuit, par des chemins pleins d'eau et de
boue; il arriva à Ars dans un état pitoyable. Dans toutes ces circonstances et
autres semblables, non seulement il ne se plaignait pas, mais il paraissait
content.
En
cela il avait d'autant plus de mérites, qu'il était naturellement très vif. Un
jour, une chose l'ayant fortement contrarié à la Providence, il nous disait: Si
je ne voulais pas me convertir, je me fâcherais. Et en prononçant ces paroles,
il conservait tout son calme.
Quoad
Temperantiam, testis respondit:
La
mortification a paru en Mr Vianney pendant toute sa vie d'une manière
extraordinaire. Je sais que pendant qu'il étudiait à Ecully, il se mortifiait
déjà dans sa nourriture. Il nous parlait souvent des mortifications de Mr
Balley. 702 Nous avons toujours pensé que pendant qu'il était vicaire chez lui,
il s'était appliqué à marcher sur ses traces. Nous lui avons entendu dire
souvent qu'ils mangeaient pendant longtemps ensemble du même mets.
Pendant
les premiers temps de son séjour à Ars, Mme Renard d'abord, Melle Lacan
ensuite, ont eu toutes les peines du monde à lui faire accepter quelques
soulagements. Le plus souvent, il distribuait aux pauvres les provisions qu'on
lui apportait. Un jour, elles lui avaient fait de beaux matefaims; elles
savaient qu'il les aimait beaucoup. Quand il rentra, elles l'engagèrent à en
manger. Eh! bien, disons notre benedicite, dit-il; et il se leva, fit le signe
de la croix, récita la prière avant le repas, prit l'assiette sur laquelle se
trouvaient les matefaims et partit comme un trait pour les porter aux pauvres,
à la grande désolation de ces bonnes filles, qui lui criaient: Ah! Mr le Curé,
nous ne vous les donnons pas! - Je croyais cependant, reprit-il, que tout ce
qui était chez moi m’appartenait.
Elles
désiraient beaucoup manger une fois avec lui. Un jour il les invita et au
repas, il leur servit quelques morceaux de ce mauvais pain qu'il achetait des
pauvres. La leçon fut bonne et l'on se dispensa désormais de revenir à la
charge.
Ce
que je vais dire maintenant m'est tout à fait personnel; je vais parler de ce
que j'ai vu et de ce que j'ai entendu. Il ne se mettait en aucune façon en
peine de tout ce qui concernait ses vêtements. Au commencement et pendant qu'il
avait un peu plus de temps disponible, il raccommodait lui-même ses bas, et à
la longue, il y avait fait tant et de telles coutures, qu'elles devaient lui
déchirer les pieds. Nous étions obligées dans la suite de tenir son linge et de
ne le lui distribuer qu'à mesure qu'il en avait besoin. Vers la fin de sa vie,
nous avions soin de lui faire des vêtements un peu plus chauds, quoique
cependant très simples et très pauvres; il les prenait sans s'inquiéter de
rien.
Il
couchait sur un mauvais lit très dur; chaque soir, avant de se coucher, il en
enlevait le matelas. Afin de ne pas lui donner inutilement cette peine, nous
avons fini par ne plus le mettre. Il n'y avait que peu de feuilles de maïs dans
son garde paille; encore trouvait-il presque toujours qu'il y en avait trop; il
les sortait et les jetait à côté du lit ou au feu. Afin de l'en empêcher, nous
avons pris le parti de coudre toutes les ouvertures de son garde paille. Je me
suis dès lors aperçue, en faisant son lit le matin, qu'il avait repoussé les
feuilles de chaque côté, en sorte qu'entre son corps et la planche du lit, il
n'y avait que l'épaisseur d'une toile. Son traversin était en paille. J'ai
entendu dire que dans les premières années de son ministère à Ars, il vivait
fréquemment de quelques pommes de terre, de quelques matefaims qu'il faisait
cuire lui-même. On m'a assuré qu'il est resté plusieurs jours sans manger. Afin
de le surprendre, on lui dit un jour: Mr le Curé, on dit que vous êtes resté
tant de temps sans manger. - Oh! non, répondit-il, pas autant que cela, on
exagère. J'ai également entendu dire qu'il avait essayé de vivre d'herbages.
703 Je puis assurer pour l'avoir vu que pendant tout un carême, il n'a pas
mangé plus d'une livre de pain avec un peu de lait chaque jour. Il est arrivé
très souvent que nous lui apportions quelque nourriture; nous trouvions la
porte fermée; nous l'appelions; il finissait par nous crier: Je n'ai besoin de
rien, je ne veux rien. On s'en retournait jusqu'à une autre fois. Il nous a dit
fréquemment: Vous ne viendrez pas jusqu'à telle époque; il s'agissait de
plusieurs jours. Malgré ses ordres, nous voulions souvent forcer la consigne;
il était ordinairement inflexible. La même chose est arrivée avant nous à Mme
Renard et à Melle Lacan.
705 Session 75 - 5 Août 1863 à Sh du matin
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Il
n'y a jamais eu une régularité bien exacte dans le nombre et dans les heures de
ses repas; il en faut dire autant de la nature et de la quantité de nourriture
qu'il prenait. Il n'est qu’un seul point dont il ne s'est jamais départi, c'est
l'extrême mortification qu'il a toujours pratiquée. 706 Je puis dire néanmoins
d'une manière générale, que, dans la matinée, à une heure indéterminée, il
prenait un peu de lait. Vers midi, il faisait son repas principal, qui
consistait ordinairement en un bol de lait dans lequel nous mettions
quelquefois un peu de chocolat. Lui-même y émiettait un petit morceau de pain;
c'était tout son repas. Souvent il nous disait de faire réchauffer la tasse de
lait qu'il n'avait point achevée à son déjeuner du matin. D'autres fois, il se
contentait d'un petit plat et il n'en prenait que très peu. Lorsque nous avons
voulu lui préparer plusieurs mets, il nous en a réprimandées et s'est toujours
réduit à un seul. Il n'a jamais voulu laisser mettre de sucre que dans un peu
de café qu'il prenait parfois. Le soir, lorsqu'il rentrait dans sa cure après
une longue journée de confession, il n'acceptait qu'un verre d'eau, dans lequel
il nous permettait de temps en temps de mettre un peu de vin.
Nous
lui faisions fréquemment des observations sur un genre de vie aussi sévère:
J'ai un bon cadavre, nous répondait-il, je suis dur. Si parfois nous ajoutions
quelque chose d'un peu meilleur à sa nourriture, il le refusait en nous disant:
Ce que j'ai l'habitude de prendre est bien encore trop; il y a tant de pauvres
gens qui souffrent et qui n'ont pas suffisamment à manger. Il ajoutait: Si vous
aviez un peu de charité pour moi, vous ne me prépareriez pas tant de choses;
vous me conduirez en purgatoire. Quelquefois néanmoins, pour ne pas trop nous
faire de la peine, il acceptait. Il mangeait ordinairement debout; il lui est
même arrivé de prendre son petit bol de lait, de l'emporter et de le manger en
traversant la place qui est à côté de l'église. Je ne pense pas qu'il consommât
habituellement une livre de pain par semaine.
Les
jours de jeûne, il n'a jamais rien pris dans la matinée, il s'est toujours
contenté de ce repas de midi dont j'ai parlé.
A
la fin de sa vie, il a consenti à apporter quelques légers adoucissements à son
régime; il se les reprochait comme une immortification, et nous disait
fréquemment qu'il était devenu gourmand. C'est alors seulement qu'il a consenti
à accepter quelquefois un peu de viande. Ces adoucissements étaient une
nécessité; sa santé était tellement affaiblie qu'il ne pouvait plus se
soutenir. 707 Ah! si je n'étais pas obligé de parler autant, disait-il, si je
pouvais me retirer dans la solitude, je mangerais bien moins.
J'ai
vu moi-même bien souvent ses instruments de pénitence, et en particulier sa
discipline; elle consistait en trois chaînes de fer, au bout desquelles étaient
attachées, tantôt des plaques du même métal, tantôt de petites clefs. J'ai
remarqué qu'elles n'y restaient pas longtemps et j'en ramassais les débris
épars dans sa chambre. Il m'a demandé une fois sa discipline qu'il avait
perdue. Je lui ai répondu que je ne savais pas ce qu'elle était devenue. Il m'a
priée de lui acheter des chaînes de fer, j'ai refusé. J'ai fréquemment trouvé
ses linges ensanglantés. On connaissait qu'il se donnait la discipline de la
main droite car il y avait beaucoup plus de sang à l'endroit de ses linges qui
correspondait à l'épaule gauche. Je crois qu'il se faisait de temps en temps
des plaies assez profondes, car je trouvais avec le sang des traces de
suppuration. Il a manifesté la volonté qu'on ne le dépouillât pas après sa
mort. Il prétendait que cette mortification corporelle était très utile à
l'âme: Ça réveille les fibres, disait-il. Il la portait jusque dans les plus
petites choses. Il ne respirait jamais une bonne odeur, ne s'appuyait pas quand
il était à genoux. Dans sa dernière maladie, les personnes qui le servaient
chassaient les mouches de son visage; il leur dit: Laissez-moi donc tranquille
avec mes mouches. Quoiqu'il craignît beaucoup le froid, il ne porta jamais
point de manteau. Je n'ai jamais oublié mon manteau, disait-il quelquefois en
riant. Pendant l'hiver, il lui arrivait d'avoir si froid aux pieds qu'il ne les
sentait plus et qu'en sortant du confessionnal, il ne pouvait plus se remuer.
Il ne portait habituellement pas de chapeau.
Quoad
Paupertatem, testis respondit:
L’amour
de la pauvreté a été, avec la mortification, la vertu spéciale de Mr. Vianney;
il l'a pratiquée dans toute sa perfection. Il n'a rien possédé, ne voulait rien
posséder, et se plaignait fréquemment de ne pas pouvoir devenir aussi pauvre
qu'il le désirait. Il avait fini par vendre jusqu'au misérable mobilier de sa
chambre. Lorsque son lit brûla, il ne manifesta pas la moindre émotion. Je ne
sais si je lui ai entendu dire moi-même, à la suite de cet accident: 708 Le
démon n'a pas pu avoir l'oiseau, il a brûlé la cage; quoiqu'il en soit, je suis
assurée d'avoir ouï cette parole d'autres personnes qui m'ont affirmé l'avoir
entendue de la bouche de Mr le Curé.
Rien
n'était plus pauvre que sa chambre, la seule pièce habitable de la cure. Je me
rappelle avoir vu les ronces qui, par la fenêtre, avaient envahi la cuisine. Un
jour, Catherine Lassagne voulut remplacer par une tasse en faïence la mauvaise
écuelle dont il se servait pour ses repas; il se hâta de la faire disparaître,
comme un objet de luxe.
Il
ne pratiquait pas moins la pauvreté dans la manière de se vêtir. Ses
habillements étaient grossiers. Nous étions obligés de lui tenir en réserve une
soutane de rechange et encore devions-nous prendre la précaution de ne pas la
laisser trop longtemps dans sa chambre, car elle n'aurait pas tardé à
disparaître au profit des pauvres; il en était de même du reste de son linge.
Quand nous voulions changer quelques uns de ses vêtements, parce qu'ils étaient
malpropres ou trop usés, il nous répondait: C'est bien bon pour le Curé d'Ars.
Il n'acceptait de nouveaux habillements, de nouvelles chaussures qu'à la
dernière extrémité. Il aimait néanmoins beaucoup la propreté; il changeait très
fréquemment son linge de corps, ce qui ne l'empêchait pas de porter
habituellement une soutane et des souliers assez malpropres; je crois que
c'était par humilité.
Il
recevait beaucoup d'argent, mais il n'y était attaché en aucune manière, il le
destinait entièrement à ses bonnes oeuvres. Il disait que pour beaucoup
recevoir, il fallait beaucoup donner. J'ai entendu dire qu'un jour, par
mégarde, il brûla un billet de banque. Il ne manifesta pas de regrets et se
contenta de dire: Il y a moins de mal qu'à un péché véniel.
Quelque
rapproché qu'il fût du passage du chemin de fer, il n'a pas eu la curiosité
d'aller le voir.
Quoad
Humilitatem, simplicitatem et modestiam, testis respondit:
Il
y avait beaucoup de simplicité et d'abandon dans Mr Vianney; c'était l'un des
traits les plus marquants de son caractère. Chez le Serviteur de Dieu, il n'y
avait point d'ostentation, rien de contraint ni d'affecté; mais de la candeur,
de l'ingénuité, de la naïveté, qui se combinaient avec une remarquable finesse
d'esprit. Il était plein de gaieté, et dans ses conversations, il disait
volontiers quelques mots qui faisaient sourire. 709 Il avait des réparties très
spirituelles.
Avant
de parler de son humilité, je dois faire une remarque importante. Mes compagnes
et moi, nous avons souvent appris par Mr Vianney lui-même des choses qui le
concernaient; ce n'est pas qu'il aimât à nous entretenir de lui; rien au
contraire n'était plus opposé à ses habitudes; je ne pense pas qu'aucun homme
ait été plus mort à lui-même. Mais par suite de cette simplicité et de cette
naïveté que j'ai signalées plus haut, il s'oubliait parfois et se laissait
aller à la conversation. Dans ces bons moments, nous usions d'une certaine
industrie; nous n'avions pas l'air de vouloir apprendre ce que nous tenions le
plus à savoir; nous faisions les indifférentes; puis nous le mettions sur la
voie, nous le questionnions doucement et lui, ne se doutant de rien, nous
répondait comme un enfant. S'apercevait-il de la surprise, il s'arrêtait tout à
coup et nous défendait de rien révéler de ce qui lui était ainsi échappé. Cette
remarque explique comment mes compagnes et moi avons pu obtenir de lui la
connaissance de tant de particularités qui concernent sa vie.
Au
milieu de l'immense concours de pèlerins, qui venaient à Ars et qui
l'entouraient de leur vénération, il n'a jamais laissé apercevoir le moindre
signe de vanité. Il m'a toujours paru mort aux louanges comme aux injures. Les
choses merveilleuses que Dieu opérait, il en renvoyait tout l'honneur à Ste
Philomène. Au fond, il était peu sensible aux guérisons du corps. Je lui ai
entendu dire plusieurs fois que lorsqu'il voyait des personnes qui désiraient
trop vivement leur guérison corporelle, il pensait que Dieu ne la leur
accorderait pas. Le corps, disait-il, est si peu de chose. Ce qui le comblait
véritablement de joie, c'était la conversion des âmes.
En
face des injures ou des outrages, il était d'un calme inaltérable. Un jour, en
ma présence, un ecclésiastique se mit à lui dire des choses très dures; je me
retirai à quelque distance, afin de ne pas faire de la peine à Mr le Curé; je
ne pus pas suivre la conversation ; mais j'entendis à plusieurs reprises que Mr
Vianney appelait cet ecclésiastique "mon ami"; et je remarquai que la
figure du Serviteur de Dieu demeura calme et bienveillante.
710 Il est arrivé quelquefois que des prédicateurs étrangers se sont
permis de faire son éloge en chaire et en sa présence. Rien n'égalait alors sa
confusion. Quelquefois même, il se retirait dans la sacristie, afin de ne pas
les entendre.
Il
fut très ennuyé lorsque l'on commença à vendre son portrait à Ars; il ne
l'appelait que son carnaval. On me pend, on me vend, disait-il; il finit par
s'y habituer. Quelquefois des pèlerins lui présentaient son portrait à signer
ou à bénir; il s'y refusait et ne l'a jamais fait que par surprise.
Des
artistes ont cherché à reproduire ses traits par le dessin, ou à les modeler
pour avoir son buste. Ils se plaçaient pour cela dans quelque coin de l'église
pendant ses catéchismes ou ses instructions; il s'en est aperçu et les a
sévèrement réprimandés. Toutefois, il ne trouvait pas mauvais qu'on prît des
notes pendant ses catéchismes, il y voyait un bien pour les âmes.
Il
recommandait fréquemment l'humilité dans ses instructions. L'humilité,
disait-il, est la chaîne du chapelet de toutes les vertus. Il racontait qu'une
personne demandait un jour à un saint, ce qu'il faudrait faire pour être sage.
- Bien aimer le bon Dieu, avait répondu le saint. - Eh! comment faire pour bien
aimer le bon Dieu?... - Humilité, Humilité!. Il racontait encore que le diable
apparut un jour à St Macaire, et qu'il lui dit: Tout ce que tu fais, je le
fais: tu jeûnes, moi je ne mange jamais; tu veilles, moi je ne dors jamais. Il
n'y a qu'une chose que tu fais et que je ne puis faire. - Eh! quoi donc? -
M'humilier.
La
visite des personnages importants qui se trouvaient assez fréquemment au nombre
des pèlerins, n'inspirait au Serviteur de Dieu aucun sentiment d'orgueil ; il
avait pour eux tout le respect et toute la déférence qui étaient dus à leur
caractère ou à leurs dignités; mais il préférait, comme j'ai déjà déposé, à
leur visite, celle d'une pauvre femme, venant solliciter quelques secours.
Lorsque
Mgr Chalandon, évêque de Belley, le nomma chanoine et lui donna le camail à
l'entrée de l'église, il parut excessivement embarrassé, et le jour même, il
vendit cet insigne d'honneur. 711 Je sais qu'il n'a jamais porté la croix
d'honneur, qui lui avait été accordée par le Gouvernement français.
713 Session 76 - 5 Août 1863 à 3h de l'après-midi
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
La
vertu de chasteté a toujours été très chère à Mr Vianney et il l'a pratiquée
toute sa vie dans toute sa perfection. Il n'eut jamais régulièrement à son
service des personnes du sexe. 714 Nous-mêmes nous avons été constamment
obligées de prendre les précautions les plus rigoureuses pour lui rendre les
soins les plus indispensablement nécessaires. Nous n'entrions dans sa chambre
qu'avec appréhension. Je faisais son lit le matin pendant qu'il était à
l'église. Même alors qu'il était malade, nous osions à peine nous approcher de
lui pour lui procurer quelques soulagements, ou pour le soigner. Jamais nous
n'avons aperçu en lui rien qui ressemblât, même de loin, à la familiarité; il
nous inspirait les sentiments du plus grand respect et de la plus profonde
vénération. Je sais qu'il n'était pas moins sévère pour les autres que pour
nous et je n'ai jamais entendu dire que sa réputation ait été attaquée le moins
du monde sous ce rapport.
Interrogatus
demum an sciat vel dici audiverit, servum Dei unquam aliquid gessisse
virtutibus supradictis quoquo modo contrarium, testis respondit:
Je
n'ai jamais rien vu ou entendu qui soit contraire aux vertus sur lesquelles je
viens de déposer. Je n'ai rien remarqué en lui que j'aie pu considérer comme un
péché ou une faute.
Juxta
decimum nonum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je suis convaincue que le Serviteur de
Dieu a pratiqué dans un degré héroïque toutes les vertus sur lesquelles je
viens de déposer et je ne pense pas qu'on puisse les pratiquer mieux que lui.
Par vertu héroïque, j'entends une vertu supérieure à celle qu'on rencontre même
dans les très bons chrétiens. Il a persévéré jusqu'à la fin sans aucune espèce
de relâchement dans la pratique des vertus les plus héroïques. Je crois avoir
suffisamment fourni la preuve de mon affirmation dans toute la suite de ma
déposition.
Juxta
vigesimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
En
l'écoutant dans ses instructions, j'ai souvent remarqué que sa voix était émue;
je n'ai pas vu s'il pleurait, car j'ai déjà dit qu'il nous avait défendu de
regarder à l'église. Mais j'ai entendu dire qu'il répandait parfois des larmes
abondantes.
715 J'ai entendu dire qu'il lisait au fond des coeurs, mais je ne
puis rien assurer de positif à ce sujet.
J'ai
entendu parler de beaucoup de merveilles qui se sont opérées à Ars par le moyen
du Serviteur de Dieu et par l'intercession de Ste Philomène, à qui il avait
coutume d'adresser tous les malades. On parlait si souvent de ces choses
extraordinaires, que pour mon compte je n'y faisais presque aucune attention.
J'ai cependant été témoin d'un fait. Une jeune personne de St Etienne qui était
estropiée était venue à Ars pour obtenir sa guérison. Elle fut guérie
subitement à l'église ; un instant après, elle fut conduite par ses parents à
la Providence; le fait nous fut immédiatement raconté; Mr le Curé arriva et se
mit à genoux pour remercier Dieu de cette guérison.
J'ai
entendu dire à Mr le Curé qu'un homme lui avait amené un jour son enfant ayant
une loupe sur le nez; que ce brave homme l'avait prié de toucher la loupe de
l'enfant avec son doigt, et Mr le Curé ajoutait: Je l'ai fait pour lui faire
plaisir et Dieu a récompensé sa foi. La loupe avait disparu.
Le
Serviteur de Dieu attribuait également à la foi d'un père de famille la
guérison suivante. Un pauvre père avait apporté sur ses bras un enfant tout
perclus; l'enfant fut guéri subitement à la chapelle de Ste Philomène; je l'en
ai vu moi-même sortir marchant très bien.
Deux
multiplications de blé ont eu lieu à ma connaissance. La première dans le
grenier de la cure qui était au-dessus de la chambre de Mr le Curé. Un jour que
j'étais chez lui, Mr Vianney m'invita à monter avec lui dans ce grenier; je le
suivis; lorsque nous fûmes: entrés, il me montra deux tas de blé qui se
touchaient, l'un petit et l'autre assez grand. Avec une petite baguette qu'il
avait à la main, il me fit voir la quantité de blé qui était quelques jours
auparavant dans le grenier; c'était le petit tas; et il me dit que tout le
reste, c'est-à-dire le gros tas, avait été ajouté miraculeusement. Je lui dis:
Mr le Curé, il faut bien que ce soit vous qui me le disiez pour que je le
croie.
716 L'autre fait s'est passé aussi à la cure, mais dans un autre
grenier. Marie Filliat, ma compagne, trouva un jour dans un très gros tas de
blé un reliquaire appartenant à Mr le Curé. Ma compagne et moi, nous savions
très bien qu'auparavant il y en avait très peu. Le tas cependant était devenu
si considérable que nous étions étonnées que les poutres de la cure pussent le
porter.
A
l'époque d'une très grande sécheresse, nous n'avions plus qu'un peu de farine
et il nous était impossible de faire moudre. Nous étions dans un grand embarras
à cause de nos enfants. Catherine Lassagne et moi nous pensâmes que si Mr le
Curé le demandait au bon Dieu, il obtiendrait que notre reste de farine suffirait
pour faire une fournée. Nous nous communiquâmes notre pensée, nous ne voulûmes
rien faire sans l'avoir prévenu; nous allâmes le trouver et après lui avoir
exposé la situation embarrassante où nous nous trouvions, nous lui demandâmes
ce qu'il fallait faire. Il nous répondit qu'il fallait pétrir. Je me mis à
l'oeuvre, non sans une certaine appréhension, n'ayant que peu de farine et en
quantité tout à fait insuffisante pour faire une fournée. Je mis d'abord très
peu d'eau et de farine dans le pétrin; mais je m'aperçus bientôt que ma pâte
demeurait trop épaisse; j'ajoutai de l'eau d'abord, puis de la farine ensuite,
si bien qu'à la fin le pétrin était rempli et que ma petite provision de farine
n'était pas épuisée. J'eus de quoi faire une grande fournée de pain. Ce fait
s'est renouvelé une autre fois à peu près de la même manière.
Juxta
vigesimum primum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je
ne sais rien sur cet interrogatoire.
Juxta
vigesimum secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Le Serviteur de Dieu est mort à Ars le
quatre Août mil huit cent cinquante-neuf, d'une maladie d'épuisement; il s'est
éteint comme une lampe qui n'a plus d'huile. Je l'ai vu plusieurs fois dans sa
dernière maladie et je puis attester qu'il a montré les plus grands sentiments
de foi et de piété et qu'il a conservé la patience dans tous ses maux. 717 Les
vertus dont il avait donné l'exemple pendant sa vie ne se sont pas démenties
dans ses derniers moments. Il a reçu les sacrements de l'Eglise.
Juxta
vigesimum tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Après
la mort du Serviteur de Dieu, son corps a été exposé dans l'une des chambres
basses de la cure. Le concours des fidèles autour de son corps a été très
considérable; il a été plus grand encore à ses funérailles. Il y a eu des
personnes de toutes les conditions. Je ne connais aucun fait extraordinaire
accompli en cette circonstance.
Juxta
vigesimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Le corps de Mr Vianney a été enseveli au
milieu de l'église d'Ars. Une pierre de marbre noir a été déposée sur son
tombeau; elle est à fleur du sol; elle était protégée dans le principe par une
grille en fer, qui a été enlevée. Les fidèles affluent en grand nombre dans
l'église d'Ars pour se recommander au Serviteur de Dieu. Je ne sache pas qu'on
lui ait jamais rendu un culte public; j'ai même assisté à un service solennel,
célébré le trois de ce mois pour le repos de son âme.
Juxta
vigesimum quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
La réputation du Serviteur de Dieu, soit
pendant sa vie, soit après sa mort, a été celle d'un saint. Telle est l'opinion
publique. J'entends par opinion publique l'idée générale que le public se fait
des personnes ou des choses. L'origine de cette réputation ne peut être
attribuée qu'aux vertus du Serviteur de Dieu et aux dons extraordinaires dont
il a été comblé. Cette opinion n'est pas seulement celle de la foule, des
personnes peu instruites, mais elle est partagée par les personnes les plus
graves et les plus instruites. Je sais cela parce que je vois chaque jour
arriver à Ars des personnes de toutes les classes. Depuis sa mort, cette
réputation s'est étendue au loin; loin de diminuer, elle n'a fait que grandir
avec les années. Actuellement on voit arriver à Ars des gens de tous les pays
du monde. 718 Il n'est pas à ma connaissance que personne ait attaqué cette
réputation du Serviteur de Dieu. Je regarde moi-même le Serviteur de Dieu comme
un très grand saint, car je ne pense pas que tous les saints aient été aussi
saints que lui.
La
vénération des fidèles se manifeste de mille manières différentes. On se
dispute les moindres objets qui lui ont appartenu; on veut avoir de lui
quelques souvenirs, un morceau de linge, etc.; on visite avec le plus grand
empressement la chambre qu'il habitait et où il est mort; on va prier sur son
tombeau et on sollicite par son intercession les grâces les plus
extraordinaires.
Juxta
vigesimum sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai déjà dit qu'il n'était pas à ma
connaissance que la réputation de sainteté du Serviteur de Dieu ait été
attaquée.
Juxta
vigesimum septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'entends
dire fréquemment qu'il s'opère des choses extraordinaires par l'intercession du
Serviteur de Dieu; mais je ne m'en occupe pas du tout.
Juxta
vigesimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je
n'ai rien à ajouter à ma déposition.
Et expleto examine super
Interrogatoriis, deventum est ad Articulos, super quibus testi lectis, dixit,
se tantum scire, quantum supra deposuit ad Interrogatoria, ad quae se retulit.
Sic completo examine, integra
depositio jussu Rmarum Dominationum suarum perlecta fuit a me Notario a
principio ad finem testi supradicto alta et intelligibili voce. Qua per ipsum
bene audita et intellecta respondit se in eandem perseverare, et illam iterum
confirmavit.
Quibus peractis, injunctum fuit
praedicto testi, ut se subscriberet, prout ille statim, accepto calamo, cum
nunc nimis caecutiat, signum crucis fecit, ut sequitur.PROCES DE BEATIFICATION
ET CANONISATION DE SAINT JEAN
MARIE BAPTISTE VIANNEY
CURE D'ARS
PROCES INFORMATIF ORDINAIRE
764 Juxta primum Interrogatorium, monitus testis de vi et natura
juramenti et gravitate perjurii, praesertim in causis Beatificationiis et
Canonizationis, respondit:
Je connais la
nature et l'importance du serment que je viens de faire. Je promets de faire
connaître la vérité telle qu'elle est; je n'ai point l'intention de cacher rien
qui fût défavorable, ou contraire à la cause du Serviteur de Dieu.
Juxta secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je m'appelle
Laure Justine Françoise comtesse des Garets d'Ars, née du Colombier. Je suis
née à St Albin, près Pont-Beauvoisin (Isère) le vingt-cinq juillet mil huit
cent quatre. Mon père se nommait Joseph César du Colombier et ma mère
Marguerite Aimée de Corbeau de Vaulserre. Ma position de fortune, grâces à
Dieu, est au-dessus d'une honnête aisance.
Juxta tertium
Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai le
bonheur de m'approcher de temps en temps des sacrements pendant l'année et j'ai
communié le jour de l'Assomption.
Juxta quartum
Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n'ai
jamais été appelée en justice.
Juxta quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n'ai
encouru ni censures, ni peines ecclésiastiques.
Juxta sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Personne ne
m'a instruite, ni de vive voix, ni par écrit de ce que j'avais à dire. J'ai lu
quelques uns des Articles du Postulateur. Je dirai dans ma déposition, non ce
que j'ai lu, mais ce que j'ai vu ou entendu.
Juxta
septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai une
grande affection et une grande dévotion pour le Serviteur de Dieu; je désire
vivement sa Béatification; mais je n'ai d'autre intention et d'autre but que la
gloire de Dieu. 765
Juxta octavum
Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je sais que
le Serviteur de Dieu est né à Dardilly. J'ignore ce qui concerne l'enfance et
la jeunesse de Mr Vianney, sauf quelques détails que je donnerai plus loin.
J'ai seulement le souvenir des tableaux pleins de grâce et de sentiment qu'il
nous faisait en chaire de sa vie sous le toit paternel, de l'hospitalité que
l'on donnait aux pauvres, des veillées où les serviteurs travaillaient avec les
maîtres au coin du feu, des habitudes de piété de la famille. Chaque fois qu'il
parlait de l'amour filial, sa voix et ses yeux étaient remplis de larmes. Il
dit un jour en chaire: Un enfant bien né ne doit pas pouvoir regarder sa mère
sans pleurer. Une autre fois, à la prière du dimanche, il ajouta que quand il
voyait sa mère, la soirée s'écoulait à parler ensemble et que le temps passait
bien vite. Il a dit qu'il ne passait pas un jour sans penser à sa mère et à Mr
Balley.
Juxta nonum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Il a passé
son enfance à Dardilly et une partie de son adolescence à Ecully, et comme je
l'ai dit à l'interrogatoire précédent, j'ai peu de détails à donner sur cette
partie de sa vie.
Juxta decimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai appris
que Mr Vianney était resté longtemps chez Mr Balley, curé d'Ecully, pour y
faire ses études, qu'il apprenait avec beaucoup de peine.
Juxta
undecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je sais bien
positivement que le Serviteur de Dieu dut interrompre le cours de ses études
pour obéir à la loi de la conscription militaire. Il en parlait lui-même; un
jour je lui ai entendu dire en chaire: Quand j'étais déserteur. J'ignore les
détails concernant ce fait.
Juxta
duodecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je ne sais
pas quand il put reprendre le cours de ses études. Le Père Deschamps, jésuite,
a dit à ma belle-soeur que Mr Vianney éprouvait de grandes difficultés et qu'il
l'avait souvent aidé pour ses thèmes et ses versions. J'ai toujours entendu
dire qu'il avait été ordonné prêtre à Grenoble.
Juxta decimum tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
766 J'ai appris de personnes dignes de foi qu'aussitôt après son
ordination, il avait été placé comme vicaire dans la paroisse d'Ecully, et
qu'il y avait une louable émulation entre le curé et le vicaire pour la
pratique des vertus et surtout de la mortification et l'usage des instruments
de pénitence. La chose alla si loin que le curé dénonça son vicaire à
l'autorité diocésaine, et le vicaire son curé, comme dépassant les bornes.
Juxta decimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Il fut nommé
curé d'Ars vers l'année mil huit cent dix-huit. La paroisse était depuis
quelque temps sans pasteur; on fut étonné quand on entendit sonner la messe, et
on se dit: Voilà un nouveau curé qui nous arrive. J'ai entendu dire que le
Serviteur de Dieu, voyant l'église d'Ars si pauvre, si petite, si solitaire,
eut l'inspiration qu'elle deviendrait plus tard le centre d'un grand concours.
J'ai su que les habitudes de piété régnaient peu dans la paroisse d'Ars au
moment de l'arrivée de Mr Vianney; j'ai su qu'il y avait plusieurs abus. Le
nouveau curé s'efforça de suite d'inspirer la piété et de détruire les abus; il
finit par réussir.
Juxta decimum quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Le Serviteur
de Dieu pour réformer sa paroisse institua de pieuses associations, telles que
le Rosaire et la Confrérie du St Sacrement, ou du moins, s'il ne les établit
pas, il leur donna une nouvelle vie. Il fonda une école de filles et plus tard
une école de garçons. Pour fonder celle des filles, il sacrifia une partie de
son patrimoine et reçut les dons de la charité. Ce furent d'abord de pieuses
filles qui la dirigèrent; elle fut ensuite confiée aux soeurs de St Joseph.
L'école des garçons a toujours été sous la direction des Frères de la Ste
Famille. Ces établissements ont eu d'excellents résultats. Je ne saurais répondre
aux autres questions de l'interrogatoire.
Juxta decimum sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Il a rempli
tous ses devoirs de manière à exciter constamment mon admiration. Je n'ai
jamais aperçu la moindre défaillance dans l'accomplissement de ses devoirs. A
la difficulté soulevée par ses absences de sa paroisse au moment des missions
et des jubilés, je réponds que le Serviteur de Dieu pourvoyait à son
remplacement, ou prenait des moyens pour que sa paroisse n'en souffrît pas. 767
Quant à ses fuites, je ne sais pas les expliquer au point de vue du droit; je
crois qu'elles tenaient à son grand amour pour la solitude. Ce désir s'est
montré bien souvent; il se reproduisait plus fréquemment encore lorsqu'il
recevait la visite de son évêque. Il pleurait, gémissait, jeûnait avant de
formuler la demande de se retirer, et il avait besoin de conserver l'espoir
d'obtenir un jour cette permission si souvent sollicitée et toujours refusée.
Juxta decimum septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Le Serviteur
de Dieu a eu beaucoup d'épreuves et de contradictions; il a été longtemps
méconnu, même par le clergé. Sa vie extraordinaire en avait été la première
occasion; on l'attribuait à l'amour propre. Les paroles qu'on lui prêtait ou
qu'on avait mal comprises étaient une nouvelle source de contradictions. Pauvre
curé d'Ars, disait-il, dans ces circonstances, on le fait bien parler et il ne
dit rien. Plus tard le pèlerinage, tout en le consolant, lui occasionnait de
nouvelles peines et de nouveaux embarras. L'affluence des visiteurs, les
exagérations de prix des logeurs, les contestations au sujet des voitures, lui
causèrent beaucoup d'ennuis et de tracasseries. Toutes ces peines, ces
contradictions, il les a supportées constamment avec une admirable patience. Il
aimait ceux qui le persécutaient et il se serait sacrifié pour eux.
Juxta decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Mr Vianney a
pratiqué toutes les vertus chrétiennes à la perfection pendant tout le cours de
sa vie. C'est là ma conviction profonde. Elle a été produite en moi par tout ce
que j'ai vu, appris ou entendu.
Quoad Fidem,
testis respondit:
La Foi de Mr
Vianney se manifestait dans ses paroles et dans ses oeuvres; elle était le
principe et le mobile de ses admirables vertus. Oh! si nous avions la foi,
disait-il souvent avec douleur... Mais c'est qu'on n'a pas la foi, reprenait-il
avec des larmes abondantes, toutes les fois qu'il avait à parler de
transgression à la loi de Dieu. J'ai été singulièrement frappée et
impressionnée des actes et des paroles qui révélaient sa grande foi.
J'ai toujours
entendu parler de la manière sainte dont Mr Vianney avait passé son enfance. Sa
vertueuse mère s'efforçait de l'initier aux pratiques de la piété.
768 Je sais que le Serviteur de Dieu prit possession de la cure
d'Ars le neuf Février mil huit cent dix-huit. Il se fit bien vite remarquer par
sa grande piété, ses prières prolongées à l'église, le genre de vie mortifiée
et pénitente qu'il avait embrassée. Il n'y a pas très longtemps, Mr Jean
Pertinand me rappelait l'impression profonde qu'il éprouvait, lorsqu'il était
encore enfant, en voyant le Curé d'Ars en prière à l'église. Sa figure
paraissait comme radieuse et à la manière dont il regardait le tabernacle, on
aurait dit qu'il voyait quelque chose d'extraordinaire.
Dans ses
longues oraisons devant le saint sacrement, il priait, j'en ai la conviction,
pour la conversion des pécheurs, pour les âmes du purgatoire et surtout pour
ses paroissiens. Il régnait à Ars plusieurs abus, comme dans les paroisses
environnantes; la fête patronale était l'occasion d'une danse publique, appelée
vogue; le saint jour du dimanche n'était pas assez respecté; on
s'approchait rarement des sacrements. Le bon Curé, par sa piété, ses exhortations,
ses visites à ses paroissiens, finit par faire d'Ars une paroisse modèle.
Quoiqu'il parlât d'une manière paternelle, il ne laissait pas de s'élever avec
force et autorité contre les abus. Je me rappelle qu'un Dimanche il tonna
contre une vogue qui devait avoir lieu le jour même dans le haut de la
paroisse. Le curé d'Ars pouvait seul parler de cette manière. Il était très
sévère contre les danses; il avait fait mettre sur l'arcade de la chapelle
qu'il avait fait élever en l’honneur de St Jean-Baptiste: "Sa tête fut le
prix d'une danse." On essaya en mil huit cent trente de rétablir la vogue;
on y renonça en voyant le vif chagrin du bon Curé.
Dès mil huit
cent vingt-six, époque de mon arrivée à Ars, j'ai vu le Dimanche parfaitement
observé, Mr Vianney n'accordait aucune permission pour travailler, quelles que
fussent les menaces du temps ou les intempéries de la saison. Je n'ai connu
qu'une exception, c'était pour le forage d'un puits; il y avait danger à
suspendre les travaux. Il ne voulait pas même qu'on voyageât le Dimanche. Un
pèlerin lui demanda après Vêpres la permission de partir. 769 Mr Vianney
refusa. Mr l'abbé Taillade, qui se trouvait présent, en parut surpris et
demanda au Curé d'Ars pourquoi il avait refusé. On peut à la rigueur
l'accorder, répondit-il; mais moi, Curé d'Ars, avec les habitudes que j'ai
introduites dans la paroisse, je ne puis pas le faire.
771 Session 83 - 21 Août 1863 à 8h du matin ;
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Mr Vianney
s'efforça aussi dès le commencement de son ministère à Ars à porter les fidèles
à la fréquentation des sacrements. Il admettait facilement les personnes
pieuses à la fréquente communion; mais il était assez sévère pour celles dont
les habitudes étaient moins régulières et moins ferventes. 772 Quoiqu'il fût
assez sévère, comme je viens de le dire, il sut cependant tellement se faire
aimer qu'il obtenait tout ce qu'il désirait; on aurait craint en ne pas lui
obéissant de le contrister et de le faire partir. Lorsqu'il eut fait refleurir
les habitudes de piété, on s'aperçut qu'il admettait plus facilement à la
sainte communion. J'ai remarqué que cela a eu lieu lors du séjour de Mr l'abbé
Taillade, homme pieux et instruit, qui eut avec Mr Vianney de longs et
fréquents entretiens sur les matières ecclésiastiques.
Le Serviteur
de Dieu souffrait de voir son église si pauvre et si petite. J'ai en ma
possession l'inventaire de la sacristie de l'église d'Ars à l'arrivée de Mr
Vianney; rien de plus modeste, et même rien de plus pauvre. Melle d'Ars fournit
tout de suite plusieurs objets. Mon beau-père m'a raconté que pour orner le
maître-autel, Mr Vianney partit à pied pour Lyon et revint de même, heureux de
rapporter dans ses poches de petites têtes d'anges dorés. Dès qu'il le put, il
fit construire les différentes chapelles de l'église d'Ars; il ne craignit pas
d'y travailler lui-même et de peindre les boiseries qui se trouvaient dans son
église. Il avait un grand zèle pour tout ce qui tenait au culte; rien ne lui
paraissait assez beau. Melle d'Ars m'a raconté qu'elle alla avec Mr Vianney en
mil huit cent vingt-cinq acheter à Lyon un ornement pour la messe. A chaque
nouvelle exhibition du marchand, il répétait: Pas assez beau; il faut plus beau
que cela. Mr le Curé disait lui-même un jour au frère Jérôme: Les marchands
disent: Il y a un petit curé en Bresse qui a l'air tout misérable; néanmoins il
lui faut tout ce qu'il y a de plus beau et il paye bien. Les grandes statues
ravissaient Mr le Curé d'Ars. Ah! si nous avions la foi, disait-il en pleurant
devant un Ecce homo. Rien ne peut exprimer son contentement et sa joie
lorsqu'il reçut du vicomte d'Ars, d'abord des bannières, un dais superbe, de
grands reliquaires, puis un tabernacle en cuivre doré et d'autres ornements. En
déballant les caisses qui les contenaient, il tressaillait d'allégresse; il
appelait les bonnes femmes qui passaient et leur disait: 773 Venez donc voir de
belles choses avant de mourir. Le bel ostensoir, qui se trouvait dans l'envoi
du vicomte d'Ars, fut volé un jour à la sacristie. Mr Vianney déplora le crime
bien plus que la perte: C'est, dit-il, une perte de biens temporels, qu'on peut
facilement réparer. Il fit alors appel à la foi et à la générosité de ses
paroissiens qui, dans cette occasion, comme dans beaucoup d'autres, ne
voulurent pas rester en arrière de leur pasteur. Mr Vianney n'avait qu'à
demander et il obtenait à l'instant ce qu'il sollicitait pour son église.
Il aimait
l'éclat et la pompe des cérémonies, et ne négligeait rien de ce qui pouvait
rehausser le culte dans sa paroisse. Il voulait que les processions du saint
Sacrement fussent magnifiques; il veillait à ce que les reposoirs fussent
parfaitement décorés. Il était heureux quand Mr des Garets promettait de faire
tirer les boîtes au moment de la bénédiction. On l'entendit pendant une
procession du Saint Sacrement où il paraissait très fatigué, dire avec amour à
Notre Seigneur: Oh! mon Dieu, donnez-moi la force de vous porter.
Il
administrait tous les sacrements avec de tels sentiments de foi, que tous les
spectateurs en étaient profondément touchés. Les quelques paroles qu'il
adressait aux malades, quand il leur portait le saint viatique, étaient si
entraînantes qu'elles arrachaient des larmes, non seulement aux malades, mais encore
à tous ceux qui avaient le bonheur de les entendre. Il savait si tien consoler
et encourager les personnes que la maladie éprouvait, que plusieurs malades ont
désiré mourir à Ars, afin d'avoir le bonheur d'être administrés par lui. Je
sais qu'une personne s'est fait porter à Ars pour jouir de ce bonheur.
Il célébrait
le saint Sacrifice de la messe tous les jours et il le faisait avec de tels
sentiments de foi qu'il impressionnait tous les assistants. Un artiste disait
qu'il était impossible à un peintre de rendre l'expression de la figure de Mr
Vianney pendant la Ste Messe. On la voyait tour à tour reproduire l'amour, la
joie, l'effroi et la douleur, avec une mobilité extraordinaire.
774 On sentait que la foi animait les paroles du Serviteur de Dieu, quand
il prêchait à ses paroissiens, ou qu'il faisait le catéchisme. La première
instruction que j'entendis fut une exhortation à ses paroissiens pour se
préparer au jubilé. Ses cris, ses larmes nous étonnèrent; il était exténué et
il ne pouvait modérer sa voix. Dans les premières années, ses instructions
étaient d'une extrême longueur. Il s'abandonnait dès lors à tout le feu de sa
charité. Ses sermons portaient de préférence sur les vérités terribles de notre
sainte religion. Ses instructions, souvent sans divisions, étaient pleines de
traits édifiants, de pensées naïves et gracieuses et souvent aussi entremêlées
d'histoires du démon. Il savait par coeur la vie des saints; il en tirait un
grand nombre de traits, qu'il nous racontait d'une manière très simple et
parfois originale. Ses yeux lançaient parfois des éclairs et souvent aussi ils
devenaient une source de larmes. Sa physionomie s'animait, et s'il est permis
de parler ainsi, il mettait en scène ce qu'il racontait. Son extérieur
annonçait la mortification et la pénitence. Il ne semblait pas encore avoir
acquis cette ineffable douceur, qui plus tard lui a attiré tant d'âmes.
Lorsque le
pèlerinage eut été fondé, n'ayant plus le temps de préparer ses instructions,
il s'abandonnait pour le choix du sujet et pour les expressions à l'inspiration
du moment. Sa foi et son amour pour Dieu le ramenaient sans cesse à parler du
Saint Sacrement, de l'amour de Dieu, du ciel, de la prière, de l'action du St
Esprit dans les âmes, de la beauté d'une âme en état de grâce, de l'horreur du
péché, du malheur des pauvres pécheurs. Quand il parlait du ciel, à entendre
ses cris, à voir ses gestes, on aurait dit qu'il allait s'envoler au ciel.
Qu'il était beau, lorsqu'alors il nous disait en versant des larmes de bonheur:
Nous verrons Dieu, oui nous le verrons pour tout de bon...!
775 Lorsqu'il prêchait sur ces sujets, sa figure exprimait
avec une rapidité surprenante les différents sentiments, qui se pressaient dans
son coeur. Bien des personnes ont avoué que jamais rien ne les avait autant
frappées que l'expression de la figure de Mr Vianney.
Dans ses
prônes et ses catéchismes, il aimait à parler des beautés de la nature; il en
tirait de gracieuses comparaisons pour porter les fidèles à bénir et à aimer
Dieu. "L'autre jour, disait-il dans un prône, je revenais de Savigneux;
les petits oiseaux chantaient dans le bois. Je me mis à pleurer: Pauvres
petites bêtes, me suis-je dit, le bon Dieu vous a créées pour chanter, et vous
chantez; et l'homme, mes amis, a été fait pour aimer Dieu, et il ne l'aime
pas." Longtemps, mes enfants ont conservé le souvenir de cette touchante
exclamation: "Le poisson cherche-t-il les arbres et la prairie, disait Mr
le Curé en parlant, dans un de ses catéchismes, de l'âme qui ne doit tendre qu'à
Dieu. Non, il s'élance dans l'eau. L'oiseau s'arrête-t-il sur la terre? Non, il
s'envole dans les airs. Et l'homme qui est créé pour aimer Dieu, pour posséder
Dieu, ne l'aime pas et porte ailleurs ses affections." Quelquefois il
terminait son prône en disant: Mettez-vous à genoux, mes frères, nous allons
dire un petit chapelet. C'était lorsqu'il avait quelques grâces particulières à
demander à Dieu. Dans le commencement, il récitait un chapelet ayant une petite
prière avant chaque Ave Maria. Plus tard, il se contentait de dire dans cette
circonstance le chapelet ordinaire.
Lorsqu'il
parlait de la sainte Eucharistie, il semblait redoubler de foi et d'ardeur.
Quel transport, quel amour, quelle voix tremblante et pleine de larmes! Si on
comprenait bien, disait-il parfois, on ne pourrait se lever pour aller à la
sainte table. 776 On se trouverait presque plus heureux que dans le Ciel, où
l'on ne communie pas. Dans un prône il disait: Quand, à la messe, je tiens le
bon Dieu, que peut-il me refuser?
Je l'ai
entendu parler d'une manière saisissante de la vanité des choses de ce monde.
Il était plein de force et de vigueur lorsqu'il prêchait sur quelque vice, et
en particulier sur la gourmandise.
Je me
rappelle particulièrement que parlant un jour en chaire sur la sanctification
du Dimanche, il s'écria: Oh! mon âme, tu as langui toute la semaine dans les
travaux, les peines, les préoccupations de la vie; mais le jour du Seigneur, tu
n'as qu'à t'occuper de ton Dieu, à t'entretenir avec lui et à le prier.
Annonçant une
fois un petit jubilé qui arrivait peu de temps après un grand jubilé, il
s'exprima ainsi: Il y en a qui disent: pourquoi encore un petit jubilé? nous
venons d'en avoir un grand. Mais, mes amis, si quelqu'un vous avait donné trois
mille francs, et que quelque temps après il vint vous dire: Je veux vous donner
encore trois cents francs, refuseriez-vous et mépriseriez-vous les cent écus,
parce qu'il vous en aurait déjà donné mille?
Il parlait
souvent de l'amour des croix, du bonheur de la souffrance. Quand il voyait quelqu'un
heureux pendant longtemps, il craignait, disait-il, que Dieu ne l'eût oublié.
Pour lui, il paraissait très content lorsqu'il avait à souffrir. Il dit un jour
à Mr des Garets, après sa maladie de mil huit cent quarante-trois:
Jamais je
n'ai été si heureux que dans les moments où j'ai été persécuté, calomnié. Dieu
m'inondait alors de consolations; Dieu m'accordait tout ce que je lui
demandais. En disant ces paroles, ses yeux se remplissaient de larmes.
777 En mil huit cent trente, après le renversement des croix,
prêchant, sur le jugement dernier, il montra Jésus dans les airs portant sa
croix, et il s'écria dans un saint transport et une sainte indignation: Oh!
pour celle-là, tu ne la lui arracheras pas!
779 Session 84 - 21 Août 1863 à 3h de l’après-midi
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Le Serviteur
de Dieu avait un grand respect pour le prêtre et il cherchait à l'inspirer aux
autres. Mr des Garets voulait prendre un précepteur pour un de ses enfants. 780
Il consulta Mr Vianney qui lui dit: Ne prenez pas un prêtre, parce que les
domestiques ne conservent pas toujours le respect qu'ils doivent au caractère
sacerdotal. Je sais qu'il n'aimait pas qu'un prêtre fût précepteur dans une
maison particulière, à cause des inconvénients qu'il pouvait y rencontrer pour
lui-même.
Lorsque, dans
sa première maladie de mil huit cent quarante-trois, on lui demanda avant de
lui donner le saint viatique s'il croyait toutes les vérités que l'Église nous
enseigne: Oh! si je crois! reprit-il aussitôt avec un vif sentiment de foi et
d'amour. Je tiens ces détails de mes enfants qui étaient présents.
J'avais eu le
malheur de perdre un de mes enfants âgé de cinq ans. Voici ce qu'il répondit à
mon beau-frère qui lui annonçait cette nouvelle: Heureuse mère, heureux enfant!
Comment cet enfant a-t-il mérité, que le temps de la lutte fût diminué pour
lui, et de jouir aussi vite de la félicité éternelle? Et sa mère, qu'elle doit
jouir dans sa foi!
Quand il
bénissait de petits enfants, il disait souvent qu'ils seraient heureux si le
bon Dieu les prenait tout de suite. Il avait une grande confiance dans les
prières des enfants; il disait qu'elles montaient au Ciel tout embaumées
d'innocence.
Quoad Spem,
testis respondit:
L'Espérance
des biens à venir faisait toute la consolation et la force du Curé d'Ars. Elle
se manifestait dans ses paroles et dans toutes ses actions. Le Serviteur de
Dieu ne comptait pas sur lui-même et sur les moyens qu'il employait; il
attendait tout de Dieu et s'abandonnait entièrement entre ses mains.
Il avait une
très grande horreur du péché mortel, qui nous fait perdre la grâce de Dieu et
le bonheur du Ciel. Il pleurait souvent sur le sort des pauvres pécheurs. Il
conjurait ceux qui voulaient se damner de faire le moins de péchés mortels
possible, afin de ne pas augmenter leur punition. 781 Je me rappellerai
toujours cette instruction sur le jugement dernier, où il répéta plusieurs fois
ces paroles: Maudit de Dieu, maudit de Dieu... Quel malheur! Ce n'était pas des
paroles, mais des sanglots qui arrachaient des larmes à tous ses auditeurs. Il
semblait n'avoir pas moins d'horreur du moindre péché véniel. On devait plus le
craindre que le plus grand malheur. Quand on lui parlait de quelque accident
fâcheux, ou de quelques pertes d'argent, il a répondu plusieurs fois: Le
malheur est moins grand que ne le serait un péché véniel. Un jour, comme je
l'ai appris de Mr Toccanier, Mr le Curé alluma
par mégarde sa chandelle avec un billet de banque. Il raconta lui-même le fait,
et comme on lui en exprimait quelque regret: Oh! reprit-il, il y a moins de mal
à cela qu'à un péché véniel.
En parlant de
la foi, j'ai déjà dit de quelle manière il prêchait ou discourait sur le Ciel.
Il rappelait souvent soit en chaire, soit au confessionnal, la grande
miséricorde de Dieu, la facilité que nous avons de nous sauver. Il disait
parfois en rappelant l'indifférence des hommes pour leur salut: Ah! que c'est
dommage! On ne comprend pas... c'est si facile. Rien ne peut rendre
l'impression que produisaient les quelques paroles que Mr Vianney adressait au
confessionnal ou dans les conversations aux personnes qui lui exposaient leurs
peines. Il avait reçu un don tout particulier pour consoler et encourager. Il
compatissait aux personnes affligées, il pleurait avec elles; et il savait se
faire tout à tous. Il avait soin de montrer les mérites dont les souffrances
sont la source et l'occasion. En sortant d'auprès de lui, on se sentait
renaître, on se sentait capable d'accepter et de porter la douleur. Il
recommandait de ne jamais se laisser aller au découragement. 782 Après la mort
de mon second fils, il me dit: Soyez grande, soyez forte, ne vous laissez pas
abattre, sachez supporter la douleur.
Pour lui,
fort de sa confiance en Dieu, il ne se laissa pas décourager malgré les
difficultés, les peines, les souffrances physiques et morales qu'il eut à
supporter. Il pensait souvent au Ciel et en parlait souvent. On peut dire même
que cette pensée l'animait continuellement. Mr des Garets lui ayant dit que son
fils était mort en Crimée au moment où il allait recevoir la croix d'honneur:
Il a la croix du Ciel, répondit le Curé, cela vaut bien mieux.
Dans son
désir de servir Dieu tout à loisir, il aurait voulu n'être plus chargé d'une paroisse.
Il regrettait souvent de ne pouvoir pas prier comme il le désirait. Il aurait
souhaité d'être dans la solitude de la Trappe ou dans tout autre lieu caché
pour se préparer à la mort et y pleurer sa pauvre vie. En donnant tout son
temps aux autres, il croyait ne rien faire pour lui. Il avait une grande
crainte de la mort; mais cette pensée ne l'abattait pas, ne diminuait en rien
sa confiance en Dieu. On l'a vu jusqu'à la fin suivre constamment le genre de
vie si sévère qu'il avait embrassé et poursuivre les travaux qu'il avait
entrepris pour la gloire de Dieu. Un jour qu'il paraissait très fatigué, on le
priait de prendre un peu de repos: Je me reposerai en paradis, reprit-il
aussitôt. J'ai tout lieu de croire que la crainte de la mort et des jugements
de Dieu avait considérablement diminué vers la fin de sa vie. Il m'a paru aussi
enfin convaincu que Dieu le voulait à Ars.
Le Serviteur
de Dieu s'abandonnait entièrement entre les mains de la Providence. Il ne
négligeait pas cependant, s'il s'agissait d'affaires temporelles, les moyens
qu'inspire la Prudence. Il était très reconnaissant pour les grâces qu'il avait
reçues de Dieu.
783 Dieu permit que Mr Vianney fût en butte à de nombreuses peines
intérieures. Je tiens de Mr l'abbé Raymond qu'il lui avait dit: Il y a quinze
jours que je suis dans une absence totale de consolation. Il dit à Mme de
Cibeins: J'étais depuis quelque temps comme dans un désert. On voyait souvent
empreintes sur sa figure la tristesse et la douleur; mais jamais on n'a
remarqué le moindre signe de découragement.
Le Serviteur
de Dieu fut tourmenté par le démon. Dans le commencement, ne sachant ce que
c'était, il eut peur. Melle d'Ars envoyait un de ses domestiques veiller à la
cure; il y avait aussi plusieurs habitants de la paroisse. Mr Vianney finit par
comprendre que ces bruits étranges venaient du démon, qu'il nomma le grappin.
Il avoua à Mgr Devie qu'il avait jugé que c'était le démon, parce qu'il avait
peur et que le bon Dieu ne fait pas peur. Mgr Devie, lui-même, m'a rapporté ces
paroles. Quand Mr Vianney eut compris qu'il avait affaire au démon, il n'eut
plus peur et voulut rester seul dans son presbytère. Il en parlait très
volontiers et sans avoir l'air d'être ému; il se plaisait à raconter les
différentes attaques dont il avait été l'objet de la part du grappin. Il dit un
jour à Mr l'abbé Taillade, qui me l'a répété: Voyez donc ce meuble; je ne sais
pas comment il n'a pas été brisé. Il rapporta à Mr des Garets que pendant sa
première maladie le démon criait: Nous le tenons, nous le tenons!
Quelques
années avant sa mort, le feu prit à son lit; les rideaux furent consumés ainsi
que la literie et le bois de lit qu'il fallut changer. 784 On ne s'en aperçut
que lorsque le tout était presque consumé. On fut singulièrement surpris en voyant
que le feu ne s'était pas communiqué au plancher supérieur de l'appartement qui
était très bas, vieux et très sec. Mr Vianney, questionné par plusieurs
personnes, aurait laissé entendre que c'était le démon qui avait mis le feu. Il
aurait dit en riant: N'ayant pas pu prendre l’oiseau, le démon a brûlé la cage.
Les personnes
qui étaient auprès de Mr Vianney ou autour du presbytère n'ont pas entendu les
bruits nocturnes dont je viens de parler. Néanmoins, Jean Pertinand m'a raconté
ce qui suit: Un maréchal des logis se trouvait une nuit auprès du presbytère,
attendant que Mr le Curé sortît pour lui faire sa confession. Il entendit des
bruits très singuliers pour l'heure où l'on se trouvait. Il semblait que l'on
fendait du bois. Il demanda à Mr Pertinand pourquoi on travaillait ainsi la
nuit au presbytère; on est donc bien occupé?
A la mission
de St Trivier-sur-Moignans, il fut question dans les conversations des bruits
singuliers que le Curé d'Ars entendait pendant la nuit. On en doutait et même
on en plaisantait. Le Curé d'Ars ne répondait rien. Un soir, ce sujet avait
fourni matière à la conversation. Au milieu de la nuit, un bruit affreux se fit
entendre et effraya tous ceux qui étaient au presbytère. Le Curé de St Trivier
se leva et courut à la chambre du Curé d'Ars. 785 Ce n'est rien,
répondit-celui-ci, ne vous inquiétez pas; c’est moi que cela regarde. Je tiens
ces détails de personnes bien informées; cet événement fit grand bruit.
787 Session 85 - 22 Août 1863 à 8h du matin
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit: .
L'amour de Mr
Vianney pour Dieu consumait son coeur; il était facile de le voir en le suivant
dans les différentes actions de la journée. Je n'ai rien de bien précis sur les
premières années du Serviteur de Dieu jusqu'à son arrivée à Ars. Je me rappelle
seulement que partout où il a passé, il a laissé le souvenir de sa foi: et de
sa piété.
788 Les personnes qui ont été témoins de ses actions pendant cette
époque de sa vie, n'en parlent qu'avec attendrissement. Lui-même, dans ses
catéchismes, dans ses conversations, en nous parlant des habitudes de piété de
la famille, du soin que sa vertueuse mère mettait à élever chrétiennement ses
enfants, nous faisait assez comprendre qu'il n'était pas resté étranger à ce
qui se passait dans la famille. J'ai su de personnes bien informées que le
jeune Vianney avait reçu une petite statue de la Sainte Vierge qu'il
affectionnait beaucoup. Lorsqu'il travaillait aux champs, il la plaçait devant
lui pour s'animer et s'encourager.
Dès que Mr
Vianney eut pris possession de la paroisse d'Ars, il se fit remarquer de ses
nouveaux paroissiens par sa piété, et son assiduité presque continuelle à
l'église. Voulant se sanctifier lui-même et travailler plus efficacement à la
sanctification de ses paroissiens, il continua à suivre la vie pénitente et
mortifiée qu'il avait déjà embrassée; il s'efforça de donner en tout le bon
exemple en administrant les sacrements avec un grand esprit de foi, en
annonçant la parole de Dieu avec tout le zèle qu'inspire l'amour de Dieu, en
menant la vie la plus régulière. Il eut soin aussi, comme je l'ai dit eu
parlant de la foi, de porter aux pratiques de piété, par tous les moyens que le
zèle et la prudence conseillent. Il établit la prière du soir en public; il la
faisait avec une piété et une onction qui touchait tout le monde. Mr de
Montbriant avait toujours envie de pleurer quand il entendait le Curé d'Ars
dire ces mots: Mon Dieu qui voyez mes péchés, voyez aussi la douleur de mon
coeur. Qui pourrait dire aussi l'ineffable attendrissement de sa voix, quand il
ajoutait: Prions pour les pauvres malades, pour ceux qui se recommandent à nos
prières. Le Dimanche soir, Mr Vianney faisait à l'exercice de la prière
l'explication de l'évangile du jour. 789 Dans ses homélies on sentait, comme je
l'ai déjà indiqué dans ma déposition sur la foi, toute la charité qui embrasait
son coeur.
On ne voyait
pas moins percer son amour pour Dieu, lorsqu'il avait à signaler quelques vices
ou quelques abus. Je puis dire que le Curé d'Ars semblait dans toute sa
conduite n'avoir qu'une pensée, aimer Dieu et le faire aimer. C'est cette
pensée qui m'explique tout ce que j'ai vu dans le Curé d'Ars.
L'amour de
Dieu, comme je n'en doute pas, l'avait porté à embrasser une vie de sacrifice
et de renoncement à lui-même; on ne le voyait s'accorder aucune jouissance. Il
récitait son office à genoux et sans s'appuyer. Il paraissait immobile comme
une statue et tout entier absorbé dans la prière; seulement de temps en temps
on le voyait tourner les yeux vers le tabernacle avec amour et bonheur.
A l'autel, il
était impossible de contempler une figure exprimant mieux l'adoration, l'amour,
et le respect. Il n'était pas plus long que les autres dans la célébration du
saint sacrifice. J'ai remarqué qu'en cela comme dans le reste, il était ennemi
de toute affectation. Sa charité envers Dieu et envers l'auguste sacrement de
l'eucharistie le porta à agrandir et embellir son église, à acheter de beaux
ornements. J'ai déjà dit qu'à ses yeux rien n'était assez beau quand il était
question du culte de Dieu. Il aimait à donner au culte extérieur tout l'éclat
possible; il savait par expérience combien le peuple en est frappé. La
procession du St Sacrement était pour lui un moment de bonheur. Il était
heureux quand on pouvait lui donner une grande solennité. Je me rappelle qu'à
la dernière procession à laquelle il a assisté il tressaillit d'allégresse en
entendant la musique des élèves du collège des Pères Jésuites de Montgré. Il
n'avait pas été prévenu; ce fut pour lui une agréable surprise. Après la
procession, il ne savait comment témoigner sa reconnaissance aux professeurs et
aux élèves qui lui avaient procuré ce bonheur.
790 Je sais qu'il portait individuellement les personnes qui
s'adressaient à lui à la communion fréquente; mais il avait une telle horreur
du sacrilège, qu'il n'osait presque pas parler sur ce sujet. Du moins je ne me
rappelle pas qu'il ait fait des instructions spéciales sur la fréquente
communion. Lorsqu'il donnait la Ste Communion, ou lorsqu'il administrait le
saint Viatique, quelle foi et quel amour! J'en ai été profondément pénétrée.
J'ai entendu
bien des fois le Curé d'Ars prêcher sur l'amour de Dieu ou sur d'autres sujets
s'y rapportant. Il me serait difficile de citer textuellement ses expressions;
mais j'en ai conservé une impression générale qui ne s'effacera pas de ma
mémoire. Je puis dire que c'était des cris et des élans d'amour depuis le
commencement jusqu'à la fin. Je me rappelle qu'il était admirable quand il parlait
de la dignité de notre âme. Il finissait souvent par ces mots: Être aimé de
Dieu, être uni à Dieu: oh! belle vie et belle mort!
Le Curé d'Ars
ne paraissait pas moins inspiré lorsqu'il avait à exposer la nécessité, les
effets et les avantages de la prière. Il s'arrêtait avec complaisance à montrer
combien il nous est facile de prier dans quelque condition que nous soyons,
combien la prière console et fortifie, comment elle élève notre âme vers Dieu.
Il recommandait beaucoup la pratique de la prière en famille. Un jour, vaincu
par la souffrance, il s'était affaissé et avait disparu dans la chaire. Quand,
au bout d'un moment, il reparut, il nous peignit en traits de feu la force et
la consolation de la prière.
Je trouve
dans ma correspondance avec ma mère et dans celle de mes enfants des détails
sur tout ce qui se passait à Ars, je remarque qu'en particulier je lui parlais
souvent des sujets qui faisaient la matière des instructions du Curé d'Ars et
de la manière dont il les traitait. J’avais toujours soin de noter l'impression
qu'il me produisait. 791 Je vois que j'étais singulièrement frappée de l'amour,
de la piété, de la foi qui brillaient dans toutes ses paroles. Il y mettait un
feu et une onction qui allait au coeur.
Ceux qui
avaient le bonheur de s'adresser à lui pour la confession étaient profondément
touchés des paroles que le bon Curé leur disait. Il avait alors de ces mots qui
restent à jamais gravés dans l'âme. Il rappelait surtout l'amour de Dieu, sa
grande miséricorde, la grandeur du péché, le malheur du pécheur; il
encourageait et consolait, et comme je l'ai dit, on se sentait capable en le
quittant, de porter sa croix. Mr Vianney a été forcé d'avouer que le jugement
dernier seul fera connaître le bien qui s'est fait à Ars. J'ai entendu dire à un
ecclésiastique qu'il se faisait plus de bien à Ars que dans les missions. Un
Père Jésuite, le Père de Foresta, m'a parlé avec admiration sur ce sujet; il
conseillait fortement à ceux qui s'adressaient à lui d'aller à Ars.
Le Curé
d'Ars, ainsi que je l'ai insinué plusieurs fois, semblait ne penser qu'à Dieu;
il n'avait rien d'extraordinaire à l'extérieur en dehors des fonctions de son
ministère; mais tout en lui cependant ramenait à la pensée de Dieu. Dans une
première conversation que j'eus avec lui, je ne le connaissais pas, il parla
toujours de Dieu. Il connaissait toutes les affaires de ses paroissiens; il
s'en entretenait volontiers avec eux; on voyait qu'il y prenait plaisir; mais
il savait toujours glisser quelques paroles portant à Dieu.
Il était très
sensible à tout ce qui concernait l'Église; on le voyait heureux et content
lorsqu'on lui apprenait quelques bonnes nouvelles. On remarquait sa peine
lorsqu'au contraire on lui donnait quelques fâcheuses nouvelles. Il souffrait
beaucoup de voir Dieu offensé et il déplorait sans cesse le malheur des pauvres
pécheurs. 792
Le
Serviteur de Dieu a dû passer par beaucoup d'épreuves. Elles n'ont jamais pu
abattre son courage; elles ne servaient qu'à le détacher de plus en plus des
choses de ce monde et à l'attacher à Dieu. Il parlait si bien de la croix,
qu'on voyait qu'il en avait compris toute l'importance. Il disait qu'elle
distillait un baume d'amour. La vie de sacrifice semblait faire son bonheur.
Nous nous plaignons, disait-il quelquefois, de souffrir; nous devrions bien
plutôt nous plaindre de ne pas souffrir, puisque la souffrance nous rend
semblables à Notre Seigneur Jésus-Christ.
J'ai toujours
remarqué que l'amour modérait et dominait la crainte qu'il avait de la mort et
des jugements de Dieu. L'humilité lui cachait ses mérites et le bien qu'il
faisait. Comme je l'ai dit, il était tourmenté du désir de quitter Ars, pour
aller dans la solitude, pleurer sa pauvre vie et servir Dieu. Néanmoins il
aurait dû se convaincre qu'il était fait pour le travail; dès qu'il n'y avait
plus autant d'affluence, il paraissait triste et faisait des neuvaines pour que
la foule revînt. Après sa maladie de mil huit cent quarante-trois, entrant à
l'église pendant sa convalescence, il jetait un regard d'envie sur son
confessionnal; on lui avait défendu l'exercice du ministère avant sa complète
guérison. Je tiens cette particularité du confesseur de Mr Vianney.
Je sais
qu'après sa seconde tentative de fuite, il reçut d'un ecclésiastique une lettre
qui l'impressionna fortement. 793 On lui rappelait le bien qui se faisait à Ars
et on lui disait que son désir d'aller dans la solitude était une tentation du
démon.
795 Session 86 - 22 Août 1863 à 3h de l'après-midi
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Quant à la
charité envers le Prochain, j'affirme que dans Mr Vianney elle a été aussi
grande que possible. 796 J'en ai pu juger par moi-même tout le temps que je
l'ai connu à Ars, c'est-à-dire pendant près de trente ans.
J'ai toujours
entendu parler de la manière édifiante dont il avait rempli ses fonctions de
vicaire à Ecully et du zèle qu'il avait déployé dans cette paroisse.
Dès son
arrivée à Ars, il tâcha de se faire aimer de ses paroissiens, afin de pouvoir
par ce moyen les porter à Dieu. Pour cela, il les aima lui-même beaucoup; il
les visita avec bonté et charité. Je suis cependant arrivée trop tard pour
juger par moi-même du bon effet que produisaient ses visites. Je sais qu'il ne
se contentait pas de donner à ses paroissiens des marques générales
d'attachement; il saisissait la moindre occasion pour leur en donner de
particulières. Bon, affable envers tout le monde, il n'aurait pas rencontré un
enfant sans le saluer et lui adresser en souriant quelques mots aimables.
J'ai déjà, je
crois, suffisamment fait connaître qu'il remplissait tous les devoirs d'un zélé
pasteur et qu'il ne négligeait rien de ce qui pouvait faire fleurir la piété ou
procurer le salut des âmes. Je ne sais si le curé d'Ars a dit positivement: Mon
Dieu, accordez-moi la conversion de ma paroisse; je consens à souffrir ce que
vous voudrez tout le reste de ma vie; ce que je sais, c'est que le Curé d'Ars a
eu beaucoup à souffrir de toutes manières et que cependant il ne s'est jamais
relâché de son genre de vie si austère et si sévère et n'a jamais cessé de
poursuivre les travaux qu'il avait entrepris pour le salut des âmes. Je sais
que lorsqu'il voulait obtenir quelques grâces particulières pour le bien des
fidèles, il redoublait ses jeûnes et ses macérations. J'ai su par les missionnaires
qu'il offrait ses souffrances du jour pour la conversion des pécheurs, et
celles de la nuit pour le soulagement des âmes du purgatoire. 797 Il dormait
fort peu; il a avoué à Mr des Garets que s'il avait pu dormir seulement une
heure, c'était tout ce qu'il aurait fallu. Vers la fin de sa vie, la fièvre le
brûlait sur son pauvre grabat; la toux qui lui déchirait la poitrine était
presque sans intermittence; il était obligé de se lever souvent. Quand l'heure
qu'il avait fixée pour se rendre à l'église était arrivée, il se levait gaîment
et recommençait le rude labeur de la veille.
Mr Vianney ne
se contentait pas de prier et de souffrir pour la conversion des pécheurs. Il a
fondé des messes dans cette intention. Il a établi l'oeuvre admirable des missions,
qui doivent se donner de dix ans en dix ans dans les paroisses désignées, sans
que les fidèles aient à supporter aucune dépense. Près de cent missions ont été
fondées de la sorte. Il y mettait beaucoup de zèle et la seule pensée du bien
qui pouvait se faire par elles, était pour lui le sujet d'une grande
consolation. Il invitait sans cesse les fidèles à prier et à offrir leurs
souffrances pour la conversion des pécheurs.
Quant à lui,
on peut dire qu'il s'est sacrifié pour le salut des âmes. Non content des
travaux qu'il trouvait dans sa paroisse, il se prêtait volontiers aux désirs de
ses confrères qui réclamaient son concours dans les missions et les jubilés. Il
prit une part active à la mission de Trévoux; son confessionnal était
continuellement assiégé par de nombreux fidèles. Un de ses amis, chez lequel il
logeait, se voyait obligé d'aller chercher à l'église le bon curé vers onze
heures du soir pour lui faire prendre quelque chose avant minuit. Il allait
aussi très volontiers visiter les malades des paroisses voisines lorsque ses
confrères l'en priaient, ou lorsque étant infirmes ou absents on recourait à
lui. Dans le temps même où le pèlerinage était le plus fréquenté, on l'a vu se
porter auprès des malades, qui réclamaient son ministère, quoiqu'ils fussent
éloignés de l'église. 798 Madame Louis des Garets me disait, il n'y a pas très
longtemps, qu'en mil huit cent vingt-sept le Curé d'Ars allait à Trévoux
confesser son père, Mr de Bar, pendant sa maladie, et cela toujours durant la
nuit, pour ne pas perdre de temps. Une nuit, disait-elle, il nous arriva par
une pluie battante; ses vêtements étaient ruisselants d'eau. On ne put
néanmoins le faire approcher du feu; il ne voulut rien prendre parce qu'il
désirait dire la messe. Il s'approcha du lit du malade, qu'il consola par
quelques paroles sorties de son coeur embrasé de l'amour de Dieu et repartit
aussitôt après.
Sa grande
charité pour le prochain, les travaux apostoliques qui l'avaient fait connaître
dans les environs, sa réputation qui s'étendait peu à peu, lui amenèrent un
très grand nombre de fidèles; ce nombre alla croissant et atteignit des
proportions considérables. Depuis la fondation du pèlerinage, on peut dire que
le bon Curé ne s'appartint plus à lui-même. Il se levait à une heure ou deux
heures du matin; se rendait à l'église pour entendre les confessions. Il y
passait toute la journée jusque vers huit heures du soir, à part le temps qu'il
donnait à la récitation de son office, à la célébration de la Ste Messe, à ses
repas, à la visite des malades, etc. Il n'était jamais si content que lorsqu'il
avait été écrasé par les confessions des fidèles. L'affluence était telle que
dans certains moments, et les dernières années à peu près toujours, les
pèlerins étaient obligés de passer la nuit aux abords de l'église. Dès qu'elle
était ouverte le matin vers une heure, deux lignes serrées s'établissaient et
se pressaient vers le lieu où Mr Vianney entendait les confessions. 799 Et
chose étonnante, le plus grand recueillement régnait habituellement au milieu
de cette foule si nombreuse et si empressée. Une chose non moins surprenante,
c'est que tant de milliers de personnes venues de tous pays aient pu se faire
entendre de Mr Vianney et l'entendre lui-même. Le concours était si
considérable qu'un curé, en mil huit cent quarante-cinq, demandait à Mr des
Garets si vraiment ce qu'il voyait se répétait souvent dans l'année; et ce
jour-là cependant il n'y avait rien eu d'extraordinaire.
Mr l'abbé
Toccanier m'a raconté qu'un jour il avait dit à Mr Vianney: Si Dieu vous
proposait de monter au ciel à l'instant même, ou de rester sur la terre pour
travailler à la conversion des pécheurs, que feriez-vous? - Oh! je crois que je
resterais. - Resteriez-vous jusqu'à la fin du monde? - Tout de même. - Dans ce
cas, ayant bien du temps devant vous, vous lèveriez-vous si matin? - Oh! oui, à
minuit: je ne crains pas la peine.
Je n'ai pas
vu les commencements de la Providence. Je sais que pour l'établir, Mr Vianney
sacrifia sa fortune. Il affectionnait beaucoup cet établissement; il y allait
prendre sa nourriture. J'y ai vu des exemples touchants de piété dans ces
jeunes filles qu'on y élevait; elles y ont été quelquefois assez nombreuses.
Par la Providence, il avait fondé une école gratuite pour les filles de sa paroisse.
Plus tard, il vint à bout de faire la même chose pour les jeunes gens.
Mr Vianney
aimait beaucoup les pauvres, les malades ou les infirmes. Il s'était fait une
loi de ne jamais refuser l'aumône. Il n'avait jamais d'argent en réserve; dès
qu'il en recevait, il le distribuait aux pauvres; j'en excepte néanmoins
l'argent donné pour des messes ou des bonnes oeuvres; cet argent recevait
toujours sa destination. 800 Il consulta un jour Mr des Garets pour savoir s'il
ne donnait pas trop en donnant cinq francs à chaque Espagnol qui venait
implorer sa charité. Il secourait un grand nombre de pauvres honteux. On a vu à
sa mort le bien qu'il faisait et jusqu'où sa charité s'étendait. Un jour, je
lui demandais de concourir à une oeuvre, il me dit: Je ne le puis, j'ai à
soutenir vingt-cinq familles. On ne saurait calculer les sommes qui ont passé
par ses mains. Il donnait tout ce qu'il avait; il distribuait les provisions
que des personnes charitables lui apportaient. On l'a vu plus d'une fois donner
des objets auxquels il tenait beaucoup parce que des souvenirs touchants et
personnels s'y rattachaient. Ainsi le chapelet qu'il avait reçu du St Père par
le Supérieur Général des Frères de la Ste Famille, il le donna au bout de trois
mois. Il céda à Mr de Montbriant un reliquaire de St François Régis, quoiqu'il
y tînt beaucoup.
(suite de la déposition de Mme la
Comtesse des Carets, 2d volume du Procès de l'Ordinaire)
883 Session 96-10 Septembre 1863 à 3h de l'après-midi
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
La Prudence
et la patience ont été les deux vertus qui m'ont le plus frappée dans le
Serviteur de Dieu. Jamais une démarche imprudente, jamais une parole dont il
ait eu à se repentir, malgré les nombreuses questions qu'on lui adressait de
tous les cotés.
884 Mr Vianney cherchait en tout à fuir la singularité; il était
simple dans ses paroles, dans ses actions et jusque dans sa piété. Il semblait
redouter singulièrement qu'on pût penser qu'il se donnait pour modèle. Il
faisait chaque chose comme il devait le faire, sans contrainte et sans
ostentation; on voyait qu'il ne se proposait pas de plaire aux hommes mais
uniquement de plaire à Dieu.
La Prudence
chrétienne lui fit toujours rechercher pour lui-même les moyens les plus propres
pour atteindre sa fin surnaturelle. J'ignore, il est vrai, pour le commencement
de sa vie, les principaux détails, mais le genre extraordinaire, la vie
mortifiée que je l'ai vu suivre à Ars me fait assez croire qu'il n'a pas
attendu son arrivée dans cette paroisse pour pratiquer la vertu comme il le
faisait. Ma conviction est donc que Mr Vianney n'a rien négligé de ce qui
pouvait procurer son salut et le conduire à la perfection.
Cette
prudence qu'il s'était efforcé d'acquérir, avec le secours de la grâce, il
tâchait de l'inspirer aux autres. On le vit donc, comme je l'ai rappelé en
parlant de la Foi, de l'Espérance et de la Charité, remplir tous ses devoirs de
pasteur, détruire les abus et faire refleurir la piété en se servant pour cela
de tous les moyen que le zèle conduit par la Prudence sait faire prendre. Il
lui arriva plus d'une fois de parler d'une manière forte et je pourrais dire
presque sévère, mais il évitait avec soin tout ce qui pouvait blesser et
indisposer ses paroissiens. Il n'y avait jamais aucune personnalité dans ses
instructions. Il sut d'ailleurs s'attirer l'estime et la bienveillance de ses
paroissiens, qui lui donnèrent des preuves nombreuses de leur affection.
885 Le Curé d'Ars se proposait uniquement, dans les exercices de son
ministère qui concernaient ses paroissiens, de les amener à Dieu. Il y réussit
autant qu'on pouvait le désirer. La paroisse d'Ars devint une paroisse modèle.
Lorsque le
Serviteur de Dieu se trouvait en face de quelques difficultés plus
considérables, il redoublait ses prières, ses jeûnes et ses macérations, afin
d'attirer la bénédiction du Ciel sur son entreprise. Plusieurs fois même, il a
demandé au Seigneur de lui faire connaître par quelque signe si l'oeuvre qu'il
méditait lui était agréable, et Dieu n'a pas dédaigné d'exaucer le désir de son
Serviteur.
La Prudence
me paraît avoir brillé dans toutes les actions du Curé d'Ars. J'en rappellerai
ici quelques unes. Je n'ai pas vu les commencements de la Providence; mais j'ai
su avec quelle Prudence il avait créé et dirigé cet établissement. Quand, plus
tard, il comprit que l'autorité diocésaine désirait voir à la tête une
Congrégation religieuse, il sacrifia ses goûts particuliers et consentit à
appeler les soeurs de St Joseph, afin de donner la stabilité à cette oeuvre,
qui lui avait coûté tant de peines.
Lorsqu'il fut
question d'établir l'école gratuite des jeunes gens, je sais que Mr le Curé eut
de fréquents entretiens à ce sujet avec Mr des Garets.
Mr Béranger
de la Drôme éprouvait une très grande difficulté au sujet d'un testament; il ne
savait comment se tirer d'une affaire, qui lui paraissait inextricable. 886 Il
vint à Ars, exposa ses perplexités à Mr Vianney, qui aussitôt lui donna une
solution si claire, si précise et si lumineuse qu'il en fut stupéfait. Il
revint plusieurs fois à Ars par un sentiment de vénération et de
reconnaissance.
On avait une
très grande confiance aux lumières du Serviteur de Dieu. On venait de tous
côtés le consulter sur toutes sortes d'affaires, sur toutes sortes
d'entreprises. On lui écrivait de tous les pays pour avoir son avis sur des
questions les plus variées. A ma connaissance, personne n'a eu à se repentir
d'avoir suivi ses conseils. Il entrait parfois, au sujet des affaires
temporelles, dans des détails vraiment extraordinaires.
Sans cesse
sollicité par les pèlerins de se prononcer sur les événements politiques, il ne
répondait pas et cependant on le faisait parler, on citait même des prédictions
qu'il aurait faites; aussi dit-il un jour: Pauvre curé d'Ars, comme on le fait
parler, lui qui ne dit rien... Les choses allèrent si loin, qu'un agent de
police vint de Lyon pour prendre auprès de Mr le Maire des renseignements sur
certaines paroles prophétiques prêtées au Curé d'Ars et qui avaient causé une
grande émotion. Mr le Curé, mis en présence de l'agent de police, donna des
réponses si simples et si précises que l'envoyé se retira pleinement satisfait
et ravi de ce qu'il avait vu à Ars.
La prudence
de Mr Vianney n'éclata pas moins au sujet de ce qu'on a appelé l'incident de la
Salette. 887 Lorsqu'il reçut la confidence des dénégations de Maximin sur la
vérité de l'apparition de la Ste Vierge, sa première pensée fut de garder le
silence vis-à-vis du public et d'en référer seulement à son Évêque.
Malheureusement, l'ecclésiastique qui se trouvait avec lui ébruita ce qui
s'était passé. L'émoi fut grand ; les faits furent amplifiés, dénaturés,
comme il arrive presque toujours en pareille circonstance. On abusa du nom et
de l'autorité de Mr le Curé d'Ars. Il en souffrit horriblement et l'on sait que
ce fut là l'une des grandes peines de sa vie. Dès lors il s'abstint
soigneusement de parler de la Salette, soit en bien, soit en mal; il refusa
même de répondre aux plus pressantes demandes qui lui furent adressées à ce
sujet; il s'en référa à l'autorité de l’Évêque diocésain. Les peines
intérieures avaient accompagné les ennuis extérieurs que lui avait causés ce
fâcheux incident. Il eut recours à Dieu dans la prière et le conjura de
l'éclairer. Dieu vint à son aide, et lorsqu'il eut prononcé un acte de foi sur
ce fait, il fut entièrement délivré de ses inquiétudes et retrouva la paix de
l'âme.
Là où la
prudence de Mr Vianney brilla avec le plus d'éclat, ce fut dans la direction
des âmes. Il avait reçu de Dieu un don tout particulier pour consoler, éclairer
et diriger les nombreux fidèles que la réputation de ses vertus lui amenait de
tous les côtés. C'était à première vue qu'il indiquait d'une manière claire et
précise ce que l'on avait à faire. Un certain nombre de faits démontrent que
réellement il lisait quelquefois au fond des coeurs. J'en pourrai citer
quelques uns en parlant des dons surnaturels.
Quoad
Justitiam, testis respondit:
888 J'ai déjà déposé que le Serviteur de Dieu avait rempli tous les
devoirs que la religion nous impose. Il pratiquait encore les conseils
évangéliques et correspondait, autant que j'en ai pu juger, aux bons mouvements
et aux inspirations de la grâce.
Il
a été toujours très exact à remplir tous les devoirs que les hommes se doivent
mutuellement. Ce qui distinguait le Curé d'Ars, c'était une politesse simple,
franche, cordiale. On pourrait citer des mots charmants de grâce et
d'affabilité. Il accueillait tout le monde avec bonté et savait témoigner à
chacun les égards qui lui étaient dus. Il était plein de compassion pour les
personnes qui étaient affligées; il avait alors de ces mots qui portaient avec
eux la consolation, et qui rendaient la force et le courage. On avait peine à
comprendre comment il pouvait produire un si puissant effet sur le coeur
affligé.
Il
aimait les témoignages d'amitié et y répondait souvent avec effusion. Il a
souvent exprimé à Mr des Garets, par ses paroles ou dans ses lettres,
l'affection particulière qu'il avait pour lui. Lors de sa première fuite, en
mil huit cent quarante-trois, il laissa une lettre dans laquelle il appelait
toutes les bénédictions du Ciel sur Mr des Garets et sa famille. Il lui donna
encore des marques particulières de son affection et de son dévouement dans sa
dernière maladie.
Mr
Vianney respectait tout le monde; il ne voulait pas s'asseoir, et lui ne
voulait pas permettre qu'on restât debout. En saluant les visiteurs, il avait
coutume de dire: Je vous présente bien mon respect. - S'il avait connu une
formule plus respectueuse, il l'eût employée.
891 Session 97-11 Septembre 1863 à 8h du matin
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Le
Serviteur de Dieu donnait aux ecclésiastiques de grandes marques de respect.
Après les ecclésiastiques, les religieux étaient l'objet de sa prédilection. Il
aimait beaucoup les Jésuites et avait grande confiance dans la durée de cet
Ordre; 892 il me l'a dit après sa première maladie. Il avait accordé aux
ecclésiastiques le même privilège qu'aux malades, aux infirmes et à ses
paroissiens, celui de les entendre dès qu'ils réclamaient son ministère. Il les
recevait aussi lorsqu'ils désiraient de lui parler. On l'a vu, après des
journées extrêmement fatigantes, recevoir plusieurs soirs de suite un pauvre
ecclésiastique scrupuleux. Il savait donner aux personnes haut placées dans
l'Eglise les marques d'estime, de respect et de vénération qui leur sont dues.
Il y avait cependant dans ces démonstrations un grand abandon. Nous avons
remarqué combien fut touchante son entrevue avec son Éminence le Cardinal de
Bonald, auquel Mr Vianney tendit les bras, n'étant pas plus embarrassé avec lui
qu’avec un simple curé, ainsi que lui-même nous l'a dit.
Les
grands et les puissants de la terre, il les honorait comme ils le méritaient;
il les accueillait avec une exquise politesse. Lorsqu'il reçut la visite du
préfet du département, les marques de politesse qu'il lui donna frappèrent ce
magistrat. Mais au confessionnal, on remarquait qu'il ne faisait de préférence
pour personne. Là, chacun passait à son tour; il aurait dit une fois: Si
l'impératrice elle-même se présentait, elle serait obligée de faire comme les
autres. Il faisait cependant exception, comme je l'ai indiqué, pour les
malades, les infirmes, ses paroissiens ou d'autres personnes qui ne pouvaient
pas attendre.
Mr
Vianney était pour les malades d'une très grande bonté; il courait auprès d'eux
dès qu'on l'appelait; il les visitait souvent; il avait un talent merveilleux
pour compatir à leurs peines, pour les consoler par quelques bonnes paroles,
qui allaient droit au coeur: aussi obtenait-il d'eux tout ce qu'il désirait et
les disposait-il parfaitement à recevoir les derniers sacrements, si la maladie
était grave, et à paraître devant Dieu. Un de mes fils était dangereusement
malade et craignait presque Mr le Curé, de peur qu'il ne lui parlât de la mort.
893 Je remarquais avec quelle adresse il savait s'introduire auprès de lui, lui
parler de ce qu'il voulait lui dire; il lui rappelait surtout les guérisons qui
s'opéraient à Ars. Par là, il faisait renaître l'espérance au coeur du jeune
homme, tout en le disposant à recevoir les derniers sacrements, qu'il lui
administra lorsque le moment fut venu. J'ai pareillement remarqué l'affection
qu'il a toujours témoignée à ma famille. Elle se traduisait chez lui de mille
manières. Il s'informait de tout ce qui pouvait nous intéresser. S'il y avait
quelqu'un de malade, ou de fatigué, il s'inquiétait, comme s'il avait été un
des membres de la famille; il redoublait ses visites, compatissait à nos
peines, savait toujours dire quelques mots aimables, qui donnaient à l'âme le
courage dont elle avait besoin; il excellait surtout à montrer le mérite des
souffrances. Il disait: On souffre, mais on mérite. Un jour, il parla à Mr des
Garets des joies du Ciel avec des expressions qui l'impressionnèrent fortement.
Que faut-il faire pour y avoir part? demanda Mr des Garets. - Deux choses,
répondit le Curé: des croix et la grâce. Je n'oublierai jamais pour moi les
grandes marques d'affection et de sensibilité qu'il m'a toujours témoignées, et
particulièrement lorsque j'ai eu le malheur de perdre quelqu'un de mes enfants.
Il ne craignait pas de m'appeler la mère de douleur et de pleurer avec moi sur
la mort de mes fils. Il y avait dans le Serviteur de Dieu, non seulement une
grande bonté, jointe à une aimable simplicité, mais encore une grande
sensibilité, et je dirais même une effusion de sensibilité.
Il
était pour ses collaborateurs plein de condescendance. Il s'efforçait de leur
épargner la plus légère contrariété; il s'offrait à les remplacer dès qu'il les
voyait un peu indisposés. Oh! qu'il aimait les missions et ses chers
missionnaires! Le soir, quoique la journée eût été extrêmement pénible et qu'il
parût si abattu qu'il ne pouvait se soutenir, on le voyait s'entretenir avec
ses collaborateurs ou d'autres personnes qu'il recevait en ce moment, avec une
grâce, une bonté, un abandon qui frappaient tout le monde. 894 Il savait aussi
mettre alors le mot pour rire. On aurait dit qu'il n'était en aucune façon
fatigué. Lorsqu'il apercevait qu'un de ses collaborateurs manquait de quelque
chose, il s'empressait de le lui procurer. Il était très reconnaissant pour les
moindres services qu'on pouvait lui rendre, et il ne perdait pas le souvenir des
bienfaits qu'il avait reçus. Il a longtemps pleuré Mademoiselle d'Ars. Il nous
disait qu'après avoir perdu Mr Balley et sa mère, il ne s'était attaché à rien
sur la terre. Je me rappellerai toujours un catéchisme où il nous fit l'éloge
de Mr Balley; il s'appliqua surtout à nous montrer sa mortification, son amour
pour Dieu et ses grandes connaissances. Il nous envoya une fois raccommoder une
vieille couverture, qu'il tenait de Mr Balley et qu'il conservait comme une
espèce de relique.
Je
viens de parler de la gracieuse expression de sa reconnaissance, toutes les
fois qu'il en avait l'occasion. Il en donna un dernier témoignage bien précieux
à ses paroissiens peu de mois avant sa mort, en les remerciant de la belle
souscription qu'ils avaient faite pour la construction de la nouvelle église.
Quoad
Obedientiam, testis respondit:
La
vie de Mr Vianney a été une vie d'obéissance. La preuve la plus forte que j'en
puisse donner, c'est que, malgré les plus vives répugnances, il ait consenti à
rester jusqu'à sa mort dans la paroisse d'Ars. Deux fois, il est vrai, il a
tenté de fuir; mais chaque fois il avait prévenu, immédiatement avant son
départ, son Évêque, comme j'en puis juger par les lettres de Mgr Devie et par
une lettre du bon Curé lui-même. Nous possédons ces lettres dans notre famille.
Ce sacrifice lui coûta extrêmement. A la suite de sa maladie de mil huit cent
quarante-trois, mon mari, Mr des Garets, étant allé lui rendre visite, le
trouva assis sur son lit et versant des larmes abondantes; et comme il lui en
demandait la cause, il en reçut cette réponse: On ne sait pas toutes les larmes
que j'ai répandues sur ce pauvre grabat; depuis l'âge de onze ans, je cherche
la solitude; on me l'a toujours refusée.
895 Je ne puis donner aucun détail sur le fait de sa désertion.
Toutefois, je sais qu'il ne s'en est jamais repenti. Lorsque, dans ses
instructions ou ses catéchismes, il disait: Quand j'étais déserteur, il n'y
avait point de contrition dans son langage.
Son
obéissance à l'Église et au Souverain Pontife était sans bornes. Il ne parlait
et n'entendait parler de Rome et du Souverain Pontife qu'avec des
tressaillements de joie. Un prélat romain étant un jour passé à Ars, et lui
ayant dit qu'il retournait à Rome, qu'il y verrait le Saint Père, il témoigna par
les expressions les plus touchantes combien il enviait son bonheur et il le
chargea de prier pour lui sur le tombeau des Apôtres.
Je
ne sais rien de direct sur l'obéissance qu'il a eue pour ses parents pendant
qu'il était chez lui, ni pour ses supérieurs ecclésiastiques dans les
séminaires; mais tout ce que j'ai vu et entendu du bon Curé, me fait juger que
cette obéissance a toujours été exemplaire. Il n'y a pas eu d'observateur plus
exact et plus rigoureux que lui de la discipline ecclésiastique et de toutes
les lois de l'Eglise.
Quoad
Religionem, testis respondit:
La
vertu de religion se manifestait en Mr Vianney de mille manières différentes,
en tout temps, en tous lieux, en toutes circonstances. Il avait une dévotion
singulière pour les croix, les images, les statues, les reliques des saints.
Lorsqu'on lui présenta l'écrin qui contenait sa croix d'honneur, il eut une
grande joie, croyant que c'était des reliques. En mil huit cent vingt-sept,
j'ai visité sa chambre; elle était toute tapissée de vieilles et grossières
images. Mr le Curé, lui dis-je, vous avez là bien des images. - Oui,
répliqua-t-il, je suis en la compagnie des saints. La nuit, quand je me
réveille, il me semble qu'ils me regardent et me disent: Paresseux, tu dors; et
nous, nous passions nos nuits à veiller et à prier le bon Dieu.
Un
jour, on lui présenta l'image d'un Ecce homo, le corps tout déchiré et couvert
de gouttes de sang. Il en fut profondément ému et dit: Ah! si l'on avait la
Foi, comme l'on serait touché... Et il y avait des larmes dans sa voix.
Rien
n'égala son zèle pour le culte divin, pour acheter de beaux ornements, pour
embellir, son église.
896 Lorsqu'il céda aux soeurs de St Joseph sa maison de la
Providence, il voulut que la chapelle fût dans l'état le plus brillant, ornée
de statues, de tableaux, etc.
L'un
de ses plus grands bonheurs était d'entendre des prédications. On voyait qu'il
les écoutait et se les appliquait. Il ne pouvait souffrir à ce sujet la moindre
critique. Nous trouvions un jour qu'un prédicateur avait été trop long, et nous
lui en faisions la remarque. A la bonne heure, répliqua-t-il, mais ce qu'il
disait était si bon. Les compliments qu'on lui adressait quelquefois du haut de
la chaire le peinaient sensiblement. Il s'enfonçait alors dans sa stalle avec
un air si affligé que nous-mêmes, nous souffrions pour lui. A la fin d'une
station, un prédicateur s'étant permis de faire son éloge, il lui dit: Mon ami,
vous avez très bien prêché pendant tout le temps, mais la fin a tout gâté.
Je
n'en pourrais jamais assez dire sur sa dévotion au Saint Sacrement; inutile de
revenir sur les détails que j'ai donnés. Lorsqu'il était à genoux devant
l'autel, ou qu'il parlait en chaire de la divine Eucharistie, on aurait dit une
extase. Je lui ai entendu dire: Si l'on savait ce que c'est que de communier,
on serait tellement saisi qu'on ne pourrait pas aller à la table sainte. - Il
disait encore: Si l'on savait bien ce que c'est que la communion, on ne
voudrait presque pas aller au Ciel, parce qu'on n'y communie pas. Il citait
volontiers le trait de Ste Françoise qui aimait à se trouver auprès de sa mère
pendant la journée toute entière, lorsqu'elle avait communié. Pendant l'octave
du St Sacrement, ses prédications n'étaient qu'un long cri d'amour. L'attitude
du Serviteur de Dieu devant le St Sacrement était telle, qu'il me semble que je
le vois encore et qu'il m'en est resté un souvenir ineffaçable.
Il
avait un grand respect pour toutes les pratiques extérieures de piété; il
s'attachait néanmoins de préférence aux pratiques communes et universellement
acceptées par l'Église. Il aimait beaucoup l'exercice du chemin de la croix. Il
le faisait publiquement tous les dimanches de Carême et tous les jours de
l'octave des morts. Aux dernières stations, il était tellement ému, ses larmes
étaient tellement abondantes, qu'il pouvait à peine terminer cet exercice. Il
recommandait de ne jamais passer devant une croix sans la saluer. J'ai vu un
homme du monde se découvrir passant devant une croix; je ne l'aurais pas fait,
me dit-il, si je n'avais pas entendu le Curé d'Ars.
897 Il était du tiers-ordre de St François; lorsque la nouvelle s'en
répandit dans la paroisse, on eut de vives inquiétudes, on crut qu'il allait se
faire capucin. Je ne sais rien sur ses dévotions privées, sinon qu'il disait la
messe le samedi en l'honneur de la Sainte Vierge et pour des intentions
personnelles. Lorsque ce jour-là quelqu'un lui demandait une messe, il
paraissait contrarié; il condescendait cependant quelquefois à la demande; mais
alors il disait: Aujourd'hui, vous serez bien près de moi.
899 Session 98-11 Septembre 1863 à 3h de l'après-midi
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Pendant
sa maladie de mil huit cent quarante-trois, l'une de ses plus grandes
privations fut de ne pouvoir pas célébrer le saint sacrifice de la messe;
aussi, à peine alla-t-il un peu mieux, qu'il voulut se procurer ce bonheur. Ne
pouvant pas rester longtemps sans prendre quelque chose, il se leva à deux
heures du matin, se rendit à l'église, célébra le saint sacrifice. 900 Malgré
l'heure matinale, toute la paroisse était réunie à l'église. A la fin de la
messe, la figure du bon Curé était toute baignée de larmes. L'une de mes filles
qui y assistait fut tellement impressionnée qu'elle n'en parle encore qu'avec
une vive émotion. Il lui semblait avoir assisté à une messe des catacombes.
Le
Serviteur de Dieu fut toujours très dévot envers la Sainte Vierge. Il fit
placer à Ars une horloge afin de bénir l'heure, disait-il. Lorsqu'elle sonnait,
il récitait un Ave Maria avec une invocation; il tenait beaucoup à cette
pratique, et il s'efforça de l'introduire parmi les fidèles de sa paroisse. Il
eut toujours une tendre dévotion à Marie invoquée sous le titre d'Immaculée. Chaque
soir à la prière publique, il récitait le chapelet de l'Immaculée Conception.
Il vénérait d'une manière particulière la médaille miraculeuse, comme on l'a
appelée; il m'a dit avoir vu la personne à laquelle la révélation avait été
faite. Dès l'année mil huit cent trente-six, il consacra sa paroisse d'une
manière solennelle à la Vierge Immaculée. Au moment où l'on parlait de la
définition du dogme de l'Immaculée Conception, comme il avait déjà fait ériger
une statue sur le frontispice de son église, il engagea ses paroissiens à
acheter une magnifique chasuble. Les fidèles répondirent à son appel. Le jour
où l'on apprit la définition du dogme, il y eut dans la paroisse de grandes
démonstrations de joie; le bon Curé ne resta pas en arrière, ou plutôt c'était
lui qui était à la tête et il dit à cette occasion: Il semblait qu'il ne
manquait que cela à la religion. Le très saint Coeur de Marie était l'objet
d'un culte particulier de la part du Serviteur de Dieu. Il faisait faire un
grand nombre de neuvaines en l'honneur de ce Coeur immaculé.
Le
Curé d'Ars prêchait souvent sur la dévotion à la Sainte Vierge. Il le faisait
avec beaucoup d'onction. Je trouve sans cesse dans les lettres que j'ai encore
des impressions que ses prédications produisaient. Je me rappelle en
particulier qu'un jour de l'Assomption, il entra dans des détails très
circonstanciés sur l'entrée de la Ste Vierge dans le Ciel et sur la réception
dont elle fut l'objet. A entendre le bon Curé, on aurait dit que lui-même y
avait assisté.
Il
honorait les saints d'une manière particulière; il lisait leur vie et dans ses
instructions il savait agréablement rappeler une multitude de traits qui
intéressaient et édifiaient. Il aimait beaucoup St Joseph parce que, disait-il,
il a bien soigné l'Enfant-Jésus. 901 Il recommandait souvent la dévotion aux
saints anges gardiens; il leur a fait ériger une chapelle dans son église; il a
fait placer plusieurs statues en leur honneur; il avait au sujet de la dévotion
aux anges gardiens des traits charmants. Comme, dans le pays, on se salue en
ajoutant ces mots: et la compagnie, il disait que cet usage venait de ce que
chacun, étant accompagné de son bon ange, ne se trouvait ainsi jamais seul.
Les
noms de Ste Agnès, de Ste Colette, de St Jean-Baptiste, de St François Régis et
d'autres revenaient fréquemment dans ses instructions. Je l'ai vu pleurer
d'amour devant un tableau de St François d'Assise.
Ste
Philomène, qu'il ne nommait que sa chère petite sainte, était l'objet d'un
culte spécial de la part du Curé d'Ars. Il lui fit construire une chapelle,
qu'il décora autant qu'il le put, et il rappelait avec bonheur qu'il avait été
le premier en France à lui dédier une chapelle. Il conseillait souvent des
neuvaines en l'honneur de cette sainte, surtout lorsque l'on voulait obtenir
quelque guérison.
L'une
des dévotions qui lui tenaient le plus à coeur, était la dévotion aux âmes du
purgatoire. Elle était en lui tendre et continuelle. Avait-il une messe à dire
pour un malade ou pour les âmes du purgatoire, il préférait les âmes du
purgatoire. Ce que je vais ajouter n'est que le résultat de mes impressions et
de ma conviction personnelle, sans que je songe à rien préjuger sur le fond et
la réalité des faits. Ma conviction est donc qu'il était en relation directe
avec les âmes du purgatoire, et que le purgatoire était un lieu où il savait ce
qui se passait.
J'ai
eu un fils qui est mort à l'expédition de Crimée. Lorsque nous eûmes appris
cette triste nouvelle, il nous rassura et nous consola grandement sur son
salut. A quelques jours de là, dans un catéchisme, il lui échappa de dire,
faisant allusion à notre fils: C'est comme ce pauvre enfant; il est en
purgatoire; mais il n'y est pas pour longtemps. Nous ne laissions pas cependant
d'être encore dans une certaine inquiétude: car nous ignorions si avant de
mourir il avait pu voir un prêtre. Au bout de six mois, nous reçûmes d'un
officier une lettre qui nous assurait positivement que notre fils s'était
confessé, et avait fait une mort édifiante. 902 Mon mari se hâta d'en porter la
nouvelle à Mr le Curé, qui se contenta de lui répondre: J'en suis bien aise
pour la mère; mais pour moi, cela ne change rien à ce que je croyais.
Une
demoiselle de Bourg, Melle d'Ecrivieux, avait avec elle son vieux père, qui
avait été rebelle toute sa vie aux influences religieuses et qui mourut
subitement. La bonne demoiselle était très inquiète sur son salut. Afin de se
rassurer, elle consulta Mr le Curé qui, sans hésiter, répondit: Il est sauvé,
mais il est en purgatoire pour un temps indéfini.
Ma
mère, qui était une personne très pieuse, venait de mourir. Il me semblait que
je n'avais presque pas besoin de prier pour elle; j'en parlais à Mr le Curé.
Priez, me répondit-il, priez au contraire beaucoup pour elle. Ma soeur, de son
coté, s'en ouvrit à Mr le Curé. Soyez tranquille, mon enfant, lui dit-il, votre
mère est bien placée. - Comment, Mr le Curé? Elle est en paradis? - Je ne vous
dis pas cela, mon enfant; je vous dis qu'elle est bien placée. Nous comprîmes
qu'il voulait dire qu'elle n'était pas pour longtemps en purgatoire.
Melle
Adèle de Murinais, après avoir consacré toute sa vie à l'exercice des bonnes
oeuvres, s'était éteinte à la suite d'une longue et douloureuse maladie. Je la
recommandais aux prières de Mr le Curé. Il est inutile, mon enfant, de prier
pour elle, me répondit-il. La belle-soeur de Mademoiselle de Murinais lui
apporta des messes à dire pour le repos de son âme; il les refusa en disant:
Elle n'en a pas besoin.
Melle
de Bar, qui est notre parente, avait perdu sa mère, dont la vie avait été semée
de bien des épreuves; elle vint à Ars et comme elle entrait à la sacristie, Mr
le Curé l'aborda et lui dit: Mademoiselle, vous avez donc perdu votre mère...
Elle est au ciel. - Je l'espère, Mr le Curé. - Oh! oui, elle est au Ciel. Et comme
Melle de Bar présentait à Mr Vianney le chapelet de sa mère pour le faire
bénir, il le prit et le baisa avec respect.
J'ai
remarqué beaucoup d'autres choses de ce genre et ce qui a mis en moi la
conviction dont j'ai parlé plus haut.
Il
a été l'un des plus ardents propagateurs de l'oeuvre des Dames Auxiliatrices,
pour le soulagement des âmes du purgatoire. On peut même dire que c'est l'appui
qu'il a accordé à cette oeuvre intéressante qui lui a donné la solidité.
Lorsqu'il en eut la première communication, il dit: Ah! qu'il y a longtemps que
j'attendais cela...
903 Quoad Orationem, testis respondit:
A
mon avis, l'oraison du Curé d'Ars était continuelle; son âme paraissait sans
cesse unie à Dieu. Sa pensée revenait continuellement dans ses paroles. Revoyant
un de mes enfants, il lui dit: Bonjour, mon enfant; comment va votre âme? Me
rencontrant avec mes filles: Faites-en des saintes. Le premier jour de l'année,
il nous dit: Si j'avais la clef du Ciel, je vous la donnerais pour étrennes. En
revoyant Mr Toccanier, qui avait fait une absence, il lui dit: Ah! mon ami, que
les damnés sont malheureux: ils ne verront jamais Dieu, et le retour d'un ami
fait tant de bien. Le Curé d'Ars savait ainsi toujours entremêler une pensée de
Dieu aux choses qui paraissaient les plus indifférentes.
Un
jour, je disais à Mgr Devie: On regarde généralement le Curé d'Ars comme peu
instruit. - Je ne sais s'il est instruit, me répondit Mgr, mais ce que je sais,
c'est que le St Esprit se charge de l'éclairer. Il m'en donna comme preuve la
solution des cas difficiles que Mr Vianney lui avait soumis: Sur plus de deux
cents cas sur lesquels il m'avait demandé mon avis, tout en me faisant
humblement connaître là-dessus sa pensée, ajouta Mgr, je n'en ai trouvé que
deux, sur lesquels nous avons différé de sentiment.
Quoad
Fortitudinem, testis respondit:
Le
Serviteur de Dieu a montré toute sa vie une force vraiment extraordinaire. Les
épreuves, les contradictions, les souffrances ne lui ont pas manqué; elles
n'ont jamais pu cependant diminuer sa confiance en Dieu; elles l'ont même
augmentée, car elles ne servaient qu'à le détacher complètement des choses de
ce monde. J'ai toujours beaucoup admiré son inébranlable constance. On l'a vu,
sans jamais se démentir, poursuivre le genre de vie si extraordinaire que
l'amour de Dieu lui avait fait entreprendre.
J'ai
déjà dit que la patience du Serviteur de Dieu était une des vertus qui
m'avaient le plus frappée en lui. Je ne sais s'il avait promis à Dieu de ne
jamais se plaindre, mais ce que je sais, c'est qu'il ne se plaignait pas. Il
avouait cependant la souffrance, l'on voyait souvent sur sa figure l'empreinte
de la douleur, mais jamais de sa bouche ne s'échappait une parole de plainte.
On
a toujours admiré sa patience à supporter les douleurs et les souffrances. 904
Il était sujet à plusieurs infirmités. Dans le temps même où son pauvre
cadavre, comme il l'appelait, souffrait horriblement, son esprit était toujours
libre; rien dans son humeur ou dans sa conversation ne faisait soupçonner les
vives douleurs qu'il ressentait. Un jour qu'il était venu bénir nos
constructions, il souffrait horriblement. Je lui offris de prendre quelque
chose: Ah! dit-il en souriant, il y aurait trop à faire, si l'on prenait
quelque chose toutes les fois qu'on souffre... Vous souffrez bien, lui dis-je
un jour en le voyant sortir de l'église, tout courbé, et se traînant avec
peine. - Oui, répondit-il, je souffre bien. Plus d'une fois, à la prière du
soir, on l'a vu, comme vaincu par la douleur, s'affaisser et disparaître dans
sa chaire, puis se relever avec courage, prêcher avec le même feu que s'il
n'avait rien ressenti.
Vers
la fin de sa vie, ses nuits étaient très mauvaises et il avoua à Mr des Garets
qu'il ne pouvait dormir une heure d'un bon sommeil; qu'il était obligé de se
lever plusieurs fois.
Il
me serait difficile de dire tout ce que le Curé d'Ars a eu à souffrir dans ses
longues séances au confessionnal. L'hiver, il craignait bien le froid, et
cependant il ne voulait prendre aucune précaution pour s'en garantir; il
n'avait point de manteau. Quand il sortait du confessionnal, on le voyait pâle,
frissonnant; ses jambes engourdies ne pouvaient plus le soutenir. Il a avoué
quelquefois que pour réchauffer un peu ses doigts avant la messe, il avait dû
faire brûler un peu de papier à la sacristie. L'été, c'étaient de nouvelles
souffrances, provenant de la chaleur, de l'air vicié par une foule considérable
de pèlerins réunis autour de lui, par les mauvaises odeurs que répandaient des
infirmes ayant toutes sortes de maladies. Il craignait beaucoup les mauvaises
odeurs, et plus d'une fois il a failli s'évanouir par suite de celles qu'il
respirait. Malgré ses souffrances, le Curé d'Ars n'a pas cessé un seul jour de
continuer ce pénible ministère, sans accorder à la nature ce qu'il aurait pu
lui accorder très légitimement. 905 La seule chose qu'il se permettait l'hiver,
c'était d'allumer un bon feu dans sa chambre lorsqu'il y était rentré à la fin
de sa journée. Il a souffert aussi beaucoup de toutes les importunités de la
foule, ainsi que je l'ai déjà suffisamment indiqué. Il a dit au Frère Jérôme
que s'il avait su d'avance tout ce qu'il aurait à souffrir étant curé, il
serait mort de chagrin.
907 Session 99-12 Septembre 1803 à 8h du matin
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Le
Curé d'Ars eut bien à souffrir, dans le commencement de son ministère à Ars, de
la part de plusieurs de ses confrères, ainsi que je l'ai déjà indiqué en
répondant au dix-septième Interrogatoire. J'ai aussi au même endroit rappelé
d'autres sujets de peine. J'ai déjà dit combien il eut à souffrir au sujet de
l'affaire de la Salette. 908 La transformation de sa Providence fut aussi pour
lui un sujet de peine. Il avait sans doute l'intention de confier cet
établissement, pour lui donner de la stabilité, à une congrégation religieuse;
il avait même jeté les yeux sur celle des soeurs de St Joseph. Il avait
plusieurs fois manifesté à Mr des Garets ses intentions à ce sujet. Cependant
il eut beaucoup à souffrir lorsque la transmission à la Congrégation des soeurs
eut lieu sur l'invitation de l'autorité diocésaine, soit peut-être parce
qu'elle se fit avant le temps qu'il avait fixé, soit peut-être qu'on ne garda
pas tous les ménagements désirables, soit parce que cet établissement ne
devenait plus qu'une simple école, soit enfin parce que ce changement brisait
ses habitudes ordinaires; c'était, à la Providence en effet qu'il allait
prendre ses repas, etc. Il disait un jour à Mr des Garets: On a reproché bien
des choses à ma Providence; les enfants, disait-on, étaient mal tenues, etc.;
et cependant Dieu faisait en sa faveur des miracles, et rien n'y a jamais
manqué.
Mr
Vianney souffrit de voir apparaître sa biographie; il souffrit pareillement de
la publicité de certains livres que l'on publiait sous son patronage.
Le
caractère d'un prêtre, qu'on lui avait donné pour auxiliaire, fut pour lui
l'occasion plus d'une fois de vives peines.
Le
Curé d'Ars souffrait tout avec une très grande patience, comme j'ai pu le remarquer
bien des fois. Quand une mesure le contrariait, il souffrait mais on le voyait
parfaitement soumis à l'autorité; il ne se plaignait et ne murmurait en aucune
façon.
La
patience n'était pas cependant une vertu naturelle au Serviteur de Dieu, car il
était d'un tempérament vif, comme nous en avons fait mille fois la remarque. Je
tiens d'une personne en qui Mr le Curé avait assez de confiance qu'il lui en
coûtait beaucoup pour réprimer toute impatience et toute vivacité: Souvent il
me semble, disait-il, que j'ai la fièvre; mon sang bouillonne dans mes veines,
et j'ai de la peine à me contenir. Mr des Garets l'a entendu dire un jour
qu'une heure de patience valait mieux que plusieurs jours de jeûne.
Un
ecclésiastique du diocèse de Paris ayant été chassé de sa paroisse en mil huit
cent trente vint à Ars; il raconta à Mr Vianney tous les outrages, toutes les
injures dont il avait été l'objet. Oh! que vous auriez été heureux d'être tué,
lui répondit Mr Vianney, vous seriez allé droit en paradis.
909 Mr Renard, prêtre originaire de la paroisse d'Ars, eut en mil
huit cent quarante-huit le même sort que l'ecclésiastique dont je viens de
parler. Comme il en parla à Mr le Curé d'Ars, il en reçut une réponse analogue
à celle que je viens de rapporter.
Il
nous disait un jour: L'union avec le Coeur de Jésus et avec la croix, voilà le
salut.
Je
me crois obligée de revenir sur ce que j'ai dit précédemment au sujet de Mr
Raymond qui, pendant sept ans, a été le prêtre auxiliaire de Mr Vianney. Avant
d'être appelé à cet emploi, il était curé à Savigneux, paroisse voisine d'Ars,
et il fut l'un des premiers à reconnaître son mérite et sa sainteté; il lui
rendait même quelques services de ministère. Le pèlerinage ayant pris une
grande importance et Mr Vianney ne pouvant plus suffire au travail, Mgr Devie,
évêque de Belley, songea à lui donner un aide et, sur la demande de Mr le Curé
lui-même, il désigna Mr Raymond. Celui-ci était un prêtre excellent, animé des
meilleures intentions, mais ayant des vues toutes différentes; il était du
reste d'un caractère difficile et manquait en beaucoup de choses de tact et de
prudence. A peine fut-il auprès de Mr le Curé que, sous prétexte d'un plus
grand bien, il le contraria de mille manières; Mr Vianney ne fut presque plus
maître dans sa cure, dans son église; il était quelquefois réduit à se cacher
pour ses bonnes oeuvres, pour les sommes d'argent qu'il recevait, etc.
Quelquefois Mr Raymond lui adressait des paroles dures; d'autres fois il
rudoyait les pèlerins d'une façon qui contrastait étrangement avec la douceur
et la patience de Mr Vianney. Cette société a été l'une des plus grandes croix
du bon curé. Il l'a portée avec une admirable patience et sans jamais se
plaindre. Lorsqu'il parlait de lui, il n'avait que des éloges; il avait pour
lui les attentions les plus délicates et les plus tendres. Un jour, Mr Raymond
lui avait fait une scène pénible; le bon Curé, qui avait tout enduré avec sa
sérénité ordinaire, se rendit chez lui à dix
heures du soir, une lanterne à la main, afin de lui souhaiter le bonsoir le
plus affectueux. Mon mari obtint de lui une fois, à force d'instance, la
permission d'informer Mgr Devie et de demander le changement de Mr Raymond; il
se rendit à Bourg pour s'acquitter de cette commission; mais dans l'intervalle,
le bon Curé avait prévenu l’Évêque et l'avait conjuré de lui laisser son
compagnon. Lorsque nous faisions de nouvelles instances auprès de lui, il nous
répondait: Que dirait-on, si l'on voyait que deux prêtres n'ont pas pu s'accorder?
Un jour, Mgr Chalandon lui faisait des questions sur la manière dont Mr Raymond
l'avait traité: Il ne m'a pas battu, répliqua-t-il. Il a dit: Si je n'avais pas
eu cette épreuve, je n'aurais pas su si j'aimais le bon Dieu.
910 Quoad Temperantiam, testis respondit:
Je
connais par ouï dire quelques traits relatifs à la mortification de Mr Vianney
antérieurs à son séjour à Ars. Sa cousine a raconté que lorsqu'elle faisait sa
soupe, il ne voulait pas qu'on y mît du beurre. J'ai entendu parler de ses pénitences
et de ses macérations à Ecully, de la pieuse émulation qui existait à ce sujet
entre lui et Mr Balley, et de la crainte que chacun d'eux avait de voir son
compagnon en faire trop.
Je
sais peu de chose de positif sur les premiers temps de son séjour à Ars. Voici
cependant ce que j'ai entendu dire. Mr Desgeorges, prêtre du diocèse de Lyon,
m'a raconté que quelques jeunes gens vinrent un jour visiter Mr Vianney. Ils se
dirent les uns aux autres: Il faut qu'aujourd'hui, nous fassions faire un bon déjeuner
à Mr le Curé d'Ars. Ils avaient en effet apporté un panier de provisions,
qu'ils déposèrent à la cure en l'absence de Mr Vianney; celui-ci rentra, trouva
les provisions, et les distribua incontinent à des pauvres. Les pèlerins étant
rentrés, après un court séjour à l'église, furent fort étonnés de trouver le
panier vide; ils s'en plaignirent. Que voulez-vous? leur répondit Mr Vianney;
je ne savais pas que ces provisions fussent à vous, je les ai données aux
pauvres.
On
n'exposera jamais d'une manière suffisante quelle a été la vie de mortification
du Serviteur de Dieu pendant tout son séjour à Ars. Je crois qu'il y a eu
différentes périodes, pendant lesquelles son régime a quelque peu varié. Au
commencement, étant seul à la cure et préparant lui-même sa misérable
nourriture, il a pu suivre en toute liberté son goût pour la pénitence. J'ai su
qu'il a vécu de pommes de terre qu'il faisait bouillir dans une marmite et
qu'il conservait longtemps. Lorsque le besoin le pressait trop vivement, il en
mangeait. Un jour, en ayant mangé une, il se disposait à en prendre une autre.
Non, dit-il, en s'arrêtant tout à coup; la première était pour le besoin, la
seconde serait pour le plaisir. Ses paroissiens remarquèrent dès lors les
progrès qu'il faisait chaque jour dans la mortification. Ils trouvaient que
leur curé ne mangeait plus rien. Moi-même, je puis suivre, en revoyant ma
correspondance, les impressions que j'éprouvais à ce sujet.
A
l'époque où le pèlerinage fut établi, il prenait un misérable repas à la Providence,
vers midi. Ce repas consistait en une tasse de lait, où l'on mettait
quelquefois un peu de chocolat et où lui-même jetait quelques miettes de pain.
911 Il lui en avait horriblement coûté pour arriver à cette sobriété
excessive; lui-même en a fait l'aveu à une personne. Il ajoutait à ce sujet: Je
suis bien content d'être débarrassé du soin de ma nourriture, et quand je vois
la peine qu'on se donne pour préparer des repas, je me trouve bien heureux.
Rien à ses yeux n'était plus humiliant que la nécessité de nourrir son corps.
Il en parlait quelquefois dans ses catéchismes d'une manière fort plaisante.
Un
jour, Catherine Lassagne, le voyant plus exténué que de coutume, le pressait de
manger. Il lui répondit: J'ai une autre nourriture, qui est la volonté de mon
Père qui m'a envoyé.
Nous
avons remarqué que ses jeûnes étaient plus rigoureux la veille des fêtes, ou
lorsqu'il avait à demander à Dieu quelque grâce particulière. Il a essayé de ne
rien manger pendant une semaine sainte toute entière. Mais, interrogé
adroitement, il a avoué avoir été obligé de prendre deux fois de la nourriture.
Pendant
les cinq ou six dernières années de sa vie, il apporta, sur l'ordre exprès de
son évêque, quelques adoucissements à son régime.
Dans
les privations qu'il s'imposait, Mr Vianney était cependant éloigné de toute
affectation. Je l'ai vu, dans les dîners de conférence, qui avaient lieu chez
nous, manger passablement. Ce n'était pas toujours sans inconvénients pour lui;
car un jour que Mgr Devie l'avait contraint à manger plus que de coutume, son
estomac affaibli par les jeûnes, en fut horriblement fatigué.
Je
puis affirmer que Mr Vianney a constamment traité son corps avec une sévérité
tellement excessive que la prolongation de son existence peut être considérée
comme un miracle. Cette opinion n'est pas seulement la mienne, mais celle des
personnes les plus graves qui l'ont vu de près. Je l'ai entendu énoncer per
plusieurs et entres autres par Mr Guerre, curé de Mizérieux, paroisse qui
confine à Ars.
Mon
mari, Mr le Comte des Garets, étant un jour allé le visiter à la cure, à la
suite d'une maladie, le trouva couché sur un peu de paille recouverte d'un
drap. Il lui fit quelques reproches, que le bon Curé accepta, et aussitôt il
consentit à se coucher sur un matelas.
Il a mis en usage tous les moyens
possibles pour macérer son corps, les haires, les disciplines, les cilices, les
chaînes de fer. Mr l'abbé Tailhades m'a montré un morceau de chaîne de fer poli
qui avait servi au bon Curé. Celui-ci avait commandé à un maréchal de la
paroisse une grosse chaîne de fer, que le brave homme n'a confectionnée qu'avec
peine, parce qu'il devinait facilement à quoi elle devait servir. 912 Il
chargeait ordinairement de l'achat de ses instruments de pénitence un jeune
homme fort simple. Le pauvre garçon lui disait quelquefois: Oh! Mr le Curé, il
y en a trop... Une pieuse femme qui a habité pendant quelque temps une chambre
très voisine de la Cure, l'a entendu plusieurs fois se donner la discipline
pendant si longtemps qu'elle se disait à elle-même: Il ne finira donc jamais...
A
la gêne de ses mouvements, à son air raide et embarrassé, à la manière dont il
se remuait tout d'une pièce, en chaire, à l'autel, etc., il était facile de
voir que son corps était couvert de cilices ou autres instruments de pénitence.
Les
mortifications de Mr le Curé l’avaient excessivement affaibli. A tous moments,
nous le voyions pâle, chancelant, pouvant à peine se soutenir. On aurait dit
que chacun de ses mouvements était une souffrance. Il avait un cautère au bras;
quelquefois les pèlerins le pressaient, le serraient, de manière à le faire
horriblement souffrir. Il lui échappait quelquefois de dire: Doucement, vous me
faites mal.
Il
arrachait lui-même la paille de son lit, afin de pouvoir coucher sur les planches.
Il ne mangeait pas de fruits; je crois que c'est par suite d'un voeu, ou tout
au moins d'une promesse. Jamais il ne respirait l'odeur d'une fleur.
Quelquefois néanmoins, il tenait au confessionnal une petite fiole dans
laquelle il y avait de l'eau de Cologne ou du vinaigre, je ne sais.
L'une
de mes filles de service a souvent lavé de ses chemises ensanglantées.
Il
ne s'accordait et ne voulait pas qu'on lui procurât aucun adoucissement. La
veille de sa mort, quelqu'un écartait les mouches de son visage. Laissez-moi,
dit-il, avec mes mouches.
En
un mot, sa mortification a été constante, extrême, universelle; elle a embrassé
toute sa vie, tous les instants de sa vie, toutes ses actions, sa nourriture,
son vêtement, etc. La vie d'un trappiste n'est rien en comparaison de la
sienne. Je ne pense pas que la pénitence chrétienne puisse être poussée plus
loin. Le Curé d'Ars nous a fait croire ce que l'on raconte de plus
extraordinaire dans la vie des pères du désert.
Quoad
Paupertatem, testis respondit:
Il
ne se peut rien concevoir de plus pauvre que la chambre et l'ameublement du
Curé d'Ars. Les misérables meubles qui la garnissaient ne lui appartenaient
même pas. Lorsque son lit eut brûlé, j'eus toutes les peines du monde à lui
faire accepter des rideaux, et il ne les reçut que lorsqu'il les vit vieux et
usés. 913 Avant cet incendie, sa chambre était dans un état plus délabré encore
qu'elle n'a été dans la suite et qu'elle n'est aujourd'hui. Tout ce qu'il y
possédait de richesses consistait en quelques reliquaires d'une certaine
valeur. Mr des Garets possède encore un couteau qui lui a servi pendant
longtemps; c'est le couteau d'un pauvre.
915 Session 100 - 12 Septembre 1863 à 3h de l'après-midi
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Avant
le pèlerinage, Mr Vianney ne portait guère que des vêtements usés, râpés,
raccommodés; après l'établissement du pèlerinage, sa mise, quoique pauvre et
simple, fut un peu mieux, parce que des personnes charitables en prenaient soin
et que d'autres changeaient fréquemment ses vêtements vieux, qu'elles
s'appropriaient par dévotion, et qu'elles remplaçaient par de nouveaux.
916 Quoiqu'il craignît extrêmement le froid, il n'était pas
habillé différemment en hiver qu'en été. Il ne portait habituellement point de
chapeau. Il n'avait pas même de calotte sur la tête. Ses cheveux étaient ras
par devant et longs par derrière.
Il
a reçu beaucoup d'argent dans sa vie, jamais pour lui, toujours pour ses bonnes
oeuvres. Assurément, il n'aurait eu qu'à le vouloir, pour recueillir à son
profit des sommes très considérables. Il demandait quelquefois, mais toujours
avec délicatesse et sans importunité. Il y avait en lui sous ce rapport une noblesse
et une dignité singulières. Il avait de la répugnance pour tout cadeau
personnel. Un jour, à la suite de la première communion de l'un de mes enfants,
mon mari lui offrit une paire de burettes en argent; il les repoussa avec une
certaine vivacité. Mr le Curé, lui dit Mr des Garets, ce n'est pas pour vous,
c'est pour l'église. - A la bonne heure, répliqua-t-il.
Il
n'aimait pas à avoir des dettes et il payait exactement toutes celles qu'il
avait contractées. On a remarqué cela surtout pendant qu'il avait
l'administration de sa Providence. Lorsque les ressources lui manquaient, il
passait une nuit en prière à l'église et se mettait, comme il le disait si
pittoresquement, à casser la tête à ses saints.
Quoiqu'il
fût complètement indifférent à tous les intérêts matériels, il avait cependant
une intelligence singulière des affaires. Un notaire en fut, dans une
circonstance, étrangement surpris.
Quoad
Humilitatem, simplicitatem et modestiam, testis respondit:
L'humilité,
la simplicité et la modestie ont brillé d'un éclat extraordinaire en Mr
Vianney; elles ont été l'un des traits les plus saillants de son caractère; en
lui, point d'ostentation, point de mise en scène; rien de contraint ni
d'affecté, rien de l'homme qui veut paraître; au contraire beaucoup de naturel,
d'abandon; une simplicité d'enfant, une naïveté charmante, et en même temps un
tact fin et délicat. On peut tout dire en un mot: il s'oubliait complètement.
Les nombreux hommages, la
vénération publique, l'affluence des pèlerins, rien n'a pu lui inspirer le
moindre retour sur lui-même. Il en était étonné, il s'en regardait comme
indigne. Il pensait même qu'il fallait bien qu'il y-eût en lui quelque chose
qui fût de nature à tromper le public; et c'est précisément à cause de cela
qu'il se regardait et s'accusait hautement comme hypocrite.
917 L'humilité du Curé d'Ars avait frappé Mgr de Ségur plus
qu'aucune autre vertu. Elle lui semblait, nous disait-il, un véritable prodige,
en face de cette affluence exceptionnelle, qui devait être pour le bon curé une
perpétuelle tentation d'amour-propre. Les compliments le désolaient. Néanmoins,
comme il aimait mieux être humble que de le paraître, lorsqu'ils lui étaient
adressés dans les conversations ordinaires, il ne les repoussait pas
directement; il se contentait de les repousser par une répartie spirituelle, ou
en détournant adroitement la conversation. Son humilité portait un certain
caractère d'onction et de dignité; nul n'a mieux pratiqué que lui ce qu'il
répétait si souvent, qu'il ne fallait parler de soi ni en bien, ni en mal.
Son
portrait lui causa un grand chagrin; il finit cependant par prendre la chose en
plaisanterie et par la tourner lui-même en ridicule; il était alors d'une verve
intarissable. Un jour, causant avec mon mari près de l'église, il le conduisit
devant les devantures de boutiques et lui montra ce qu'il appelait son
carnaval. Mr des Garets m'a raconté qu'il lui avait tenu à ce sujet la
conversation la plus amusante et la plus comique qui se puisse imaginer,
accompagnée des observations les plus originales. Aucune sollicitation, aucun
ordre n'a jamais pu le déterminer à poser. On lui disait un jour que saint
Vincent de Paul avait consenti à laisser faire son portrait au profit des
galériens. Pour moi, répondit-il, j'aimerais mieux aller en galère. Lorsqu'il
s'aperçut à l'église que Mr Cabuchet, artiste distingué, s'occupait à modeler
ses traits, il l'apostropha vivement en disant: Vous scandalisez les gens et
vous me dérangez. Il exigea même qu'il brisât son ébauche; heureusement l'artiste
n'en fit rien.
Il
éprouvait une véritable désolation lorsqu'il s'apercevait que l'on recherchait
quelque objet lui ayant appartenu, que l'on coupait ses habits, ses cheveux
pour en faire des reliques. C'est même à cause de cela que chaque fois qu'on
lui coupait les cheveux, il les recueillait soigneusement et les jetait au feu.
Il s'exprimait parfois sur cette vénération dont il était l'objet avec beaucoup
de vivacité et une certaine indignation. C'est une dévotion bien mal entendue,
disait-il. Il ne devinait cependant pas toujours la cause des pieux larcins
qu'on lui faisait; à la suite d'une mission, il remarqua que son chandelier
avait disparu. C'est étonnant, dit-il, je pensais que tout le monde était
converti, et voilà qu'on m'a volé.
Il
s'est toujours plu dans les humiliations et les persécutions et il regardait le
temps où il y avait été en butte comme le plus heureux de sa vie.
918 Un prêtre qui avait été fort persécuté et humilié m'a raconté en
avoir parlé au Curé d'Ars. Celui-ci, pour toute réponse, lui dit qu'il avait
reçu le jour même deux lettres, dont l'une le traitait de saint et l'autre
d'hypocrite; que cette différence de jugement lui indiquait bien le cas qu'il
fallait faire de toutes ces choses.
Mr
Vianney n'éprouvait aucun embarras devant les personnages les plus
considérables qui venaient le visiter; on voyait qu'il ne pensait en aucune
façon à lui et qu'il ne cherchait pas à faire contenance. Je l'ai entendu
prêcher devant le Père Lacordaire avec son aisance et son abandon accoutumé. La
visite du célèbre Dominicain fit éclater d'une manière admirable l'humilité du
Curé d'Ars. Savez-vous, dit-il ensuite à Mr des Garets, quelle réflexion m'a
frappé? Ce qu'il y a de plus élevé dans la science a visité ce qu'il y a de
plus petit dans l'ignorance; les deux extrêmes se sont rapprochés. Je n'ose
plus monter en chaire après le Père Lacordaire. Je suis comme ce roi qui, ayant
rencontré le Pape, le fit monter sur son cheval et n'osa plus s'en servir.
Lorsque
Mgr Chalandon le revêtit du camail, ce fut la scène la plus amusante qui se
puisse imaginer. Le pauvre curé, son camail sur les épaules, ressemblait à un
supplicié que l'on mène à l'échafaud la corde au cou. Il se réfugia dans la
sacristie. Mr des Garets l'y suivit; il le trouva occupé à arracher de son dos
le malheureux camail; il ne put le déterminer à le garder qu'en lui
représentant que s'en dépouiller serait faire injure à Mgr. Depuis il ne l'a
jamais porté.
Lorsqu'on
lui annonça qu'il devait recevoir la croix d'honneur, il fut d'abord content,
parce qu'il croyait qu'une pension devait l'accompagner. Il y voyait un heureux
supplément pour ses pauvres. Mais grand fut son désappointement lorsqu'il
apprit qu'il n'en était pas ainsi.
Dans
la suite, lorsqu'il parlait de son camail et de sa croix d'Honneur, il disait:
Je crains bien que lorsque je me présenterai à la porte du paradis avec ces
bagatelles, le bon Dieu ne me dise: Va-t-en, tu as reçu ta récompense.
Quoad
Castitatem, testis respondit:
Ma
conviction est que Mr Vianney a pratiqué toute sa vie la chasteté de la manière
la plus parfaite. Jamais il n'a eu de servantes. Dans ses maladies, il
n'admettait point de femmes à le soigner. Ma fille toute enfant voulut un jour
lui prendre la main; il la retira.
Il
n'y avait néanmoins en lui ni affectation, ni ce qu'on pourrait appeler de la
pruderie. Il était d'une grande sévérité pour ce qui concerne la mise des
femmes.
La
Chasteté de Mr Vianney a toujours été considérée comme une vertu hors ligne.
919 Je sais néanmoins que dans une circonstance, sa réputation a été violemment
attaquée. C'était dans un cabaret, à Trévoux. Un médecin, qui était alors
esprit fort, et qui depuis est devenu excellent chrétien, Mr Thiébaut, prit
hautement et avec beaucoup d'énergie la défense de Mr Vianney. Il ferma la
bouche aux calomniateurs.
Interrogatus
an aliquid sciat quod aliquo modo sit contrarium virtutibus supradictis, testis
respondit:
Je
ne sais rien qui puisse infirmer ou affaiblir en quoi que ce soit le témoignage
que je viens de faire sur les vertus du Serviteur de Dieu. Je dois même ajouter
que les membres de ma famille et moi nous nous sommes appliqués à découvrir en
Mr Vianney quelque imperfection et que nous n'avons jamais rien remarqué.
Juxta
decimum nonum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je suis pleinement convaincue que le
Serviteur de Dieu a pratiqué au degré héroïque les vertus sur lesquelles je
viens de déposer. J'entends par vertu héroïque la vertu poussée à sa dernière
et plus haute expression. Pour preuve de ma conviction de l’héroïcité des
vertus de Mr Vianney, je ne puis rien faire de mieux que d'invoquer sa vie
toute entière. Jamais il ne s'est démenti; jamais la vertu en lui n'a subi
d'affaiblissement, et il y a persévéré jusqu'à la mort avec la fidélité la plus
surprenante. Mes réponses à l'Interrogatoire sur les vertus en disent assez à
ce sujet.
Juxta
vigesimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Il
n'est pas douteux que le Serviteur de Dieu n'ait été comblé de dons surnaturels.
1°
Il avait à un degré tout à fait extraordinaire le don des larmes. Il pleurait à
tout instant, quand il parlait de l'amour de Dieu, du malheur des pécheurs,
quand il s'apitoyait sur quelque misère ou sur quelque affliction; il pleurait
à l'autel; il pleurait au confessionnal; là, quelquefois les pénitents avaient
de la peine à l'entendre parce que sa voix était étouffée par ses larmes; ses
larmes étaient quelquefois toute son exhortation; il pleurait en chaire, et
parfois ses larmes y étaient si abondantes qu'il semblait, disaient ses
auditeurs, les prendre à poignée quand il s'essuyait les yeux. Les larmes qu'il
répandait avaient une vertu singulière pour opérer la conversion des pécheurs;
les plus endurcis n'y résistaient pas. On a vu un vieillard impénitent résister
à ses supplications les plus touchantes; 920 mais lorsque le bon curé se jeta à
ses pieds, lui prit les deux mains et les arrosa de ses larmes, en le conjurant
de sauver son âme, tout à coup il fut ému et se rendit à une si touchante charité.
2°
L'opinion publique est qu'il lisait fréquemment au fond des coeurs, qu'il
annonçait des choses futures ou qu'il indiquait des choses présentes qu'il ne
pouvait pas connaître naturellement.
Une
jeune personne s'était adressée en confession à un missionnaire, Mr l'abbé
Descôtes. Mr Vianney ne la connaissait pas et ne pouvait rien savoir sur son
compte ni sur celui de sa famille. Néanmoins, passant près d'elle, il lui
adressa la parole et lui dit: Mon enfant, hâtez-vous de vous en retourner au
plus vite. La jeune fille, alarmée, courut à son confesseur, acheva sa
confession et demanda ce qu'elle devait faire: Suivre le conseil de Mr le Curé,
répondit Mr Descôtes; puis, quand vous serez arrivée, vous m'écrirez. En
rentrant chez elle, la jeune personne trouva son père, ou sa mère (je ne sais
lequel des deux) à toute extrémité.
Mr
le Curé d'Ars m'annonça en mil huit cent quarante-quatre que j'éprouverais de
grands malheurs. Je lui demandais si telle chose, que j'eus soin de préciser,
me menaçait. - Non, me dit-il, ce n'est pas ce que Dieu vous réserve. A
quelques jours de là, il me répéta ce qu'il m'avait dit la première fois.
Lorsque mon fils aîné tomba malade en mil huit cent quarante-six, je pensais
que c'était le moment de l'épreuve. Mr le Curé dit au jeune homme que cette
maladie n'irait pas à la mort, mais qu'elle servirait à lui montrer la pauvreté
de la vie. Huit ans plus tard, le même jeune homme étant retombé malade, Mr le
Curé ne dit pas un mot d'espérance; mais il ne cessa de me plaindre et de répéter:
Pauvre enfant, pauvre mère de douleur!... Mon fils mourut en effet. Le départ
de mon second fils pour la Crimée lui fut douloureux; jamais il n'a parlé de
retour. J'ai dit plus haut que ce jeune homme, grièvement blessé, est mort loin
de la maison paternelle.
923 Session 101 - 14 Septembre 1863 à Sh du matin
Et
prosequendo vigesimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
En
mil huit cent cinquante-quatre, une demoiselle des environs de Montpellier se
rendit à Avignon, pour faire une retraite chez les dames du Sacré-Coeur. La
mort récente du dernier de ses proches la rendait maîtresse d'une fortune
considérable et de son avenir. Elle avait à prendre un parti définitif sur
l'usage qu'elle avait à faire de ses biens; 924 car elle était fixée sur sa
vocation. Ne pouvant obtenir de son directeur une réponse catégorique sur
l'emploi de sa fortune, il lui vint en pensée de consulter le Curé d'Ars, et,
avec l'agrément de son confesseur, elle partit immédiatement.
A peine arrivée à Ars, où elle n'était
jamais allée et où elle ne connaissait personne, ni n'était aucunement connue,
elle se mit dans la chapelle de Ste Philomène, chapelle qui n'était pas celle
où confessait le Curé, et où, par conséquent, elle ne pouvait pas être aperçue
de Mr Vianney, qui confessait ailleurs. Il était tard.
Vers huit heures, le Serviteur de
Dieu quitta son poste et vint le reprendre, selon son habitude, vers deux
heures du matin, sortant et rentrant par la petite porte latérale placée en
haut de l'église, et sans passer devant la chapelle de Ste Philomène, où
s'était constamment tenue la demoiselle en question. Pour se rendre à son
confessionnal, il n'avait pas même à passer devant la chapelle de Ste
Philomène. Il s'y rendit néanmoins directement; et, s'approchant de la
demoiselle, qui était en prière, et la touchant légèrement sur l'épaule, il lui
dit: Mademoiselle, vous êtes pressée, venez, que je vous passe la première. A
peine eut-elle exposé l'état très compliqué de ses affaires temporelles et ses
projets de bonnes oeuvres et de vocation, que le Curé, l'interrompant
brusquement, lui dit: Assez, mon enfant; je vois votre affaire; disposez de
votre fortune de telle et telle manière; faites telle et telle bonne oeuvre, et
hâtez-vous; car vous n'avez pas de temps à perdre. Et il lui donna les
décisions les plus précises et les plus exactes, en entrant dans des détails
minutieux et qui supposaient une connaissance parfaite de la fortune et de la
position de la demoiselle, connaissance cependant que le bon Curé n'avait pas
laissé le temps à la demoiselle de lui donner, et qu'il n'avait pas pu recevoir
d'ailleurs, ainsi que je l'ai remarqué plus haut. La demoiselle repartit
immédiatement pour Avignon et s'en alla directement à son directeur; en
l'abordant elle lui dit: Comment avez-vous fait, mon Père, pour pouvoir
informer si tôt Mr le Curé d'Ars sur l'état de mes affaires? Votre lettre lui
est arrivée avant moi. Le religieux, qui appartenait à la Compagnie de Jésus,
fut, à cette interpellation, tout à fait déconcerté. Il lui fit remarquer
qu'alors même qu'il n'eût pas été lié par un secret inviolable, il n'aurait pas
eu le temps matériellement nécessaire pour faire parvenir une lettre à Mr le
Curé d'Ars. 925 Le directeur et sa pénitente demeurèrent donc convaincus que le
saint homme n'avait pu être aussi bien renseigné que par une voie surnaturelle.
La demoiselle arrangea tout suivant le conseil du bon Curé; elle revint ensuite
à Avignon pour se consacrer à Dieu dans la vie religieuse. A peine arrivée,
elle fut saisie d'une attaque de choléra, au sortir d'une messe où elle avait
eu le bonheur de faire la sainte communion, et elle mourut le jour même. J'ai
puisé ces détails dans une lettre, écrite, à ma demande et à celle de mon mari,
par le directeur de la personne, le Père Pacalin, lettre adressée au Père Rion,
qui nous l'a remise.
Un
homme, qui passait pour un vrai scélérat, était l'effroi de sa paroisse. Il
tomba grièvement malade; il avait entendu parler du Curé d'Ars et se figura que
par lui il pourrait au moins savoir à quel médecin il devait s'adresser. Il
vint à Ars et crut que le préliminaire indispensable de sa consultation était
une confession faite au moins pour la forme. Il se confessa; la confession
achevée, le Curé lui demanda: Avez-vous tout dit? - Oui, Monsieur. - Vous avez
tout dit? Vous rappelez-vous tel lieu, tel chemin, ce qui s'y est passé? Le
malheureux homme fut foudroyé et se convertit. Je tiens le fait du Frère
Jérôme, qui lui-même l'avait appris par un Curé d'une paroisse voisine de la
paroisse d'où était cet homme.
3°
Une dame de Bourg, Mme Tiersot, était atteinte d'une ankylose. Elle vint à Ars;
un soir, Mr le Curé lui demanda: Quand quittons-nous ces béquilles? - Tout de
suite, Mr le Curé, si vous voulez, répondit-elle. - Non, répliqua-t-il; demain
matin. Le lendemain, pendant la messe, elle ressentit quelque chose
d’extraordinaire, et après la messe elle alla déposer ses béquilles à la
chapelle de Ste Philomène; elle était guérie et marchait parfaitement bien. Je
l'ai vue deux dimanches de suite à la procession du St Sacrement. 926 Le fait
fit beaucoup de bruit à Ars et à Bourg. Un esprit voltairien a cherché ensuite
à en étouffer le retentissement. Je n'ai point à me prononcer à ce sujet.
Marguerite
Bonnevais, de St Julien-sous-Montmélas (Beaujolais), épouse de Pierre Dumont,
vigneron, mère de onze enfants, atteinte depuis neuf ans de crises nerveuses
qui parfois faisaient craindre pour ses jours, avait inutilement consulté
plusieurs médecins. La pensée lui vint de se faire conduire à Ars. Elle y
arriva le trois Mai mil huit cent cinquante-huit et s'installa dans une chambre
chez la Veuve Vézens. Ses crises furent très violentes. Le Curé la visita le
deuxième jour après son arrivée. Il s'approcha de son lit avec douleur et fit une
courte prière, après laquelle la malade reprit la parole. Ses premiers mots
furent ceux-ci: Que je souffre! - Ce n'est rien, mon enfant, lui dit le Curé;
vous serez bientôt guérie. En effet, dès ce moment, ses cris cessèrent, elle
alla communier à l'église; la guérison s'est parfaitement maintenue. Ma
belle-sœur a eu beaucoup de relations avec la femme Bonnevais, et elle garantit
l'exactitude du fait.
Un
jour, j'étais à l'église, et je vis un jeune homme portant des béquilles à la
chapelle de Ste Philomène. Je ne donnai à ce fait qu'une attention médiocre.
Néanmoins, le soir, à souper, je le rappelais en présence de Mr Toccanier. -
Ah! vous l'avez donc vu, me dit-il. L'un de nos domestiques, qui était présent,
se mêla aussitôt et spontanément à la conversation. - Je crois bien, Madame, me
dit-il; je l'ai vu hier descendre de l'omnibus porté par quatre hommes, et
aujourd'hui je l'ai vu repartir marchant parfaitement.
Au
mois de Décembre mil huit cent trente-neuf, mon mari, Mr des Garets, fut
atteint d'une pleurésie. Au plus fort de la maladie, nous fîmes dire une messe
à Mr le Curé. Pendant cette messe, le malade éprouva un très grand soulagement,
et le médecin fut très étonné de voir le mal aussi subitement enrayé, quand il
croyait qu'il n'arriverait à sa période décroissante que deux jours plus tard.
C'est une reconnaissance personnelle qui me fait faire cette déposition.
J'ai
entendu parler d'un grand nombre de faits merveilleux, sur lesquels je n'ai pas
de détails assez précis pour déposer. 927 Il n'était habituellement bruit que
de cela. Mr le Curé s'en inquiétait et il avait pris la résolution de ne plus
demander que des grâces spirituelles, puisqu'on lui attribuait les miracles que
faisait Ste Philomène.
Je
tiens de Mgr Devie les détails sur le miracle de la multiplication des grains
dans le grenier de la Cure. Lui-même avait pris toutes les précautions pour
s'assurer de l'exactitude du fait.
J'ai
aussi entendu raconter la multiplication de la pâte par la personne même entre
les mains de laquelle la pâte s'était multipliée.
5°
(1) Je puis certifier que Mr le Curé avait un don particulier pour ramener à
Dieu les pécheurs les plus endurcis. Un jour, dans un moment d'abandon, plus
naïf et plus confiant qu'à l'ordinaire, le bon Curé assurait à mon mari que le
pèlerinage arrachait aux griffes de Satan un nombre infini de pécheurs; qu'il
recevait continuellement au saint tribunal des gens qui ne s'étaient pas
confessés depuis trente ou quarante ans. Il lui racontait très ingénument qu'un
soir, un de ces vieux pécheurs était dans la sacristie et ne pouvait se décider
à se confesser. Tout à coup, cet homme fond en larmes et commence sa
confession, dans un trouble inexprimable. Le Curé lui demande pourquoi il
pleure et pourquoi il est si troublé. Le vieux pécheur lui répond qu'en le
regardant il a vu sa tête entourée d'un cercle de lumière. Mr Vianney
traduisait cela en termes plus simples : Il m'a dit qu'il avait vu de petites
chandelles autour de ma tête. - Il parlait encore d'un autre pécheur qui, au
milieu de la nuit, entendit une voix qui lui criait: Va trouver le Curé d'Ars.
Il vint et se convertit.
(1)
sic. Il n'y a pas de 4°) dans l'autographe, et le 3° porte des traces de
correction du 4° en 3°.
Les
conversions opérées sont innombrables; il faudrait un livre pour les raconter.
J'ajoute un fait. Une dame d'une grande position, en proie à d'affreuses
peines, s'abandonnait au désespoir et elle avait résolu d'en finir avec la vie
en s'empoisonnant. Elle s'ouvrit de son dessein à un ecclésiastique; celui-ci,
n'ayant pu l'en dissuader, lui demanda comme une grâce d'aller faire une visite
au Curé d'Ars. Elle le fit. A son retour, elle en informa ce même
ecclésiastique, le priant de venir la voir. L'ecclésiastique s'y rendit. La
dame lui remit la fiole de poison qu'elle gardait pour se donner la mort et
elle lui fit connaître que, convertie par le Serviteur de Dieu, elle était
résignée à supporter ses maux avec patience.
Juxta
vigesimum primum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je
ne connais aucun écrit du Serviteur de Dieu.
928 Juxta vigesimum secundum Interrogatorium,
testis interrogatus respondit:
Mr Vianney est mort à Ars le quatre Août
mil huit cent cinquante-neuf, d'une maladie d'épuisement. Je ne sais s'il a
prédit sa mort. Sa maladie a duré cinq jours. Il ne se peut rien concevoir de
plus simple que sa conduite dans ses derniers jours; rien de moins dramatique;
point d'inquiétude; une patience inaltérable. Je l'ai vu trois fois pendant sa
maladie; il m'a reçue avec une bonté et une affection toutes paternelles. Il a
béni mes enfants, et des médailles que je lui ai présentées. Je ne sais s'il a
demandé lui-même, mais je sais qu'il a reçu les derniers sacrements. J'ai
entendu dire que lorsqu'on a sonné la cloche pour lui apporter le bon Dieu. On
lui demanda pourquoi. - Comment ne pas pleurer quand Notre Seigneur vient nous
visiter?... Il a pleuré en voyant les hommes de sa paroisse.
Juxta
vigesimum tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Le corps du Serviteur de Dieu a été
déposé dans une petite pièce de la cure, au-dessous de sa chambre et au
rez-de-chaussée; il y est resté deux jours. Les fidèles se sont pressés autour
de son corps. Les funérailles ont été présidées par Mgr l’Évêque de Belley;
environ trois cents prêtres étaient présents; on évalue le nombre des fidèles à
près de six mille. Les paroisses voisines ont sonné le glas. Je ne puis
attribuer ce concours qu'à la réputation de sainteté de Mr Vianney.
Juxta
vigesimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Après les funérailles, le corps du
Serviteur de Dieu, renfermé dans sa bière, est resté exposé dans la chapelle de
St Jean-Baptiste jusqu'au seize Août. Pendant ce temps, on prépara un caveau au
milieu de l'église, en face de la chaire. L'affluence des fidèles ne
discontinua pas. On demandait comme une insigne faveur de passer la nuit auprès
du corps. J'ai vu des personnes pleurer à chaudes larmes pour ne l'avoir pas
obtenu. Le seize Août, une messe fut célébrée et le corps fut descendu dans le
caveau au milieu d'une émotion générale plus touchante peut-être que celle qui
s'était manifestée le jour des funérailles. La tombe est recouverte d'un marbre
noir chargé d'une modeste inscription. Elle est à fleur du sol. Aucun culte
public ne lui a été rendu. 929 Il y a des manifestations spontanées en très
grand nombre, et d'innombrables pèlerins continuent depuis quatre ans à affluer
au tombeau du Serviteur de Dieu.
931 Session 102 - 14 Septembre 1863 à 3h de l'après-midi
Juxta
vigesimum quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je puis attester que Mr le Curé d'Ars a
joui de la plus haute réputation de sainteté soit pendant sa vie, soit après sa
mort. J'entends par réputation l'opinion générale et publique que l'on a sur un
fait ou sur une personne. Dès le commencement du ministère de Mr Vianney à Ars,
on le regardait comme un saint. 932 C'est ce qui donna naissance au pèlerinage,
qui alla se développant d'années en années, d'une manière considérable, au point
que l'on comptait jusqu'à deux cents personnes par jour dans le petit village
d'Ars. Rien ne donnera jamais une idée suffisante de la vénération dont cette
foule entourait le bon curé. C'était un spectacle saisissant lorsqu'il sortait
le soir de l'église. Les pèlerins se groupaient devant la porte de l'église.
Lorsque le bon curé paraissait, tous se jetaient à genoux et recevaient sa
bénédiction avec une émotion profonde. Plusieurs d'entre eux avaient des larmes
dans les yeux. J'ai mille fois été témoin de cette scène, jamais sans
attendrissement. J'ai vu des personnes peu faites en apparence pour le
partager, en subir la contagion. Le général Borelli, commandant le département
de l'Ain, vint visiter, en compagnie de Mr le Préfet, le curé d'Ars; c'était en
mil huit cent cinquante. Nous le conduisîmes d'abord à la prière du soir. La
vue du saint vieillard et de la foule immense qui se pressait dans l'église
commença à l'émouvoir. Ce fut bien autre chose lorsque, à la sacristie, nous le
mîmes en face de Mr Vianney; mais, lorsqu'au sortir de l'église, nous le
plaçâmes sur son passage pour recevoir sa bénédiction, il n'y put pas tenir; il
pleurait et il nous disait ensuite avec enthousiasme qu'il voulait amener sa
femme, ses enfants, pour leur faire recevoir la bénédiction du saint prêtre.
Une dame protestante de ma connaissance, fort attachée à sa religion, a partagé
sous mes yeux l'impression commune et elle lui a fait bénir des médailles.
La
vénération des pèlerins se traduisait de mille manières différentes,
quelquefois fort indiscrètes. On lui dérobait les objets qui lui appartenaient;
on coupait sa soutane, ses cheveux, son chapeau; on arrachait les feuillets de
son bréviaire. Cette vénération ne venait pas seulement de la foule ignorante,
mais des personnages les plus distingués. J'ai vu à Ars des Évêques en grand
nombre. Mgr Devie, Mgr Chalandon, Mgr de Langalerie, Évêques de Belley, y sont
venus très souvent. Mgr de Bonald, archevêque de Lyon et cardinal, y est venu
une fois. Je nommerai parmi les autres MMgrs de Moulins, de Meaux, de
Birmingham, Mgr Bataillon, Mgr Dupanloup, l’Évêque d'Autun, etc. Beaucoup de
prêtres, beaucoup de religieux, des supérieurs d'Ordres, des hommes distingués,
de tout genre et de toute condition. 933 Tous partageaient l'impression commune
et s'en allaient ravis.
La
paroisse de Chazey en Beaujolais est venue eh procession, bannière en tête,
faire bénir au bon curé une belle statue de Ste Philomène. Les Jésuites de
Montgré amenaient leurs enfants après la première communion.
Mr
le Curé d'Ars n'inspirait pas seulement de la vénération; il inspirait aussi
une affection profonde. Des hommes s'étaient fixés à Ars pour se dévouer à son
service, pour le défendre contre la foule, pour mettre de la police dans
l'église. Mr Thèbre, employé dans les verreries de Rive-de-Gier, employait ses
vacances à ce pieux office. Rien de plus dévoué et de plus zélé que quelques
braves filles qui se relevaient à l'entrée de sa chapelle, à la porte de son
confessionnal, pour empêcher l'encombrement.
Après
la mort de Mr Vianney, sa réputation de sainteté n'a fait que grandir et
s'étendre. Elle est devenue, je puis dire générale. Le pèlerinage a continué et
aujourd'hui encore il va toujours se développant. Cette réputation n'a
rencontré, à ma connaissance, aucune contradiction; elle est partagée même par
des personnes qui ne sont pas religieuses.
Pour
mon compte, je regarde la réputation de sainteté du Serviteur de Dieu comme
parfaitement fondée.
Juxta
vigesimum sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai parlé des contradictions que Mr le
Curé d'Ars a rencontrées, surtout dans le commencement de son ministère. Mais
elles n'ont en aucune façon altéré l'idée que les fidèles avaient de sa
sainteté. Mgr Devie, juge si éclairé en cette matière, prit un jour hautement
la défense de Mr Vianney en présence de nombreux ecclésiastiques. Oui, MMrs,
dit-il, avec beaucoup d'énergie; c'est un saint prêtre. Rien autre, à ma
connaissance, ne s'est élevé, ni avant ni après sa mort, contre sa réputation de
sainteté, qui est aujourd'hui si bien établie qu'il parait impossible de
l'attaquer.
Juxta
vigesimum septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai
été témoin de la guérison vraiment extraordinaire d'un enfant de St
Laurent-lès-Macon, attaqué d'épilepsie de manière à avoir jusqu'à quinze crises
par jour. 934 Il était perclus de tous ses membres et ne pouvait parler. Les
parents de l'enfant l'ont amené à Ars, ont fait une neuvaine à laquelle s'est
uni l’Évêque diocésain. L'enfant a été complètement guéri; la guérison
persévère. Ce fait a eu lieu au commencement de Mai mil huit cent
soixante-deux.
Ayant
entendu parler d'une guérison miraculeuse de Mme de Larnage, femme du maire de
la ville de Tain, diocèse de Valence, j'ai voulu prendre des informations
précises; j'ai reçu la lettre suivante, que je reproduis textuellement:
Madame,
Dieu, dans sa miséricorde, nous a en
effet accordé une grande grâce par l'intercession de votre saint Curé d'Ars, et
je suis heureux de pouvoir répondre à votre désir et à votre bienveillant
intérêt en vous donnant quelques détails sur la guérison vraiment miraculeuse
de Mme de Damage.
C'est le seize Novembre dernier qu'à
la suite de violentes douleurs causées par une tumeur du ventre qui, depuis
cinq ans, déjouait toutes les ressources de la médecine, nous commençâmes une
neuvaine au Curé d'Ars; tous les médecins avaient déclaré le mal incurable et
n'avaient d'autre espérance que l'atténuation des souffrances et l'éloignement
des accidents, grâce à une vie de régime, de soins et de repos absolu.
L'aggravation des douleurs et des
symptômes dangereux avaient, au commencement de Novembre, fait perdre presque
tout espoir aux médecins, qui redoutaient même une catastrophe prochaine; c'est
dans ces conditions que nous avons eu recours d'une manière plus spéciale au
suprême médecin.
Mme de Larnage avait passé une
mauvaise nuit; elle ne pouvait sans de vives douleurs toucher la partie malade;
à huit heures, on dit la première messe de la neuvaine dans ma chapelle; à neuf
heures, on appliqua sur le mal un cordon d'un soulier du Curé d'Ars. Mme de
Larnage s'endormit alors pendant deux heures et quand elle se réveilla, ne
sentant aucune douleur, elle voulut palper la tumeur et ne la trouva plus. Elle
avait disparu subitement et sans laisser aucune trace ni aucune sensibilité
dans la partie qu'elle occupait! Les médecins qui arrivèrent successivement se
livrèrent à toutes les recherches et examens possibles sans pouvoir constater
autre chose qu'une complète disparition. A dater de ce moment, Mme de Larnage a
été entièrement guérie; le sommeil, l'appétit, les habitudes et cette vie
active à laquelle elle avait été forcée de renoncer depuis plusieurs années.
935 Les médecins cherchent maintenant une explication scientifique à
ce fait inouï dans les annales de la médecine; un seul reconnaît qu'il n'y a
aucun moyen naturel d'expliquer cette guérison en raison de sa spontanéité
et surtout de son instantanéité. Il convient que Dieu seul a pu guérir
aussi miraculeusement notre chère malade.
Mr
de Larnage indique dans le reste de sa lettre les explications que les autres
cherchent à donner et il fait voir qu'elles sont inspirées par un esprit ennemi
de tout surnaturel, et que pour un vrai chrétien, elles n'ont aucune valeur.
La
lettre de Mr de Larnage porte la date du dix-huit Janvier mil huit cent
soixante-trois.
Juxta
vigesimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je
n'ai rien à ajouter à ma déposition; je n'ai rien à y modifier.
Et expleto examine super Interrogatoriis,
deventum est ad Articulos, super quibus testi lectis, dixit, se tantum scire,
quantum supra deposuit ad Interrogatoria, ad quae se retulit.
Sic completo examine, integra
depositio jusau Rmarum Dominationum suarum perlecta fuit a me Notario a
principio ad finem testi supradicto alta et intelligibili voce. Qua per ipsum
bene audita et intellecta respondit se in eamdem perseverare, et illam iterum
confirmavit.
PROCES DE BEATIFICATION ET
CANONISATION DE SAINT JEAN MARIE BAPTISTE VIANNEY CURE D'ARS
II
PROCES INFORMATIF ORDINAIRE
DEPOSITIONS DES TEMOINS
TABLE DES DEPOSITIONS TRANSCRITES
DANS LE DEUXIEME VOLUME
Témoin |
XI |
Claude Prosper Comte des Garets |
939 , |
993 |
Témoin |
XVI |
Marguerite Vianney |
1009 , |
1027 |
Témoin |
XVI |
Abbé Louis Mermod |
1029 , |
1036 |
Témoin |
XVII |
Abbé Alfred Monnin |
1047 , |
1168 |
Témoin |
XIX |
Abbé Louis Beau |
1171 , |
1222 |
Témoin |
XXX |
André Verchère |
1321 , |
1330 |
Témoin |
XXXI |
Marie Ricotier |
1333 , |
1338 |
PROCES DE BEATIFICATION ET
CANONISATION DE SAINT JEAN MARIE BAPTISTE VIANNEY CURE D'ARS
PROCES INFORMATIF ORDINAIRE
939 Session 103 - 15 Septembre 1863 à 8h du matin
940 Juxta primum Interrogatorium, monitus testis de vi et natura
juramenti, et gravitate perjurii, praesertim in causis Beatificationis et
Canonizationis, respondit:
Je
connais la nature et la force du serment que je viens de prêter. Je promets de
faire connaître la vérité telle qu'elle est; je n'ai pas l'intention de rien
cacher qui soit défavorable à la cause du Serviteur de Dieu.
Juxta
secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je m'appelle Claude Prosper, Comte des
Garets; je suis né le onze Novembre mil sept cent quatre-vingt dix-neuf, au
château du Colombier, commune de St Julien, département du Rhône. Mon père
s'appelait Denis Félicité des Garets, et ma mère Marie Jeanne d'Agreste de
Sacconaix. Ma position de fortune est grâce à Dieu au dessus d'une honnête
aisance. Je suis chevalier de l'ordre de St Grégoire, maire d'Ars et membre du
Conseil Général du département de l'Ain.
Juxta
tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je
m'approche plusieurs fois des sacrements dans l'année; j'ai communié pour
l'Assomption.
Juxta
quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je
n'ai jamais été appelé en justice.
Juxta
quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n'ai encouru ni peines, ni censures
ecclésiastiques.
Juxta
sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Personne ne m'a instruit, ni de vive
voix, ni par écrit, sur ce que j'ai à déposer. Je ne m'inspirerai dans ma
déposition que de ma conscience ou du témoignage de personnes dignes de foi. Je
n'ai pas lu les Articles du Postulateur.
941 Juxta septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai
une grande affection pour le Serviteur de Dieu; j'éprouve même à son égard une
vénération religieuse très profonde; je désire très vivement sa prompte
béatification. Je ne suis mû par aucune autre intention que le zèle de la
gloire de Dieu.
Juxta
octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je
sais que le Serviteur de Dieu est né à Dardilly de parents très chrétiens, propriétaires
aisés et cultivateurs, que j'ai vus et connus. Je ne puis rien dire de précis
sur la date de la naissance de Mr Vianney, ni sur son baptême. D'après ce que
j'ai entendu répéter très souvent, il avait été élevé de la manière la plus
chrétienne. Pendant les nombreuses années que j'ai vécu près de lui, je l'ai
fréquemment entendu parler de sa mère avec la plus tendre affection; presque
toujours, il y avait de l'émotion dans sa voix et souvent des larmes dans ses
yeux; il disait que les enfants qui n'ont pas une mère chrétienne sont bien à
plaindre.
Juxta
nonum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je sais que le Serviteur de Dieu a passé
son enfance et son adolescence à Dardilly. On remarqua en lui de bonne heure
les indices d'une grande piété; il avait dès lors une tendre dévotion pour la
Ste Vierge et la priait avec ferveur, en se livrant à la garde des troupeaux ou
aux travaux des champs. J'ai peu de détails à donner sur cette partie de sa
vie.
Juxta
decimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je sais que le Serviteur de Dieu a
commencé ses études à un âge déjà assez avancé, dans l'intention d'entrer dans
l'état ecclésiastique, chez Mr Balley, curé d'Ecully, qui le prit dès lors, à
cause de sa piété, en très grande affection.
Juxta
undecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai
la connaissance certaine que Mr Vianney a interrompu ses études à cause de la
conscription, qu'il a été amené par des circonstances où il n'y avait aucune
préméditation de sa part à être constitué en état de désertion et qu'il a passé
un temps assez considérable dans la paroisse des Noës, où il a fait beaucoup de
bien et où il s'est concilié l'estime et l'affection de tous. Le sentiment de
la reconnaissance et de l'estime a fréquemment amené dans la suite à Ars les
gens des Noës.
942 Juxta duodecimum Interrogatorium, testis
interrogatus respondit:
Mr Vianney n'a jamais abandonné la pensée
d'entrer dans l'état ecclésiastique; je sais qu'il a repris ses études chez Mr
Balley, qu'il est allé ensuite au séminaire et qu'il a été ordonné prêtre à
Grenoble. J'ai entendu dire qu'à cette époque, ses supérieurs ecclésiastiques
se défiaient beaucoup de sa science théologique. Je ne connais du reste rien de
bien précis sur cette seconde époque de son existence.
Juxta
decimum tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Après son ordination, il a été nommé
vicaire à Ecully, sur la demande, je crois, de Mr Balley., Sa vie y fut très
austère, et il sut s'y concilier l'estime et l'affection de son curé et des
paroissiens. Je ne sais pas au juste combien de temps il y est resté. A la mort
de Mr Balley, il fut demandé pour curé par les paroissiens. J'ignore pourquoi
cette demande ne fut point accueillie par l'autorité ecclésiastique.
Juxta
decimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Mr Vianney a été nommé curé d'Ars en mil
huit cent dix-huit. Au point de vue religieux, il y avait du laisser-aller dans
la paroisse, une certaine négligence et une certaine indifférence. Il y avait,
je crois, deux cabarets. Une fête, que l'on appelle vogue dans le pays,
provoquait à la danse les jeunes gens et les jeunes filles, qui se rendaient, à
différentes époques, dans les paroisses voisines, pour se livrer au même
plaisir. Je ne pense pas, du reste, qu'il y eut à Ars des désordres
exceptionnels; cette paroisse ressemblait à toutes les autres paroisses du
pays; ce qu'elle présentait au fond de plus déplorable, c'était la négligence
et l'oubli des pratiques religieuses. La piété profonde de Mr Vianney lui gagna
bien vite le coeur de ses paroissiens et il ne tarda pas à être l'objet d'une
véritable vénération. Il se mit immédiatement à l'oeuvre pour rendre sa
paroisse parfaitement chrétienne et il y réussit à force de zèle, de prudence,
et surtout par ses prières et ses mortifications. Il lui fallut cependant pour
cela beaucoup de temps; car les danses ne disparurent définitivement que vers
mil huit cent trente-trois.
943 Juxta decimum quintum Interrogatorium,
testis interrogatus respondit:
Mr Vianney fonda ou ranima des
associations pieuses et des confréries; il s'éleva vivement, dans ses
prédications, contre les désordres et l'oubli de Dieu. Sa manière était ferme,
pleine d'autorité, et quoiqu'il fût bon et indulgent, il ne dissimulait pas à
ses paroissiens et ne cherchait pas à affaiblir la morale évangélique. Il
apporta un soin particulier à l'éducation de la jeunesse; c'est ce qui lui
inspira la pensée de l'établissement de sa Providence. Il établit plus tard une
maison de la Ste Famille pour l'éducation des jeunes garçons. Ces deux
établissements ont procuré le plus grand bien.
Juxta
decimum sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai
assez vécu avec Mr Vianney, je l'ai connu assez intimement pour pouvoir
attester qu'il a pratiqué dans la plus haute perfection tous ses devoirs de
chrétien, de prêtre et de Curé et qu'il y a persévéré jusqu'à la mort. Ma
déposition subséquente en fera foi. Rien, à mes yeux, n'est de nature, dans sa
vie, à infirmer cette observance exacte.
Quant
aux absences qu'il a faites pour travailler aux missions ou jubilés, rien n'est
plus naturel. Sa paroisse était petite et ne suffisait pas à l'activité de son
zèle; il prêtait donc volontiers son concours à tout le bien qu'il pouvait
faire autour de lui. Jamais sa paroisse n'en a souffert; car il avait soin d'y
revenir de temps en temps et jamais il n'absentait le dimanche.
Quant
à ses fuites, je vais commencer à raconter les faits. La première fois qu'il quitta
sa paroisse, au mois de Septembre mil huit cent quarante-trois, il disparut
subrepticement pendant la nuit. Nous ne nous aperçûmes de son départ que le
lendemain matin. Je mis immédiatement plusieurs personnes à sa recherche. Je ne
tardai pas à découvrir qu'il s'était réfugié à Dardilly, sa paroisse natale. Je
m'y rendis avec mon adjoint. Nous vîmes de suite que notre présence
déconcertait les gens de Dardilly, car ils nous assurèrent que notre bon curé
n'était plus chez eux, qu'il était parti. Il y était pourtant, mais nous
revînmes sans l'avoir vu et sans être même bien sûrs de sa présence en ce lieu.
Rien ne peut peindre la désolation des gens d'Ars pendant cette absence;
c'était une véritable consternation. Mr Raymond, qui était encore curé de Savigneux,
mais qui servait déjà de prêtre auxiliaire de Mr Vianney, se rendit de son côté
à Dardilly. L'arrivée du curé d'Ars y avait produit un grand émoi; les pèlerins
y affluèrent de suite; on fut obligé de demander pour lui des pouvoirs à
l'Archevêché de Lyon. 944 Et il dut se mettre au confessionnal et reprendre le
genre de vie qu'il menait à Ars. Mr Raymond put l'aborder, et il lui fit
comprendre qu'il devait rentrer dans le diocèse. Il le mena d'abord à St Pierre
d'Albigny, chez Mr Martin, prêtre que le bon curé connaissait. Il y fut témoin
en arrivant d'un spectacle qui le désola; c'était un jour de fête, on dansait;
cette vue facilita à Mr Raymond la tâche qu'il avait entreprise, de faire
revenir Mr Vianney. Il le conduisit à Beaumont. Beaumont est une petite
chapelle de la Ste Vierge, au milieu des Dombes, dans le diocèse de Belley,
assez fréquentée comme lieu de pèlerinage. Mgr Devie l'avait parfois offerte
comme retraite au Curé d'Ars, lorsque celui-ci lui demandait avec de vives
instances la permission de se retirer dans la solitude. Mr Vianney y célébra la
sainte messe, après laquelle, sans aucune autre observation, il dit à Mr
Raymond: Retournons à Ars. Mr Raymond se hâta de profiter de cette ouverture
et, ayant pris une voiture, il le ramena. A peine fut-il arrivé sur les confins
de la paroisse, que l'on se mit à sonner les cloches. Tous les gens de la
paroisse se réunirent sur la place de l'église. Quand ils virent leur bon curé,
la joie la plus vive succéda à la désolation qu'ils avaient éprouvée. Mr
Vianney n'était pas moins heureux que ses paroissiens; ce fut un spectacle
admirable et touchant; on aurait dit des enfants qui avaient retrouvé leur
père, un père qui avait retrouvé ses enfants.
En
mil huit cent cinquante-trois eut lieu une seconde tentative de fuite. Elle
coïncidait avec le changement de Mr Raymond. J'ai ouï dire que Mr Raymond avait
engagé le Curé d'Ars à quitter sa paroisse, dans le cas où lui-même en serait
éloigné; il ne serait donc pas étonnant que cette circonstance, jointe au désir
constant que le bon curé avait de se retirer dans la solitude, n'ait influé sur
sa détermination. Il n'avait informé de son dessein que Catherine Lassagne, en
exigeant d'elle un secret absolu. Je soupçonnais cependant quelque chose. Mr
Toccanier, successeur de Mr Raymond, venait de prendre possession de son poste;
je le fis avertir, ainsi que le F. Athanase, le Frère Jérôme et quelques autres
personnes. Je plaçai des hommes en sentinelle; on veilla toute la nuit; en
sorte que, lorsque le curé voulut prendre la fuite, il fut tout étonné. Il
quitta néanmoins sa cure, accompagné ou suivi par Mr Toccanier et quelques
autres. On avait eu soin de lui soustraire son bréviaire. On fit incontinent
sonner le tocsin; les gens accoururent à la hâte, croyant les uns au feu, les
autres à des voleurs. C'était le milieu d'une nuit sombre et noire. Pendant ce
temps, le Curé continuait à fuir, malgré les instances et les démarches les
plus touchantes de ses compagnons. 945 Arrivé au delà d'un ruisseau, qu'il
traversa sur une planche, il s'égara; cédant aux sollicitations réitérées qui
lui étaient faites, il revint et trouva dans la cour de la cure beaucoup de
gens assemblés. J'y arrivais dans ce moment; je le trouvai avec une figure
décomposée, triste, presque sombre. Je lui dis: Mr le Curé, venez à la
sacristie, je veux vous dire quelque chose. - Je veux bien, répondit-il. Arrivé
à la sacristie, sans dire un seul mot et en me tournant brusquement le dos, il
prit son surplis et s'en alla à son confessionnal, où il se remit
tranquillement à confesser. Depuis lors, tout fut fini, et désormais il ne me
parla plus de ses projets de retraite, comme il le faisait si souvent
auparavant.
947 Session 104 - 15 Septembre 1863 à 3h de l'après-midi
Et
prosequendo decimum sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Depuis
que j'ai connu Mr le Curé d'Ars, jusqu'à sa seconde tentative de fuite, je l'ai
toujours vu animé de la pensée de se retirer dans la solitude. Je vois à cette
pensée trois motifs: Il voulait, 1° décliner la responsabilité d'une paroisse,
responsabilité qu'il regardait comme trop lourde pour ses épaules à cause de
son indignité et surtout de son ignorance; 2° 948 se ménager le moyen de
pleurer ses fautes et ce qu'il appelait sa pauvre vie; 3° échapper à des
occupations trop continues et se procurer du temps pour se livrer, selon son
attrait, à la prière et à l'oraison. Tels sont les motifs que s'avouait le bon
Curé. Mais ma conviction est qu'il y avait là dessous une véritable tentation
du démon, dont lui-même, quelque éclairé qu'il fût dans les voies de Dieu,
n'avait pas la conscience. Le démon en effet savait tout le bien qu'il faisait
à Ars par le pèlerinage, le plus grand bien encore qu'il pouvait faire; il
avait tout intérêt à en détourner, sous des prétextes plausibles, le Serviteur
de Dieu. Sa dernière tentative de fuite fut pour lui, sur ce point, un vrai
trait de lumière. Depuis lors, il ne pensa plus à rien de semblable, ainsi que
je l'ai remarqué plus haut. Il fut tout entier et sans arrière-pensée à son
ministère; il alla de meilleure heure à l'église; il resta plus longtemps au
confessionnal. Loin de chercher des occasions de fuir, il les repoussa
lorsqu'elles se présentèrent et il ne voulut accueillir aucune des propositions
qui lui furent faites à ce sujet, notamment par les gens de Dardilly désireux
de le posséder. Quelques années après la seconde tentative de fuite, on chercha
à l'attirer à Dardilly sous prétexte d'une maladie de son frère. Le bon curé,
qui aimait sa famille, se mit en route; mais chemin faisant, il fut atteint de
coliques violentes qui l'obligèrent à revenir, avant d'avoir atteint le terme
de son voyage. Les pèlerins avaient déserté Ars avec lui; à son retour, il les
rencontra qui se mettaient en voie de le suivre et de le rejoindre; il en fut
touché: Que seraient devenus, disait-il, ces pauvres pécheurs?... Il comprit
dès lors encore mieux que Dieu le demandait à son poste.
On
a voulu voir dans les fuites de Mr Vianney une désobéissance à la volonté de
son évêque; il n'en est rien; avant de partir, il lui avait écrit, pour le
prévenir et lui demander la permission. Je possède une lettre de Mgr Devie qui
en fait foi. Je la fais relater ici intégralement.
Bourg, le 13 Septembre 1843.
Monsieur,
Dans le
moment où j'ai reçu la lettre de votre bon et saint curé, j'ai reçu également
celle que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser. Je remets à Mr le Curé de
Savigneux mes deux réponses. Je dis au bon curé que mon désir est qu'il reste à
Ars malgré les raisons qu'il croit avoir d'aller ailleurs; j'espère qu'il se
rendra à mes raisons. Cependant, pour ne pas le heurter trop fort, je lui
indique deux autres postes où je pourrais le placer. 949 C'est en lui montrant
des dispositions semblables que je le détournai du projet de s'éloigner d'Ars,
il y a quelques années. J'espère un peu obtenir le même résultat. Vos
instances, celles de vos paroissiens et des curés voisins, contribueront,
j'espère, à le fixer auprès de vous; mais dans tous les cas il est persuadé
aujourd'hui que je ne lui permettrai jamais de quitter le diocèse de Belley. Je
croirais perdre un trésor.
Veuillez,
etc.
Votre très humble et tout dévoué
Serviteur
+ Alexandre Raymond, Evêque de
Belley.
Juxta
decimum septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je sais que le Serviteur de Dieu a
éprouvé, surtout dans les commencements de son ministère, de grandes
contradictions, principalement de la part des ecclésiastiques. Les curés du
voisinage qui le connaissaient, l'aimaient généralement et l'estimaient. Ceux
qui étaient plus éloignés, soit qu'ils fussent trompés par de faux rapports,
soit que son genre de vie extraordinaire leur parût une condamnation d'une vie
plus commune, le blâmaient. Je sais même que quelques uns lui écrivirent des
lettres assez dures. Il supporta tout avec une admirable patience et comme les
saints ont coutume de supporter ces sortes d'épreuves.
Juxta
decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Le Serviteur de Dieu a pratiqué toutes
les vertus chrétiennes.
Sa
foi m'a toujours frappé d'une manière particulière; elle animait toutes ses
actions et lui inspirait des paroles brûlantes. Dans ses conversations, il
s'entretenait volontiers des choses qui pouvaient intéresser ceux qui étaient
avec lui; mais sa foi et son amour pour Dieu le ramenaient toujours aux choses
de Dieu.
Dans
ses instructions ou ses catéchismes, quel que fût le sujet qu'il avait choisi,
il revenait sans cesse à la foi ou à la charité. J'ai remarqué qu'il paraissait
heureux de traiter ses sujets favoris, l'amour de Dieu, le Saint Sacrement, la
beauté d'une âme en état de grâce, l'action du St Esprit sur les âmes, les
douceurs de la prière, etc. Ses paroles, son extérieur, tout dans lui en un
mot, annonçait la foi vive qui l'animait. Je me rappelle qu'en mil huit cent
trente, dans une de ses instructions, il fut vraiment sublime. On abat les
croix, dit-il, mais lorsque Jésus-Christ paraîtra dans les airs, sa croix à la
main: 950 Oh! pour celle-là, impie, tu ne la lui arracheras pas!... Sa foi
brillait dans toutes les fonctions du saint ministère. Quand il disait la
sainte messe, l'expression de sa figure était telle que c'était à regarder si
ses pieds touchaient terre; il paraissait comme en extase, surtout au moment de
la consécration et de la communion.
Il
attachait un grand prix à tout ce qui tenait au culte divin; il aimait l'éclat
et la pompe des cérémonies; il s'efforçait de les rendre aussi solennelles que
possible. C'est cette pensée qui le porta à agrandir et embellir son église,
etc. J'étais présent lorsqu'il reçut les magnifiques ornements que lui envoyait
le vicomte d'Ars. Rien ne saurait peindre la joie et le bonheur du bon Curé. Il
faisait avertir ses paroissiens de venir voir les belles choses qu'on lui avait
envoyées.
Il
aimait à déployer toute la pompe possible pour la procession du saint
sacrement. Il venait toujours voir si nous avions fait un beau reposoir pour la
procession. Il était heureux lorsque je faisais tirer les boîtes au moment de
la bénédiction du Saint Sacrement. La dernière année, j'avais invité la musique
du collège des Pères Jésuites de Montgré. Quel ne fut pas le bonheur du bon
curé lorsqu'il l'entendit jouer.
La
Foi le porta toujours à remplir tous les devoirs d'un zélé pasteur. Il se fit
partout remarquer par sa foi vive. Quand il fut nommé curé d'Ars, trois ou
quatre personnes d'Ecully, qui avaient été frappées de son grand esprit de foi,
vinrent s'installer près de lui.
Dans
sa première maladie, la foi qu'il montra au moment où on lui administrait les
derniers sacrements m'impressionna vivement.
Il
avait un grand respect et une grande estime pour les prêtres; il parlait
toujours de son Évêque avec la plus grande vénération.
Quoad
Spem, testis respondit:
J'ai
toujours remarqué que Mr Vianney ne comptait pas sur lui, mais uniquement sur
Dieu. Dans les peines, les difficultés qu'il éprouvait, il recourait à Dieu par
la prière. 951 Je ne l'ai jamais vu se décourager; il paraissait parfois triste
et comme abattu, par exemple quand l'argent lui manquait, mais ce n'était point
le découragement. Tout en travaillant incessamment au bien des âmes, il ne
négligeait rien pour assurer son propre salut. Je puis assurer qu'il ne restait
pas dix minutes sans penser à Dieu. Dans les commencements de son ministère à
Ars, il passait la plus grande partie de son temps à l'église et aux pieds du
Saint Sacrement. Plus tard, à cause de l'affluence des pèlerins, ne pouvant
plus se livrer à ses longues méditations, il s'en dédommageait, je crois, par
de fréquentes aspirations, et prenait sur le temps du sommeil pour le consacrer
à Dieu. Il m'a avoué qu'il ne dormait pas une demi-heure.
La
pensée du Ciel semblait être le mobile de ses actions et de ses paroles; car il
en parlait souvent et quand il prêchait sur ce sujet, on aurait dit que déjà
lui-même était allé au Ciel.
Cette
pensée du bonheur éternel, il cherchait à l'inspirer aux autres. C'est ainsi
qu'il savait relever le courage de ses paroissiens en leur montrant le Ciel
comme la récompense de toutes nos peines et de tous nos travaux. Il savait
admirablement développer les motifs de confiance. Quel que fût l'état de
tristesse dans lequel on se trouvait, dès qu'on le lui avait exposé, on sentait
le courage renaître. Je n'ai jamais vu ou entendu personne se plaindre d'être
venu à Ars. Tout le monde au contraire avouait que cette visite leur avait fait
du bien.
C'est
dans l'intention d'attirer ses paroissiens et de les faire penser à leur salut,
qu'il embellissait son église, déployait une grande pompe pour les cérémonies.
Je me rappelle qu'il fut profondément attristé lorsqu'on eut volé le magnifique
ostensoir qu'avait envoyé le vicomte d'Ars. Il engagea ses paroissiens à le
remplacer par un autre, et pour les y pousser plus facilement, il leur dit ces
paroles: Vous allez, mes frères, préparer une maison au bon Dieu, et lui vous
préparera un beau palais dans le Ciel.
952 Le Serviteur de Dieu s'abandonnait entièrement entre les mains
de la Providence. Il recommandait fréquemment aux autres de le faire à leur
tour et il se servait pour cela de pensées très fortes, que malheureusement je
n'ai pas retenues.
Les
contradictions dont j'ai parlé, les peines intérieures qu'il éprouva, ne firent
qu'augmenter sa confiance en Dieu en lui montrant de plus en plus sa bassesse
et son néant. Il fut tourmenté d'une manière extraordinaire par le démon. Au
commencement, il eut grandement peur; je sais que Melle d'Ars envoya son
jardinier coucher à la cure. Quand il sut quelle était la cause de ces bruits
qu'il entendait, il n'eut plus peur. Il racontait lui-même très volontiers les
attaques dont il était l'objet. Souvent il me disait: Cette nuit, le grappin ne
m'a pas laissé fermer l'oeil. Pendant sa première maladie, je couchais à la
cure; j'espérais entendre quelque bruit; mais je n'entendis rien. Un maréchal
des logis dans la gendarmerie étant une nuit autour du presbytère entendit un
grand bruit dans la cour. Le matin, il demanda à Mr Pertinand ce qui faisait
tant de bruit.
J'ai
fait souvent la remarque que le Serviteur de Dieu recourait constamment à la
prière dans toutes ses peines et ses difficultés. C'est appuyé sur l'Espérance
chrétienne qu'il parcourut jusqu'à la mort le genre de vie qu'il avait
embrassé. Je lui ai entendu dire, quand on le pressait de se reposer: Je me
reposerai en paradis. D'autres fois, il avait dit en riant: Je connais
quelqu'un qui serait bien attrapé s'il n'y avait point de paradis! J'ai
remarqué que dans sa première maladie, il manifesta une grande crainte de la
mort. Il me disait: Je voudrais vivre encore pour pleurer mes péchés et pour
faire quelque bien. Dans sa dernière maladie, il fut aussi calme, aussi résigné
que possible. 953 La crainte de la mort et des jugements de Dieu semblait avoir
fait place à la plus grande confiance dans la bonté et dans la miséricorde de Dieu.
955 Session 105 - 16 Septembre 1863 à 8h du matin
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Le
Curé d'Ars a été constamment animé par le sentiment de l'amour de Dieu le plus
vif et le plus tendre. Ce sentiment était sa vie. Dès le commencement de son
ministère à Ars, on l'a vu passer ses journées presque entières à l'église. 956
Quiconque a vécu un peu avec lui a pu se convaincre que son union avec Dieu et
avec Notre Seigneur était continuelle. Tout en lui indiquait les mouvements
intérieurs de la charité la plus ardente, sa figure, son attitude, ses
prédications, ses conversations, l'exercice tout entier de son ministère.
A
l'autel, il paraissait un ange; à l'élévation surtout et à la communion, ses
traits s'animaient, sa figure devenait resplendissante; parfois il versait des
larmes; on ne pouvait le regarder sans être profondément ému. Quand il était en
chaire, l'amour de Dieu respirait dans toutes ses paroles, et quel que fût le
sujet qu'il entreprenait de traiter, il finissait toujours par revenir à
l'amour de Dieu. L'Eucharistie surtout le transportait. Il n'annonçait jamais
la procession du Saint Sacrement sans une grande joie, et quand il avait le
bonheur de porter Notre Seigneur dans ses mains, il était tout transporté et
comme hors de lui-même. Au confessionnal, toutes ses paroles étaient brûlantes
d'amour de Dieu et les pénitents sentaient si bien qu'elles sortaient de la
plénitude de son coeur, qu'ils se retiraient eux-mêmes tout embrasés.
Quelque
absorbé qu'il fût par un ministère accablant, sa prière était continuelle. Il
ne disait jamais son bréviaire à l'église qu'à genoux et dans l'attitude du
recueillement le plus profond. Rien ne pouvait le distraire, ni le mouvement
qui se faisait autour de lui, ni la multitude des pèlerins, ni les questions
importunes, absurdes même, dont on le pressait. Toujours la même sérénité;
toujours la même égalité d'humeur. Il était visible que son âme était avec
Dieu. Ce sentiment lui inspirait un grand attrait pour tout ce qui tenait au
culte divin, la beauté des ornements, la pompe des cérémonies, etc.
Dans
ses conversations, quelque bon, quelque condescendant qu'il fût pour ses
interlocuteurs, il finissait toujours par revenir à son sujet favori. 957
J'avais l'habitude, lorsque j'étais à Ars, d'aller le voir deux fois par jour,
après son repas de midi et le soir. C'était pour moi un bonheur et une
inexprimable consolation. J'étais alors ordinairement en la compagnie des
missionnaires. Le bon curé était gai, aimable; sa conversation était
affectueuse, douce, pleine d'esprit et de finesse; il avait quelquefois des
observations qui ne manquaient pas d'une certaine malice délicate, mais
toujours inoffensive. Cette sérénité et ce ton agréable me frappaient beaucoup,
surtout le soir, après des journées extrêmement fatigantes et qui auraient été
écrasantes pour tout autre homme que lui. J'ai toujours remarqué que quel que
fût le sujet dont il nous avait entretenu, il avait le secret de les tourner
vers Dieu, et d'en tirer des enseignements qui nous remuaient jusqu'au fond de
l'âme. Lorsqu'il avait ainsi causé avec nous avec une familiarité pleine
d'abandon, appuyé contre une pauvre table, il nous saluait tout à coup, en nous
disant: J'ai bien l'honneur de vous souhaiter le bonsoir. - Nous nous retirions
tout ravis.
L'amour
de Dieu dans le curé d'Ars avait pour principe le renoncement le plus complet à
lui-même, le sacrifice et la mortification. Aussi les peines intérieures et
extérieures ne purent-elles jamais troubler la paix de son âme. Les
persécutions des hommes et celles du démon ne l'altérèrent pas. On voyait
cependant à une certaine tristesse, à une certaine altération de sa figure,
qu'il sentait vivement.
Mr
Vianney a pratiqué toute sa vie la charité spirituelle et corporelle à l'égard
du prochain. Il avait puisé l'amour de cette vertu au sein de sa famille, qui
était très charitable. Vicaire à Ecully, il avait gagné la confiance et l'affection de tout
le monde par son désintéressement et son dévouement pour les pauvres. Nommé
curé à Ars, il se consacra tout entier au bien de ses paroissiens.
Il
chercha avant tout le bien de leurs âmes; pour les gagner à Dieu, il se fit
tout à tous; il les visitait fréquemment dans leurs maisons, le plus souvent à
l'heure des repas, afin de les trouver réunis. 958 Là, après s'être enquis de
leurs affaires matérielles, il leur parlait de Dieu avec beaucoup de
simplicité, mais beaucoup d'onction; ces braves gens étaient touchés. Il
renonça ensuite à ces visites fréquentes, lorsque les occupations du ministère
occasionnées par le pèlerinage absorbèrent tout son temps.
Persuadé
qu'une solide instruction religieuse est le meilleur moyen pour amener les
fidèles à la piété, il se livra avec un grand zèle à la prédication. Il
préparait très soigneusement ses instructions. Toutefois, il ne comptait pas
sur lui-même pour la conversion ou l'amélioration de sa paroisse; il ne compta
que sur la grâce de Dieu. Il eut recours à la prière, aux jeûnes, aux
mortifications les plus excessives. Le jour, il offrait ses souffrances pour la
conversion des pécheurs, la nuit pour la délivrance des âmes du purgatoire. Il
éprouvait une affliction inexprimable du malheur des pauvres pécheurs. Quel
dommage, disait-il, que des âmes qui ont coûté tant de souffrances au bon Dieu,
se perdent pour l'éternité... Il aurait consenti à rester sur la terre jusqu'à
la fin du monde et à mener jusque là la vie de pénitence terrible qu'il
pratiquait pour travailler à la conversion des pécheurs. Les pauvres malheureux
pécheurs lui tenaient tellement à cœur qu'afin d'étendre son zèle et de le
rendre durable même après lui, il fonda à perpétuité un nombre considérable de
missions.
C'est
ce même sentiment du zèle pour le salut des âmes qui l'a fait prendre part,
ainsi que je l'ai dit plus haut, aux missions et jubilés qui se sont donnés
dans les environs de sa paroisse, et où il produisit un tel effet que le
pèlerinage en prit naissance.
C'est
encore ce même sentiment qui le cloua pendant quinze ou dix-huit heures au
confessionnal chaque jour, malgré des souffrances habituelles, une toux
déchirante, malgré le froid, la chaleur, malgré les mauvaises odeurs
qu'exhalait une foule entassée. C'est ce même sentiment qui lui fit continuer
pendant toute une longue vie ce ministère écrasant, sans interruption, sans
repos, sans ménagement, sans adoucissement d'aucune sorte. 959 C'est lui qui le
faisait se lever à minuit ou une heure du matin et sortir de l'église fort
tard; lui encore qui le condamnait à une privation presque absolue de sommeil
et le maintenait dans une patience inaltérable au milieu des peines et des
importunités les plus agaçantes du saint tribunal.
Il
ne s'appliquait pas seulement à produire un bien éphémère et fugitif; mais il
voulait un bien durable. C'est ce qui le conduisit à l'établissement de sa
Providence, d'abord pour donner une éducation chrétienne et gratuite aux
enfants de sa paroisse, ensuite pour recueillir de pauvres petites filles
abandonnées. Il la confia à des filles pieuses, qui réunirent jusqu'à soixante
enfants pauvres, qu'elles soutenaient grâce à la charité de Mr le Curé, à leur
dévouement personnel, et aussi aux miracles de la divine providence. Mr Vianney
avait consacré à la fondation de cette oeuvre tout son patrimoine. Désireux de
lui donner plus de stabilité, il songea à la remettre entre les mains d'une
Congrégation religieuse; il choisit les soeurs de St Joseph. Cette
détermination fut pour lui un sacrifice; car sa Providence lui tenait à coeur;
c'était son oeuvre favorite; il lui en coûtait de s'en détacher. Le sacrifice
fut plus grand encore lorsqu'il en vint à la réalisation et qu'il vit que son
oeuvre était transformée, réduite à une seule école paroissiale, que
l'orphelinat disparaissait et que les conditions verbales qu'il avait mises à
la cession n'étaient pas aussi scrupuleusement exécutées qu'il l'avait désiré.
Ce fut pour lui un froissement considérable qu'il supporta néanmoins avec une
grande patience.
Un
établissement de jeunes garçons, créé par son zèle et confié aux frères de la
Ste Famille de Belley, mit le sceau aux oeuvres qu'il fonda pour l'éducation de
la jeunesse.
A
la charité spirituelle, Mr Vianney joignait toutes les oeuvres de charité
corporelle. Son coeur s'apitoyait sur toutes les misères. Les guerres, les
révolutions l'attristaient profondément à cause des maux qu'elles traînent à
leur suite. Il aimait tendrement les pauvres. Pour eux, il se dépouillait de
tout; il donnait, donnait sans cesse; pour leur faire l'aumône, il vendait tout
ce qu'il possédait, son linge, son mobilier, le moindre objet qui fût à son
usage. 962 Je sais qu'il payait plusieurs loyers, même en dehors de sa
paroisse; il soutenait plusieurs familles qui avaient été autrefois dans
l'aisance et qui étaient réduites à la misère. L'argent lui manquait toujours; mais
toujours il en avait; la providence venait à son secours. Melle d'Ars et moi,
nous lui envoyions de temps en temps des provisions; elles ne faisaient que
passer par sa cure pour s'en aller aux pauvres. On abusait quelquefois de la
facilité avec laquelle il donnait. Je lui en ai fait l'observation. Ce que je
donne, répondait-il, n'en est pas moins écrit dans le Ciel.
963 Session 106 - 16 Septembre 1863 à 3h de l'après-midi
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
La
prudence fut en Mr Vianney une vertu très remarquable; elle m'a toujours
beaucoup frappé. Elle l'engagea, avant tout, à recourir à Dieu, par la prière,
pour réformer les abus de sa paroisse. Il apporta dans cette entreprise
beaucoup de tact et de modération. 964 Il s'éleva sans doute avec beaucoup
d'énergie et de fermeté contre les désordres, mais sans jamais froisser
personne. Il sut même attendre du temps ce qu'il ne pouvait obtenir de suite;
c'est ainsi qu'il mit quatorze à quinze ans pour déraciner les danses et la
vogue. Ce dernier amusement avait à peu près disparu en mil huit cent trente. A
cette époque, il reparut; je lui offris mon intervention comme maire de la
commune; il refusa et se contenta de me prier d'éloigner les danses du centre
du village. Cette modération produisit plus d'effet qu'une défense expresse. A
partir de ce moment, les danses et la vogue cessèrent tout à fait.
Mr
Vianney aimait à écrire à son Évêque, dans ses doutes et ses perplexités, pour
réclamer ses conseils; il consultait fréquemment aussi d'autres personnes
prudentes, et particulièrement son confesseur. Il ne manquait jamais de me
faire part de ses projets quand ils concernaient la paroisse. Nous ne
différions guère d'opinion; mais si parfois il n'était pas de mon avis, il lui
arrivait rarement de ne pas s'y rendre.
Il
était interrogé au confessionnal sur les cas les plus difficiles, sur des
vocations, sur des affaires excessivement compliquées. La décision était
prompte, nette, précisée, toujours marquée au coin de la plus admirable
prudence; elle était éloignée de toute exagération, même pieuse. Il a souvent
engagé des personnes qui le consultaient pour savoir si elles devaient entrer
dans la vie religieuse, à rester dans le monde. La suite a démontré combien il
avait raison. Il n'est pas douteux qu'il n'y eut en lui une étonnante
perspicacité; son regard même semblait pénétrer et lire jusqu'au fond des âmes.
Parmi les milliers et les milliers de personnes de tout âge, de tout sexe et de
toute condition qui ont réclamé ses avis, je n'ai jamais entendu dire qu'une
seule se soit repentie de les avoir suivis. Ce fait a toujours suscité mon
admiration.
Il
a toujours été prudent dans ses entreprises; c'est ce que l'on a remarqué dans
l'établissement de la Providence, dans la fondation de la maison des Frères; il
est rare qu'il soit allé en avant, sans avoir auparavant réuni les fonds
nécessaires; aussi n'a-t-il jamais eu de dettes proprement dites.
965 S'il était prudent dans ses prédications, il ne l'était pas
moins dans ses conversations ordinaires; jamais de parole légèrement proférée
ou regrettable; jamais un mot qui pût offenser personne. Il était d'autant plus
réservé en fait de politique, qu'il savait par expérience que l'on était plus
disposé à abuser de son autorité. Voici un fait assez singulier à ce sujet. On
lui avait prêté une espèce de prédiction concernant un auguste personnage;
cette espèce de prédiction avait été répandue et faisait un certain bruit. La
police s'en inquiéta; l'un de ses employés fut envoyé à Ars pour prendre des
informations; il vint chez moi et me fit part de l'objet de sa mission. Je
cherchai à le rassurer; je crus néanmoins devoir le mettre en rapport avec Mr
Vianney; je le conduisis à l'église et tirai Mr Vianney du confessionnal, pour
l'amener à la sacristie, où il se trouva en tête à tête avec l'employé.
J'attendis moi-même à la porte pendant quelques minutes, après lesquelles je
vis sortir le commissaire de police tout en larmes. Son entrevue avec Mr
Vianney l'avait tout bouleversé. Quel saint curé vous avez là, me disait-il
ensuite, avec le sentiment de la plus vive admiration...
La
prudence de Mr Vianney n'a pas été moins remarquable dans l'incident de la
Salette. Dès le principe, il croyait à l'apparition de la Ste Vierge, mais avec
une certaine réserve; il en référait constamment à l'autorité des évêques,
juges légitimes en ces sortes de choses. Par je ne sais quel concours de
circonstances, le jeune Maximin, l'un des témoins de l'apparition, vint à Ars.
On le conduisit au curé à la sacristie. Mr Vianney l'interrogea hors de la
confession. Qu'avez-vous vu, lui demanda-t-il? - Rien, répondit le jeune homme.
Le curé, tout étonné, insista; il en reçut constamment la même réponse
nettement accentuée. Alors Mr Vianney réprimanda sévèrement Maximin sur sa
tromperie et lui intima l'obligation d'aller trouver l’Évêque de Grenoble et de
se rétracter devant lui. Le jeune homme refusa, en disant: Ah! Bah! cela fait
toujours du bien au peuple. Après quoi Mr le Curé, justement indigné, refusa de
le confesser. Comme Maximin sortait de l'église, Mme des Garets le rencontra et
lui dit: Eh bien! diriez-vous votre secret à un Évêque, à Mgr Dupanloup, par
exemple? – 966 Non, répliqua-t-il. - Et à Mr le Curé? - Je le lui ai dit. Je
tiens ces détails de Mr Vianney lui-même, qui me les a racontés cent fois.
L'intention du bon curé était d'écrire immédiatement à Mgr Devie et de lui
abandonner toute l'affaire; il le fit en effet. Mais Mr Raymond, qui était très
opposé à la Salette, ébruita ce qui venait de se passer. La chose fit grand
bruit et suscita à Mr Vianney des tracasseries pénibles. Néanmoins, quoiqu'il
ne crût plus à l'apparition, il ne se départit pas de sa ligne de réserve.
Toutes les personnes qui le consultaient, il les renvoyait à la décision des
évêques. Pour lui, dans son for intérieur, il éprouvait une certaine anxiété,
qui ne cessa que quelque temps avant sa mort, lorsque, éclairé d'une lumière
particulière qu'il avait demandée à Dieu, il eut fait un acte de foi à la
vérité de l'apparition.
Quoad
Justitiam, testis respondit:
En
répondant au seizième Interrogatoire, j'ai assez fait connaître que le
Serviteur de Dieu a constamment rempli tous les devoirs auxquels il était tenu
comme chrétien, comme prêtre et comme curé.
J'ai
toujours remarqué sa grande politesse envers tout le monde. Cette politesse
n'avait rien d'affecté; elle était simple, gracieuse et aimable. Il ne voulait
s'asseoir devant personne; pour lui, il ne souffrait pas qu'on se tint debout
en sa présence. Il avait coutume de saluer par ces paroles: Je vous présente
bien mon respect. Il était bon et affable envers tout le monde. Il était plein
d'égards et de condescendance envers ses collaborateurs; dès qu'il les savait
indisposés, il les engageait au repos, et pour qu'ils pussent le faire plus
facilement, il s'offrait à les remplacer.
Il
témoignait une vive reconnaissance pour les moindres services qu'on pouvait lui
rendre. Je me rappelle qu'il nous parlait assez fréquemment, même en chaire, de
son ancien maître, Mr Balley, curé d'Ecully. Il n'avait pas oublié
l'hospitalité qu'il avait reçue aux Noës et il en donnait des preuves toutes
les fois que l'occasion s'en présentait. Le nom de Melle d’Ars était souvent
dans sa bouche.
Quoad
obedientiam, testis respondit:
L'ensemble
de la vie de Mr Vianney me fait croire qu'il a toujours pratiqué l'obéissance.
Je n'ai pas de détails particuliers à donner à ce sujet. J'ai dit qu'il était
pénétré d'une profonde vénération pour son évêque; il en était de même pour les
autres supérieurs. Quant au fait de la désertion, il y a été amené, comme je
l'ai dit, par des circonstances toutes particulières. Je ne vois pas pour mon
compte dans ce fait un acte de désobéissance.
Quoad
Religionem, testis respondit:
En
parlant de la Foi et de la Charité, j'ai déjà assez fait connaître la vertu de
Religion du Serviteur de Dieu; je n'aurai donc ici que quelques particularités
à signaler. Le moindre objet de piété était pour lui d'un grand prix; on le
voyait aussi reconnaissant pour une médaille qu'on lui offrait qu'il l’aurait
été pour un don considérable. Il aimait beaucoup les images et surtout les
reliques; il en avait en grande quantité dans sa chambre, dans sa chapelle de
la Providence.
Le
Serviteur de Dieu, dès son enfance, ainsi que je l'ai entendu raconter, montra
une grande dévotion envers la Sainte Vierge. Je l'ai entendu moi-même bien des
fois rappeler aux fidèles les avantages de cette dévotion. Ses paroles étaient
alors pleines d'onction et indiquaient assez les sentiments qui l'animaient
lui-même. Il fit faire un coeur en vermeil, y plaça les noms de ses
paroissiens, après une consécration solennelle qu'il fit de sa paroisse à la
très sainte Vierge.
Il
vénérait d'une manière particulière le mystère de l'Immaculée Conception; bien
avant la définition du dogme, il avait attaché son coeur à cette pieuse
croyance: aussi, qu'il fut heureux le jour où il apprit la proclamation du
dogme...
Tous
les samedis il célébrait la messe à l'autel de la Ste Vierge. Il recommandait
fréquemment de faire des neuvaines en son honneur, lorsqu'on sollicitait
quelque grâce. Il serait impossible de dire la quantité de médailles de la Ste
Vierge qu'il a distribuées. Ses fêtes, quoique n'étant plus d'obligation depuis
le concordat, étaient célébrées avec pompe; les offices avaient lieu comme le
dimanche, et l'on remarquait ces jours-là un plus grand concours de pèlerins.
968 Mr Vianney connaissait bien la vie des saints; il la lisait
fréquemment. Il nous en parlait souvent dans ses instructions. Les noms de
plusieurs saints revenaient sans cesse sur ses lèvres; c'était St François
d'Assise, St Louis de Gonzague, Ste Colette, etc. Il avait sans doute pour eux
une plus grande dévotion.
Il
avait fait construire une chapelle à Ste Philomène; il y disait souvent la
messe. Quand on sollicitait quelque grâce de guérison, il avait coutume de
faire faire une neuvaine en l'honneur de Ste Philomène.
Bien
des fois, je l'ai entendu recommander de prier pour les âmes du purgatoire; il
conjurait les fidèles de ne pas oublier ces pauvres âmes qui ont tant à
souffrir avant d'entrer au Ciel. Lui-même a fondé un certain nombre de messes
pour leur soulagement.
Quoad
Orationem, testis respondit:
Ce
qui, à mon avis, fait le mieux connaître le don d’oraison de Mr Vianney, c'est
cette pensée que j'ai déjà exprimée, qu'il ne passait pas dix minutes sans
penser à Dieu. Je crois qu'il employait une partie de ses nuits à la prière, à
l'oraison ou à de pieuses lectures. Son maintien était toujours pieux et
recueilli; mais il n'y avait dans sa piété, comme dans le reste, aucune
affectation.
Quoad
Fortitudinem, testis respondit:
La
vertu de force éclata dans toutes les oeuvres du curé d'Ars; c'est elle seule
qui a pu le soutenir dans les travaux extraordinaires auxquels il s'est livré
pendant tant d'années pour la gloire de Dieu et le salut des âmes; c'est elle
seule qui a pu le déterminer à suivre constamment le genre de vie le plus
sévère. J'ai toujours remarqué dans le Serviteur de Dieu une grande force de
caractère, une grande force de volonté; je ne l'ai jamais vu se laisser
abattre, malgré les nombreuses difficultés et les contrariétés de toutes sortes
qu'il a bien des fois rencontrées sur son chemin.
La
patience du Serviteur de Dieu est la vertu qui m'a le plus étonné et le plus
impressionné. Je ne crois pas qu'il soit possible de la porter plus loin. 969
Avant de donner quelques détails, je dois faire observer que cette vertu
admirable de Mr Vianney ne lui était pas naturelle. Il était d'un tempérament
vif; il avait de plus une très grande sensibilité. Les personnes qui
l'approchaient le plus souvent s'apercevaient assez vite que tel était le
caractère de Mr Vianney et que par conséquent il a dû travailler longtemps et
souffrir beaucoup pour acquérir l'inaltérable patience que nous avons admirée
en lui.
971 Session 107 - 17 Septembre 1863 à 8h du matin
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Le
Serviteur de Dieu eut bien à souffrir des différentes infirmités dont il fut
éprouvé et qu'il s'était attirées, au moins en partie, par sa vie mortifiée et
pénitente. Il était sujet à des maux d'entrailles; il avait une hernie et
pendant quelque temps, il ne prit aucune précaution contre; 972 aussi lui
causait-elle de vives souffrances. Il avait encore une toux aiguë qui lui
déchirait la poitrine. On voyait qu'il souffrait beaucoup; pour lui, il ne se
plaignait jamais. Il était toujours le même, plein de prévenance et
d'amabilité, comme s'il n'avait rien souffert. Il m'est arrivé bien des fois de
lui, dire : Mon bon curé, il faut vous ménager. — Ah! bah! mon ami,
répondait-il en souriant, le bon Dieu arrangera tout cela.
Il
craignait beaucoup le froid, et néanmoins il ne prenait aucune précaution pour
s'en garantir. Des personnes qui s'intéressaient vivement à lui voulurent lui
épargner cette souffrance pendant les longues heures qu'il passait au
confessionnal, en mettant une bouillotte sous ses pieds. Pour qu'il ne s'en
aperçût pas, elles la glissaient sous la planche du confessionnal. Le Serviteur
de Dieu finit par s'en douter et, trouvant la bouillotte, il la jeta dans
l'église.
Mr
Vianney eut à supporter bien des ennuis ou des tracasseries de la part de
plusieurs personnes. Au moment où le pèlerinage devenait considérable, Mgr
Devie, évêque de Belley, sentant que le bon Curé ne pouvait plus supporter seul
le fardeau, lui proposa un prêtre auxiliaire. Le Serviteur de Dieu, qui avait
grande confiance en Mr Raymond, curé de Savigneux, le demanda à Mgr. Mr Raymond
était un excellent prêtre, animé des meilleures intentions; cependant il ne
tarda pas à être en opposition avec Mr Vianney sur plusieurs points. A mon
avis, il manquait un peu de tact et de jugement. En l'envoyant à Ars, l’Évêque
de Belley l'avait chargé de veiller un peu sur tout ce qui s'y passait. Il
avait appris que le bon Curé faisait des fondations hors du diocèse, qu'il ne
donnait pas toujours avec assez de discernement, ou plutôt qu'on abusait de sa
grande charité (bien des fois, moi-même je lui avais fait l'observation qu'il
donnait à des personnes qui n'en avaient pas besoin). Mr Raymond se regarda
trop comme le tuteur du Curé d'Ars, qui ne pouvait presque plus rien faire sans
son prêtre auxiliaire. Sous prétexte que parmi les pèlerins, il s'en trouvait à
l'imagination exaltée, etc., ces derniers n'étaient pas toujours traités avec
tous les égards possibles. Mr Vianney souffrait donc beaucoup, mais jamais il
ne se plaignait. 973 On m'a même raconté que lorsque l'opposition avait donné
lieu à quelque explication plus animée, Mr Vianney allait souvent à une heure
assez avancée de la nuit auprès de Mr Raymond, comme pour lui faire des
excuses. Comprenant ce qui se passait, plusieurs fois j'ai dit à Mr le Curé:
Vous devriez prendre auprès de vous des missionnaires. - Ça viendra plus tard, me
répondait-il, sans jamais me dire un mot de blâme à l'adresse de Mr Raymond et
sans formuler une plainte contre lui. Un jour, il me fit dire de passer à la
cure au moment de son dîner. Je m'y rendis exactement. Après avoir bien
réfléchi devant Dieu, me dit-il, je vous prierai d'aller trouver Mgr et de lui
exposer que s'il pouvait donner un bon poste à Mr Raymond, il me ferait
plaisir. Ne dites rien de la commission que je vous donne. Je fus surpris de
cette communication; mais sans en demander l'explication, je promis d'aller le
soir même auprès de Mgr. J'appris que la veille, il y avait eu entre Mr Raymond
et le bon curé une scène assez violente, qui malheureusement avait été entendue
par quelques personnes. Je partis de suite; le lendemain matin, j'allais auprès
de Mgr faire ma commission. Quel ne fut pas mon étonnement, lorsque le prélat
me dit: Êtes-vous bien sûr que tel soit le désir de votre curé? Tenez, voici
une lettre que je viens de recevoir et par laquelle il me supplie de laisser Mr
Raymond auprès de lui. Je n'eus rien à objecter et je revins à Ars.
Immédiatement après mon départ, Mr Vianney s'était sans doute repenti et avait
envoyé la lettre en question.
Le
Serviteur de Dieu eut aussi beaucoup à souffrir des exigences des pèlerins, qui
le pressaient, l'accablaient de questions, etc. Il est arrivé plus d'une fois
qu'au moment où une cinquantaine de personnes entourait son confessionnal,
quelqu'un demandait à lui dire quelques mots à la sacristie. Le Serviteur de
Dieu s'y rendait et écoutait ce qu'on lui disait sans donner aucune marque
d'impatience, quoiqu'on l'eût dérangé pour lui dire des riens.
974 Il me serait impossible de dire tout ce qu'il a dû souffrir dans
ses longues séances au confessionnal. J'ai remarqué en tout et partout une
admirable patience dans le Serviteur de Dieu. Il était toujours égal à
lui-même, bon, prévenant, quels que fussent les procédés dont on usât à son
égard.
Quoad
Temperantiam, testis respondit:
La
tempérance, chez Mr Vianney, était aussi complète que toutes les autres vertus;
sa vie mortifiée est une chose véritablement terrible à raconter. Elle atteint,
elle dépasse peut-être tout ce que l'on a dit des saints les plus austères et
les plus pénitents.
On
vit briller en lui de bonne heure cette vertu, notamment pendant qu'il était
vicaire à Ecully; là, ce fut une effrayante émulation d'austérités entre lui et
son saint curé.
Il
ne se relâcha pas de cette vie dure lorsqu'il fut nommé curé à Ars. Sa sobriété
fut excessive et elle atteignit les limites du possible. Sous ce rapport, je
divise sa vie en trois périodes: La première, pendant laquelle, étant seul à la
cure, il s'y nourrissait comme il l'entendait; la seconde, pendant laquelle, le
pèlerinage étant établi, il prenait ses repas à la Providence; la troisième,
après l'arrivée des missionnaires, période pendant laquelle il vivait de
nouveau à la cure, mais de la nourriture qui lui était préparée par quelques
pieuses filles.
La
première période a été la plus austère; étant seul et sans surveillance, il
pouvait se livrer sans contrôle à son attrait pour la mortification. Il ne
mangeait presque rien; je sais qu'il passait des carêmes entiers presque sans
prendre de nourriture. Parfois, il faisait cuire une marmite de pommes de
terre; il les jetait dans l'un de ces petits paniers en fil de fer qui servent
à secouer la salade; il l'accrochait contre un mur, et lorsque la faim le
pressait trop fort, il plongeait la main dans son panier et en tirait une pomme
de terre, qui faisait tout son repas. D'autres fois, il prenait une poignée de
farine, la délayait dans de l'eau et en faisait quelques matefaims. 975 Il
racontait lui-même assez plaisamment cette manière de faire sa cuisine. Quand
je voulais dîner, disait-il, je ne perdais pas beaucoup de temps. Trois
matefaims faisaient l'affaire. Pendant que je cuisais le second, je mangeais le
premier; pendant que je mangeais le second, je cuisais le troisième. J'achevais
mon repas en rangeant ma poêle et mon feu; je buvais un peu d'eau, et il y en
avait pour deux ou trois jours.
Melle
d'Ars, inquiète pour la santé du bon curé, cherchait à apporter quelques
adoucissements à cette excessive austérité. Elle lui envoyait quelques
provisions, qui, ainsi que je l'ai dit plus haut, s'en allaient toujours aux
pauvres. Rien n'égalait alors les colères de la bonne demoiselle; elle
s'emportait très risiblement contre la vie déraisonnable de son curé.
J'ai moi-même été témoin plusieurs fois de ces impatiences fort amusantes.
Toutes les indignations de Melle d'Ars n'y faisaient rien. Le bon Curé allait
son train sans s'émouvoir. Lorsque je me suis définitivement établi à Ars, j'ai
voulu, à mon tour, faire des tentatives semblables; mais voyant que je n'étais
pas plus heureux, j'y ai définitivement renoncé.
Je
ne connais que deux circonstances dans lesquelles le Curé se relâcha quelque
peu de sa vie austère; c'est lorsqu'il recevait chez lui ses parents ou
quelques confrères.
Je
ferai observer que pendant toute la période dont je viens de parler, Mr Vianney
n'eut jamais de servante. Quelques pieuses femmes lui donnaient les soins les
plus indispensables pour la nourriture, le vêtement, et l'entretien de sa cure.
Mais malgré tous leurs efforts, elles n'ont jamais pu introduire dans son
régime le plus léger adoucissement.
Pendant
la seconde période, Mr Vianney prit sa nourriture à la Providence. Il y eut dès
lors quelque chose de plus régulier, sinon de plus adouci, dans ses repas. Il
n'en prenait du reste habituellement qu'un seul par jour; ce repas consistait
en une tasse de lait où l'on mettait un peu de chocolat et où lui-même jetait
quelques miettes de pain. Rarement, il y ajoutait un plat de légumes, auquel il
touchait à peine. Il prenait ce repas debout et sans jamais s'asseoir; c'était
l'affaire de quelques minutes. A mesure qu'il avançait en âge, et que sa santé
s'affaiblissait, il consentit à accepter un peu de lait le matin; encore
n'était-ce pas tous les jours; parfois même une petite infusion le soir.
976 Pendant la troisième période, il reprit, ainsi que je
l'ai dit plus haut, ses repas à la cure. Sur l'ordre de l’Évêque de Belley, il
dut se résigner à quelques adoucissements. Il accepta un peu de viande et même
un peu de vin; quelquefois du poisson, d'autres fois un plat de légumes; jamais
de deux choses en même temps. Je puis très exactement témoigner de ces choses,
ayant moi-même souvent assisté à ces repas. Après avoir dîné, il se rendait
chez les missionnaires, où il s'abandonnait pendant quelques minutes à ces
charmantes conversations dont j'ai parlé plus haut. Il lui arrivait parfois de
faire semblant d'accepter du café; je dis faire semblant, car il n'effleurait
que du bout des lèvres la tasse qui lui avait été offerte.
Rien
n'a pu détourner Mr Vianney du régime qu'il s'était imposé. Quelquefois, le
voyant exténué et à bout de forces, je l'ai décidé à manger quelque chose de
plus; mais je n'ai pas tardé à m'apercevoir qu'il se dédommageait aussitôt
après par plusieurs jours d'une abstinence presque complète; en sorte que j'ai
pris le parti de le laisser tout à fait tranquille.
A
ma connaissance, il a mangé une fois chez Melle d'Ars avec Mgr de Belley; sur
l'invitation de l’Évêque, ayant pris quelque nourriture de plus que de coutume,
il en fut très fatigué; jamais il n'a mangé chez moi. Je recevais à ma table
les ecclésiastiques du canton lorsque c'était le tour de Mr le Curé de donner
la conférence. Il assistait dans ma chapelle à la discussion des questions à
traiter; mais il ne manquait jamais de se retirer chez lui avant le repas.
Mr
Vianney n'était pas moins sévère en tout le reste que pour sa nourriture. Point
de matelas dans son lit; il couchait sur une misérable paillasse, sur laquelle
il lui arrivait même assez souvent, je crois, de glisser une planche.
J'ai
souvent entendu parler à Catherine Lassagne et à Marie Chanay de ses
instruments de pénitence, de ses chemises ensanglantées, etc. Moi-même, après
sa mort, j'ai vu des débris de discipline.
Il
se mortifiait en toutes choses; je sais qu'il était naturellement très délicat
pour les mauvaises odeurs. Or il en respirait d'affreuses à son confessionnal,
que j'ai vu assiégé par des personnes couvertes de plaies, de chancres
dégoûtants. 977 Il y avait de quoi faire bondir le coeur. Lui ne manifestait
aucune répugnance.
Il disait toujours son bréviaire
à genoux, souvent sur la dalle nue, sans faire aucun mouvement. Vu
l'affaiblissement de son corps, cette attitude devait le faire souffrir
beaucoup. Il ne s'asseyait à peu près jamais à l'église.
Enfin,
je puis tout dire en deux mots: Mr Vianney est un homme qui a tué entièrement
en lui le vieil Adam et qui n'a jamais accordé aucune satisfaction à la nature.
979 Session 108 - 17 Septembre 1863 à 3h de l'après-midi
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Mr
Vianney a été l'amant passionné de la pauvreté. Il l'a pratiquée toute sa vie
et l'on peut dire avec vérité qu'il n'a jamais rien eu en propre, puisqu'il a
tout distribué et vendu tout ce qui lui appartenait, au profit des pauvres ou
pour des bonnes oeuvres. Sa cure était dans un état de délabrement complet; 980
sa chambre était à peine habitable; son mobilier se réduisait au plus strict
nécessaire, et encore avait-il eu soin de s'arranger de manière à n'en pas
conserver la propriété. Tout ce qui pouvait faire obstacle à la pratique de la
pauvreté lui déplaisait souverainement. Après que son lit eût brûlé, nous eûmes
beaucoup de peine à en trouver un autre assez pauvre pour le lui faire
accepter.
Il
ne pratiquait pas moins la pauvreté dans la manière de se vêtir que dans celle
de se loger. Ses habillements étaient souvent tout rapiécés et il les portait
jusqu'à ce qu'ils fussent entièrement usés. Il fallait lui dérober les vieux
pour lui en faire prendre de nouveaux. Il portait de gros et informes souliers.
J'ai
assez parlé de la pauvreté de sa nourriture.
Il
est peu d'hommes cependant qui aient dépensé plus d'argent que le Curé d'Ars;
mais il ne le recevait que pour le donner; il consacrait toutes les sommes qui
lui arrivaient de toutes parts ou au soulagement des pauvres, ou à ses bonnes
oeuvres; il n'en gardait rien pour lui-même. Quelle que fût l'abondance de
l'argent qu'il recevait, il n'avait jamais rien. Que de fois je l'ai vu
possédant à peine un franc dans sa bourse; le lendemain elle était pleine; mais
c'était pour se vider à l'instant. La providence venait à son secours d'une
manière étonnante. Un jour, je l'ai vu aller chez l'un de ses paroissiens,
nommé Mandy, à qui il devait douze cents francs, pour lui dire qu'il était dans
l'impossibilité de le payer pour le moment et le prier d'attendre un peu. Au
bout de dix minutes, il revint, apportant la somme. Une personne la lui avait
remise près de l'église. Une autre fois, j'étais à Lyon; on me remit cinq cents
francs pour les donner au curé d'Ars; en arrivant, je les lui portai à la suite
de son dîner. Lui, en m'abordant, me dit de suite: Je suis bien embarrassé;
j'ai une fondation de mission à faire parvenir à l'évêché, et il me manque cinq
cents francs. - Les voilà, lui répondis-je, on me les a donnés pour vous.
Quoad
Humilitatem, simplicitatem et modestiam, testis respondit:
J'ai
déjà plusieurs fois indiqué que le Serviteur de Dieu était l'ennemi de
l'affectation, et qu'il savait conserver une égalité d'humeur admirable. Il y
avait donc chez lui une grande simplicité qui, jointe à une certaine finesse
d'esprit, donnait à sa conversation un charme inexprimable. Les personnes qui
avaient le bonheur de lui parler pendant quelques instants en étaient ravies.
Le
Curé d'Ars ne paraissait point avoir de pensées d'orgueil, même au milieu des
plus grandes marques de vénération dont il était l'objet; on ne surprenait
aucun retour sur lui-même; on aurait dit, en le voyant parler et agir, qu'il
n'était pour rien dans le concours qui se faisait autour de lui. Je lui ai dit plus
d'une fois: Mr le Curé, vous faites beaucoup de bien. - Oh! reprenait-il
aussitôt, ce n'est pas moi. Il ne s'attribuait rien à lui-même, mais il
rapportait tout à Dieu. Je dois dire cependant que le Curé d'Ars était content
lorsqu'il y avait beaucoup de pèlerins. Je me suis bien vite convaincu que le
motif de ce contentement était uniquement le bien qui s'opérait dans les âmes.
Il
recevait tout le monde, comme je l'ai dit, avec la plus exquise politesse; mais
il était impossible de surprendre sur sa figure un retour d'amour-propre, alors
même que parmi ces visiteurs se trouvaient des personnages éminents, par
exemple des Évêques, des magistrats distingués, etc. Il arrivait souvent qu'on
priait un ecclésiastique d'adresser aux fidèles quelques mots d'édification;
celui-ci croyait bien faire en disant quelques paroles d'éloge à l'adresse du
bon curé. Dès que ce dernier les entendait, il paraissait tout confus,
cherchait à se cacher dans sa stalle ou allait s'enfermer dans la sacristie.
Lorsque,
dans les conversations, on lui faisait quelques compliments, Mr Vianney
remerciait modestement et se hâtait de détourner la conversation; on sentait
que ce sujet ne lui plaisait pas. Je dois faire observer que cela se faisait
avec une grande simplicité, qui montrait très clairement qu'il s'oubliait
lui-même.
Je
sais que dans le commencement, il fut très peiné de voir son portrait étalé aux
devantures des boutiques d'Ars; il finit par s'y accoutumer, et plaisantait
agréablement sur son portrait, qu'il appelait son carnaval; il ne refusait pas
d'apposer au bas sa signature, comme il le faisait sur des images qu'on lui
présentait; je crois même qu'il le bénissait lorsqu'on lui en faisait la
demande. Il n'attachait à cela aucune importance.
Il
n'a jamais voulu consentir qu'on fît son portrait ou qu'on tirât sa
photographie. Un artiste, nommé Mr Cabuchet, vint à Ars pour pouvoir faire le
buste de Mr Vianney. Ne pouvant obtenir que Mr le Curé posât devant lui, il se
mit à le suivre attentivement à l'église et ailleurs. Mr Vianney remarqua que
l'artiste l'observait avec soin, et qu'ensuite il avait l'air de modeler avec
ses doigts, dans son chapeau, le buste qu'il prétendait faire. Comprenant ce
dont il était question, il lui dit un jour, au catéchisme: Cessez, Monsieur, ce
que vous faites; vous me fatiguez et vous scandalisez tout le monde. L'artiste
finit par avoir suffisamment les traits du bon Curé; quand son oeuvre parut et
qu'on eut mis devant Mr Vianney le buste en question, celui-ci fut obligé de
convenir que c'était ce que l'on avait fait de mieux.
Il
souffrit beaucoup de voir les biographies que l'on publiait sur lui. J'ai su
qu'il en avait été très fatigué et très ennuyé.
L'humilité
du Serviteur de Dieu parut d'une manière frappante dans une circonstance que je
vais rappeler. Mgr Chalandon, Évêque de Belley, faisait pour la première fois
sa visite pastorale dans la paroisse d'Ars. Mr Vianney, à la tête de ses
paroissiens, alla recevoir le prélat à l'entrée du village, selon le cérémonial
usité dans ces circonstances, et lui adressa quelques paroles en forme de
compliment, qui furent remarquées de tout le monde. La procession revint à
l'église; lorsque le prélat en eut franchi le seuil, et qu'il eut reçu l'eau
bénite, il revêtit Mr Vianney des insignes du canonicat. Celui-ci aurait dit
alors: Mgr, veuillez le donner à mon camarade. Ce qui n'est pas douteux, et ce
qui frappa tout le monde, ce fut l'embarras du bon Curé. Dès qu'il eut conduit
le prélat au pied de l'autel, il alla se cacher à la sacristie. Soupçonnant quelque
chose, j'y allai moi-même; je trouvai mon bon curé occupé à se débarrasser du
camail; je lui fis observer que cela ne convenait pas, que Mgr en serait peiné
et qu'il fallait au moins le garder jusqu'à la fin de la messe. C'est ce qu'il
fit, sur mes remontrances. Il ne l'a porté que cette fois et l'a vendu pour ses
bonnes oeuvres.
Son
humilité ne brilla pas moins lorsqu'on lui donna la croix d'honneur. Je n'étais
pas présent; je sais qu'il la donna aussitôt à l'un des missionnaires.
983 Je sais qu'il supportait avec beaucoup de patience les
contrariétés qu'il éprouvait; dans ces occasions, il montrait aussi une grande
humilité. Il se réjouissait même des contradictions dont il était l'objet,
espérant qu'on finirait par faire droit à ses réclamations et qu'on lui
permettrait de quitter sa place de curé. J'ai appris qu'un jour, entre autres,
un ecclésiastique lui écrivit pour lui reprocher son peu de science. Le
Serviteur de Dieu lui répondit aussitôt par une lettre pleine d'affection.
L'ecclésiastique en fut si touché qu'il changea bien de sentiment envers un
confrère si humble et si modeste. J'ai su qu'à la suite de la visite du Père
Lacordaire, visite qui fit beaucoup de bruit dans la petite paroisse d'Ars, le
bon Curé dit: Tout ce qu'il y a de plus savant est venu visiter tout ce qu'il y
a de plus ignorant.
Quoad
Castitatem, testis respondit:
Ma
conviction profonde est que Mr Vianney a pratiqué cette vertu, comme toutes les
autres, à la perfection. Je n'ai jamais entendu prononcer aucune parole contre
cette vertu. La conduite du Serviteur de Dieu était inattaquable.
Interrogatus
demum an aliquid cognoscat quod sit contrarium virtutibus supradictis, testis
respondit:
Je
ne connais absolument rien qui puisse ternir l'éclat des vertus sur lesquelles
je viens de déposer.
Juxta
decimum nonum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je suis profondément convaincu que le
Serviteur de Dieu a pratiqué toutes les vertus que je viens de mentionner au
degré héroïque. Par vertu héroïque, j'entends la vertu portée au plus haut
degré. J'affirme que Mr Vianney l'a ainsi pratiquée. Je crois en avoir donné
assez de preuves dans ma déposition. Ce qui m'a beaucoup frappé, c'est que le
Serviteur de Dieu ne s'est jamais relâché de sa ferveur et qu'il a persévéré
jusqu'à la mort dans la pratique des vertus héroïques.
Juxta
vigesimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Mr
Vianney avait reçu de Dieu des dons surnaturels.
984 1° Le Serviteur de Dieu avait reçu le don des larmes; on le
voyait pleurer en chaire, au confessionnal, surtout lorsqu'il parlait de
l'amour de Dieu, du malheur des pécheurs, etc.
2°
C'est une opinion tout à fait commune que Mr Vianney lisait au fond des coeurs;
on cite à ce sujet une multitude de faits. J'en citerai moi-même deux, qui sont
à ma connaissance d'une manière certaine. Une demoiselle de Montpellier,
décidée à se faire religieuse, avait été mise, par la mort de ses parents, en
possession d'une grande fortune. Elle était dans l'intention d'en donner une
partie considérable aux pauvres et de ne s'en réserver qu'une minime portion.
C'était une question très délicate à trancher. Après avoir consulté des hommes
de loi, et ensuite son directeur, dans une retraite qu'elle fit à Avignon, il
lui vint en pensée de se rendre à Ars afin de prendre l'avis du curé de cette
paroisse. Son directeur l'encouragea dans cette détermination. Elle se rendit
donc à Ars et après avoir attendu à l'église un temps plus ou moins long, elle
fut tout étonnée de voir le bon Curé venir à elle, lui frapper sur l'épaule et
l'emmener à son confessionnal, et là, sans lui donner le temps d'exposer son
affaire, lui donner les décisions les plus précisés et les plus
circonstanciées, décisions qui supposaient une connaissance parfaite de sa
situation. De retour à Avignon, elle reprocha à son directeur d'avoir, sans son
sentiment, informé le Curé d'Ars. Le directeur l'assura qu'il n'avait rien
écrit. Elle suivit de point en point les conseils de Mr Vianney, et avant de
pouvoir se faire religieuse, elle mourut.
Un
chef de bataillon était de passage à Lyon avec son régiment; il désirait depuis
longtemps voir le curé d'Ars, et profita du voisinage pour aller le visiter. Il
se mit en bourgeois. Arrivé, il demanda dans quel lieu de l'église il devait se
mettre pour l'apercevoir; on lui indiqua le choeur. Il s'y plaça au milieu de
beaucoup d'autres hommes. Le curé confessait à la sacristie; en étant sorti, il
fit signe à l'officier de s'approcher de lui. Celui-ci ne crut pas, d'abord,
que le signe fût à son adresse; mais le curé l'ayant renouvelé d'une manière
qui ne laissait aucun doute, il se rendit à l'invitation. 985 A peine fut-il en
présence de Mr Vianney: Il y a longtemps, lui dit celui-ci, que vous aviez la
pensée de venir à Ars; il faut en profiter pour vous confesser. - Le militaire
se récria. Le Curé insista avec force, le conduisit enfin à la sacristie et lui
fit faire sa confession. Il partit très content.
987 Session 109 - 18 Septembre 1863 à 8h du matin
Et
prosequendo vigesimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Outre
le don d'intuition, Mr Vianney avait aussi, je crois, reçu celui de connaître
des choses que naturellement il ne pouvait savoir. J'ai entendu citer un certain
nombre de faits à ce sujet. Lorsque j'eus le malheur de perdre un de mes fils
dans la guerre de Crimée, il dit à Mme des Garets: 988 Votre fils est en
purgatoire, mais c'est pour très peu de temps. Nous reçûmes plus tard une
lettre nous annonçant que notre fils avait pu, avant de mourir, voir un prêtre
et lui faire sa confession.
On
a parlé d'un grand nombre de guérisons opérées par le Serviteur de Dieu. Je
suis très porté à croire ce que l'on dit à ce sujet. Je dois faire observer
qu'à Ars, on parlait très peu de ces miracles, soit parce que souvent ils
avaient lieu hors de la paroisse, soit parce que ces relations fatiguaient
beaucoup le bon curé. J'ai ouï dire qu'il avait demandé à Ste Philomène de ne
plus faire de miracles à Ars, attendu qu'ils faisaient trop de bruit et
amenaient trop de monde. J'ai vu une dame, (Mme Tiersot, de Bourg), marcher
très péniblement à l'aide de béquilles à la première procession de la fête du
Saint Sacrement. Le Dimanche suivant, je l'ai vue à la procession marcher sans béquilles
et comme les autres. Mme Tiersot croyait à un miracle opéré en sa faveur.
J'ignore les autres circonstances du fait.
J'ai
entendu bien souvent parler de la multiplication du blé au grenier de la cure.
Je sais que le maire de la commune et Melle d'Ars prirent toutes les
informations nécessaires et qu'ils constatèrent que personne n'avait pu amener
le blé. Le Serviteur de Dieu parlait volontiers de ce fait. Il l'attribuait aux
prières des enfants de sa Providence, et se plaisait alors à montrer la bonté
de Dieu, qui n'abandonne jamais ceux qui placent en lui leur confiance. Il m'a
dit qu'il avait mis dans le grenier un reliquaire de St François Régis. Il me
faisait aussi admirer la bonté de la providence en me rappelant deux autres
faits extraordinaires, le premier qu'on avait très longtemps tiré du vin à un
tonneau sans qu'on l'épuisât; le second qu'avec un peu de farine on avait fait
une grande fournée de pain.
Le
grand miracle du Curé d'Ars, c'est, à mon avis, la conversion des pécheurs.
Convertir les âmes paraît avoir été la mission spéciale du Serviteur de Dieu.
Il ne serait pas possible de dire combien de pécheurs se sont convertis par son
ministère. Lui-même y attachait une très grande importance. Quand on lui
parlait de guérir les corps, il semblait dire: C'est bien peu de chose; mais
quand il était question de guérir les âmes, on voyait combien il était heureux.
Je lui demandais un jour combien il avait converti de gros pécheurs pendant
l'année: Plus de sept cents, répondit-il. 989 Il me cita en même temps le fait
suivant: Un pécheur ne s'était pas confessé depuis de longues années. Il fut
amené à Ars, comme malgré lui, par un Mr de Lyon. Je ne pouvais le décider à
faire sa confession. Étant à la porte de la sacristie, il hésitait encore, et moi
je l'attendais en adressant à Dieu une prière. Tout à coup, il se précipita à
mes pieds et me fit sa confession avec de grands sentiments de contrition. Je
lui demandais ce qui avait pu le décider si promptement. Il me répondit qu'il
avait vu autour de ma tête, beaucoup de petites chandelles. Le pécheur
racontait lui-même le fait, mais en disant qu'il avait vu la tête du Curé
environnée de lumière.
Un
vieillard fort âgé avait négligé ses devoirs religieux; il fut amené à Ars
malgré lui. Tout paraissait inutile, lorsqu'au bout de quinze jours, le
Serviteur de Dieu, qui jusque là n'avait rien pu obtenir, se jeta à ses genoux
en versant des larmes abondantes et en le suppliant de songer au salut de son
âme. Le pécheur fut touché, fit sa confession et voulut que le Curé
l'accompagnât à la Sainte Table.
Ce qu'il y a de vraiment
remarquable, c'est que la plupart des pécheurs qui venaient à Ars y étaient
amenés comme malgré eux. J'ai su qu'un d'entre eux désirait, en arrivant,
trouver mort le Curé d'Ars.
Juxta
vigesimum primum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je
sais que le Serviteur de Dieu n'a fait aucun écrit. Je ne puis rien dire de
positif sur le reste de l'Interrogatoire.
Juxta
vigesimum secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Le Serviteur de Dieu est mort à Ars le
quatre Août mil huit cent cinquante-neuf, après cinq jours de maladie. Je ne
puis qualifier autrement sa maladie qu'en disant que c'était un épuisement
complet. Mr Vianney avait usé toutes ses forces au service de Dieu. Autant il
avait été agité dans sa première maladie, autant il fut calme dans la dernière.
On ne remarquait chez lui aucune inquiétude, aucun mouvement d'impatience. Il
parlait peu; il paraissait affaissé par la maladie et absorbé en Dieu. Du
reste, je n'ai rien vu d'extraordinaire. Il reçut les derniers sacrements avec
beaucoup d'édification. Lorsque l’Évêque de Belley arriva, la veille de sa
mort, on vit le bon curé lui témoigner autant qu'il le pouvait sa joie et son
contentement d'une visite si précieuse. Il mourut sans agonie, à deux heures du
matin.
Juxta
vigesimum tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Immédiatement
après la mort, le corps du Serviteur de Dieu fut déposé dans une salle basse de
la cure; 990 tout autour, on mit une forte barrière. Deux frères de la Ste
Famille étaient occupés à faire toucher au corps les objets qu'on leur
présentait. Quand les boutiques d'Ars ne fournirent plus de chapelets, de
croix, etc., on vit les fidèles prier les frères de faire toucher au corps,
l'un sa montre, l'autre sa tabatière, etc. Deux gendarmes avaient toute la
peine du monde à maîtriser la foule qui, pendant deux jours et deux nuits, se
pressait autour du presbytère. La cérémonie des funérailles fut présidée par
l’Évêque de Belley, qui fit, au milieu de la place, une touchante instruction.
On comptait de trois à quatre cents prêtres, parmi lesquels se trouvaient des
religieux d'un grand nombre d'ordres. Il y avait au moins six mille personnes.
Il me serait impossible de donner une idée complète du spectacle que présenta
la paroisse d'Ars le jour des funérailles.
Juxta
vigesimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Après la cérémonie des funérailles, le
corps du Serviteur de Dieu, que l'on avait mis dans un cercueil de plomb
recouvert d'un cercueil en bois de chêne, fut placé dans la chapelle de St Jean
Baptiste jusqu'à ce qu'on eût préparé, au milieu de l'église, le caveau destiné
à le recevoir. Quand tout fut prêt, on le descendit dans le caveau; une pierre
tumulaire fut placée au-dessus, portant cette simple inscription: Jean Marie
Baptiste Vianney, curé d'Ars. Un procès verbal a été dressé à cette occasion,
il se trouve dans les archives de la paroisse et de la commune. Les fidèles
viennent en grand nombre prier autour du tombeau. Je n'ai jamais rien vu qui
ressemblât à un culte public.
Juxta
vigesimum quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Le Serviteur de Dieu a joui pendant sa
vie d'une grande réputation de sainteté; on ne l'appelait communément que le
saint curé. Par réputation, j'entends l'opinion que l'on a généralement d'une
personne. La réputation de sainteté dont je parle était générale et
universelle; il était regardé comme un saint par les personnages les plus
distingués, par les gens du peuple, en un mot par tout le monde. J'en ai acquis
la preuve bien des fois dans mes voyages, dans les conversations que j'avais
avec toute sorte de personnes. Les lettres que nous recevions confirment le
même fait. Cette réputation de sainteté, le Serviteur de Dieu se l'est acquise
par ses vertus, sa vie de dévouement et de sacrifice, et les dons surnaturels
dont il a été comblé. Elle n'a point subi d'interruption; elle est allée
toujours en augmentant. A mon arrivée à Ars, on pouvait compter trente mille
pèlerins environ; à la mort de Mr Vianney, le nombre pouvait s'élever par an à
quatre vingt mille. Cette foule d'étrangers témoignait sa vénération de mille
manières; on ne se contentait pas d'avoir un objet bénit par lui, une image
signée de sa main; on voulait encore quelque objet lui ayant appartenu; on
coupait sa soutane, son chapeau; on enlevait ses livres; on prenait, en un mot,
tout ce qu'on pouvait rencontrer. Quelques personnes présentaient à Mr Vianney
une somme assez forte pour avoir, par exemple, un chapelet ayant été à son
usage. Le bon curé, qui ne soupçonnait pas leur intention, acceptait avec
reconnaissance la somme offerte et l'employait à ses bonnes oeuvres.
Pour
moi, je regarde le Serviteur de Dieu comme un saint.
Juxta vigesimum
sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je ne connais personne qui, de vive voix
ou par écrit, ait attaqué la réputation de sainteté dont je viens de parler.
Juxta
vigesimum septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai
entendu parler d'un certain nombre de faits extraordinaires depuis la mort du
Serviteur de Dieu; on a cité un certain nombre de guérisons; je ne connais pas
assez les détails pour les donner ici. Voici deux faits qui me paraissent bien
frappants et que je puis attester.
Le
premier Mai mil huit cent soixante-deux, je vis présenter à Mgr l'Évêque de
Belley un enfant de St Laurent-lès-Macon perclus de tous ses membres et
ressemblant à une masse inerte: Le prélat s'est mis à genoux, a prié un
instant, a fait faire le signe de la croix à l'enfant en lui prenant le bras,
et a recommandé aux parents de faire une neuvaine à Ste Philomène et au curé
d'Ars. Neuf jours après, j'étais sur la place; je vois venir à moi le Curé de
St Laurent, conduisant par la main un enfant qui marchait très bien et qui
avait l'air de bien se porter: Reconnaissez-vous cet enfant, me dit le Curé? -
Je ne le reconnaîtrais pas, s'il n'était avec vous. 992 - Le Curé me raconta
alors ce qui s'était passé, comment cet enfant, âgé d'environ huit ans, perclus
de ses membres depuis cinq mois, ayant perdu l'usage de ses organes et ayant
jusqu'à quatorze attaques d'épilepsie par jour, avait progressivement recouvré
la santé pendant la neuvaine. J'assistais à la messe d'action de grâce; voyant
l'enfant sortir de l'église, je sortis moi-même, et je le trouvai sur la place,
s'amusant à porter des pierres. Cette guérison a fait grand bruit à St Laurent;
le père, qui avait oublié ses devoirs religieux, s'est converti. La guérison de
l'enfant a persévéré.
Ayant
appris à Grenoble que Mme de Larnage, de la ville de Tain, diocèse de Valence,
avait été guérie subitement par l'attouchement d'un objet ayant appartenu au
curé d'Ars, je fis écrire pour avoir les détails. Une lettre en date du quinze
Janvier mil huit cent soixante-trois et adressée à Mme des Garets donna tous
les détails de cette guérison miraculeuse, détails que Mr de Larnage nous a
répétés de vive voix lorsqu'il est venu en action de grâces.
Mme
de Larnage avait depuis cinq ans une tumeur au ventre, que les trois médecins
qui la soignaient avaient déclarée incurable. Pendant la première messe que
l'on disait au commencement d'une neuvaine au curé d'Ars, on appliqua sur la
tumeur un objet qui avait appartenu au Serviteur de Dieu. Mme de Damage
s'endormit et lorsqu'au bout de deux heures elle se réveilla, elle était
parfaitement guérie. La guérison a persévéré.
Juxta
vigesimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je
n'ai plus rien à dire sur les vertus, les dons surnaturels, la réputation et
les miracles du Serviteur de Dieu.
Et expleto examine super
Interrogatoriis, deventum est ad Articulos, super quibus testi lectis, dixit,
se tantum scire quantum supra deposuit ad Interrogatoria, ad quae se retulit.
993 Sic completo examine, integra
depositio jussu Rmarum Dominationum suarum perlecta fuit a me Notario a
principio ad finem testis supradicto alta et intelligibili voce. Qua per ipsum
bene audita et intellecta respondit se in eamdem perseverare et illam iterum
confirmavit.
PROCES DE BEATIFICATION ET
CANONISATION D E SAINT
JEAN MARIE BAPTISTE VIANNEY
CURE D'ARS
PROCES I'NFORMATIF ORDINAIRE
1009 Session 111 - 22 Septembre 1863 à 3h de l'après-midi
1010 Juxta primum Interrogatorium, monitus testis de vi et natura
juramenti, et gravitate perjurii, praesertim in causis Beatificationis et
Canonizationis, respondit:
Je
connais la nature et la force du serment que je viens de premier, et la gravité
du parjure dont je me rendrais coupable si je ne disais pas toute la vérité.
Juxta
secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je me nomme Marguerite Vianney; je suis
la soeur du Serviteur de Dieu; je suis née à Dardilly dix-huit mois après mon
frère, dans l'année mil sept cent quatre-vingt-sept. Je suis veuve et sans
fortune; je vis chez ma fille à Lissieux.
Juxta
tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je
m'approche assez fréquemment des sacrements de pénitence et d'eucharistie; j'ai
communié il y a à peu près un mois.
Juxta
quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je
n'ai jamais été traduite en justice.
Juxta
quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n'ai encouru aucune censure ou peine
ecclésiastique.
Juxta
sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Personne, de vive voix ou par écrit, ne
m'a instruite de ce que je devais déposer dans cette cause. Je n'ai point lu
les Articles du Postulateur. Je ne dirai que ce que j'ai vu par moi-même ou ce
que j'ai appris de personnes bien informées.
Juxta
septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
1011 J'ai toujours eu pour mon frère l'amitié, le respect et la vénération
qu'il méritait. Aujourd'hui, je désire vivement sa Béatification; mais en cela
je me soumets entièrement au jugement de l'Église et je ne me propose que la
gloire de Dieu et l'honneur de la sainte Eglise.
Juxta
octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je
ne pourrais pas dire l'année précise de la naissance de mon frère. Je sais
qu'il est né au mois de Mai, qu'il a été baptisé. Quand il a reçu le sacrement
de confirmation, il était déjà assez âgé, et faisait ses études chez Mr Balley.
J'ai eu le bonheur d'être confirmée avec lui; il y avait déjà longtemps que,
par suite de la grande Révolution, le sacrement de confirmation n'avait pas été
administré dans le pays. C'est dans l'église d'Ecully que nous ayons reçu la
confirmation.
Mes
parents étaient très pieux; ma mère surtout se faisait remarquer sous ce
rapport. Dans la maison paternelle, on ne voyait que des prêtres, des
religieuses et des pauvres. On cachait les prêtres pendant la grande
Révolution; ils venaient quelquefois dire la messe chez nous.
Nos
parents nous aimaient tous; les voisins disaient quelquefois à ma mère: Oh! que
vous êtes heureuse d'avoir de tels enfants!... Je me rappelle en effet que
jamais nous ne nous sommes contrariés. Je me rappelle pareillement que Jean
Marie nous édifiait; il priait presque continuellement.
Mon
frère Jean Marie vint au monde vers minuit. La sage-femme sortit dehors, et en
rentrant, elle dit: Oh! mon Dieu! cet enfant sera un grand saint ou un grand
scélérat. Ma mère fut troublée de ces paroles et mon père réprimanda vivement
l'imprudente sage-femme qui, en prononçant ces paroles, n'avait pas assez fait
attention à l'état où se trouvait ma mère. Je tiens cette particularité de mon
père et de ma mère, qui me l'ont répétée bien des fois.
Juxta
nonum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Jean Marie n'avait encore que six mois;
ma mère, avant de lui donner sa soupe, avait soin de lui faire faire le signe
de la croix. 1012 Un jour, elle l'oublia; l'enfant ne voulut pas manger, et il
caressait les mains de sa mère, comme pour lui demander quelque chose. Elle
comprit à la fin, lui fit faire le signe de la croix, et il mangea sa soupe de
bon coeur. Ma mère nous a mille fois raconté ce trait.
Il
avait à peu près trois ans lorsqu'un soir, il disparut, sans qu'on pût savoir
ce qu'il était devenu. Comme il y avait une pièce d'eau à coté de la maison, ma
mère craignit un malheur et fit même rechercher si l'enfant ne se serait pas
noyé. Lorsqu'elle alla à l'étable, elle entendit le chuchotement de quelqu'un
qui prie. C'était Jean Marie qui, caché entre deux vaches et à genoux, faisait
dévotement sa prière. Ma mère le gronda et lui dit: Comment? Tu vas te cacher
pour prier? Tu sais bien que nous faisons nos prières ensemble. Pourquoi te
cacher et me donner une si grande inquiétude? - Jean Marie, tout confus de la
peine qu'il lui avait causée, se jeta dans ses bras et l'embrassa avec
affection en lui disant: Mère, pardonnez-moi, je n'ai pas voulu vous faire de
la peine; je n'y retournerai plus. Je me rappelle que plusieurs fois ma mère a
fait allusion à ce trait et lui a dit en notre présence: Tu m'as causé beaucoup
d'inquiétude quand tu t'es caché. C'est de ma mère que je tiens tout cela.
Dans
la maison paternelle, il y avait une petite chapelle; c'était Jean Marie qui se
chargeait de l'arranger. C'était là que se faisait la prière du soir. On disait
plusieurs prières pour les âmes du purgatoire. Une de nos tantes vint à mourir;
nous nous disions entre nous: Nous aurions bien mieux aimé qu'elle eût encore
vécu; il faudra encore ajouter un pater et un ave Maria; il y en a déjà bien
assez... Jean Marie, qui avait alors environ sept ans, reprit aussitôt: Eh! mon
Dieu, qu'est-ce que c'est qu'un pater et un ave Maria; c'est si tôt dit.
1013 Mon frère Jean Marie ne se faisait pas prier pour dire avant les
repas le benedicite et après le repas les grâces. Quand l'heure sonnait,
il ne manquait pas de dire la prière que notre mère nous avait apprise: Dieu
soit béni! Courage, mon âme: le temps se passe et l'éternité s'avance; vivons
comme nous devons mourir. Puis on disait un Ave Maria. Dès que l’Angelus
sonnait, mon frère se découvrait et se mettait en devoir de le réciter; si nous
n'y faisions pas attention, il nous disait: Allons, c'est l'angelus; disons
vite l'angelus.
Nos
parents avaient coutume de nous envoyer tous aux champs pendant les beaux
jours; nous avions à garder deux brebis et un âne, qui servait à porter et à
ramener ceux qui étaient trop jeunes. Ma mère n'aimait pas à nous envoyer avec
les autres enfants. Quand nous étions dans un pré, où il y avait de la terre
grasse, Jean Marie s'occupait à faire de petites effigies de prêtre, etc. Il
construisait de petites chapelles, de petites églises. Il avait alors de cinq à
six ans. Dès qu'il entendait sonner la messe, il nous disait: Voici la messe
qui sonne, gardez l'âne et les deux brebis. Nous ne voulions pas le lui
promettre, s'il ne nous donnait tout ce qu'il avait fait. Il en faisait
volontiers l'abandon et courait à la messe. Il y allait presque tous les jours.
Il était presque continuellement occupé à prier.
Vers
l'âge de huit ans, mon frère commença à travailler avec les autres. Un jour, il
avait voulu tenir tête à son frère François, plus âgé que lui. Le soir, il
était exténué et dit à ma mère: Ah! Ma mère, j'ai bien pioché toute la journée;
je me suis fatigué à vouloir suivre mon frère. Ma mère recommanda à mon frère
François d'aller moins vite. Celui-ci répondit que son frère, plus jeune,
n'était pas obligé d'en faire autant que lui: Que dirait-on si l'aîné
n'avançait pas plus que le cadet? 1014 Le lendemain matin, une sœur des
Antiquailles de Lyon vint à la maison paternelle; elle donna à chacun de nous
une image. Elle avait une petite statue de la Ste Vierge, renfermée dans un étui.
Nous la voulions tous, cette statue; mais elle la donna à Jean Marie. Le
surlendemain, François et Jean Marie allèrent travailler ensemble. Jean Marie,
avant de se mettre à l'ouvrage, baisa dévotement le pied de la Ste Vierge, puis
il la jeta devant lui, aussi loin qu'il put. Quand il l'eut atteinte, il la
prit avec respect, la baisa dévotement et la jeta devant lui comme la première
fois. Il fit ainsi toute la journée. Le soir venu, il dit à ma mère: Ayez
toujours bien confiance en la Sainte Vierge; je l'ai bien invoquée tout le
jour; elle m'a bien aidé aujourd'hui; j'ai pu suivre mon frère et je ne suis
point fatigué.
Je
dois dire que mon frère Jean Marie priait en allant travailler et en revenant
des champs; il faisait de même pendant le travail. Quand j'étais avec lui pour
garder nos bestiaux, il me disait quelquefois: Fais donc mon bas; il faut que
j'aille prier vers la rivière. Il m'a dit plusieurs fois: Vois-tu, quand tu es
à l'église, il faut bien te tenir modestement et prier le bon Dieu et il m'indiquait
comment il fallait faire.
Lorsqu'il
allait à l'école, son maître, nommé Mr, Dumas, était très content de lui et il
disait souvent aux autres enfants: 1015 Voyez, si vous faisiez comme le jeune
Vianney. Mon frère s'occupait à la maison à repasser son catéchisme. Il nous
l'apprenait. Il nous faisait aussi de petites prédications: Oh! mes enfants,
disait-il, soyez bien sages et le bon Dieu vous bénira.
1017 Session 112 - 23 Septembre 1863 à 8h du matin
Et
prosequendo nonum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Mon
frère Jean Marie était très obéissant à ses parents. Il nous disait souvent:
Oh!, il faut bien obéir à notre mère. Nos parents nous disaient quelquefois,
lorsque nous ne nous empressions pas assez de faire ce qu'ils nous commandaient:
Voyez comme Jean Marie est obéissant; quand on lui a commandé quelque chose,
voyez comme il court. 1018 D'autres fois, ils ajoutaient: Nous n'avons pas à
nous plaindre de vous; mais vous n'êtes pas sages comme Jean Marie.
Lorsqu'il
se trouvait aux champs avec d'autres bergers, ce qui arrivait cependant assez
rarement, il faisait comme lorsqu'il était avec nous. De plus, il avait coutume
de porter un gros morceau de pain et il en donnait aux autres bergers plus
pauvres. Nos parents le savaient et le laissaient faire. Il était assez habile
au jeu du palet et quand, sur l'invitation de ses compagnons d'enfance, il
consentait à jouer, il les gagnait facilement; mais en les voyant tristes
d'avoir perdu, il leur rendait ce qu'il avait gagné, en ajoutant un sou de
plus.
Dans
notre maison, on recevait beaucoup de pauvres; il y en avait quelquefois
jusqu'à vingt. C'était Jean Marie qui se chargeait de les soigner. Comme on se
contentait de tremper la soupe à ceux qui avaient du pain, il demandait du pain
à ma mère pour ceux qui n'en avaient pas. Avant de les envoyer coucher, il
apportait l'hiver un gros fagot, y mettait le feu et faisait approcher les
pauvres. Quand ils s'étaient retirés, nous trouvions souvent de la vermine.
Jean Marie imagina une petite claie, sur laquelle il mettait leurs habits; il
la glissait dans le four; la chaleur détruisait la vermine et réchauffait les
habits. Il les prenait alors et les portait aux pauvres en leur disant: Prenez
vite, ils sont bien chauds. Mon frère avait aussi soin de leur faire faire une
petite prière et pour les y engager plus facilement, il leur disait: Allons, un
pater, un Ave Maria, c'est bien vite dit.
Je
me rappelle très bien quand mon frère fit sa première communion; j'y assistais
moi-même. Ce fut dans une chambre de la maison du comte Pingeon d'Ecully. Il
était dans cette paroisse depuis près d'une année, chez notre tante Imbert. Il
fit sa première communion des mains de Mr l'abbé Groboz. Mon frère était si
content qu'il ne voulait pas sortir de la chambre où il avait eu le bonheur de
faire sa première communion. 1019
Ses
habitudes de piété étaient si connues de nos voisins qu'ils disaient à nos
parents: Jean Marie va être un prêtre ou un frère; il est trop sage.
Juxta
decimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Mon frère, après sa première communion,
revint à Dardilly et travailla aux champs avec ses frères. Il continua à mener
la vie pieuse et édifiante dont j'ai parlé. Il désirait beaucoup étudier pour
embrasser l'état ecclésiastique. Il en parla plusieurs fois à mon père, qui
n'objectait qu'une chose, les dépenses que ces études entraîneraient. Quand il
vit que mon frère persistait dans sa résolution, il donna son consentement, et
pour que les dépenses fussent moins considérables, on proposa de le faire
étudier chez Mr Balley, curé d'Ecully. C'est ma mère qui se chargea d'aller
faire la proposition; elle fut agréée de Mr Balley. Mon frère commença donc
chez lui ses études. Tous les samedis, j'allais à Ecully et je portais ce dont
il avait besoin pour la semaine. Mr Balley était très content de lui; il lui
disait souvent: Vois-tu, mon ami, il faut bien prier, mais il faut aussi se
nourrir et il ne faut pas ruiner sa santé. Mon frère me demanda un jour une
petite corde. Quand je la lui portai, il était dans le jardin de la cure; il en
fit l'essai autour de son corps et me dit qu'elle irait très bien. Je crus
alors qu'il avait l'intention de la porter sur la chair comme une ceinture. Ce
n'est cependant qu'une conjecture de ma part; j'eus cette pensée, parce que je
savais que mon frère était très sage.
J'ai
su qu'il est allé en pèlerinage à la Louvesc, au tombeau de Saint Jean François
Régis, pendant qu'il faisait ses études; je ne me rappelle plus les détails du
pèlerinage.
Juxta
undecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
1020 Lorsque le moment de la conscription fut venu, on voulut
le faire inscrire comme élève ecclésiastique, inscription qui l'exemptait du
service militaire. On oublia de porter son nom et celui de trois autres sur les
registres. Il reçut donc sa feuille de route; mon père voulut lui faire un
remplaçant. Le marché fut conclu moyennant la somme de trois mille francs, deux
cents francs d'étrennes et un petit trousseau. Deux ou trois jours après, le
jeune homme vint déposer sur le seuil de la maison paternelle le sac et les
deux cents francs qu'il avait reçus. Mon frère fut donc obligé de partir. Il
resta quelques jours à l'hôpital de Lyon, puis à celui de Roanne. J'allai pour
le voir dans cette dernière ville, mais il était parti le jour même; c'était le
six janvier. Il ne rejoignit pas de fait son corps. Voici, autant que je puis
me le rappeler, comment la chose s'est passée. Mon frère, à peine rétabli,
s'était mis en route. Fatigué de la route, il s'était assis sur son sac à
quelques pas de la route. Un jeune homme se présente, à lui et le voyant si
fatigué, lui propose de prendre son sac et de le conduire. Ils marchèrent
ensemble environ une heure; ils arrivèrent à une maison; le jeune homme le fit
entrer. C'était chez le maire de la commune. Le père aurait un peu grondé son
fils de lui avoir amené un nouveau déserteur, attendu qu'ils en avaient déjà
deux. Enfin, tout s'arrangea pour le mieux et mon frère, le lendemain, fut
placé chez une bonne veuve qui en eut bien soin. L'hiver, il s'occupait à faire
la classe aux enfants de la localité et l'été il travaillait aux champs. Il est
resté dans cette commune environ seize mois. Mon frère cadet, arrivé à l'âge de
la conscription et ayant eu un bon numéro, s'offrit à remplacer Jean Marie; ce
qui fut accepté; Jean Marie put ainsi reprendre le cours de ses études.
Juxta
duodecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
1021 Je ne sais rien de particulier sur le séjour de mon frère au petit
et au grand séminaire. Je sais qu'il a été ordonné prêtre à Grenoble. Je ne me
rappelle plus l'année.
Juxta
decimum tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit: .
Après son ordination à la prêtrise, mon
frère fut nommé vicaire de la paroisse d'Ecully. Il se fit aimer de tout le
monde. Son confessionnal fut bientôt entouré d'une foule nombreuse. Les malades
ne demandaient presque plus que lui. Il ne prêchait pas encore bien, à mon
avis, et cependant, quand c'était son tour, on courait à l'église. Mr Balley
m'a raconté qu'un jour il lui avait dit: Vous allez voir Mme une telle à Lyon;
il faut bien vous arranger et prendre les pantalons qu'on vous a donnés. Il
revint le soir avec de très mauvais pantalons. Son curé lui demanda ce qu'il
avait fait des autres; il répondit qu'ayant trouvé un pauvre transi de froid,
il en avait eu pitié et avait échangé ses pantalons neufs contre les vieux du
pauvre. Mr Balley m'a aussi raconté que mon frère donnait ses souliers neufs.
Je sais que mon père lui en a fait plusieurs fois le reproche. Mon frère était
tellement aimé à Ecully, que tout le monde aurait désiré le voir curé de la
paroisse.
Juxta
decimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Mon frère fut nommé curé de la petite
paroisse d'Ars. Quinze jours après son installation, je voulus aller le voir.
J'étais accompagnée de la veuve Bibot d'Ecully, personne très pieuse. Craignant
de trouver fort peu de provisions chez mon frère, nous achetâmes en passant à
Trévoux du pain, de la viande. Quand il nous vit arriver, il nous reçut avec
cordialité, mais il nous dit: Oh! mes enfants, qu'est-ce que je vais vous
donner? Je n'ai rien... Après un moment de réflexion, il songea à un panier, où
se trouvaient des pommes de terre cuites depuis plusieurs jours; elles
commençaient à moisir. 1022 Jamais nous n'aurions eu le courage de les manger.
Pour lui, il en prit deux ou trois, les mangea devant nous et nous dit: Elles
sont encore bonnes, et elles ne sont pas gâtées. Puis il ajouta: On m'attend à
l'église, il faut que j'y aille; tâchez de vous arranger comme vous pourrez.
Nous
cherchâmes partout; nous ne trouvâmes qu'un peu de farine qu'une personne lui
avait donné, quelques oeufs et du beurre. Nous résolûmes alors de faire cuire
des matefaims, parce que nous savions qu'il les aimait. Pour compléter le
dîner, nous allâmes prendre deux pigeonneaux. Quand il revint de l'église, en
voyant sur table les deux pigeons, il nous dit: Oh! ces pauvres bêtes, vous les
avez donc tuées! Je voulais m'en défaire parce qu'elles font du mal aux
voisins; mais il ne fallait pas les faire cuire... Il ne voulut jamais y
toucher; il se contenta de prendre un matefaim.
Nous
avons gardé les deux pigeons pendant deux jours ; mais comme il ne voulait
pas les manger, nous avons dû les manger nous-mêmes. Jamais, pendant les huit
jours que nous avons passés alors auprès de lui, nous n'avons pu lui faire
accepter de la viande. Il ne prenait que son matefaim, ses pommes de terre.
Comme il aimait beaucoup le lait, nous avons voulu en mettre dans la soupe; il
en paraissait très content; mais il se contentait d'en prendre quelques
gouttes. Il ne voulait point boire de vin; sur notre invitation réitérée, il
finit par en mettre un peu dans de l'eau. Il n'avait d'autre vin que celui
qu'une dame lui avait donné pour la messe.
Quand
nous fûmes seules, la veuve Bibot me dit: Je vais faire son lit. Elle trouva
sous les draps et les couvertures, au lieu de matelas et de garde-paille, des
sarments étendus sur le bois de lit. Il avait pour traversin une petite botte
de paille enveloppée du drap sur lequel il reposait. Nous n'avons rien dérangé
et nous n'avons rien dit à mon frère. Pour lui, il nous avait dit: Vous n'avez
pas besoin de monter là-haut; j'ai tout arrangé. 1023
Nous
couchions toutes les deux dans une chambre de la cure, où il y avait un lit et
plusieurs matelas sur une chaise. Mon frère se couchait tard, et nous l'avons
entendu de très grand matin sortir de sa chambre, sans doute pour aller à
l'église.
1025 Session 113 - 23 Septembre
1863 à 3h de l'après-midi
Et
prosequendo decimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Lorsque
je suis venue à Ars avant l'établissement de la Providence, j'ai tout trouvé à
la cure comme la première fois. Ainsi, étant à peu près sûre que mon frère
n'avait aucune provision, j'avais soin d'apporter ce dont j'avais besoin. J'ai
vu bien des fois le panier où il mettait ses pommes de terre. Je lui faisais
des matefaims avec la farine que j'apportais ou avec celle que je trouvais à la
cure. 1026 Une personne lui donnait un peu de lait; je lui en faisais une soupe
et il la prenait volontiers. Je crois qu'il ne faisait guère plus de
préparatifs lorsque ses autres parents venaient. Quand ma petite fille a voulu
se marier, elle est venue à Ars quelques jours avant le mariage. Mon frère a
commandé alors à Catherine Lassagne un petit dîner; lui-même s'est mis à table
avec ses parents et ce jour-là, il sortit de son austérité habituelle et prit
part au dîner.
Après
l'établissement de la Providence, j'allais prendre mes repas dans cette maison.
Depuis sa suppression, je suis allée chez Jeanne Marie Chanay, en sorte que je
n'ai pas vu comment mon frère se traitait.
J'étais
un jour couchée à la cure, je ne me rappelle pas exactement l'époque, mais
c'était depuis la suppression de la Providence; j'entendis mon frère sortir de
sa chambre à minuit et demi pour aller à l'église. Peu d'instants après,
j'entendis près de moi, à l'endroit où se trouvaient les ornements, un bruit
très violent, comme si cinq ou six hommes eussent frappé à grands coups sur la
table ou l'armoire. Je crus que c'était des voleurs; j'eus peur; je me levai,
et après avoir allumé une lampe, je vis que tout était parfaitement en ordre.
Je pensais que peut-être j'avais rêvé. Je me recouchai, mais à peine étais-je
au lit que j'entendis le même bruit. Cette fois, j'eus grandement peur; je me
levai et courus à l'église. Quand mon frère rentra à la cure, je lui dis ce que
j'avais entendu: Oh! mon enfant, répondit-il, il ne fallait pas avoir peur;
c'est le grappin; il ne te peut rien; moi il me tourmente comme ça; il y
a des fois qu'il me prend par les pieds et me traîne par la chambre; c'est
parce que je convertis des âmes au bon Dieu.
Ma
petite fille, nommée comme moi Marguerite, et mariée à André Béluse, avait un
polype au larynx. Les médecins qu'on avait consultés n'avaient pu la guérir. On
songea à la fin à l'amener à Ars auprès de son oncle. Celui-ci lui fit faire
une neuvaine. A la fin de cette neuvaine, il n'y avait pas d'amélioration. Il en
fit faire une seconde et se joignit à elle. Dans la nuit du huitième jour, elle
se sentit fatiguée, cracha des glaires en abondance et se trouva guérie, sans
que le mal ait jamais reparu.
1027 Je ne sais absolument rien autre sur la vie de mon frère.
Qua
responsione accepta, omissis caeteris Interrogatoriis completum esse examen
praedicti testis, qui aliunde ut circa primos annos Servi Dei deponeret
inductus fuerat, Rmi Judices Delegati decreverunt, et per me Notarium
Actuarium, de mandato Dominationum suarum Rmarum perlecta fuit eidem testi
integra depositio ab ipso emissa a principio usque ad finem, qua per ipsum bene
audita et intellecta, in eadem perseveravit, illamque in omnibus confirmavit.
PROCES
DE BEATIFICATION ET CANONISATION
DE
SAINT JEAN MARIE BAPTISTE VIANNEY
CURE D'ARS
procès informatif ordinaire
1029 Session 114 - 9 Octobre 1863 à 8h du matin
1031 Juxta primum Interrogatorium, monitus testis de vi et natura
juramenti et gravitate perjurii, praesertim in causis beatificationis et
Canonizationis, respondit:
Je
connais la nature et la force du serment que je viens de faire et la gravité du
parjure dont je me rendrais coupable si je ne disais pas toute la vérité.
Juxta
secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je me nomme Louis Mermod; je suis né à
Chatillon-de-Michaille, le cinq Mars mil huit cent un. Mon père s'appelait Jean
Antoine Mermod et ma mère Marie Lacroix. Je suis curé de la paroisse de Gex,
diocèse de Belley, chanoine honoraire de la Cathédrale.
Juxta
tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Etant
prêtre, j'ai le bonheur de dire la sainte messe tous les jours. Je l'ai dite ce
matin.
Juxta
quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je
n'ai jamais été traduit en justice.
Juxta
quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n'ai jamais encouru de censures ou de
peines ecclésiastiques.
Juxta
sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Personne, de vive voix ou par écrit, ne
m'a instruit de la manière dont je devais faire ma déposition. Je n'ai pas lu
les Articles du Postulateur. 1032 Je ne dirai que ce que j'ai vu ou ce que j'ai
appris de personnes dignes de foi.
Juxta
septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai
une grande affection et une grande dévotion envers le Serviteur de Dieu Jean
Marie Baptiste Vianney; je désire sa béatification de tout mon coeur, et en
cela je me propose uniquement la gloire de Dieu.
Juxta
octavum, nonum, decimum, undecimum, duodecimum, decimum tertium
Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Sur ces Interrogatoires, je ne puis déposer
que ce qui suit:
Pendant
que je faisais mes études théologiques au grand séminaire de Lyon en mil huit
cent dix-huit, on parlait déjà de la sainteté de Mr Vianney. Ses grandes
vertus, sa vie mortifiée et extraordinaire avait frappé tous ses condisciples,
qui se plaisaient à raconter les beaux exemples qu'ils avaient eus sous les
yeux. Ils disaient aussi que Mr Vianney avait été admis aux ordres à cause de
sa grande piété.
En
mil huit cent vingt-deux, j'étais professeur au petit séminaire de Meximieux.
Mr Vianney y vint un jour pendant la récréation. Dès qu'il parut, les jeux
cessèrent, les jeunes gens se mirent à le considérer avec admiration. Étonné
moi-même, je leur demandai ce qu'il y avait. C'est le saint curé d'Ars qui
passe, me répondirent-ils. Un de ces jeunes gens s'approcha de moi et me dit:
C'est un saint, le curé d'Ars. Mr Vianney, selon sa coutume, alla directement à
la chapelle, sans regarder ni à droite ni à gauche. Quelques uns des jeunes
gens montèrent à la chapelle pour être témoins de la manière dont le bon Curé
se tenait devant le Saint Sacrement. En sortant, ils disaient aux autres
combien ils étaient heureux de l'avoir vu au pied du tabernacle.
Juxta
decimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Voici tout ce que je sais au sujet du
séjour de Mr Vianney à Ars. En mil huit cent vingt-sept, je fus nommé curé à
Chaleins, paroisse assez rapprochée d'Ars. On parlait partout de la sainteté de
Mr Vianney. 1033 Plusieurs personnes de ma paroisse allaient se confesser au Serviteur
de Dieu. Je dois dire qu'elles faisaient l'édification de tout le monde.
Quelques confrères n'avaient pas grande confiance dans la science du Curé d'Ars
et ils se permirent à son égard des propos peu convenables; on lui écrivit même
à ce sujet d'une manière inconvenante. Mais tous le regardaient comme un prêtre
modèle et même comme un saint. Ceux même qui avaient douté de sa science
finirent par changer de sentiment et eurent grande confiance en ses lumières.
A
mon arrivée, n'ayant trouvé dans l'église de Chaleins qu'un ostensoir en
cuivre, j'annonçai à mes paroissiens que j'allais en acheter un en argent. Une
brave personne, qui connaissait particulièrement le Curé d'Ars, me dit: Ce
n'est pas nécessaire; Mr le Curé d'Ars en a deux; j'irai demain lui en demander
un, et je suis sûre qu'il s'empressera de nous le donner car il donne tout ce
qu'il a. Cette personne fit en effet le voyage d'Ars, mais ce jour-là même le
bon Curé venait de donner un de ses deux ostensoirs à une paroisse pauvre.
Quelques jours après, j'allai visiter Mr Vianney et il me témoigna le regret
qu'il avait de n'avoir pu satisfaire ma demande: Que j'aurais été heureux de
vous l'offrir, me dit-il, si vous me l'aviez demandé plus tôt...
Cette
même année, j'entendis parler des persécutions presque journalières que Mr
Vianney éprouvait de la part du démon, et de celles qu'il avait essuyées à St
Trivier-sur-Moignans pendant le jubilé qui avait eu lieu durant l'hiver de mil
huit cent vingt-six à mil huit cent vingt-sept. Ces bruits me parurent d'abord
incroyables. Je pris cependant des informations auprès de Mr Benoît, vicaire de
St Trivier, que j'avais connu au séminaire de l'Argentière et de Lyon comme un
homme franc et courageux. Mr Benoît me répondit que pendant le jubilé de St
Trivier, il avait entendu plusieurs fois du bruit dans la chambre du Curé d'Ars
vers le milieu de la nuit, et qu'une fois il entendit un si grand vacarme qu'il
crut qu'on assassinait Mr Vianney. Il se leva aussitôt et, passant devant la
chambre de Mr Granger, curé de St Trivier, il lui demanda: Qu'y a-t-il donc
dans la chambre de Mr le Curé d'Ars? - Mr Granger lui répondit: 1034 J'ai été
moi-même réveillé par ce vacarme. - Ils allèrent l'un et l'autre trouver Mr
Vianney, car ils craignaient qu'il ne lui fût arrivé quelque malheur. - Ce
n'est rien, répondit Mr Vianney, soyez tranquilles; je suis bien fâché de ne
vous avoir pas prévenus. C'est le grappin qui fait son ramage; mais c'est bon
signe: c'est une preuve qu'il y aura demain un bon poisson, voulant désigner par
là la conversion de quelque grand pécheur. Ces messieurs crurent d'abord à une
hallucination. Ils firent donc grande attention pendant toute la journée, pour
voir ce qui arriverait. Ils ne virent rien d'extraordinaire, et ils
commençaient à croire que le bon curé avait rêvé, lorsque le soir, après le
sermon, ils virent Mr des Murs, noble chevalier, traverser toute l'église et
prier Mr le Curé d'Ars d'entendre sa confession. Cet homme avait négligé ses
devoirs religieux depuis fort longtemps. Cet exemple fit une grande impression
sur les habitants de St Trivier.
J'ai
demandé moi-même à Mr Vianney s'il était vrai que le démon le persécutât
pendant la nuit. La première fois, je lui posais beaucoup de questions. Il me
répondit que réellement le grappin le persécutait et, tirant les rideaux de son
lit, il me montra comment le grappin les secouait à droite et à gauche, en
criant: Hein! hein! - N'avez-vous pas peur, lui dis-je? - J'ai eu peur,
répondit-il, dans les premiers temps, parce que je ne savais pas ce que
c'était; mais à présent, j'en ris et j'en suis content; c'est un bon signe, la
pêche du lendemain est toujours bonne.
Ayant
entendu dire que des hommes avaient passé la nuit dans la cure pour découvrir
d'où venait le bruit, je voulus voir quelques uns de ces hommes et les
interroger. Je crois que c'était en mil huit cent vingt-huit. Ils me
répondirent qu'ils avaient passé plusieurs nuits à la cure, qu'ils s'étaient
munis d'armes et qu'ils avaient pris toutes les précautions pour arrêter celui
qui pourrait être l'auteur du bruit. - 1035 Nous avons entendu, me dirent-ils,
comme le bruit de grosses chaînes de fer qu'on traînait d'une chambre à
l'autre; nous n'avons rien vu ni rien découvert qui pût l'occasionner. Mr le
Curé nous dit enfin: Maintenant, je sais d'où vient le bruit; je n'ai plus
peur: c'est le grappin, mais je ne le crains pas. Ainsi ne revenez pas.
Pendant
mon séjour à Chaleins, j'allais voir quelquefois Mr Vianney. Après quelques
paroles de politesse, il se mettait ordinairement à parler de Dieu, et il le
faisait avec tant d'onction que les sentiments qui l'animaient semblaient se
communiquer à mon âme. Il profitait de mes visites pour me consulter
quelquefois sur des cas de conscience.
Je
sais qu'aux conférences ecclésiastiques, il prenait toujours la dernière place,
malgré les représentations qu'on pouvait lui faire. J'ai voulu moi-même un jour
lui faire prendre une place convenable, il resta à la dernière place, et les
confrères me firent observer qu'il était inutile d'essayer de le faire monter
plus haut. Il ne voulut manger que d'un seul plat.
Nous
savions tous qu'il n'avait rien chez lui; aussi nous n'allions pas lui demander
à dîner. Je me présentai un jour chez lui tout mouillé de sueur. - Oh! que
votre bon ange vous a donné une bonne pensée de venir me voir! - Il paraît que
le vôtre vous donne pas de bonne pensée, puisque vous n'êtes jamais venu me
voir... - Je vous prie de m'excuser, je n'ai jamais le temps de sortir.
S'apercevant que j'avais bien chaud: Je vous offrirais bien quelque chose, mais
je n'ai point de vin, et ce n'est pas de l'eau qu'il vous faut dans ce moment.
J'avais
entendu dire que Mr le Curé avait acheté une demi-pièce de vin et avait permis
à plusieurs personnes, qui s'étaient fixées à Ars, d'en prendre pour leur usage
autant qu'elles voudraient. On tirait à ce tonneau depuis longtemps et il
donnait toujours du vin, quoique naturellement il eût dû être épuisé depuis
longtemps. 1036 J'interrogeai plusieurs de ces personnes et notamment Melle Lager,
que je connaissais particulièrement. Il résulta de leurs réponses qu'on avait
tiré de ce tonneau du vin pour remplir plusieurs pièces.
Je
lui fis un jour observer qu'il recevait gratuitement dans sa Providence des
filles qui auraient pu payer. Oh! me dit-il, je ne m'occupe pas de cela; toute
mon ambition est de leur donner une éducation convenable, pour en faire de
bonnes chrétiennes.
Après
avoir quitté Chaleins, je suis resté vingt-cinq ou vingt-six ans avant de
revoir le Serviteur de Dieu. Quand j'ai eu ce bonheur, je l'ai trouvé portant
tellement sur sa figure les marques de la sainteté, que j'avais honte de
paraître devant lui. Je me sentis dominé par son regard vif et pénétrant, et
par je ne sais quoi qui me donna la plus haute idée de sa sainteté.
Je
ne sais absolument rien autre de précis sur le Curé d'Ars.
PROCES D E BEATIFICATION E T
CANONISATION D E
SAINT JEAN
MARIE BAPTISTE VIANNEY
CURE D'ARS
PROCES INFORMATIF ORDINAIRE
1047 Session 116 - 16 Octobre 1863 à 2h de l'après-midi
1048 Juxta primum Interrogatorium, monitus testis de vi et natura
juramenti et gravitate perjurii, praesertim in causis Beatificationis et
Canonizationis, respondit:
Je
connais parfaitement la nature et la force du serment que je viens de faire et
la gravité du parjure dont je me rendrais coupable si je ne disais pas la
vérité.
Juxta
secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je me nomme Alfred Monnin; je suis né à
Coligny le douze février mil huit cent vingt-trois. Mon père se nommait
Frédéric Monnin et ma mère Rosalie Jacquet. Je suis prêtre et missionnaire du
diocèse de Belley depuis neuf ans; j'avais été auparavant directeur du collège
de Thoissey.
Juxta
tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Ayant
le bonheur d'être prêtre, j'offre le saint sacrifice de la messe tous les
jours; je l'ai offert ce matin.
Juxta
quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Grâce
à Dieu, je n'ai jamais été traduit en justice devant aucun tribunal.
Juxta
quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n'ai pas la conscience d'avoir encouru
jamais aucune censure ou d'avoir subi aucune peine ecclésiastique.
Juxta
sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Personne ne m'a instruit, de vive voix ou
par écrit, de la manière dont je devais faire ma déposition; personne ne m'a
suggéré ce que j'avais à dire ou ce que je devais passer sous silence dans
cette cause. 1049 J'ai lu un certain nombre des Articles rédigés par le
Postulateur; mais je ne m'inspirerai pas des Articles pour faire ma déposition;
je ne dirai que ce que j'ai vu moi-même, ou ce que j'ai appris de témoins
oculaires ou auriculaires dignes de foi.
Juxta
septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai
une grande vénération et une grande dévotion envers le Serviteur de Dieu. Je
désire de tout mon coeur sa Béatification, mais en cela je ne me propose que la
gloire de Dieu. ;
Juxta
octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai
vu sur un registre conservé au presbytère de Dardilly que le Serviteur de Dieu
était né dans cette paroisse le huit Mai mil sept cent quatre vingt six; qu'il
avait été baptisé le même jour; que son père se nommait Matthieu Vianney et sa
mère Marie Beluse. Je n'ai rien pu savoir de positif au sujet de la réception
du sacrement de confirmation; je ne doute point qu'il ne l'ait reçu; sans cela,
il n'aurait jamais été admis aux ordres. Il résulte des renseignements que j'ai
recueillis à Dardilly que sa mère passait aux yeux de tous pour une femme d'une
piété très solide et très éclairée, et qu'elle s'occupait avec beaucoup de soin
de l'éducation de ses enfants. Je disais un jour à Mr Vianney: Vous êtes bien
heureux d'avoir eu de si bonne heure le goût de la prière. - Il me répondit:
Après Dieu, c'est l'ouvrage de ma mère; elle était si sage! Elle venait chaque
matin à notre réveil s'assurer si nous donnions notre coeur au bon Dieu. La
vertu des mères passe dans le coeur des enfants, qui font facilement ce qu'ils
voient faire. Il ajouta: Vois-tu, mon petit Jean Marie, me disait souvent ma
mère, si je te voyais offenser le bon Dieu, cela me ferait plus de peine que si
c'était un autre de mes enfants.
1050 Juxta nonum Interrogatorium, testis
interrogatus respondit:
Je sais du Serviteur de Dieu lui-même
qu'il a passé son enfance et son adolescence à Dardilly, dans la maison paternelle.
Dès sa plus tendre enfance, il montra un goût tout particulier pour la prière.
Devenu plus grand et occupé soit à garder le petit troupeau de son père, soit à
cultiver les champs, il fit paraître le même amour pour la prière. Je me
rappelle qu'un jour il me dit: Avant d'entrer dans un confessionnal, je ne
savais pas ce que c'est que le mal. - Je tiens de deux personnes de Dardilly
que jamais on ne l'a vu jouer. Il n'avait aucun des goûts et des défauts des
jeunes gens de son âge.
Juxta
decimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Après avoir fait sa première communion,
le Serviteur de Dieu résolut de faire des études pour embrasser la carrière
ecclésiastique. Il se mit avec ardeur à l'étude, mais il rencontra beaucoup de
difficultés, qu'il s'efforça de vaincre par un travail opiniâtre et par la
prière; le succès ne répondait pas aux efforts du jeune homme; il eut alors la
pensée de faire à pied et en demandant l'aumône le pèlerinage de St Jean
François Régis à la Louvesc. A la suite de ce pèlerinage, il éprouva moins de
difficultés. Ces détails, je les tiens de Mr Vianney. Sa cousine Fayolle m'a
raconté que pendant qu'il faisait ses études à Ecully, il voulait qu'elle lui
servît sa soupe avant qu'elle y eût mis le beurre ou les autres assaisonnements.
Juxta
undecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Quand
arriva l'époque de la conscription militaire, Mr Balley fit les démarches
nécessaires pour faire inscrire son élève parmi les aspirants à l'état
ecclésiastique ; 1051 cette inscription l'exemptait du service militaire. On
oublia de faire figurer son nom sur la liste. L'autorité ecclésiastique
s'aperçut de cette omission au moment où il était question d'admettre Mr
Vianney aux ordres; la chose s'ébruita et l'autorité militaire ne tarda pas à
envoyer au jeune homme sa feuille de route. Cette nouvelle attrista
profondément Mr Vianney. Il partit cependant, mais arrivé à Lyon, il tomba
malade et passa quelque temps à l'hôpital de cette ville. Quand il fut
suffisamment rétabli, on le dirigea sur Roanne. Les cahots de la voiture le
fatiguèrent tellement qu'arrivé à Roanne, il fut obligé d'aller à l'hôpital. Il
y resta près de deux mois, du treize Novembre mil huit cent neuf au six Janvier
de l'année suivante. Le matin du six Janvier mil huit cent dix, il devait faire
partie d'une colonne qui se formait à la destination de Bayonne. Avant de
partir, il se rendit à l'église pour y prier, mais il s'oublia et laissa passer
l'heure, (c'est du Serviteur de Dieu lui-même que je tiens ce dernier détail et
ceux qui vont suivre; les précédents, je les tenais de sa cousine Fayolle.)
Quand il parut à l'intendance militaire, le capitaine de recrutement s'emporta
beaucoup et parla de le mettre entre les mains des gendarmes. Quelques employés
s'interposèrent en alléguant qu'il ne songeait pas à déserter, puisqu'il venait
se constituer lui-même. Mr Vianney partit, ne méditant pas une fuite, mais
ayant comme un pressentiment qu'il ne serait pas soldat. Pour se distraire des
sombres pensées qui lui venaient en foule, il se mit à dire son chapelet.
Presque au même instant, un inconnu s'approcha de lui, et le voyant triste le
consola. Après que Mr Vianney lui eût confié sa peine, le jeune homme lui dit
de le suivre et dissipa les craintes qu'il avait de tomber entre les mains des
gendarmes. 1052 Puis il se chargea de son sac, que le convalescent avait peine
à porter. Ils quittèrent la route, et après avoir marché longtemps sans se
reposer, ils arrivèrent à dix heures du soir à la porte d'une maison isolée. Un
homme et une femme se présentèrent pour les recevoir; l'inconnu leur dit
quelques mots à voix basse et puis disparut. Ces braves gens firent des
instances à leur hôte, pour lui faire accepter l'unique lit qui était dans la
maison, et allèrent eux-mêmes coucher au fenil. Mr Vianney rappelait cette
circonstance avec un sentiment mêlé de surprise et de reconnaissance. Le
lendemain matin, le sabotier, qui lui avait donné l'hospitalité, lui dit qu'il
était trop pauvre et qu'il ne pouvait le garder, mais qu'il allait le mener
dans un endroit où il serait en sûreté. Il le conduisit en effet chez le maire
de la commune des Noës. Ce magistrat l'accueillit fort bien et lui répéta qu'il
n'avait rien à craindre; il lui désigna pour retraite la maison d'une bonne veuve,
nommée Fayot. Il fut l'objet de toutes sortes d'attentions de la part de sa
mère adoptive, comme il l'appelait; il était comme un enfant de la maison. Je
tiens du fils de la veuve Fayot que le Serviteur de Dieu priait souvent la nuit
et qu'il portait un scapulaire. Couchant dans la même chambre et dans le même
lit, ajouta-t-il, j'ai pu m'en assurer bien des fois. Il y avait dans la maison
une petite fille, que Mr Vianney ne voulut jamais embrasser, quoique sa mère
l'y eût plusieurs fois engagé. Tel était l'attachement des habitants des Noës
pour Mr Vianney que pour le mettre à l'abri des recherches de la police, on
plaçait sur les hauteurs des vedettes qui signalaient l'arrivée des gendarmes.
Par reconnaissance, le Serviteur de Dieu s'offrit à faire l'école; 1053 il
aidait de plus les habitants dans leurs travaux des champs. Il savait, nous a
dit Jean Marie Fayot, se plier à tout pour faire plaisir; tout lui était bon.
On venait des villages voisins pour s'édifier près de lui. Il s'acquit l'estime
et l'admiration générale pendant les quatorze mois qu'il passa aux Noës.
1055 Session 117 - 17 Octobre 1863 à 9h du matin
Juxta
duodecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Mr Vianney ne put quitter la paroisse des
Noës et revenir à Ecully reprendre le cours de ses études que lorsque son frère
cadet eut consenti à devancer l'appel de la réserve; ce dernier cependant ne le
fit que moyennant la promesse qu'on lui donnerait trois mille francs sur la
part des biens patrimoniaux qui reviendrait à Jean Marie. 1056 Le Serviteur de
Dieu pouvant ainsi poursuivre son dessein d'embrasser la carrière
ecclésiastique, se remit avec ardeur à l'étude des lettres. Afin de le préparer
aux examens du grand séminaire, Mr Balley l'envoya au petit séminaire de Verrières.
Il était si faible qu'il ne pouvait suivre le cours de philosophie en latin; il
fallait le lui expliquer en français. Quand il se présenta aux examens du grand
séminaire, il ne put rien dire. Mr Balley engagea les Vicaires généraux à venir
interroger son élève devant lui au presbytère d'Ecully. Les réponses furent
assez satisfaisantes. Il fut donc admis comme élève du grand séminaire; mais on
lui permit de continuer ses études auprès de Mr Balley, et c'était en français
qu'il faisait sa théologie. Quand il fut question de l'admettre définitivement
aux ordres, les directeurs du grand séminaire hésitaient; ses réponses aux
examens étaient si faibles, mais d'un autre côté, le jeune homme était si
pieux! La décision fut renvoyée à l'autorité diocésaine. Les avis étaient
partagés; Mr Courbon, vicaire général, demanda si Mr Vianney était pieux et
disait bien son chapelet. Sur la réponse affirmative des directeurs: Eh bien!
moi, je le reçois; la grâce de Dieu fera le reste. Mr Vianney allait passer
quelque temps au grand séminaire avant chaque ordination. Je tiens ces
différents détails de plusieurs de ses condisciples, occupant aujourd'hui
différents postes dans le ministère.
Ce
fut le deux Juillet mil huit cent quatorze que Mr Vianney reçut le
sous-diaconat. Mr Millon, aujourd'hui curé de Bény, se trouvait à coté de lui
pendant l'ordination. Il fut si frappé de son recueillement, de sa modestie et
des sentiments d'amour de Dieu qui se peignaient sur son visage, qu'il ne
pouvait se distraire de cet édifiant spectacle. Quand les ordinands se
relevèrent après la prostration, me disait Mr Millon, le visage du Serviteur de
Dieu me parut resplendissant. Lorsqu'en nous rendant de la Primatiale de Lyon
au grand séminaire, nous chantâmes le Benedictus, Mr Vianney mit une
expression telle au verset Et tu puer, que je ne pus m'empêcher de lui
en faire l'application. C'est à Grenoble qu'il reçut, l'année suivante, la
prêtrise. Il m'a dit qu'il était seul à cette ordination.
1057 Juxta decimum tertium Interrogatorium, testis
interrogatus respondit:
Aussitôt après son ordination à la
prêtrise, Mr Vianney fut placé comme vicaire à Ecully, sur la demande de Mr
Balley, curé de cette paroisse et son ancien maître. La première confession que
Mr Vianney entendit fut celle de son curé. Je tiens des habitants d'Ecully
qu'il jouit bientôt de la confiance universelle. Son confessionnal était
continuellement entouré des pénitents qui réclamaient son ministère. Il remplit
exactement tous les devoirs de sa charge et partageait les mortifications et
les pénitences de son curé, qui avait conservé toutes les habitudes de la vie
religieuse. A la mort de Mr Balley, le Serviteur de Dieu fut demandé comme curé
par les habitants d'Ecully. Je sais qu'il refusa ce poste, parce qu'il lui
paraissait au-dessus de ses forces. Il resta dans cette paroisse un mois à peu
près, comme vicaire du nouveau curé; mais ne pouvant suivre les habitudes qu'il
avait contractées avec Mr Balley et craignant le contraste que son genre de vie
pouvait offrir avec celui de son curé, il se prêta volontiers à un changement.
Il fut nommé curé d'Ars.
Juxta
decimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je
sais que le Serviteur de Dieu prit possession de la paroisse d'Ars au
commencement du carême de l'année mil huit cent dix-huit. Il la trouva dans un
état peu satisfaisant sous le rapport de la piété. Les sacrements n'étaient pas
fréquentés; on travaillait le dimanche; la jeunesse y aimait la danse et les
plaisirs. L'état de la paroisse, tout en affligeant le coeur du nouveau curé,
ne le découragea pas. Il détruisit ces différents abus avec beaucoup de zèle et
de prudence, agissant surtout par la prière, la pénitence, les larmes, les
exhortations pressantes en chaire et les visites à domicile. Le succès répondit
bientôt à ses efforts.
Juxta
decimum quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Pour
réformer plus complètement sa paroisse, il eut la pensée d'organiser de pieuses
associations. Il établit la confrérie du Saint Rosaire pour les filles et
celles du St Sacrement pour les hommes. Il porta plusieurs personnes à la
pratique de la communion fréquente.
1058 Il mit un grand zèle à procurer à la jeunesse une éducation
convenable. Il forma pour cela un maître d'école, qui rendit de grands services
à la paroisse. Dès qu'il le put, il fonda sa Providence, afin de donner
aux filles de sa paroisse une éducation chrétienne et d'ouvrir un asile aux
filles abandonnées des localités voisines. Il mit à la tête de cet
établissement trois directrices qu'il avait formées d'avance pour cette
importante fonction et auxquelles il avait inspiré son esprit de pauvreté et de
simplicité, d'abandon à la Providence, son amour pour les âmes. Il ne leur
donna point de règlements écrits ; mais il dirigeait et surveillait tout. La
direction de cet établissement fut confiée plus tard aux soeurs de St Joseph.
L'année même de la transformation de la Providence, il fonda pour les
garçons de sa paroisse une école spéciale, dont il chargea les Frères de la Ste
Famille de Belley. Toutes ces fondations ont produit d'heureux résultats. Je ne
sais de qui il a pris conseil; mais je crois que ces pensées lui sont venues de
son zèle pour la gloire de Dieu et le salut des âmes.
Juxta
decimum sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je puis attester en toute vérité que non
seulement je ne l'ai jamais vu manquer aux commandements de Dieu et de l'Église
et à ses devoirs de prêtre et de curé, mais que je ne l'ai jamais surpris dans
un seul instant où sa vie ne fût entièrement conforme aux préceptes et aux
conseils évangéliques et où elle ne portât l'empreinte de la perfection et de
la sainteté. Il a persévéré jusqu'à sa mort dans cet exact accomplissement de
ses devoirs et dans la pratique des vertus.
Quant
aux absences de sa paroisse, j'affirme qu'elles ont été très rares, qu'elles
ont toujours été motivées par l'intérêt de la gloire de Dieu et du salut des
âmes et par la circonstance du jubilé de mil huit cent vingt-six. Sa paroisse
du reste, qui était très petite, n'avait point à souffrir de ses absences; il y
revenait presque tous les jours et y passait ordinairement la nuit. 1059
Le
curé d'Ars était effrayé de la responsabilité de la charge pastorale; il
sentait le besoin de se préparer à la mort par quelques années de solitude et
de recueillement; c'est à ces deux pensées que j'attribue ses deux tentatives
de fuite. Il a semblé, vers la fin de sa vie, reconnaître que c'était une
tentation.
Quant
à sa première sortie d'Ars, qu'on a appelée improprement une fuite, je puis
déposer ce qui suit: Mr Vianney relevait d'une maladie très grave et jugée
mortelle par les médecins; il devait son salut à Ste Philomène, qui avait été
invoquée pour sa guérison. Pour arriver plus tôt au rétablissement de ses
forces, il avait souhaité pouvoir se dérober à la foule des pèlerins, qui
recommençaient à l'assiéger, et Mgr Devie l'avait autorisé par une lettre, dont
j'ai eu la copie, à prendre un peu de repos dans sa famille. Si Mr Vianney prit
des précautions pour cacher son départ et le lieu de sa retraite, c'est qu'il
craignait qu'on ne le laissât pas partir ou que la foule le suivît. Il partit
clandestinement, à pied, par un chemin détourné. Arrivé chez son frère, il s'y
tint caché, jusqu'à ce que le bruit de sa présence à Dardilly, gagnant de
proche en proche, et l'inquiétude des habitants d'Ars les ayant amenés à
prendre des informations dans sa famille, il fut découvert et bientôt entouré
d'une foule nombreuse de pèlerins. Je sais par des lettres que j'ai eues entre
les mains, que Mr Raymond, curé de Savigneux, s'était rendu à Belley auprès de
Mgr Devie, afin de négocier le retour du Curé d'Ars dans sa paroisse; qu'il
était revenu avec des instructions de l’Évêque diocésain. Dans ces
instructions, Mgr Devie exprimait son désir de voir Mr Vianney rester à Ars;
cependant, pour ne pas trop le contrarier, il lui indiquait deux autres postes
où il pourrait le placer. Mr Vianney sembla goûter l'idée de se retirer à
Beaumont, un des postes indiqués. Il s'y rendit, accompagné de Mr Raymond; il y
célébra la sainte messe et adressa au peuple qui remplissait l'église une
allocution avec tant de force que Mr Raymond en fut surpris; 1060 Mr Vianney
était encore convalescent et c'était la première fois qu'il parlait aux fidèles
depuis sa maladie. Pendant son action de grâce, comme si cette inspiration lui
fût venue du Ciel, il s'approcha de Mr Raymond et lui dit résolument:
Retournons à Ars. Il y retourna en effet, et j'ai su par des témoins oculaires
qu'il y fut reçu comme en triomphe, au milieu des témoignages de l'amour, du
respect et de la joie universelle. Cet événement eut lieu en mil huit cent
quarante-deux.
Quant
à la seconde tentative de fuite, je crois qu'elle a été amenée par l'arrivée
d'un missionnaire. Mgr Chalandon avait pensé, dans sa sagesse, devoir remplacer
Mr Raymond et mettre à Ars des missionnaires diocésains. Mr Vianney se sera dit
alors: Je laisse la paroisse aux soins d'un prêtre plus jeune et plus instruit
que moi; c'est le moment de me dérober par la fuite à la responsabilité qui me
pèse depuis si longtemps. Ce qui est certain, c'est que cette tentative de
fuite eut lieu la nuit même qui suivit l'arrivée du missionnaire. Beaucoup de
personnes ont cru à une influence secrète exercée sur Mr Vianney par
l'ecclésiastique que les missionnaires venaient remplacer. Je ne connais que
par ouï dire les détails de cette fuite. Comme ils n'offrent rien de bien
remarquable, je crois devoir les omettre.
Juxta
decimum septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je tiens du Curé d'Ars lui-même que
pendant plusieurs années il avait été en butte aux contradictions, aux injures,
aux calomnies d'un grand nombre de laïques et même de quelques uns de ses
confrères. Il m'a dit avoir trouvé plusieurs fois des placards diffamatoires
sur la porte de son presbytère, avoir reçu en face les épithètes d'hypocrite,
d'ignorant et de charlatan. Plusieurs ecclésiastiques défendirent à leurs
pénitents de venir à Ars, sous peine de refus d'absolution; d'autres prêchèrent
ouvertement contre lui; on le dénonça plusieurs fois à son Évêque. Ma
conviction est qu'il n'offrit jamais le plus léger prétexte à ces attaques.
S'il y a été en butte, c'est parce qu'on ne comprenait pas son genre de vie;
plusieurs étaient jaloux de la confiance qu'il inspirait et du bien dont il
semblait de plus en plus avoir le monopole. 1061 D'autres prétextaient quelques
uns de ces abus qui se rencontrent inévitablement dans les pèlerinages. Je ne
sache pas que sa sérénité, sa patience, sa douceur envers ses ennemis se soient
jamais démenties. Au reste, ces épreuves, lorsqu'il fut mieux connu, cessèrent
entièrement, pour faire place à un sentiment unanime d'estime et de vénération.
Le clergé donna l'exemple de ce retour.
1063 Session 118 - 19 Octobre 1863 à 8h du matin
Juxta
decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je sais par une multitude de témoignages
et par une connaissance personnelle, que le Serviteur de Dieu a pratiqué
jusqu'à sa mort toutes les vertus chrétiennes au plus haut degré.
Il
a d'abord pratiqué la Foi. Il en donna des preuves dès sa plus tendre enfance.
1064 Une personne de Dardilly, qui l'a connu particulièrement, m'a assuré que
dès qu'il entendait sonner l’angelus, il se jetait à genoux pour réciter l'Ave
Maria, donnant l'exemple à toute la maison.
C'est
une tradition dans le pays qu'il aimait à aller à l'église, à s'instruire des
vérités de la religion; qu'il recherchait la solitude par amour pour la prière;
que sachant à peine parler, il voulait se mêler à tous les exercices de piété,
qui avaient lieu en sa présence.
Le
premier objet auquel il s'attacha, fut une petite statue de la Ste Vierge; la
vue de cette image était sa plus chère distraction. Oh! que j'aimais cette
statue, disait-il un jour devant moi; je ne pouvais m'en séparer ni le jour ni
la nuit, et je n'aurais pas dormi tranquille, si je ne l'avais eue à côté de
moi dans mon petit lit. Je lui disais un jour: Il y a longtemps que vous aimez
la Ste Vierge. - Je l'ai aimée, répondit-il, avant de la connaître; c'est ma
plus vieille affection. Quand j'étais tout petit, j'avais un joli chapelet; ma
soeur le voulut, et ma mère me conseilla d'en faire l'abandon: ce fut un de mes
premiers chagrins.
Le
souvenir de sa piété précoce est dans le souvenir de tous les anciens de
Dardilly. C'est une tradition que l'un de ses plus agréables passe-temps était
d'imiter les cérémonies de l'Église. On se souvient que lorsqu'il était aux
champs avec ses compagnons d'enfance, il les réunissait autour de sa petite
statue de la Ste Vierge et leur adressait des exhortations enfantines, imitant
le geste et la voix des prédicateurs qu'il avait entendus. Souvent, pour prier
avec plus de recueillement et de liberté d'esprit, il laissait la garde de son
petit troupeau au plus raisonnable d'entre ses compagnons et cherchait un
endroit solitaire pour satisfaire son amour de la prière.
1065 Lorsque, plus tard, appliqué aux travaux des champs, il
ne pouvait qu'avec peine suivre son frère aîné, pour se donner du courage, il
déposait à quelques pas de lui sa petite statue et trouvait des forces en
arrêtant ses regards sur elle. Arrivé à l'image chérie, il la ramassait
promptement, la plaçait un peu plus loin, reprenait sa pioche, priait, avançait
et tenait tête à François, qui se fatiguait sans pouvoir le dépasser et qui, en
rentrant le soir à la maison, avoua que la Ste Vierge avait bien aidé son petit
frère, et qu'il avait fait autant d'ouvrage que lui.
Ces
travaux, si pénibles et si assidus qu'ils fussent, ne le détournaient pas de la
présence de Dieu. Quand j'étais seul aux champs, a dit souvent le Curé d'Ars,
et je l'ai entendu moi-même, je priais tout haut; mais quand j'étais en
compagnie, je priais à voix basse. Si maintenant que je cultive les âmes,
ajoutait-il, j'avais le temps de penser à la mienne, comme lorsque je cultivais
les terres de mon père, oh! que je serais content! Il y avait alors au moins
quelque relâche; on se reposait après dîner avant de se remettre à l'ouvrage;
je m'étendais par terre comme les autres; je faisais semblant de dormir et je priais
autant que je pouvais. Je n'avais pas la tête cassée comme à présent. Ah!
c'était le beau temps! L'eau du ruisseau n'avait qu'à suivre sa pente.
Je
sais de Mr Vianney qu'il avait onze ans lorsqu'il rencontra Mr l'abbé Croboz,
qui, sous le régime de la Terreur, était obligé, comme les autres prêtres, de
se cacher. Mr Croboz lui demanda quel âge il avait. - Onze ans, répondit le
petit Vianney. - Eh! depuis quel temps ne t'es-tu pas confessé? - Je ne me suis
jamais confessé. - Jamais, reprit Mr Croboz? Et il voulut que cette première
confession se fît à l'heure même. Sans doute, il trouva l'enfant bien préparé,
car il exigea de sa mère qu'elle le laissât chez ses parents d'Ecully, afin
qu'il fût mieux à portée de suivre les catéchismes préparatoires à la première
communion. C'étaient deux religieuses de St Charles chassées de leur couvent,
et qui ont laissé dans le pays un renom de sainteté, Soeur Deville et Soeur
Combet, qui faisaient ces catéchismes. 1066 Le Curé d'Ars se rappelait que
c'était dans l'été de mil sept cent quatre-vingt dix-neuf, et dans une
dépendance de la maison du Comte de Pingeon, qu'il avait fait sa première
communion.
Je
crois que c'est à l'époque de sa première communion qu'il sentit naître en lui
les premières aspirations à l'état ecclésiastique. La précieuse connaissance
qu'il fit de Mr Balley, religieux Génovéfain qui évangélisait le pays pendant
la Terreur, fortifia ses dispositions. Si j'étais prêtre un jour, disait-il,
comme il me l'a répété depuis, je voudrais gagner bien des âmes au bon Dieu. Mr
Balley, dès cette époque, le prit en singulière affection. Devenu curé
d'Ecully, il voulut se charger de son éducation, l'aida à vaincre les
résistances de sa famille et calma toutes les inquiétudes en disant à son
protégé: Soyez tranquille, mon ami, je suis prêt à faire tous les sacrifices.
Soit par le malheur des temps, dans lesquels s'écoula sa jeunesse, soit aussi
par les desseins de ses parents sur sa carrière et son avenir, le jeune Vianney
ne savait encore rien. Cette considération ne découragea point son maître. Se
trouvant lui-même si dénué des facultés sans lesquelles il ne pouvait espérer
arriver au sacerdoce, il songea à recourir aux moyens surnaturels pour
triompher des obstacles qui entravaient la marche de ses études. Ne pouvant
rien loger dans ma mauvaise tête, je fis voeu dans ce temps-là, m'a-t-il dit,
d'aller à pied et en demandant l'aumône au tombeau de St François Régis. Je
n'ai mendié que cette fois dans ma vie; je m'en suis mal trouvé. C'est là que
j'ai connu qu'il valait mieux donner que demander. On me prenait pour un voleur
et on me disait des injures; on ne voulait me donner ni pain ni abri. Un des
pères de la Louvesc m'a fait changer mon voeu pour que je ne fusse pas obligé
de tendre la main en revenant. 1067 J'ai déjà raconté comment il fut obligé
d'interrompre ses études par la conscription militaire. J'ai pareillement fait
connaître les faits qui se sont passés jusqu'à son ordination à la prêtrise.
J'ajoute simplement que ce sont les signes extraordinaires de foi et de piété
qu'il donna à cette époque qui engagèrent ses supérieurs à l'admettre aux
saints ordres, malgré le peu de succès de ses études théologiques.
On
assure que lorsque Mr Vianney vint prendre possession de la paroisse d'Ars, il
se mit à genoux en apercevant les toits des maisons. Mr l'abbé Renard, témoin
de la première impression produite dans sa paroisse natale par l'arrivée du
nouveau curé, m'a dit souvent que ce qui édifia le plus la population, ce fut
la vivacité de sa foi, sa piété au saint autel et son profond recueillement
dans la prière. A peine l'eut-on vu célébrer la messe, que ce fut un concert
universel. Avez-vous remarqué notre nouveau curé? Ce n'est pas un homme comme
un autre: on nous a envoyé un saint. Mr Renard ajoutait: Sa piété était
affectueuse et tendre; elle ne présentait rien de bizarre et de singulier; elle
avait une douceur et une suavité angélique. Elle découlait de son coeur comme
l'eau d'une source abondante. Il m'était impossible de contenir mes larmes,
quand de longs soupirs s'échappaient de sa poitrine épuisée par le jeûne et
surtout quand ses regards s'élevaient affectueusement vers le Ciel. Je
rougissais d'être si froid, si imparfait; je n'avais plus qu'une envie, celle
d'imiter sa ferveur.
Rien
n'échappait aux regards des paroissiens et chaque jour leur apportait un
nouveau sujet d'édification. Catherine Lassagne nous a raconté que plusieurs
lui avaient dit dans ce temps-là: Que nous aimons à voir Mr le Curé à l'église,
surtout le matin, avant le jour, quand il dit ses prières... 1068 Avant de
commencer, et de temps en temps pendant la récitation de l'office, il regarde
le tabernacle avec un sourire qui fait plaisir. Je l'ai remarqué souvent
moi-même: on aurait dit qu'il voyait Notre-Seigneur. Je n'oublierai jamais ce
regard brillant qui se fixait à chaque instant sur la porte du tabernacle, avec
une impression de bonheur impossible à rendre. Il se baignait, suivant
son expression, dans les flammes de l'amour. Dès son arrivée à Ars, Mr Vianney
choisit l'église pour sa demeure. Les habitants d'Ars disent qu'il y entrait
avant le jour et qu'il n'en sortait pas toujours à la nuit. Il se proposait,
dans ses longues prières, d'obtenir de la miséricorde divine la réforme de sa
paroisse, le salut des âmes qui lui avaient été confiées. Il comptait beaucoup
sur l'efficacité de la prière.
Je
tiens de Mr Vianney lui-même qu'il donna dès le commencement une grande partie
de son temps à la prédication; il la considérait, par suite de sa grande foi,
comme un puissant moyen de salut et comme un de ses plus importants devoirs.
Ces vues de foi lui faisaient aimer l'exercice de la parole de Dieu, malgré les
grandes difficultés naturelles qu'il avait à y réussir. C'est pourquoi il
consacrait à s'y préparer par un travail opiniâtre le temps que les exercices
spirituels ne remplissaient pas. Rien ne lui coûtait pour se mettre en état de
l'annoncer à son peuple avec toute la force dont il était capable. Il se
renfermait des journées entières, et quelquefois des nuits, dans la sacristie
de l'église, pour composer ses prônes et ses homélies, et lorsqu'il les avait
écrites, il les récitait à haute voix comme s'il eût été en chaire. Des
manuscrits considérables que l'on a connus témoignent de son ardeur infatigable
dans ce travail.
1069 Le Curé d'Ars, connaissant les richesses que notre Seigneur nous a
préparées dans le Saint Sacrement, engagea plusieurs personnes à venir passer
devant le tabernacle le plus de temps qu'elles pourraient. Grâce à ses
exhortations, l'église d'Ars vit presque à toute heure du jour notre Seigneur
entouré de fidèles adorateurs.
1071 Session 119 - 19 Octobre 1863 à 3h de l'après-midi
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Mr
Renard et plusieurs autres témoins oculaires m'ont dit que, non content
d'amener ses paroissiens à fréquenter les offices le Dimanche, il en avait
habitué un grand nombre à assister à la messe dans la semaine. 1072 La journée
commencée par l'offrande du saint sacrifice se terminait régulièrement par la récitation
du chapelet et la prière du soir en commun. Mr Vianney ne manqua jamais de
présider cet exercice. De jour en jour, il eut la consolation de voir se
grossir ce troupeau fidèle. Des personnes étrangères commencèrent à venir
s'établir à Ars. Il semblait qu'une influence secrète attirât les âmes vers lui
et leur désignât, pour y adorer Dieu, l'église que ce bon prêtre remplissait du
parfum de ses prières.
Mr
Vianney croyait que la divine Eucharistie était le fondement de la vie
chrétienne et la source des vertus surnaturelles; il gémissait de voir que la
sainte table n'était pas entourée à Ars comme à Ecully. Il ne négligea rien
pour amener ses paroissiens à un usage plus fréquent des sacrements. Ah! si je
pouvais, disait-il, voir une fois Notre Divin Sauveur connu et aimé; si je
pouvais tous les jours distribuer son très saint corps à un grand nombre de
fidèles, que je serais heureux! - Venez à la communion, disait-il encore; venez
à Jésus, venez vivre de lui, afin de vivre pour lui. Ne dites pas que vous n'en
êtes pas dignes: c'est vrai, vous n'en êtes pas dignes, mais vous en avez
besoin. Si Notre Seigneur avait eu en vue notre dignité, il n'aurait jamais
institué son beau sacrement d'amour; car personne au monde n'en est digne; mais
il a eu en vue nos besoins, et nous en avons tous besoin. Tous les êtres de la
création ont besoin de se nourrir pour vivre; c'est pour cela que le bon Dieu a
fait croître les arbres et les plantes: c'est une table bien servie, où tous
les animaux viennent prendre chacun la nourriture qui lui convient. Mais il
faut aussi que l'âme se nourrisse. Lorsque Dieu voulut donner à l'âme sa
nourriture pour la soutenir dans son pèlerinage, il promena ses regards sur la
création et ne trouva rien qui fût digne d'elle. Alors il résolut de se donner.
Oh! mon âme, que tu es grande, puisqu'il n'y a que Dieu qui puisse te
contenter! 1073 La nourriture de l'âme, c'est le corps et le sang d'un Dieu. Il
y a de quoi, si l'on y pensait, se perdre pour l’éternité dans cet abîme
d'amour. Il y a dans toutes les maisons un endroit où l'on conserve les
provisions de la famille: c'est l'office. L'église est la maison des âmes; dans
cette maison, il y a un office. Voyez-vous le tabernacle? Si l'on demandait aux
âmes des chrétiens: Qu'est-ce que cela? Nos âmes répondraient: C'est l'office.
Quand on a communié, l'âme se roule dans l'amour comme l'abeille dans les
fleurs. Dans le ciel, les âmes pures, qui ont eu le bonheur de s'unir à Notre
Seigneur par la communion, brilleront comme de beaux diamants, parce que Dieu
se verra en elles. Au jour du jugement, on verra briller la chair de Notre
Seigneur à travers le corps glorifié de ceux qui l'auront reçu dignement sur la
terre, comme l'on voit briller de l'or dans le cuivre et de l'argent dans le
plomb. Quand nous venons de communier, si quelqu'un nous disait:
Qu'emportez-vous dans votre maison? Nous pourrions répondre: J'emporte le Ciel.
En sortant de la table sainte, nous sommes aussi heureux que les mages s'ils
avaient pu emporter l'Enfant-Jésus. Quand on fait la sainte communion, on sent
un bien-être qui parcourt tout le corps: c'est Notre Seigneur qui se communique
à toutes les parties de nous-mêmes et les fait tressaillir: nous sommes obligés
de dire, comme St Jean: C'est le Seigneur! Je n'aime pas, quand on vient de la
sainte table, qu'on se mette tout de suite à lire. Oh! non, à quoi bon la
parole des hommes, quand c'est Dieu qui parle? Il faut faire comme quelqu'un
qui est bien curieux et qui écoute aux portes; il faut écouter tout ce que
Notre Seigneur dit à la porte de notre coeur. Quand nous avons le bon Dieu dans
notre coeur, il doit être bien brûlant. Le coeur des disciples d'Emmaüs brûlait
rien qu'à l'entendre. Sans la divine eucharistie, il n'y aurait point de
bonheur dans ce monde; la vie ne serait pas supportable. Notre Seigneur a dit:
Tout ce que vous demanderez à mon Père en mon nom, il vous l'accordera. 1074
Jamais nous n'aurions pensé à demander à Dieu son propre fils. Mais ce que
l'homme n'aurait pu imaginer, Dieu l'a fait. Ce que l'homme ne peut pas dire ou
ne pas concevoir, et qu'il n'eût jamais osé désirer, Dieu, dans son amour l'a
dit, l'a conçu et l'a exécuté. Eussions-nous jamais osé dire à Dieu de faire
mourir son fils pour nous, de nous donner sa chair à manger et son sang à
boire? Si tout cela n'était pas vrai, l'homme aurait donc pu imaginer des
choses que Dieu ne peut pas faire; il serait allé plus loin que Dieu dans les
inventions de l'amour; cela n'est pas possible.
Ces
paroles, et beaucoup d'autres, que je pourrais citer pour les avoir entendues,
et dans lesquelles éclate la vivacité de sa foi, devaient entraîner tous les
coeurs. Aussi la consolation qu'il désirait lui fut bientôt donnée. Le nombre
des personnes admises à la communion fréquente augmenta de jour en jour.
L'église d'Ars présenta dès lors le spectacle édifiant qui saisit encore si
vivement les pèlerins, celui de voir presque toutes les personnes qui assistent
à la messe s'approcher de la sainte Table.
Je
sais de témoins dignes de foi que Mr Vianney trouva à son arrivée deux cabarets
établis dans sa paroisse. Il travailla aussitôt à les supprimer, et s'arma pour
cela de tout son zèle dirigé par la prudence. Sans mêler à ses remontrances des
plaintes amères ou des attaques trop directes (je ne me suis jamais fâché, m'a-t-il
dit, contre mes paroissiens), il ne laissa échapper aucune occasion d'exprimer
son sentiment sur les cabarets. Un de ces établissements tomba; l'autre, qui
essaya de lutter contre le zèle du Serviteur de Dieu, vit sa vogue diminuer; il
ne tarda pas à être fermé. Pour donner une idée de l'ascendant qu'il avait su
prendre sur sa population, je puis citer une lettre du cabaretier, qui lui fut
adressée à Dardilly pendant les jours de repos qu'il y passa après sa maladie.
Cette lettre était ainsi conçue: Monsieur, je m'empresse de vous prier de ne
point nous abandonner. Vous savez que je l'ai toujours dit, je vous le répète
en ce moment du fond de mon coeur: 1075 S'il y a quelque chose dans ma maison
qui ne vous convienne pas, je me soumets entièrement à votre volonté. Cette
lettre, je l'ai eue entre mes mains. Dès que le pèlerinage commença, le curé
d'Ars permit d'établir des hôtels modestes pour loger et nourrir les pèlerins.
Fermés régulièrement les dimanches et fêtes pendant les offices divins, ils ne
s'ouvraient que pour le repas des étrangers; les gens de l'endroit ne s'y
réunissaient pas. Ars prit alors cette physionomie grave et religieuse qui ne
ressemble à rien de ce que l'on voit ailleurs. Il n'y avait de mouvements de
foule qu'autour de l'église; on n'a pas d'exemple que le repos des habitants
ait été troublé par ces cris et ces scènes tumultueuses qui sont ailleurs le
résultat de la fréquentation des cabarets.
J'ai
appris des mêmes personnes que le Serviteur de Dieu vint à bout par ses
exhortations pressantes en chaire et par ses conseils à domicile, de faire
cesser entièrement le travail du dimanche. Vous travaillez, disait-il, mais ce
que vous gagnez ruine votre âme et votre corps. Si on demandait à ceux qui
travaillent le Dimanche: Que venez-vous de faire? Ils pourraient répondre: Je
viens de vendre mon âme au démon; il faudra pleurer toute une éternité pour
rien. Quand j'en vois qui charrient le Dimanche, je pense qu'ils charrient leur
âme en enfer. Le bien volé ne profite jamais; le jour que vous volez au
Seigneur ne vous profitera pas non plus. Je connais deux bons moyens de devenir
pauvre: c'est de travailler le dimanche, et de prendre le bien d'autrui.
C'était là une des sentences favorites du Serviteur de Dieu. Ces considérations
et d'autres semblables revenaient continuellement dans les discours du Curé
d'Ars. 1076 Ne vous défiez pas de la Providence du bon Dieu, disait-il encore;
elle a fait croître votre récolte; elle vous donnera bien le temps de la
ramasser. Appuyé sur cette maxime, il ne dérogeait à la sévérité, qui lui
faisait proscrire le travail du dimanche, que dans des cas très rares. De temps
avait beau être menaçant, on était habitué à croire sur sa parole que les
récoltes ne couraient aucun risque. Je me trouvais à Ars au temps de la
fenaison, m'a raconté Mr Renard; la semaine avait été pluvieuse; le fourrage
n'avait pu être rentré le samedi, parce qu'il n'était pas sec. Le dimanche,
bien que la journée fût belle, on ne vit pas un faneur dans les champs. Je
rencontrais un brave homme, auquel je me permis de lui dire pour l'éprouver:
Mais, mon ami, votre récolte va se gâter. - Je ne crains rien, répondit-il:
Dieu, qui me l'a donnée, est assez bon pour me la conserver. Notre saint curé
ne veut pas que nous travaillions le dimanche; nous devons lui obéir. Dieu
bénit, comme toujours, cette obéissance; les habitants d'Ars qui vivent du
produit de leurs champs voient augmenter assez rapidement leur aisance. Les
marchands eux-mêmes ferment leurs boutiques. Mr le Curé aurait voulu que le service
des omnibus fût suspendu; les pèlerins, connaissant sa manière de voir,
évitaient d'arriver et surtout de repartir le dimanche. Tout le temps qu'il
vécut, les conducteurs d'omnibus changeaient leur itinéraire, et au lieu de
descendre sur la place, ils s'arrêtaient à l'entrée du village.
1079 Session 120 - 20 Octobre 1863 à 9h du matin
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je
sais par le témoignage de Mr l'abbé Renard et des habitants d'Ars que lorsque
Mr Vianney vint prendre possession de sa paroisse, la jeunesse du pays était
très ardente au plaisir. 1080 La danse surtout faisait le passe-temps favori
des veillées d'hiver, du dimanche et des fêtes. Le Serviteur de Dieu y voyait
le principal obstacle à ses projets de réformation. Il ne cessa de prier,
d'exhorter avec la plus grande force ses paroissiens, épanchant surtout au
confessionnal l'amertume de son âme, s'adressant tour à tour aux filles et aux
mères. Celui qui voudra s'amuser avec le Diable, ne pourra pas se réjouir avec
Jésus-Christ, disait-il. Si vous ne voulez que vous amuser en ce monde, alors,
n'offensez pas le bon Dieu. Mais ce sont justement ceux qui ont le moins peur
de l'offenser qui ont toujours les plaisirs en tête. On ne peut cependant pas
offrir une danse en expiation des fautes de sa pauvre vie. Les personnes qui
entrent dans un bal laissent leur ange gardien à la porte et c'est un démon qui
le remplace, en sorte qu'il y a bientôt dans la salle autant de démons que de
danseurs. C'est par ces paroles et d'autres semblables qu'il sut détourner les
fidèles de la danse.
La
fête patronale amenait beaucoup de dissipation dans le pays. Le Serviteur de
Dieu était résolu d'en finir avec un scandale qui désolait son âme. Il
s'entendit avec le maire, et lorsque les jeunes gens vinrent demander à
celui-ci l'autorisation de tenir le bal comme les années précédentes, ce bon
magistrat, plein d'estime et de vénération pour son curé, leur dit: Mes amis,
j'ai promis à notre saint Curé de m'opposer à la danse; je tiendrai parole.
Faites comme moi, suivez ses conseils. Les jeunes gens partirent pour Trévoux
et en revinrent avec une permission du Sous-préfet. Le Sous-préfet est mon
chef, répondit le maire, je ne puis défendre ce qu'il autorise. Mais la police de
la commune me regarde; s'il y a du bruit, je serai là. Le dimanche de la fête,
toutes les jeunes filles manquèrent à la danse et restèrent en prière à
l'église. 1081 Le maire vint à la nuit tombante disperser les attroupements qui
s'étaient formés sur la place. En même temps, l'église se remplissait pour la
prière. Elle fut comble ce soir-là. Je sais que Mr Vianney tint à ses ouailles
un discours très touchant, qui fit verser bien des larmes. Depuis ce jour, en
dépit de quelques tentatives, la fête du patron devint une fête purement
religieuse. Je tiens ces détails de plusieurs habitants de l'endroit et
notamment de Mr l'abbé Renard.
J'ai
appris de Mr Renard et de Catherine Lassagne que le Serviteur de Dieu sentait
son zèle à l'étroit dans cette paroisse de quelques centaines d'habitants. Il
se sentait pressé de faire du bien partout et à tous. C'était à lui toujours,
en cas d'absence, que ses voisins avaient recours. Il les remplaçait quand ils
étaient infirmes ou malades: ce qui arriva souvent pour les paroisses de
Mizérieux et d'Ambérieux en Dombes. Si une cure des environs devenait vacante,
il se chargeait de l'intérim. C'est ainsi qu'on l'a vu desservir Savigneux,
Rancé, St Jean de Thurigneux, etc. Souvent on venait le chercher au milieu de
la nuit pour confesser les malades. Il partait aussitôt, quelque temps qu'il
fît. Une fois, il était si malade lui-même,
qu'en arrivant il fut obligé de s'étendre sur un lit. C'est dans cette posture
qu'il se vit forcé d'entendre la confession du moribond.
Les
premiers jours de mil huit cent vingt trois ouvrirent à son activité un nouveau
champ fertile en fruits de salut. Il fut appelé à prendre part aux travaux de
la grande mission de Trévoux. Il partait les dimanches soir, faisant neuf
kilomètres à pied par un temps très rigoureux, et le samedi soir le trouvait à
son poste de curé, passant la nuit à entendre les confessions de ses
paroissiens. Le chef de cette mission, l'abbé Ballet, qui vient de mourir, m'a
raconté que durant cinq semaines, le Serviteur de Dieu fut écrasé sous le poids
du travail. 1082 La chapelle où il confessait ne désemplissait pas. La presse
était si grande qu'un jour elle emporta son confessionnal. Ces marques de
confiance lui vinrent surtout de la classe éclairée. Les magistrats du
tribunal, les fonctionnaires, les hommes de loi s'adressèrent presque tous à
lui. Le Sous-Préfet n'en parlait qu'avec admiration, et quoiqu'il se louât de
la sagesse et de la douce fermeté de ses conseils, il constatait avec un
sentiment de tristesse soumise et résignée que le Curé d'Ars avait été
impitoyable pour les soirées et les bals de la sous-préfecture.
Les
heureux fruits de la mission de Trévoux rendirent le nom de Mr Vianney célèbre
dans tout le voisinage. Ce fut à qui l'aurait. Le jubilé de mil huit cent vingt
six vint procurer à un grand nombre les avantages de cette coopération. Le
Serviteur de Dieu fut appelé tour à tour à Montmerle, à Chaneins, à St Trivier
et à Saint Bernard. Dans cette dernière paroisse, il était seul et il suffit à
tout: le village changea de face. Au premier coup de cloche, les paysans
quittaient leurs travaux; on ne voyait plus personne dans les champs. Les
domestiques tourmentaient leurs maîtres pour qu'ils leur permissent d'aller
entendre le Curé d'Ars: Nous aimons mieux que vous reteniez sur nos gages
l'équivalent du temps que nous passons à l'église. - J'ai un bon ouvrier,
disait de son côté le curé de St Bernard, il travaille beaucoup et ne mange rien.
Je tiens ces détails de Catherine Lassagne et de l'abbé Renard.
Le Serviteur de Dieu m'a raconté
que dans une circonstance solennelle, il fut invité à prêcher à Limas, près de
Villefranche. Il s'en défendit, mais le curé insista. Le jour venu, les travaux
continuels du confessionnal ne lui avaient pas laissé le temps de se préparer.
1083 Il vit une église comble et autour de la chaire un nombreux clergé et
l'élite de la société de Villefranche. Il se troubla, et crut que la parole
allait lui manquer. Néanmoins il parla de l'amour de Dieu avec des accents tels
qu'il fit fondre en larmes l'auditoire.
1085 Session 121 - 20 Octobre 1863 à 3h de l'après-midi
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je
sais par le témoignage des habitants d'Ars que lorsque le Serviteur de Dieu
arriva, il trouva sa petite église bien pauvre et bien nue; son coeur souffrit
de ce dénûment. Il consentait bien pour sa part à être pauvre, mais sa foi lui
faisait désirer pour Notre Seigneur le luxe et l'éclat des ornements sacrés.
1086 Il avait la passion du beau dans les choses qui tenaient au culte divin.
J’aime bien, disait-il, augmenter le ménage du bon Dieu. Comment ne pas donner
à Notre Seigneur, qui a donné tout son sang pour nous sur la croix, qui se
donne à nous tout entier dans la sainte Eucharistie?
Il
conçut dès le commencement un plan de restauration pour son église. Il commença
par le maître autel, qu'il fit faire à ses frais. Ce fut une grande joie pour
lui d'aider les ouvriers à le placer.
Cette première réparation en
demandait une autre. Les boiseries de l'église contrastaient par leur
délabrement avec le nouvel autel. On vit pendant plusieurs mois le Serviteur de
Dieu, le pinceau à la main, essayer de leur redonner un peu de fraîcheur. Ces
travaux occupaient l'activité naturelle de Mr Vianney et le sauvaient de
l'inertie dont il redoutait les dangers pour son âme. L'air mou de ce pays
m'inquiète, disait-il: j'ai peur de me damner en ne travaillant pas assez. Le
Serviteur de Dieu agrandit successivement son église en y ouvrant quatre
chapelles. Il dédia la première à St Jean Baptiste son patron, et reçut à cette
occasion le premier don important qui lui fut fait. La seconde fut érigée en
l'honneur de Ste Philomène. La troisième en l'honneur de Jésus souffrant, et la
quatrième en l'honneur des Saints Anges.
Je
sais par les habitants du château d'Ars qu'en apprenant tout ce que le
Serviteur de Dieu avait fait en vue de relever le culte divin, le vicomte d'Ars
envoya de Paris, pour l’ornement du nouvel autel, six chandeliers, deux grands
reliquaires et un tabernacle en cuivre doré d'un beau travail, un dais
somptueux, de riches bannières, de superbes chasubles et un grand ostensoir en
vermeil. A l'aspect de toutes ces magnificences, le Serviteur de Dieu fit
éclater sa joie de mille manières. 1087 "Vous avez perdu, écrivait-on du
château d'Ars, à ne pas être présent à l'ouverture des caisses contenant les
dernières générosités du vicomte; vous auriez joui de la joie vive, et pour
ainsi dire enfantine, du saint curé. On n'a pas l'idée de ses transports à
chaque nouvelle découverte. C'était sur la place; il appelait ses bonnes
vieilles paroissiennes, et disait à l'une d'elles: Mère, venez donc voir une
belle chose avant de mourir. - "
Entre
toutes les solennités de l'année, celle du Saint Sacrement était la plus chère
à son coeur. Dès l'année qui suivit son installation, il voulut la célébrer
avec toute la pompe possible. Il fit des frais considérables pour habiller de
blanc les enfants de sa paroisse: Allons, disait-il en les revêtant lui-même de
leur tunique, vous penserez que vous êtes devant le bon Dieu, et que vous tenez
la place des anges. Vous lui direz du fond du coeur: Mon Dieu je vous aime.
Pour plaire à Notre Seigneur, il faut que votre âme soit blanche, comme les
habits que vous allez prendre. Les processions eurent toujours à Ars un grand
éclat, qui y attirait un grand nombre d'étrangers. Chaque année, l'esprit du
curé d'Ars se mettait en frais pour y ajouter une pompe nouvelle. Il
travaillait aux reposoirs; il encourageait les personnes qui les préparaient.
Dans le temps même que la foule le clouait jour et nuit au confessionnal, il
trouva toujours un moment pour en faire la visite. Il y prenait un vif plaisir;
c'était la seule récréation qu'il se donnât. J'ai eu le bonheur de
l'accompagner deux fois dans cette visite et de porter avec lui le Saint
Sacrement à la procession. La joie de son âme éclatait sur son visage; je lui
ai vu verser des larmes; ses lèvres murmuraient continuellement des prières et
le bonheur l'empêchait de ressentir les fatigues d'un trajet de plus de deux
heures sous un soleil ardent. 1088 Je l'ai vu, à soixante douze ans, sous le
poids d'un ostensoir très lourd, gravir avec l'agilité d'un jeune homme les degrés
rapides d'un reposoir monumental qu'on élevait chaque année dans le parc du
château. Ses pieds semblaient ne pas toucher le sol. Au retour de cette
procession, je voulais qu'il se reposât et prît des rafraîchissements. Il
refusa, disant: Je ne suis pas fatigué, je portais celui qui me porte.
Catherine Lassagne m'a dit que lorsque Mr le Curé annonçait la procession de la
Fête-Dieu et les bénédictions de l'octave, il semblait que son coeur nageait
dans l'amour: Si nous voulions, disait-il, nous obtiendrions tout cette
semaine; deux fois par jour, le bon Dieu va nous bénir.
J'ai
vu très souvent Mr Vianney à l'autel et je partage l'opinion de ceux qui
croyaient que le Serviteur de Dieu voyait Notre Seigneur. Il n'était pas
possible de contempler une figure exprimant mieux l'adoration; le coeur, l'âme
et les sens semblaient également absorbés. On ne pouvait saisir une seconde de
distraction dans sa prière. Au milieu de la foule et sous l'influence de tant
de regards attachés sur lui avec une persistance indiscrète, il communiquait
avec Notre Seigneur aussi librement que s'il avait été dans la solitude la plus
profonde. Les larmes étouffaient sa voix, qui arrivait à peine, et brisée, à
l'oreille des assistants. Mr Vianney n'était ni trop long, ni trop prompt au
saint autel, consultant plutôt l'utilité de tous que son attrait particulier.
Le moment de la communion était le seul où il fût plus long que les autres
prêtres. Les prières liturgiques terminées, il y avait un colloque mystérieux,
qui se trahissait au dehors, entre Notre Seigneur et son Serviteur. Après un
instant d'ardente contemplation, il consommait les saintes espèces et
continuait le saint sacrifice.
1089 Rien ne peut donner une idée de la dévotion que le Curé d'Ars
avait à l'adorable eucharistie; il l'appelait des noms les plus suaves et les
plus tendres; il inventait des expressions pour en parler plus dignement; il
appelait la sainte communion un bain d'amour; il y revenait sans cesse dans ses
catéchismes. Alors son coeur se fondait, son front devenait radieux, ses yeux
lançaient des éclairs, toute son âme se répandait sur ses traits. Oh! mes
enfants, s'écriait-il, que fait Notre Seigneur dans le sacrement de son amour?
Il a pris son bon coeur pour nous aimer. Il sort de ce coeur une transpiration
de tendresse et de miséricorde pour noyer les péchés du monde. Il répétait
souvent: Que nos yeux sont heureux de contempler le bon Dieu! Et il disait ces
mots avec un accent si profond et une figure si rayonnante qu'on pouvait croire
qu'il jouissait de la vue de Notre Seigneur. J'ai vu et entendu ce qui précède
par moi-même ...
Un
témoin oculaire m'a dit que lorsque Mr Vianney prêchait du pied de l'autel, il
était tellement impressionné par la présence réelle et immédiate de Notre
Seigneur, qu'il en perdait presque la parole. Son embarras était visible, et
quelqu'effort qu'il fît pour parler d'autre chose, il en revenait toujours à ce
grand objet.
Je
l'ai vu souvent pleurer en donnant la sainte communion. Deux fois, je me suis
adressé à lui pour la confession. Chacune de mes accusations provoquait de sa
part des larmes et ce cri de foi, de commisération, d'horreur des moindres
fautes: Que c'est dommage! Sa parole m'a surtout frappé par l'accent de
tendresse dont elle était tout imprégnée. Ce simple mot "Que c'est
dommage!", dans sa brièveté, révélait le tort qu'on avait fait à son âme.
J'ai
entendu le Serviteur de Dieu revenir fréquemment dans ses catéchismes sur
l'éminente dignité du prêtre et les bienfaits du sacrement de l'ordre. 1090 Le
prêtre ne se comprendra bien que dans le ciel, disait-il; si on le comprenait
bien sur la terre, on mourrait, non de frayeur, mais d'amour. Le sacerdoce,
c'est l'amour du coeur de Jésus. Quand vous voyez le prêtre, pensez à notre
Seigneur. Après Dieu, le prêtre est tout. Laissez une paroisse vingt ans sans
prêtre, on y adorera les bêtes. Si nous n'avions pas le sacrement de l'ordre,
nous n'aurions pas Notre Seigneur. Les autres bienfaits de Dieu ne serviraient
de rien sans le prêtre. Vous ne pouvez pas vous rappeler un seul de ces
bienfaits, sans rencontrer à côté de ce souvenir l'image du prêtre. (Et il
énumérait ici les diverses fonctions du prêtre et les grâces qui en découlent
pour les fidèles.) Il ajoutait: Allez vous confesser à la Ste Vierge ou à un
ange; vous absoudront-ils? Non. Vous donneront-ils le corps et le sang de Notre
Seigneur? Non. La Sainte Vierge ne peut pas faire descendre son divin Fils dans
l’hostie. Vous auriez deux cents anges là, qu'ils ne pourraient vous absoudre.
Un prêtre, tant simple soit-il, le peut; il peut vous dire: "Allez en
paix; je vous pardonne." Oh! que le prêtre est quelque chose de grand! A
quoi servirait une maison remplie d'or, si vous n'aviez personne pour vous en
ouvrir la porte? Le prêtre a la clef des trésors célestes: c'est lui qui ouvre
la porte; il est l'économe du bon Dieu, l'administrateur de ses biens.
1093 Session 122 - 21 Octobre 1863 à 9h du matin
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'atteste
qu'il m'est arrivé souvent, comme à toutes les personnes qui ont entendu le
Serviteur de Dieu discourir des choses de la foi, de sortir de cet entretien
convaincu que le Curé d'Ars voyait les choses dont il venait de parler. Son
union avec Dieu lui avait rendu ces vérités pour ainsi dire palpables. 1094 A
mesure qu'il parlait, ses auditeurs semblaient mieux comprendre les grands
mystères de la religion, qui leur apparaissaient sous un jour nouveau.
Un
jour que le Serviteur de Dieu venait de présider au renouvellement des voeux
que les soeurs de Saint Joseph font chaque année, il sortit de la cérémonie le
coeur plein d'une joie qu'il ne pouvait contenir. Oh! que la religion est
belle, s'écriait-il! Je pensais tout à l'heure que c'était entre Notre Seigneur
et ces bonnes religieuses qui sont ses épouses, un assaut de générosité, à qui
donnerait le plus, mais c'est toujours Notre Seigneur qui l'emporte. Les
religieuses donnent leur coeur, lui donne son coeur et son corps. Pendant que
les soeurs disaient: Je renouvelle mes voeux de pauvreté, de chasteté et
d'obéissance, je leur disais en leur présentant l'hostie: Que le corps de Notre
Seigneur garde votre âme pour la vie éternelle. Il prenait de là occasion de
s'étendre sur son sujet bien-aimé. Si l'on pouvait comprendre, ajoutait-il,
tous les biens renfermés dans la sainte communion, il n'en faudrait pas
davantage pour contenter le coeur de l'homme. L'avare ne courrait plus après
ses trésors, l'ambitieux après la gloire; chacun quitterait la terre et
s'envolerait vers les cieux. Quel honneur Dieu fait à sa créature! Il se repose
sur sa langue, passe par son palais comme par un petit chemin et s'arrête sur
son coeur comme sur un trône. Oh! mon Dieu! mon Dieu, il y en a qui ont su
apprécier cet honneur (et il citait des exemples en s'attendrissant et en
essuyant ses larmes.)
Il
parlait continuellement des douceurs de la vie intérieure. Je l'ai entendu
s'écrier souvent: Être uni à Dieu, être aimé de Dieu, vivre en présence de
Dieu, vivre pour Dieu: oh! belle vie, et belle mort! Tout sous les yeux de
Dieu, tout avec Dieu, tout pour plaire à Dieu... 1095 Oh! que c'est beau! Être
roi, disait-il encore, triste place; on est roi pour les hommes! Mais être à
Dieu, être à Dieu tout entier, sans partage, le corps à Dieu, l'âme à Dieu! Un
corps chaste, une âme pure! Il n'y a rien de si beau! Et ses larmes
l'interrompaient.
La
vie intérieure est un bain d'amour dans lequel l'âme se plonge; elle est comme
noyée dans l'amour. Dieu tient l'homme intérieur, comme une mère tient la tête
de son enfant dans ses mains pour le couvrir de baisers et de caresses. Nous
sommes beaucoup et nous ne sommes rien; il n'y a rien de plus grand que l'homme
et il n'y a rien de plus petit. Rien de plus grand quand on regarde son âme,
rien de plus petit quand on regarde son corps. On s'occupe de son corps, comme
si on n'avait que cela à soigner, et on n'a au contraire que cela à mépriser.
Dans le monde, on cache le Ciel et l'enfer, le Ciel parce que si on en
connaissait la beauté, on voudrait y aller à tout prix; l'enfer, parce que si
on connaissait les tourments qu'on y endure, on ferait tout pour ne pas y
aller. Il y en a qui perdent la foi et ne voient l'enfer qu'en y entrant. Les
damnés seront enveloppés dans la colère de Dieu, comme le poisson dans l'eau.
Si un damné pouvait dire une seule fois: "Mon Dieu, je vous aime!",
il n'y aurait plus d'enfer pour lui... Mais hélas! cette pauvre âme! Elle a
perdu le pouvoir d'aimer qu'elle avait reçu, et dont elle n'a pas su se servir.
Son coeur est desséché comme la grappe quand elle a passé sous le pressoir.
Plus de bonheur dans cette âme, plus de paix, parce qu'il n'y a plus d'amour.
L'enfer prend sa source dans la bonté de Dieu. Les damnés diront: Oh! si du
moins Dieu ne nous avait pas tant aimés, nous souffririons moins! L'enfer
serait supportable!... Mais avoir tant été aimés! Quelle douleur!
En
mourant, nous faisons une restitution; nous rendons à la terre ce qu'elle nous
a donné. 1096 Une petite pincée de poussière, grosse comme une noix, voilà ce
que nous deviendrons. Il y a bien de quoi être fier. En disant ces paroles et
beaucoup d'autres que je pourrais citer, le Serviteur de Dieu semblait n'être
déjà plus sur la terre. J'ai remarqué que la vivacité de sa foi, pour mieux
rendre ce qu'il sentait, lui faisait trouver les plus ingénieuses comparaisons.
Voulant peindre le bonheur d'une âme en état de grâce, il disait par exemple:
Une âme pure est comme une belle perle. Tant qu'elle est cachée dans un
coquillage, au fond de la mer, personne ne songe à l'admirer. Mais si vous la
montrez au soleil, cette perle brille et attire les regards. C'est ainsi que
l'âme pure, qui est cachée aux yeux du monde, brillera un jour devant les
anges, au soleil de l’éternité. Quand une âme est pure, tout le ciel la regarde
avec amour. L'âme pure est une belle rose, et les trois Personnes divines
descendent du ciel pour en respirer le parfum. Le St Esprit repose dans une âme
pure comme sur un lit de roses! L'image de Dieu se réfléchit dans une âme pure
comme le soleil dans l'eau. Une âme pure est auprès de Dieu comme un enfant
auprès de sa mère. Quand on a conservé son innocence, on se sent porté en haut
par l'amour, comme un oiseau est porté par ses ailes. Ceux qui ont l'âme pure
sont comme ces oiseaux qui ont de grandes ailes et de petites pattes, et qui ne
se posent jamais par terre, parce qu'ils ne pourraient plus s'élever, et qu'ils
seraient pris. Aussi, ils font leurs nids sur la pointe des rochers, sous le
toit des maisons, dans les lieux élevés. De même le chrétien doit toujours être
sur les hauteurs. Dès que nous rabaissons nos pensées vers la terre, nous
sommes pris.
Je
l'ai souvent entendu, et toujours avec une grande admiration, parler du Saint
Esprit et de ses opérations dans l'âme. L'homme n'est rien par lui-même,
disait-il, mais il est beaucoup avec l'Esprit Saint. Il n'y a que l'Esprit
Saint qui puisse élever son âme, et le porter en haut. Pourquoi les saints
étaient-ils si détachés de la terre? Parce qu'ils se laissaient conduire par le
Saint Esprit. 1097 Ceux qui sont conduits par le Saint Esprit ont des idées
justes. Voilà pourquoi il y a tant d'ignorants, qui en savent plus long que les
savants. Quand on est conduit par un Dieu de force et de lumière, on ne peut
pas se tromper. Comme ces lunettes qui grossissent les objets, le Saint Esprit
nous fait voir le bien et le mal en grand. Avec le Saint Esprit, on voit tout
en grand: on voit la grandeur des moindres actions faites pour Dieu, et la
grandeur des moindres fautes. Un chrétien qui est conduit par l'Esprit Saint
n'a pas de peine à laisser les biens de ce monde pour courir après les biens du
Ciel. Il sait faire la différence. L'oeil du monde ne voit pas plus loin que la
vie, comme le mien ne voit pas plus loin que ce mur, quand la porte de l'église
est fermée. L'œil du chrétien voit jusqu'au fond de l’éternité. Pour l'homme
qui se laisse conduire par l'Esprit Saint, il semble qu'il n'y a point de
monde; pour le monde, il semble qu'il n'y a point de Dieu. Il s'agit donc de
savoir qui nous conduit. Si ce n'est pas le Saint Esprit, nous avons beau
faire, il n'y a point de substance, ni de saveur dans tout ce que nous faisons.
Si c'est le Saint Esprit, il y a une douceur moelleuse... C'est à mourir de
plaisir! Une âme qui a le St Esprit ne s'ennuie jamais en la présence de Dieu;
il sort de son coeur une transpiration d'amour. Sans le Saint Esprit, nous
sommes comme une pierre du chemin. Prenez dans une main une éponge imbibée
d'eau, et dans l'autre un petit caillou; pressez-les également. Il ne sortira
rien du caillou, et de l'éponge vous ferez sortir de l'eau en abondance.
L'éponge, c'est l'âme remplie du St Esprit, et le caillou, c'est le coeur froid
et dur où le St Esprit n'habite pas. 1098 Comme une belle colombe blanche qui
sort du milieu des eaux et vient secouer ses ailes sur la terre, l'Esprit Saint
sort de l'océan infini des perfections divines, et vient battre des ailes sur
les âmes pures pour distiller en elles le baume de l'amour.
Lorsque
le Serviteur de Dieu parlait de la prière, les images et les comparaisons
venaient en foule sur ses lèvres. La prière est une rosée embaumée, mais il
faut prier avec ferveur et avec un coeur pur pour sentir cette rosée. La prière
dégage notre âme de la matière; elle l'élève en haut, comme le feu qui gonfle
les ballons. Plus on prie, plus on veut prier. C'est comme un poisson, qui nage
à la surface de l'eau, qui plonge ensuite, et qui va toujours plus avant. Le
temps ne dure pas dans la prière. Je ne sais pas si l'on peut désirer le Ciel?
Oh! oui... le poisson qui nage dans un petit ruisseau se trouve bien, parce
qu'il est dans son élément; mais il est encore mieux dans la mer. Il y a deux
cris dans l'homme, le cri de l'ange et le cri de la bête. Le cri de l'ange,
c'est la prière; le cri de la bête, c'est le péché. Ceux qui ne prient pas se
courbent vers la terre comme une taupe, qui cherche à faire un trou pour s'y
cacher. Dans le Ciel, s'il y avait un jour sans adoration, ce ne serait plus le
ciel. Nous avons un petit coeur, mais la prière l'élargit et le rend capable
d'aimer Dieu.
Dans
les épreuves et les contradictions qu'il rencontra, il est à ma connaissance
que le Serviteur de Dieu ne s'est jamais appuyé que sur les pensées de la foi.
Il faut demander l'amour des croix, me dit-il un jour, alors elles deviennent douces.
J'en ai fait l'expérience pendant quatre ou cinq ans. J'ai été bien calomnié,
bien contredit. Oh! j'avais des croix! J'en avais presque plus que je n'en
pouvais porter. Je me mis à demander l'amour des croix; alors je fus heureux.
Je me dis: Vraiment il n'y a de bonheur que là.
1101 Session 123 -21 Octobre 1863 à 3h de l'après-midi
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai
eu, et à trois différentes époques, le bonheur de vivre dans l'intimité du
Serviteur de Dieu. J'ai reconnu, par tous les rapports que j'ai eus avec lui,
qu'il avait reçu le don de la foi dans une perfection éminente. 1102 Le Saint
Esprit répandait au centre de son âme une lumière si vive, qu'il percevait les
choses divines d'une vue simple, avec une certitude, un goût et une suavité,
qui lui causaient à chaque instant des ardeurs intérieures, des transports et
des larmes. La Foi du Curé d'Ars était le principal mobile de sa vie; c'était
toute sa science; elle lui expliquait tout et il expliquait tout par elle. Il
n'avait qu'une seule pensée: aimer et faire aimer Dieu. Sa foi étonnait tout le
monde. J'ai entendu un prêtre dire en sortant du catéchisme que venait de faire
Mr Vianney, s'écrier (sic): Quelle foi! Il y aurait de quoi en enrichir tout un
diocèse. Il y a de la sainteté dans le Curé d'Ars, disait-on devant un savant
professeur de philosophie; mais il n'y a que cela. - Il y a, répondit-il, de
grandes lumières; il en jaillit de ses entretiens sur toute espèce de sujets.
Oh! que l'on voit bien, que l'on voit beau, quand on voit par le St Esprit! A
quelle hauteur de sens et de raison la foi nous élève!
Je puis attester que c'est à
cette lumière de la foi que Mr Vianney considérait toute chose. Il trouvait
Dieu partout et il l'adorait dans toutes ses oeuvres.
Quoad
Spem, testis respondit:
Je
n'ai jamais vu le Serviteur de Dieu en proie au découragement. Il m'a dit
lui-même que dans le temps où il était en butte aux persécutions les plus vives
et les plus continuelles, s'attendant d'un jour à l'autre à être chassé de sa
paroisse à coups de bâton, interdit et condamné à finir ses jours en prison, il
ne perdit jamais courage. Quelque opposition qu'il trouvât dans
l'accomplissement de ses devoirs, il s'y porta toujours avec le même amour et
la même exactitude. 1103 Comme je m'étonnais qu'il eût pu, sous une menace
perpétuelle de changement, conserver ainsi toute l'énergie de son âme: C'est
vrai, me répondit-il, que j'espérais tous les jours que l'on viendrait me
chasser; mais en attendant je faisais comme si je n'avais jamais dû m'en aller.
La grande Espérance jointe à la grande Foi de Mr Vianney lui mettait dans la
bouche des paroles pleines de feu chaque fois qu'il avait à parler du péché et
de ses funestes conséquences. Le péché, disait-il, est le bourreau du bon Dieu
et l'assassin des âmes. C'est lui qui nous arrache du Ciel pour nous précipiter
en enfer. Et nous l'aimons!... Oh! mes frères, que nous sommes ingrats! Le bon
Dieu veut nous rendre heureux et nous ne le voulons pas! Nous nous détournons
de Lui, et nous nous donnons au démon! Nous fuyons notre ami et nous cherchons
notre bourreau! Voyez, mes frères, le bon chrétien parcourt le chemin de ce
monde monté sur un char de triomphe, assis sur un trône, et c'est Notre
Seigneur qui conduit la voiture. Mais le pécheur, il est lui-même attelé au
brancard: c'est le démon qui est dans la voiture, et qui frappe sur lui à
grands coups pour le faire avancer. Si vous voyiez un homme dresser un grand
bûcher, entasser des fagots les uns sur les autres, et que, lui demandant ce
qu'il fait, il vous répondît: Je prépare le feu qui doit me brûler, que
penseriez-vous? En commettant le péché, c'est ainsi que nous faisons. Ce n'est
pas Dieu qui nous jette en enfer, c'est nous par nos péchés. Le damné se dira:
J'ai perdu Dieu par ma faute. Il s'élèvera du brasier pour y retomber. Il
sentira toujours le besoin de s’élever, parce qu'il était créé pour Dieu...
Comme un oiseau dans un appartement vole jusqu'au plancher et retombe. La
Justice de Dieu est le plancher qui arrête les damnés.
1104 Nos fautes sont un grain de sable à coté de la grande montagne de
la miséricorde de Dieu. La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé qui
entraîne les coeurs sur son passage. Le bon Dieu est aussi prompt à nous accorder
notre pardon qu'une mère est prompte à retirer son enfant du feu. Figurez-vous
une pauvre mère obligée de lâcher le couteau de la guillotine sur la tête de
son enfant: voilà le bon Dieu quand il damne le pécheur.
J'ai
recueilli moi-même ces paroles entre beaucoup d'autres de la bouche du
Serviteur de Dieu.
Je
puis dire que la conversation de Mr Vianney était toute dans le Ciel. Il avait
besoin de toutes ses forces pour se résigner à vivre sur la terre, et il s'en
consolait en parlant continuellement du Ciel. Mon Dieu, disait-il un jour, que
le temps me dure avec les pécheurs! Quand serai-je donc avec les saints?... Il
m'a parlé plusieurs fois d'écrire un livre sur les délices de la mort. Dans les
catéchismes et les homélies, les plus aimables comparaisons avaient trait à ce
désir du Ciel. Il se servait souvent de celle de l'hirondelle, qui ne fait que
raser la terre et ne se pose presque jamais; de celle de la flamme qui tend
toujours en haut; de celle du ballon, qui s'élève dans les airs quand on a rompu
les cordes. Il racontait en pleurant que Ste Colette sortait quelquefois de sa
cellule ne se possédant plus de joie à la pensée du Ciel; elle parcourait les
corridors en criant: En paradis! en paradis! Il racontait encore que lorsqu'on
demandait à Ste Thérèse ce qu'elle avait vu au Ciel, elle s'écriait: J'ai vu,
j'ai vu! J'ai vu! et elle en restait là; la parole et le souffle lui manquaient
à la fois. 1105 Pour montrer qu'on ne s'ennuierait pas en paradis, il racontait
l'histoire de ce moine qui s'oublia cent ans à poursuivre un petit oiseau, qui
devenait toujours plus beau à mesure qu'il le regardait. Si un petit enfant
était là, dans l'église, et que sa mère fût à la tribune, il lui tendrait ses
petites mains, et s'il ne pouvait monter l'escalier, il se ferait aider, et
n'aurait de repos que lorsqu'il serait dans les bras de sa mère. Voilà le
chrétien en regard du Ciel.
Je
lui ai entendu expliquer l'évangile du deuxième dimanche de carême. Le
ravissement du Thabor réveillant en lui l'idée du bonheur de l'âme appelée à
jouir de la sainte humanité de Notre Seigneur dans la claire vision du Ciel, il
s'écria, transporté hors de lui-même: Nous le verrons, nous le verrons!... Oh!
mes frères, y avez-vous jamais pensé? Nous verrons Dieu, nous le verrons tout de
bon, tel qu'il est, face à face! Et pendant quelques minutes, il ne cessa de
pleurer et de répéter: Nous le verrons, nous le verrons!
Un
autre jour, en parlant du Ciel où nous verrons Dieu tout de bon, il s'écriait,
les yeux mouillés de larmes et avec transport: Alors nous dirons au bon Dieu:
Mon Dieu, je vous vois, je vous tiens; vous ne m'échapperez plus jamais,
jamais!...
Une
autre fois, après une ravissante instruction sur le Ciel, on demandait au Curé
d'Ars ce qu'il faut pour obtenir cette récompense; il répondit: La grâce et la
croix.
Le
Curé d'Ars ne cessait dans ses entretiens, en chaire, au confessionnal, de
parler de la grande miséricorde du Seigneur, de la facilité que nous avons
d'aller au Ciel par le moyen de la grâce. Ce que d'autres n'auraient pu faire
qu'avec de longs discours, le Curé d'Ars l'opérait souvent par un seul mot, qui
était pour la personne à laquelle il s'adressait une vive lumière.
Le
Serviteur de Dieu avait reçu une grande puissance de consolation. Ce qui
affluait en plus grand nombre autour de lui, outre les malades et les pécheurs,
c'était les affligés. 1106 Tous étaient accueillis avec la même bonté
compatissante, et s'il y avait de sa part quelque préférence, elle était en
faveur du pauvre et du petit. Il y avait là comme une source intarissable, à
laquelle chacun venait puiser. Mr Vianney entendait des choses qui fendaient
l'âme. Il faut venir à Ars, me disait-il souvent, pour savoir le mal que le
péché originel nous a fait. Tous emportaient de leurs visites des pensées plus
calmes, une attente plus douce de l'avenir, plus de conformité à la volonté de
Dieu, plus de courage à supporter les tristesses présentes. Le Serviteur de
Dieu n'avait qu'à parler, et d'un mot, j'en ai fait souvent l'expérience, il
atteignait le mal dans sa racine et fermait la blessure.
Je
puis attester que le Serviteur de Dieu donnait à la prière tout le temps qui
n'était pas absorbé par les travaux de la chaire et du confessionnal. Tout ce
que j'ai vu de lui me porte à croire qu'il ne perdait jamais de vue la sainte
présence de Dieu, et qu'au milieu des occupations les plus absorbantes, son âme
était toujours unie à Dieu et appliquée à l'oraison. Quand il avait un instant
de libre, il partait aussitôt par quelque exclamation, qui révélait son application
constante à Dieu et aux choses de Dieu.
Mr Vianney, dans tous ses
entretiens, montrait un grand abandon à la divine Providence. Je lui ai entendu
dire un jour: Quand je pense au soin que le bon Dieu a pris de moi, quand je
repasse ses bienfaits, la reconnaissance et la joie de mon coeur débordent de
tous côtés. Je ne sais plus que devenir; je ne découvre de toutes parts qu'un
abîme d'amour dans lequel je voudrais pouvoir me noyer. - Un jour, il a dit à
Catherine Lassagne, qui me l'a rapporté: Lorsque j'étudiais, j'étais accablé de
chagrin, je ne savais plus que faire. Je vois encore l’endroit où j'étais. Il
me fut dit, comme si c'était quelqu'un qui m'eût parlé à l'oreille: Va, sois
tranquille, tu seras prêtre un jour. 1107 Une autre fois que j'avais beaucoup
d'inquiétude, j'entendis la même voix, qui me disait distinctement : Que
t'a-t-il manqué jusqu'à ce jour? - En effet, j'ai toujours eu de quoi faire.
1109 Session 124 - 22 Octobre 1863 à 9h du matin ;
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je
tiens de Mr le Curé d'Ars, qui m'en a parlé en plusieurs rencontres, que
pendant plus de trente ans il fut presque continuellement en butte aux attaques
du démon, qui tantôt d'une façon, tantôt d'une autre, soit le jour, soit la
nuit, cherchait à l'effrayer et à l'empêcher de prendre le repos dont il avait
besoin pour réparer ses forces. 1110 Voici ce que j'ai retenu de ses différents
récits.
Au
milieu de la nuit et quand le Serviteur de Dieu commençait à s'endormir, le
démon faisait ordinairement du bruit dans son escalier: c'était comme si un
gendarme, chaussé de grosses bottes, en eût fait résonner le talon sur les
dalles. Quelquefois le Serviteur de Dieu entendait, dans la salle basse
au-dessous de lui, comme un grand cheval, qui s'élevait jusqu'au plancher et
retombait lourdement les quatre fers sur le carreau. D'autres fois encore
c'était le bruit d'un grand troupeau de moutons qui piétinaient au-dessus de sa
tête. Pendant plusieurs nuits consécutives, il entendit dans la cour des
clameurs si fortes qu'il en était effrayé. Ces voix parlaient dans une langue
inconnue et avec la plus grande confusion, en sorte qu'elles réveillaient en
lui le souvenir de l'invasion autrichienne et qu'il les comparait au bruit
d'une armée d'Allemands, ou bien il se servait d'un autre mot non moins
caractéristique, en disant qu'une troupe de démons avait tenu leur parlement
dans sa cour. Il arrivait souvent que l'esprit malin heurtait comme quelqu'un
qui veut entrer. Un instant après, sans que la porte fût ouverte, il était dans
la chambre, remuant les chaises, dérangeant les meubles, frappant sur la table,
sur la cheminée, cherchant de préférence les objets les plus sonores, se
suspendant aux rideaux du lit et les secouant avec fureur, comme s'il avait
voulu les arracher, appelant Mr le Curé d'une voix moqueuse et ajoutant à son
nom des menaces et des qualifications outrageantes. Souvent il se cachait sous
son lit et faisait toute la nuit retentir à son oreille tantôt des cris aigus,
tantôt des gémissements lugubres. Quelquefois il l'entendait respirer
bruyamment, comme un homme qui se livre à un travail pénible; d'autres fois,
râler comme un malade à l'agonie. 1111 Il y eut une nuit où il fut réveillé en
sursaut et se sentit soulever en l'air. Peu à peu je perdais mon lit, dit-il;
je m'armai promptement du signe de la croix et le grappin (c'était le nom qu'il
donnait au malin esprit) me laissait. Une autre nuit, le diable prit la forme
d'un coussin très doux, dans lequel la tête du Curé enfonçait comme dans du
coton; il en sortait en même temps un gémissement. Le Serviteur de Dieu avoua
que cette fois il eut peur; il invoqua le secours de Dieu et l'illusion
disparut. Le démon est bien fin, disait-il un jour dans son catéchisme, mais il
n'est pas fort: un signe de croix le met en fuite. Il n'y a pas encore trois
jours qu'il faisait un grand tapage au-dessus de ma tête; on aurait dit que
toutes les voitures de Lyon roulaient sur le plancher. Pas plus loin qu'hier
soir, il y avait des troupes de démons qui secouaient ma porte: j'ai fait le
signe de la croix, ils sont tous partis.
J'avais
entendu Mr Chevalon, ancien soldat de la république et missionnaire du diocèse,
raconter le fait; j'en ai eu les détails par une lettre écrite sous
l'inspiration d'un témoin oculaire; Mr Vianney y a fait plusieurs fois allusion
devant moi; j'ai retrouvé ce récit dans les notes de Catherine Lassagne et dans
les manuscrits de l'abbé Renard. Dans l'hiver de mil huit cent vingt-six,
pendant le jubilé de St Trivier sur Moignans, après une soirée pendant laquelle
ses confrères s'étaient égayés au sujet des bruits nocturnes qui inquiétaient
le Serviteur de Dieu, tous les habitants de la cure furent réveillés par un
affreux vacarme; on eût dit que la maison allait s'écrouler. On se souvint que
le Curé d'Ars avait dit la veille: Vous ne serez pas étonnés, si vous entendez
du bruit cette nuit. On courut dans sa chambre. Je sais bien ce que c'est,
dit-il en souriant; vous n'avez rien à craindre. 1112 Le matin, Mr Vianney
trouva à la porte de la cure un homme qui avait fait plusieurs lieues pour
venir se confesser à lui. C'était chose ordinaire, chaque fois que les attaques
du démon redoublaient, le Curé d'Ars prévoyait que la grâce lui amènerait
quelque grand pécheur, si bien que par la suite, au lieu de se troubler de
cette recrudescence, il l'accueillait comme le signe avant-coureur des
miséricordes de Dieu et des consolations réservées à son ministère.
A
Montmerle, dès la première nuit qu'il y passa pour y faire le jubilé, le démon
le traîna dans son lit tout autour de sa chambre; le lendemain, Mr Vianney,
s'étant rendu à l'église, trouva son confessionnal entouré. A peine y fut-il
entré qu'il se sentit soulevé et ballotté comme s'il avait été sur un courant.
J'ai entendu pareillement le Serviteur de Dieu raconter ce fait.
Le
Serviteur de Dieu avait sur son palier une image de l'Annonciation qu'il aimait
beaucoup. Le démon la couvrait outrageusement de boue et d'ordures. On avait beau
la laver, le lendemain on la trouvait plus maculée que la veille. Ces insultes
se renouvelèrent jusqu'à ce que Mr Vianney, renonçant aux consolations que la
vue de cette image lui donnait, prit le parti de la faire enlever.
Il
ne m'est pas permis de supposer que Mr Vianney se soit trompé, ni qu'il ait
voulu tromper. Il n'avait pas le tempérament d'un visionnaire; il n'était pas
du tout crédule. Il possédait toutes les qualités d'un bon témoin, de bons
yeux, de bonnes oreilles, un bon jugement. Ces choses ne se passèrent pas une
fois, mais cent et cent par an pendant trente années. Elles furent attestées
par lui des milliers de fois. Il n'y avait rien dont il parlât plus volontiers,
soit en public, soit en particulier. Au reste, voici l'appréciation d'un
médecin savant et pieux, qui m'est intimement connu et qui a vu de près le Curé
d'Ars: "Nous n'avons qu'un mot à dire touchant les soi-disant explications
physiologiques des phénomènes de ce genre. Si ces explications peuvent être
admises, lorsqu'il s'agit de se rendre compte de faits entourés de
circonstances pathologiques concomitantes, qui en décèlent la nature, et qui,
d'habitude, ne font jamais défaut, il devient impossible de leur attribuer la
même cause, quand ils se trouvent unis, comme chez Mr Vianney, à
l'accomplissement si régulier de toutes les fonctions de l'organisme, à cette
sérénité d'idées, à cette délicatesse de perception, à cette sûreté de jugement
et de vues, à cette plénitude de la possession de soi-même, au maintien de
cette miraculeuse santé qui ne connaissait presque pas de défaillances, au
milieu de l'écrasante série de travaux qui absorbaient l'existence du vénérable
Curé d'Ars. 1113
Sur
la fin de sa vie, les attaques du démon contre le Serviteur de Dieu furent
moins vives et moins continuelles. Il semblait qu'il en eût triomphé par son
inébranlable fermeté et son inaltérable confiance en Dieu, et que l'esprit du
mal désespérait de le vaincre.
Mr
le Curé, lui disais-je un jour, ces bruits, ces voix et tout ce tapage que vous
entendez dans la nuit, ne vous font pas peur? - Oh! non, je sais que c'est le
grappin: depuis le temps que nous avons affaire ensemble, nous sommes
camarades. D'ailleurs, c'est Dieu qui me garde, et ce que Dieu garde est bien
gardé.
Il
résulte pour moi de toutes les conversations que j'ai eues avec le Serviteur de
Dieu, qu'afin d'augmenter ses mérites et de désintéresser son zèle, Notre
Seigneur lui mettait un voile sur les yeux, en sorte qu'il n'apercevait pas le
bien immense qui s'opérait par lui. Il se croyait un être inutile; il se voyait
sans foi, sans piété, sans savoir, sans discernement, sans vertu; il n'était
bon qu'à tout gâter, à mal édifier tout le monde. Il était un obstacle au bien.
L'humilité de son coeur lui faisait répandre de vraies larmes sur sa misère.
Ces larmes ne pouvaient être consolées que par la générosité de son courage,
qui le pressait de se jeter à corps perdu, avec toutes ses impuissances, entre
les bras de Notre Seigneur. Il me disait un jour: Dieu m'a fait cette grande
miséricorde de ne rien mettre en moi sur quoi je puisse m'appuyer. Je ne
découvre en moi, quand je me considère, que mes pauvres péchés. Encore le bon
Dieu permet-il que je ne les voie pas-tous. Cette vue me ferait tomber dans le
désespoir. Je n'ai d'autre ressource, contre cette tentation de désespoir, que
de me jeter au pied du tabernacle, comme un petit chien aux pieds de son
maître.
1114 Ce qui lui causait ces désolations intérieures, ce n'était pas le
travail assidu de la chaire et du confessionnal; il acceptait bien l'épreuve de
cette confiance qu’on lui témoignait et sous laquelle il ployait et gémissait
sans cesse, quoiqu'elle ouvrît dans son âme une source toujours nouvelle
d'inquiétude et d'effroi; mais il ne pouvait accepter le péché: la vue du mal
excitait en lui les mouvements d'un fils qui voit outrager son père. Chaque
coup qui tombait sur Dieu l'atteignait dans la partie la plus vive et la plus
sensible de son être. Le sentiment qu'il en éprouvait ne s'affaiblit jamais.
Cela explique ses larmes et ce qu'il répétait souvent: qu'il ne connaissait
personne de si malheureux que lui. Je l'ai entendu s'écrier d'autres fois: Oh!
que la vie est triste! Quand je suis venu à Ars, si j'avais prévu les
souffrances qui m'y attendaient, je serais mort d'appréhension sur le coup. On
offense tant le bon Dieu, disait-il encore, qu'on serait tenté de demander la
fin du monde. S'il n'y avait pas quelques belles âmes pour reposer le coeur et
consoler les yeux de tant de mal que l'on voit et que l'on entend, on ne
pourrait pas se souffrir en cette vie. Encore, si le bon Dieu n'était pas si
bon, mais il est si bon... Quelle honte nous aurons quand le jour du dernier
jugement nous fera voir toute notre ingratitude... Nous comprendrons alors,
mais il ne sera plus temps. Et après s'être interrompu pour pleurer, il
ajoutait: Non, les pauvres pécheurs sont trop malheureux... Je lui ai entendu
dire plusieurs fois dans son catéchisme, avec l'accent de la plus amère
tristesse, et le visage baigné de larmes: Il n'y a rien au monde de si malheureux
qu'un prêtre. Sa vie se passe à voir le bon Dieu offensé, le prêtre ne voit que
cela. Il est toujours comme saint Pierre au prétoire. 1115 Il a toujours sous
les yeux Notre Seigneur insulté, méprisé, couvert d'opprobres... Oh! Si j'avais
su ce que c'était qu'un prêtre, au lieu d'aller au séminaire, je me serais bien
vite sauvé à la Trappe. A quoi une voix partie du milieu de la foule répondit
une fois: Mon Dieu, que c'eût été dommage!... J'ai remarqué, avec d'autres
personnes, que ses peines augmentaient d'intensité à certains jours. Le
vendredi par exemple, sa physionomie était toute changée: on y lisait
l'expression d'une profonde douleur. Pour l'ordinaire cependant, rien ne
perçait au dehors de ses luttes avec lui-même. Quel que fût l'état de son âme,
il allait dans sa voie du même pas et du même air tranquille et satisfait.
Jamais la tourmente ne lui a fait lâcher pied et ne l'a forcé à dévier de son
droit chemin.
J'ai
remarqué que de tous les penchants du Serviteur de Dieu, le plus persévérant et
le plus extraordinaire dans sa vocation fut son attrait pour la solitude. Le
temps qu'il regrettait le plus était celui où il conduisait son troupeau dans
les champs de Dardilly. Que j'étais heureux, me disait-il, quand je n'avais à
conduire que mon âme et mes trois brebis; je n'avais pas la tête rompue comme à
présent; je pouvais prier tout à mon aise. Il reconnaissait qu'il y avait de
l'intempérance dans ce désir et que le démon s'en servait pour le tenter. Il le
mortifia, il lui résista, mais toute sa vie il eut à lutter contre le même
entraînement. Il me semble aussi qu'il y eut là une disposition secrète de la
divine Providence. En sacrifiant son goût à l'obéissance, son plaisir au
devoir, Mr Vianney eut occasion de se vaincre à toute heure et de fouler aux
pieds sa volonté propre.
Malgré
toutes ses peines et ses souffrances, le Serviteur de Dieu poursuivit jusqu'à
la fin les travaux qu'il avait entrepris pour la gloire de Dieu et le salut des
âmes. Je l'ai pressé souvent, mais en vain, de prendre un peu de repos. Il me
répondait toujours: Je me reposerai en paradis. 1116 D'autres fois, je lui ai
entendu dire en riant, bien qu'il fût plus rompu et plus exténué que
d'ordinaire: Ah! les pécheurs tueront le pécheur! Et encore: Je connais
quelqu'un qui serait bien attrapé s'il n'y avait point de paradis! Ah! je pense
souvent, reprenait-il, que lors même qu'il n'y aurait point d'autre vie, ce
serait un assez grand bonheur d'aimer Dieu dans celle-ci, de le servir et de
faire quelque chose pour sa gloire.
Quoique
dans sa première maladie il eût manifesté une grande crainte et une grande
appréhension des jugements de Dieu, comme je l'ai ouï dire, j'ai été frappé du
calme, de la sérénité qu'il fit paraître dans ses derniers moments. Aucun de
ceux qui l'ont entouré ne s'est aperçu que la confiance en Dieu lui eût manqué.
Quoad
Caritatem, testis respondit:
La
charité du Serviteur de Dieu a paru dès sa plus tendre enfance; elle ne s'est
jamais démentie. Tous les témoignages que j'ai pu recueillir, soit à Dardilly,
soit à Ecully, soit à Ars, et surtout dans ce dernier endroit, s'accordent sur
ce point.
Il
m'a toujours paru que Mr Vianney n'avait qu'une pensée: aimer et faire aimer
Dieu. Dieu et rien que Dieu, Dieu toujours, Dieu partout, Dieu en tout. Toute
la vie du Curé d'Ars est là. Il a vécu trente ans d'une existence toujours
semblable à elle-même. Toujours l'oeuvre de Dieu; jamais il n'a cherché son
intérêt propre; jamais il ne s'est accordé la plus petite jouissance; jamais il
n'a pris un instant de répit. Toutes les fois que j'ai vu le Curé d'Ars
prosterné devant le Saint Sacrement, son attitude exprimait non seulement la
foi, mais l'amour, l'adoration et l'anéantissement. Généralement, il était à
genoux par terre et sans point d'appui. Il ne levait les yeux que pour les
fixer sur le tabernacle, avec une joie et une tendresse si vive qu'on aurait pu
croire qu'il voyait Notre Seigneur. Je ne l'ai jamais vu assis à l'église,
excepté quand il faisait le catéchisme ou qu'il confessait.
1117 Le Serviteur de Dieu ne m'a jamais paru plus admirable que
lorsqu'il parlait sur l'amour de Dieu. Aimer Dieu, disait-il, oh! que c'est
beau! Il faut le Ciel pour comprendre l'amour. La prière aide un peu, parce que
la prière, c'est l'élévation de l'âme jusqu'au Ciel. Plus on connaît les
hommes, moins on les aime. C'est le contraire pour Dieu: plus on le connaît,
plus on l'aime. Cette connaissance embrase l'âme d'un si grand amour, qu'elle
ne peut plus aimer, ni désirer que Dieu. Le seul bonheur que nous ayons sur la
terre, c'est d'aimer Dieu et de savoir que Dieu nous aime. Il ajoutait en
pleurant : Je pense quelquefois qu'il y aura peu de bonnes oeuvres
récompensées, parce qu'au lieu de les faire par amour pour Dieu, nous les
faisons par amour de nous-mêmes. Que c'est dommage! Il disait encore: Que la
pensée de la sainte présence de Dieu est douce et consolante! Quand on est
devant Dieu, les heures passent comme des minutes. C'est un avant-goût du Ciel.
Pauvres pécheurs, quand je pense qu'il y en a qui mourront sans avoir goûté
seulement pendant une heure le bonheur d'aimer Dieu! Et encore: Quand nous nous
lassons de la prière, allons à la porte de l'enfer, voyons ces pauvres damnés,
qui ne peuvent plus aimer le bon Dieu.
Un
jour qu'il entendait les oiseaux chanter dans sa cour, il se prit à soupirer en
disant: Pauvres petits oiseaux, vous avez été créés pour chanter, et vous
chantez. L'homme a été créé pour aimer Dieu, et il ne l'aime pas! Ce qui fait
que nous n'aimons pas Dieu, disait Mr Vianney à quelqu'un qui me l'a répété,
c'est que nous ne sommes pas arrivés à ce degré où tout ce qui coûte fait
plaisir. Si l'on devait être damné, ajoutait-il, ce serait une consolation que
de pouvoir dire: J'ai du moins aimé le bon Dieu sur la terre.
1118 Le Serviteur de Dieu ne paraissait pas moins admirable lorsqu'il
parlait du très saint Sacrement. Ce qu'il avait le mieux retenu de ses
lectures, ce qui revenait le plus souvent dans ses discours, c'était les
paroles enflammées par lesquelles l'amour des saints envers Notre Seigneur s'est
le plus vivement exprimé. A l'entendre, on sentait que Jésus Christ seul était
tout dans ses pensées, dans ses affections et dans ses désirs. Il ne pouvait
cesser de penser à Jésus Christ, d'aspirer à lui, de parler de Lui. Ce n'était
pas des paroles, mais des flammes, qui sortaient de son coeur.
Il
y avait dans la manière dont il prononçait l'adorable nom de Jésus, et dont il
disait Notre Seigneur, un accent dont il était impossible de n'être pas
frappé.
1121 Session 125 - 23 Octobre 1863 à 8h du matin
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai
remarqué souvent que la grâce accompagnait les moindres paroles du Serviteur de
Dieu. On pouvait dire de lui ce que le Saint Esprit dit du prophète Elle, que
sa parole brûlait comme une torche enflammée. 1122 Ce que d'autres n'auraient
pu par un long discours, j'ai vu Mr Vianney l'opérer par un seul mot. Il lui
suffisait quelquefois de dire: Encore, si le bon Dieu n'était pas si bon...
Mais il est si bon! Ou bien: Que c'est dommage de perdre une âme qui a tant
coûté à Notre Seigneur! Ou bien: Quel mal vous fait Notre Seigneur pour le
traiter de la sorte?... pour opérer une conversion. Il savait l'endroit où il
fallait frapper et il manquait rarement son but.
Quelquefois
même, il n'avait pas besoin de parler; il convertissait par son regard et par
ses larmes. J'ai entendu raconter souvent qu'ayant à ses pieds un pécheur
endurci et s'accusant froidement, il se prit à fondre en larmes: Qu'avez-vous,
mon père, lui dit son pénitent? - Je pleure de ce que vous ne pleurez pas. Le
coeur du pénitent était changé. Je cite ce trait entre mille. Le Curé d'Ars
avouait lui-même, dans sa grande modestie, que l'on ne saurait qu'au jour du
jugement combien de pécheurs ont trouvé leur salut à Ars. Ce n'était pas
seulement les pécheurs qui trouvaient à Ars la grâce de la conversion; tous
ceux qui approchaient le Serviteur de Dieu et qui recevaient ses conseils
sentaient croître en eux le désir de servir Dieu et de faire pour cela tous les
sacrifices nécessaires.
C'était
tous les jours, plusieurs fois par jour, et à toutes les heures du jour, que
j'ai eu lieu d'admirer son inaltérable patience au milieu de la foule qui
l'entourait sans lui laisser un seul instant de répit. A quelque moment qu'on
le vît, environné, pressé, assailli par la multitude indiscrète, obsédé de
questions oiseuses, interpellé de partout à la fois et ne sachant à qui
répondre, on le trouvait toujours semblable à lui-même, toujours gracieux,
toujours compatissant, toujours prêt à condescendre, toujours la figure calme
et souriante. 1123 Cette égalité d'âme ne pouvait provenir que de son union
constante avec Dieu, dont le bruit de la foule et les occupations extérieures
ne pouvaient le distraire.
J'ai
remarqué que le Serviteur de Dieu ne trouvait de bon, d'agréable,
d'intéressant, que ce qui lui parlait de Dieu. Son âme toujours appliquée à
Dieu planait au-dessus des intérêts de la terre. Le souverain Bien l'attirait à
ce point qu'il n'en pouvait détourner sa pensée. Si l'on venait à parler devant
lui des choses temporelles, Mr Vianney n'interrompait pas, mais on voyait qu'il
n'était plus dans son élément. Au contraire, tout ce qui se rattachait à
l'ordre surnaturel, tout ce qui concernait l'Église, tout ce qui étendait la
gloire du saint nom de Dieu, l'intéressait et le passionnait. Tout ce qui
pouvait nuire à la gloire de Dieu lui causait une amère douleur. Il pleurait
avec des larmes abondantes le malheur des prêtres qui ne correspondent pas à la
sainteté de leur vocation. Un prêtre, disait-il un jour devant moi, qui a le
malheur de ne pas célébrer en état de grâce, quel monstre! On ne peut pas
comprendre tant de méchanceté. Je sais qu'il avait pour pratique de réciter le
soir avant de se coucher sept Gloria Patri en réparation des outrages faits au
Corps de Notre Seigneur par les prêtres indignes, et il me rappelait avec
attendrissement qu'il avait fait une fondation de messes à la même intention.
Je
crois que Mr Vianney n'a pu arriver à un si haut degré d'amour de Dieu sans
avoir passé par beaucoup de peines intérieures, beaucoup de luttes et de
contradictions extérieures, beaucoup de sacrifices, beaucoup d'épreuves qui
l'ont fait mourir à lui-même. Ces peines et ces épreuves ont déjà fait l'objet
de mes dépositions précédentes. Le Serviteur de Dieu exprimait souvent cette
pensée que l'on montre plus de charité en servant Dieu malgré les désolations
intérieures qu'en le servant au milieu des consolations spirituelles. 1124
Un
jour que je lui demandais si la contradiction ne l'avait jamais ému au point de
lui faire perdre la paix, il me répondit à peu près dans ces termes: La croix,
s'écria-t-il avec une expression céleste, la croix nous faire perdre la paix!
C'est elle qui doit la porter dans nos coeurs. Toutes nos misères viennent de
ce que nous ne l'aimons pas. Nous nous plaignons de souffrir; nous aurions bien
plus raison de nous plaindre de ne pas souffrir, puisque rien ne nous rend plus
semblables à Notre Seigneur. Oh! belle union de l'âme avec Notre Seigneur Jésus
Christ par l'amour de sa croix.
Quoad
caritatem erga proximum, testis respondit:
Tous
les témoignages que j'ai recueillis parmi les parents et les contemporains du
Serviteur de Dieu me l'ont représenté comme se livrant dès l'enfance aux
exercices de la charité envers le prochain. Il amenait à la maison paternelle
tous les mendiants qu'il pouvait rencontrer. Son bonheur était de leur
distribuer tout ce qui restait de la table de famille. Il avait reçu ces
exemples de ses parents, dont la demeure était désignée dans le pays comme la
maison des pauvres. C'est parmi ces pauvres que vint un jour, quelque temps
avant la naissance de Mr Vianney, s'asseoir le Bienheureux Benoît Joseph Labre.
On a conservé dans le pays la mémoire de l'hospitalité qui lui fut donnée par
les Vianney. Le Curé d'Ars aimait à rappeler ce souvenir dans ses catéchismes.
Il disait avoir eu en sa possession une lettre autographe du Bienheureux et
regrettait de s'en être dessaisi.
Je
sais par le témoignage de sa cousine Fayolle qu'il continuait, pendant sa
résidence à Ecully, à s'occuper des pauvres. Il emmenait coucher à la ferme des
Imbert tous ceux qu'il trouvait sur son chemin; il en remplissait quelquefois
la maison. 1125 La même personne m'a raconté qu'allant un jour de Dardilly à
Ecully, il rencontra un pauvre qui n'avait point de chaussures; il lui donna
ses souliers neufs, et arrivé chez lui, il fut bien grondé par son père, qui
n'entendait pas l'aumône à la manière de son fils.
On
a conservé à Ecully le souvenir des aumônes continuelles qu'il y a faites
pendant son vicariat. Il ne se gardait rien; il se privait même du nécessaire,
afin de pouvoir suppléer par là les ressources de son petit traitement.
Lorsque
Mr Vianney vint prendre possession de la paroisse d'Ars, je sais que le premier
moyen qu'il employa pour gagner à Dieu l'âme de ses paroissiens fut de donner à
tous et à chacun des marques particulières de son affection et de son
dévouement. Il était convaincu que pour faire du bien aux hommes, il fallait
les aimer. Il ne laissait échapper aucune occasion de leur prouver qu'il les
aimait; il était ouvert, complaisant, affable envers tous. Il les visitait
souvent, choisissant volontiers l'heure des repas afin de trouver toute la
famille réunie. Pour ne causer ni dérangement, ni surprise, il s'annonçait de
loin, appelant par son nom de baptême le maître de la maison. Puis il entrait,
faisait signe à tout le monde de continuer et de rester assis. Debout lui-même,
ou s'appuyant contre un meuble, après quelques mots polis, il en venait
toujours à parler de Dieu. Quand il s'en allait, sa visite n'avait pas
seulement charmé, elle avait instruit, consolé et affermi dans le bien.
J'ai
toujours vu le Serviteur de Dieu remplir tous ses devoirs de pasteur avec toute
la perfection possible, même dans le temps que la foule des étrangers lui
prenait tous ses moments et aurait pu lui faire oublier le soin de sa paroisse.
J'ai remarqué qu'il n'ignorait rien de ce qui pouvait intéresser le salut des
âmes et même le bien temporel de ses paroissiens.
1126 Je sais que Mr Vianney avait demandé à souffrir, le jour pour la
conversion des pécheurs, la nuit pour la délivrance des âmes du purgatoire. Il
m'en a fait lui-même la confidence. Dieu l'avait largement exaucé. Il m'a avoué
qu'il ne dormait pas une heure d'un sommeil tranquille et réparateur: Si je
pouvais dormir une heure, je galoperais comme un jeune cheval! Sur la fin de sa
vie, la fièvre le brûlait sur son pauvre lit; la toux qui lui déchirait la
poitrine était presque sans interruption. Ça m'ennuie, disait-il, ça me prend
tout mon temps. Il se levait de temps en temps pour essayer de trouver hors du
lit quelques soulagements; et quand la douleur commençait à se calmer, quand il
allait enfin pouvoir s'assoupir, c'était l'heure où ce pauvre vieillard, par un
héroïque effort qu'il renouvelait chaque nuit, s'arrachait au repos avant de
l'avoir goûté, et reprenait gaîment sa journée de travail.
J'ai
vu le Serviteur de Dieu verser des larmes et je l'ai entendu gémir bien souvent
sur la perte des âmes. Son zèle lui arrachait ces paroles, et d'autres
équivalentes: Quel dommage que des âmes qui ont tant coûté de souffrances au
bon Dieu, se perdent pour l'éternité! Mon Dieu, est-il possible que vous ayez
enduré tant de tourments pour sauver des âmes, et que ces âmes deviennent la
proie du démon? Il ne cessait de prier pour la conversion des pécheurs; il a
fondé des messes dans la même intention. Il disait en recommandant aux prières
des bonnes âmes qui venaient à lui de prier pour la conversion des pécheurs:
C'est la plus belle et la plus utile de toutes les prières: car les justes sont
sur le chemin du Ciel, les âmes du purgatoire sont sûres d'y entrer. Mais les
pauvres pécheurs, les pauvres pécheurs... - Et il s'interrompait pour pleurer.
1127 - Toutes les dévotions sont bonnes, ajoutait-il, mais il n'y en a pas de
meilleure que celle-là. Je sais, pour l'avoir entendu raconter plusieurs fois à
Mr Toccanier, que lorsqu'il demandait au Serviteur de Dieu ce qu'il ferait si
le bon Dieu lui proposait de monter au Ciel sur le champ ou de rester sur la
terre jusqu'à la fin du monde pour travailler au salut des âmes, il répondit:
Je crois que je resterais. Il ajoutait que les saints sont des rentiers.
1129 Session 126 - 23 Octobre 1863 à 3h de l'après-midi
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Le
Serviteur de Dieu, frappé du grand bien qui s'opérait par les missions, ayant
remarqué que la plupart des pécheurs qui venaient à Ars dataient leur
confession d'une de ces missions, consacra presque tout l'argent qu'il reçut
pendant les dernières années de sa vie à fonder cette oeuvre importante dans le
diocèse. 1130 Les missions se donnent de dix ans en dix ans dans les paroisses
qu'il a désignées, sans qu'elles aient à en supporter les frais. J'ai eu entre
les mains le registre de ces fondations. Elles s'élevaient à plus de cent au
moment de sa mort. Il faisait paraître une grande joie, quand il avait reçu
pour son oeuvre de prédilection une somme importante. Un jour, dans la visite
qu'il fit aux missionnaires, son air heureux me frappa. Mr le Curé, lui dis-je,
vous êtes rayonnant. - Je crois bien, me dit-il, j'ai découvert ce matin que
j'étais riche à deux cent mille francs: ce capital est placé sur la banque la
plus solide du monde. Je l'ai prêté aux trois Personnes les plus riches qu'on
puisse trouver. Ces paroles avaient trait aux fondations dont il avait vu la
liste le matin. Il ne se lassait pas de témoigner aux missionnaires l'intérêt
qu'il prenait à leur oeuvre, les encourageant en toute rencontre à demeurer
fidèles à leur vocation.
J'ai
commencé à connaître le pèlerinage en mil huit cent cinquante-cinq; il y avait
trente ans qu'il durait. A cette époque, la vie de Mr Vianney se passait au
confessionnal. Sur les dix-huit ou vingt heures qui composaient sa journée de
travail, il ne prenait que le temps de réciter son office, de faire oraison, de
célébrer la sainte messe, de prendre à midi un peu de nourriture et de repos.
Ce travail de chaque jour commençait à une heure ou deux après minuit. Quoique
épuisé par les jeûnes, les macérations, les infirmités, il n'a interrompu ses
séances au confessionnal que le trente Juillet mil huit cent cinquante-neuf,
c'est-à-dire cinq jours avant sa mort. 1131 Il m'a avoué au mois de Juin de la
même année (j'étais à Ars à cette époque) qu'il avait eu plusieurs
défaillances, que la nuit, quand il se levait pour retourner à ses pauvres
pécheurs, il était obligé de s'appuyer aux meubles de sa chambre et qu'il était
tombé souvent de faiblesse.
J'ai
souvent remarqué que les forces de Mr Vianney augmentaient en proportion que la
foule était plus nombreuse et que la journée avait été plus accablante. Il
n'était jamais si content, sa figure n'exprimait jamais mieux la joie, que
lorsqu'il avait eu plus de peine. Lorsqu'on le plaignait d'avoir à supporter
tant de fatigues, il répondait gaiement: Le bon Dieu fait un petit miracle pour
moi toutes les nuits: le soir je n'en puis plus, et le matin je suis tout
dispos.
Les
pèlerins comprenaient l’importance des bienfaits dont le Curé d'Ars était le
dispensateur. Rien ne peut donner une idée de leur ardeur à en profiter. Mr
Vianney avait beau se lever matin, un grand nombre de pèlerins l'attendait à la
porte de son église. Des personnes de toute classe passaient la nuit sous le
porche pour être assurées de ne pas le manquer. On en a compté jusqu'à
vingt-cinq, entassées dans ce petit espace. On avait été obligé d'établir une
certaine règle, et l'arrivée de chacun déterminait son rang. Mais il y avait des
privilégiés; Mr Vianney les distinguait au milieu de la foule et les appelait
lui-même; son discernement lui faisait reconnaître ceux que quelques obstacles
eussent empêchés d'attendre, ou qu'amenaient à Ars des besoins plus pressants:
aussi personne ne songeait à se plaindre de ces faveurs quand elles venaient de
lui.
J'ai
su par des témoins graves et dignes de foi, Melle de Belvey, Catherine
Lassagne, la famille des Garets et quelques anciens d'Ars, qu'inspiré par
l'amour de préférence que le Serviteur de Dieu avait pour les pauvres et les
petits, il ouvrit en mil huit cent vingt-trois, sous le nom de Providence,
un asile aux orphelines et aux jeunes filles abandonnées des Dombes. Cette
oeuvre commença humblement et pauvrement. 1132 Il y mit à peu près tout son
patrimoine. En très peu de temps, avec l'aide de quelques personnes
charitables, des ressources inespérées, la bénédiction de Dieu, il put
installer dans la maison achetée, réparée et agrandie à ses frais plus de
soixante jeunes filles préservées du vagabondage et de ses suites, tirées de
l'ignorance où elles croupissaient et vivant à l'abri des dangers qu'elles
avaient courus jusque là. On m'a dit que c'était chose admirable de voir
comment, sans revenus et avec les fonds secrets de la Providence, une maison
aussi nombreuse pouvait se suffire, arriver au bout de l'année et subvenir
encore aux nécessités d'autrui. Il est vrai que Dieu daigna plus d'une fois
venir directement en aide aux orphelines quand les ressources naturelles leur
manquaient.
Je
sais par le rapport des frères de la Ste Famille de Belley que dans le cours de
l'année mil huit cent quarante-huit, le Curé d'Ars eut la pensée de doter sa
paroisse d'une école gratuite pour les garçons. Il en parla à son peuple, qui
répondit à son appel par des dons spontanés. Il acheva en aliénant une petite
rente dont il jouissait le capital de vingt mille francs nécessaire à cette
fondation, et il confia le nouvel établissement aux Frères de la Ste Famille de
Belley. Dieu a béni cette oeuvre, qui n'a cessé de croître et de prospérer.
Mr
Vianney aima toujours les pauvres et se dépouilla de tout pour les secourir. Il
disait que nous étions heureux que les pauvres vinssent nous demander l'aumône,
que s'ils ne venaient pas il faudrait aller les chercher et on n'a pas toujours
le temps. Il s'appliquait particulièrement à soulager les pauvres honteux. On
m'a dit que toutes les semaines, une pauvre mère de famille venait de
Villefranche lui demander le pain de ses enfants. 1133 Les frères, de la Ste
Famille d'Ars m'ont raconté qu'en mil huit cent cinquante-quatre, on disait à
Mr Vianney, à propos de la mort d'une de ses paroissiennes: Voilà qui vous
assure une rente; et qu'il répondit: Cette rente est réversible sur plus d'une
tête. On m'a dit aussi qu'ayant réclamé une petite créance d'un de ses
débiteurs, celui-ci refusa de solder, sous prétexte que le Curé d'Ars n'avait
pas besoin d'argent. Il le croit, lui, se contenta de faire observer
l'indulgent prêteur; cependant nous approchons de la St Martin et j'ai plus de
trente loyers à payer.
Il
est à ma connaissance que pour satisfaire son besoin de donner, le Serviteur de
Dieu n'a pas tardé à vendre les uns après les autres ses pauvres meubles à des
personnes qui les lui payaient au-dessus de leur valeur. Il lui est arrivé de
vendre à des prix élevés de vieux souliers, de vieilles soutanes, de vieux
surplis et jusqu'à sa dernière dent. En me racontant cette dernière
particularité, il ajoutait: Je vendrais bien mon cadavre (nom qu'il donnait à
son corps), afin d'avoir de l'argent pour mes pauvres. Il est certain que s'il
eût continué à se mêler de son vestiaire, sa charité pour les pauvres l'eût
bientôt réduit à n'avoir pas de quoi changer de linge.
Je
tiens de la soeur St Lazare, de la Congrégation de St Joseph, qu'un jour il ôta
ses bas et ses souliers pour les donner à un pauvre qui n'en avait pas, se
baissant ensuite pour cacher sous les plis de sa soutane ses pieds et ses
jambes nues; qu'un autre jour, il donna son mouchoir de poche à un pauvre qu'il
ne pouvait assister autrement.
Plusieurs
personnes d'Ars m'ont assuré qu'il était allé une fois prévenir une femme qui
lui avait volé neuf cents francs, que les gendarmes la cherchaient. Il m'a dit
lui-même qu'il faisait une pension à une autre personne pour qu'elle ne volât
plus.
1134 L'habitude que le Serviteur de Dieu s'était faite de tout
voir du point de vue de la Foi, était cause que dans ses libéralités il
jouissait de la revanche qu'il prenait sur le démon. Le grappin est furieux, disait-il,
quand il voit que de ce même argent dont il se sert pour corrompre et perdre
les âmes, nous faisons sortir leur salut.
J'ai
lu dans les notes qui m'ont été remises beaucoup d'autres traits prouvant la
charité du Serviteur de Dieu.
1139 Session 127 - 26 Novembre 1863 à 2h de l'après-midi
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J’ai
entendu dire que, convaincu dès son enfance que les pratiques de piété étaient
un puissant moyen de salut, il était très exact à faire ses prières, à assister
à la sainte messe, à méditer sur les vérités de la foi. Même au milieu de son
travail, il n'oubliait pas la présence de Dieu et la culture de son âme: 1140
En donnant mon coup de pioche, disait-il, je me disais souvent: Il faut aussi
cultiver ton âme; il faut en arracher la mauvaise herbe, afin de la préparer à
recevoir la bonne semence du bon Dieu. Il ajoutait encore: Quand j'étais seul
aux champs, avec ma pelle et ma pioche à la main, je priais tout haut; mais
quand j'étais en compagnie, je priais à voix basse.
Quant
à la prudence dont il usa en ayant recours aux moyens surnaturels pour réussir
dans ses études, pour rendre son ministère fructueux à Ecully, pour faire
disparaître les abus qui régnaient à Ars au moment de son arrivée et faire
refleurir la piété parmi ses paroissiens, je suis entré dans tous les détails
que je connais par moi-même ou dont j'ai eu connaissance par les autres,
lorsque j'ai déposé dans les précédentes séances.
J'ai
été très souvent témoin de sa prudence lorsqu'il s'agissait d'entreprendre
quelque chose d'important ou de décider une question délicate. Il priait alors
avec plus de ferveur, il redoublait ses mortifications, ses jeûnes. Il avait
recours aux conseils de toutes les personnes qui pouvaient l'éclairer et
surtout des missionnaires qui étaient auprès de lui. Il employait aussi les
pénitences extraordinaires lorsqu'il voulait obtenir une grâce importante,
comme la conversion d'un pécheur, ou qu'il croyait devoir satisfaire à la place
d'un pénitent coupable de fautes considérables. On lui demandait un jour la
conduite à tenir à l'égard de certains pécheurs relativement à la pénitence
sacramentelle, afin qu'elle ne fût ni trop forte, ni trop faible. Il répondit
en ma présence: Je vais vous dire ma recette: je leur donne une petite
pénitence et je fais le reste à leur place.
1141 Sa prudence éclatait dans ses rapports avec ses paroissiens, dans
ses catéchismes et ses instructions, dans les réponses qu'il donnait aux
nombreuses personnes qui venaient le consulter sur les affaires de leur
conscience ou sur les projets qu'elles se proposaient d'exécuter, dans les
fondations qu'il faisait. Il prenait pour assurer ses fondations les moyens les
plus propres pour en garantir la durée et le succès.
Il
était très prudent dans ses conversations, il parlait toujours des choses de
Dieu, ne consentait que par charité à s'entretenir des choses de ce monde;
encore changeait-il immédiatement la conversation. Il était d'une grande
réserve pour toutes les matières politiques.
Après
avoir vu Maximin, il fut très embarrassé relativement à l'apparition de la
Salette, à laquelle il avait cru jusque là. Comme l'Évêque de Grenoble s'était
prononcé en faveur de l'apparition, il resta indécis et évita de se prononcer.
Ce ne fut qu'au bout de huit qu'après avoir obtenu la cessation du trouble que
lui causait cette question, et une grâce temporelle très remarquable, il crut
fermement à l'apparition.
Il
avait grand soin, quand la foule se pressait autour de lui pour lui témoigner
sa vénération, de penser aux attaques dont il avait été l'objet et de ne pas
faire plus d'attention à ces marques de respect que si elles s'étaient
adressées à un autre. Du reste, ce que j'ai précédemment déposé confirme sur
tous les points la grande prudence de Mr Vianney.
Quoad
Justitiam, testis respondit:
La
Justice consistant, dans ce qu'elle a de plus important, à rendre à Dieu ce qui
lui est dû, je puis affirmer que Mr Vianney a toujours été pour moi un parfait
modèle de cette vertu.
Il
n'était pas moins exact à remplir ses devoirs vis-à-vis des hommes. Il était
avec eux plein de politesse, de charité, de cordialité et de sincérité.
1142 Il poussait la politesse si loin qu'il ne s'asseyait jamais devant
personne et ne permettait pas qu'on restât debout devant lui. Sa formule, en
saluant les visiteurs, était toujours: Je vous présente bien mon respect. Il ne
voulait pas qu'on se servît de la même formule en lui adressant la parole: Oh!
je ne mérite le respect de personne, disait-il; un peu d'amitié, c'est bien
assez.
Il
donnait aux ecclésiastiques les plus grandes marques de respect. Il agissait de
même à l'égard des religieux. Il vénérait profondément tous ses confrères et
les entendait aussitôt qu'ils réclamaient son ministère.
Il
honorait les grands et les puissants de la terre. Il était bon en particulier
pour les pauvres, les infirmes, les ignorants et les pécheurs. Il se montrait
continuellement appliqué à écarter de ceux qui vivaient autour de lui la plus
légère contrariété. Il était pour eux tendre, indulgent, condescendant et plein
d'abnégation. Dur pour lui-même, il était très tendre pour les autres et
poussait la politesse jusqu'à s'oublier complètement.
Quand
ses parents venaient à Ars, il les recevait avec beaucoup de cordialité; il
leur faisait grandement les honneurs de sa table et pour les engager à manger,
il sortait un peu de ses habitudes de pénitence. L'un de ses neveux me disait
qu'on était tellement rempli d’idées surnaturelles qu'on ne songeait guère à
manger: c'était comme le jour de la première communion.
Par
reconnaissance pour les habitants des Noës et surtout pour la mère Fayot, il
parlait avec attendrissement de l'hospitalité qu'il en avait reçu.
Le
souvenir de Mr Balley, son ancien maître et son ancien curé, était resté gravé
profondément dans son esprit. Ses yeux se remplissaient de larmes quand il
parlait de ce vénérable vieillard. J'aurais fini, disait-il, par être un peu
sage, si j'avais eu le bonheur de vivre avec Mr Balley. 1143 Pour avoir envie
d'aimer le bon Dieu, il suffisait de lui entendre dire: Mon Dieu, je vous aime
de tout mon coeur.
Il poussait très loin la
reconnaissance pour les moindres services qu'on lui rendait et dont il se
regardait comme très indigne.
Quoad
Obedientiam, testis respondit:
Le
Serviteur de Dieu montra toujours une grande obéissance, comme il résulte des
faits que j'ai précédemment énoncés. J'ajouterai seulement qu'il avait un grand
amour pour l'Église et sa discipline, un profond respect pour ses lois et ses
décisions, et qu'il avait une soumission filiale pour ses supérieurs.
Quoad
religionem, testis respondit:
Le
Serviteur de Dieu recherchait tout ce qui, de près ou de loin, se rapportait au
culte et à la gloire de Dieu. Le plus petit objet lui devenait cher et sacré dès
qu'il avait une signification dévote. Il aimait les croix, les chapelets, les
médailles, les images, l'eau bénite, les confréries, les reliques surtout. Son
église, sa chapelle de la Providence et sa chambre étaient remplies de
reliques. Il disait un jour avec un grand air de satisfaction qu'il en avait
plus de cinq cents. Il était insatiable de la parole de Dieu, pour lui et pour
les âmes confiées à sa sollicitude pastorale.
J'ai
déjà parlé de sa grande dévotion envers le Saint Sacrement, et je sais qu'il
aimait à réciter son office en union avec Notre Seigneur dans les différents
mystères de sa vie et de sa mort.
J'ai
déjà parlé de sa grande dévotion envers la Ste Vierge. Je puis ajouter que
cette dévotion alla toujours en grandissant. Il aimait à célébrer la messe à
l'autel de la Mère de Dieu le plus souvent qu'il pouvait, et il n'y manquait
jamais le samedi. Tous les soirs à la prière, il disait en chaire le chapelet
de l'Immaculée Conception, et il avait l'habitude, quand l'heure sonnait, de
réciter l'Ave Maria, avec l'invocation: Bénie soit la très sainte et Immaculée
Conception de la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu. 1144 O Marie! que
toutes les nations glorifient, que toute la terre invoque et bénisse votre
Coeur immaculé! Il ne prononçait ces dernières paroles qu'en versant des
larmes.
Il
avait attaché son coeur depuis longtemps à la douce croyance de l'Immaculée
Conception. Quel bonheur, s'écria-t-il quand le dogme fut défini! J'ai toujours
pensé qu'il manquait ce rayon à l'éclat des vérités catholiques. Et pour
marquer sa joie, il fit faire une magnifique chasuble.
Il
avait consacré depuis longtemps sa paroisse au Coeur Immaculé de Marie. Il ne
négligea rien, à Ars, pour rehausser le culte de la Ste Vierge. Il célébrait
ses fêtes avec une grande pompe et au milieu d'un grand concours de fidèles. Il
n'y avait jamais plus d'étrangers dans la paroisse que les jours de fêtes de la
Mère de Dieu. Son image était partout dans le village, sur la façade de
l'église, sur la porte et dans l'intérieur des maisons.
Le
très saint Coeur de Marie était le refuge du Curé d'Ars dans toutes ses peines
et l'arsenal où il puisait incessamment les armes dont il se servait pour
combattre l'enfer. Une de ses grandes pratiques était de faire et de conseiller
une neuvaine au saint Coeur de Marie. Il ne se lassait pas de parler dans ses
instructions de ce coeur si pur, si beau, si bon, l'ouvrage et les délices de
la Ste Trinité. Il a dit des choses admirables sur la Ste Vierge. Il remerciait
souvent Notre Seigneur d'avoir donné à sa divine Mère un coeur si bon pour les
pauvres pécheurs. Le Fils, disait-il, a sa justice, mais la mère n'a que son
amour.
Il
avait une grande dévotion aux saints, il lisait continuellement leur vie; il ne
se lassait pas d'en parler, de raconter des traits touchants; il ne se lassait
pas non plus d'entendre parler de ses bons saints, comme il les appelait. Parmi
les saints, il avait une dévotion particulière pour ceux qui, par leurs travaux
et leurs souffrances, avaient témoigné un plus grand amour pour Notre Seigneur.
Il
avait voué à Ste Philomène un culte tout particulier; il conseillait souvent
des neuvaines à cette sainte, à laquelle il attribuait toutes les faveurs et
les prodiges qui avaient contribué à la célébrité du pèlerinage d'Ars. 1145 Il
avait aussi une grande dévotion aux âmes du purgatoire. Il encourageait toutes
les entreprises qui avaient pour but de les soulager. C'est à son inspiration
que l'on doit l'oeuvre des Dames Auxiliatrices des âmes du purgatoire.
Lui-même, il ne cessait de prier pour elles; il offrait à leur intention toutes
ses insomnies, toutes ses douleurs, et conseillait de venir à leur secours par
les prières et les bonnes oeuvres.
1147 Session 128 - 27 Novembre 1863 à 8h du matin
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
L'Oraison
de Mr Vianney était continuelle. Sa figure, ses manières, ses conversations,
tout annonçait qu'il était pénétré de la présence de Dieu. Tout ce qui distrait
habituellement les hommes, les occupations, les créatures, contribuait à l'unir
intimement à Dieu. 1148 Aussi il puisait dans ses relations constantes avec
Dieu des idées si claires et si lucides sur les choses spirituelles et sur la
direction des consciences, que l'on pouvait répéter ces paroles, avec Mgr
Devie, évêque de Belley: Je ne sais pas s'il est instruit, mais il est éclairé.
Sa piété n'avait cependant rien de singulier; elle était simple, facile; au
lieu de le rendre austère, elle le rendait plus aimable.
Quoad
Fortitudinem, testis respondit:
Pendant
toute la vie de Mr Vianney, au milieu des contradictions, des tentations, des
peines et des souffrances, sa force d'âme ne s'est jamais démentie. Il a
toujours montré une patience à toute épreuve, une confiance sans borne en Dieu
et une constance invincible. Ce qui était très remarquable en lui, c'était une
égalité d'âme qui ne se troublait jamais, quoique plusieurs fois par jour elle
fût mise à de rudes épreuves.
Le
Serviteur de Dieu pratiquait à la lettre ce mot qui revenait souvent dans ses
conversations: Les saints ne se plaignent pas. Lorsqu'il était aux Noës,
recherché par la gendarmerie, il s'était caché dans un grenier à foin; il
étouffait, par l'entassement du fourrage et par le voisinage de l'étable. Cette
situation violente dura longtemps. Il promit de ne jamais se plaindre et
pendant toute sa vie il a tenu cette promesse.
Les
mortifications qu'il avait pratiquées, le peu de soin qu'il avait pris de sa
santé, lui avait causé différentes infirmités. Il était sujet à des douleurs
d'entrailles, à des maux de tête continuels, et pendant les vingt-cinq
dernières années de sa vie à une toux aiguë. Lorsque cette toux l'oppressait le
plus violemment et qu'on semblait compatir à ses souffrances, il disait: C'est
ennuyeux, ça me prend tout mon temps. Vaincu quelquefois par la force de la
douleur, il s'affaissait sur une chaise. Je le plaignais un jour; 1149 il se
contenta de me répondre, avec un doux sourire: Oui, je souffre un peu... Il y
avait un quart d'heure que je conversais avec lui, et sa figure n'avait pas
trahi la moindre émotion. Elle était en effet toujours calme et souriante et sa
conversation pleine de gaieté, au milieu des souffrances les plus vives.
Il
ne connaissait aucun ménagement quand il s'agissait de visiter les infirmes ou
de se rendre au confessionnal. On le voyait aller, accablé de fatigue et
pouvant à peine marcher, dans les maisons où il était appelé. Il ne retranchait
pas un instant à ses longues séances au confessionnal dans le temps même où il
souffrait le plus. Après avoir vainement attendu le sommeil, il ne laissait pas
de se lever, quoiqu'il fût disposé à dormir, pour se rendre à l'église. Il ne
dormait pas deux heures chaque nuit. Il m'a souvent déclaré qu'une heure de bon
sommeil aurait suffi pour le faire galoper. Sa patience était admirable
au milieu des contradictions, des calomnies, des injures. Un jour, il reçut une
lettre pleine de choses inconvenantes. Peu après, il en reçut une autre qui ne
respirait que la vénération et la confiance: Voyez, disait-il dans un de ses
catéchismes, le cas qu'il faut faire des jugements des hommes: on vous fait des
compliments, on vous trompe; on vous dit des injures, on vous dit ce qui est.
Cependant, d'après ses propres aveux, il était né avec un caractère impétueux,
et il lui avait fallu une très grande patience pour devenir doux et patient.
Cette
patience ne se lassait jamais. Importuné, harcelé à tous les instants du jour
par la même personne, qui voulait obtenir de lui quelque chose qu'il ne voulait
pas accorder, il la recevait toujours avec la même bonté, sans cependant lui
accorder ce qu'elle demandait. Il disait un jour, en parlant d'une personne qui
l'aurait fait mourir à petit feu, si son coeur avait été moins affermi dans la
patience: Combien je lui ai de la reconnaissance: je n'aurais pas su sans elle
que j'aimais un peu le bon Dieu.
1150 Quoad Temperantiam, testis respondit:
Le
Serviteur de Dieu savait que pour arriver à un haut degré de vertu, il faut
mortifier la chair. Aussi pratiqua-t-il de rudes mortifications. J'ai parlé de
son genre de vie à Ecully et des pénitences qu'il pratiquait lorsqu'il voulait
obtenir quelque grâce. Je sais par des témoins dignes de foi qu'il n'avait
point de domestique à Ars dès le commencement de son ministère et que cependant
il ne voulait point accepter les mets qui avaient été préparés par une personne
pieuse du voisinage. Cette personne voulut à plusieurs reprises mettre un
matelas sur son lit. Mr Vianney le donna à un pauvre. Il donna aussi sa couette
et son traversin. Se trouvant encore trop bien sur la paille, il couchait sur
une planche.
Quand
il rencontrait un pauvre, il proposait de le débarrasser du contenu de sa
besace, parce qu'il aimait à se nourrir du pain des pauvres. Il faisait cuire
des pommes de terre lui-même et les mangeait en rentrant chez lui le soir.
Elles étaient quelquefois moisies. Un soir, après avoir pris une pomme de
terre, il eut la tentation d'en prendre une seconde; il se retint en disant: La
première était pour la faim, la seconde serait pour le plaisir. Ce qu'il
accordait à son corps semblait avoir pour but moins de le conserver que de
l'empêcher de mourir. Il est demeuré plusieurs jours sans prendre aucune
nourriture. Il a passé des carêmes entiers sans consommer deux livres de pain.
Il avait même essayé de vivre d'herbes et de racines, mais il fut obligé d'y
renoncer au bout de huit jours. Il délayait un peu de farine et faisait
lui-même deux ou trois matefaims pour son dîner. Catherine Lassagne m'a dit
qu'un jour elle l'engagea à prendre plus de nourriture, parce qu'il ne pourrait
pas tenir en vivant de la sorte: Oh! que si, répondit-il gaiement! Que dit
Notre Seigneur? J'ai une autre nourriture, qui est de faire la volonté de mon
père qui m'a envoyé. J'ai un bon cadavre, je suis dur; après avoir mangé
n'importe quoi, je puis recommencer.
1151 Catherine Lassagne m'a raconté aussi qu'un jour il se
trouva mal au confessionnal et qu'il vint en se traînant à la Providence
et qu'elle lui dit: Vous devez être content cette fois: vous êtes bien allé
jusqu'au bout... Il ne voulut accepter qu'un peu d'eau de Cologne et s'échappa
pour aller dans la salle voisine faire le catéchisme aux enfants.
Il
ne voulait rien accepter de ce qu'on lui apportait, ou s'il l'acceptait, il le
donnait aux pauvres. Il allait prendre ses repas à la Providence, quand
elle eut été établie; il se plaignait du dîner qu'on lui préparait. Si vous
aviez plus de charité pour moi et pour les âmes, disait-il aux directrices,
vous ne me prépareriez jamais rien. Il prenait seulement un peu de lait bouilli
avec du chocolat. Quand il était pressé, il allait à la cure son pot à la main.
Un ecclésiastique le rencontra un jour et fut un peu désappointé. Ce bon
monsieur, disait Mr Vianney, a été bien attrapé; il s'attendait à trouver
quelque chose à Ars, et il n'a rien trouvé.
Mgr
Devie voulut un jour le faire sortir de ses habitudes, le fit placer à table à
coté de lui et se plut à le servir lui-même. Mr Vianney fut indisposé. Mgr
Devie lui dit: Jeûnez en paix, mon ami; désormais je ne vous obligerai plus à
dîner avec moi. Il est à remarquer cependant que le prélat était d'une très
grande sobriété.
Pour
obéir à ses supérieurs, il relâcha un peu, vers la fin de sa vie, de la
sévérité de son régime; il lui en coûta beaucoup, et cependant il ne mangeait
pas une livre de pain par semaine. Il n'acceptait pas de viande deux jours de
suite, et il y avait des semaines où il n'en mangeait pas.
Il
pratiquait aussi d'autres pénitences. J'ai entendu dire à Marie Chanay et à Catherine
Lassagne qu'elles avaient trouvé dans la chambre du bon curé des haires, des
cilices, des chaînes d'acier, une corde avec des noeuds terminée par une boule
en fer, quatre ou cinq disciplines polies par l'usage, et qu'elles avaient vu à
la lessive sur le linge de Mr Vianney des taches de sang. Il me disait un jour:
1152 N'avez-vous pas vu des meneurs d'ours? Vous savez comment ils apprivoisent
ces méchantes bêtes: c'est en leur donnant de grands coups de bâton. On dompte
ainsi son cadavre et on apprivoise le vieil Adam.
Je
tiens de Catherine Lassagne qu'il commanda à un maréchal du village une grosse
chaîne pour s'en faire une discipline.
J'ai
pu m'assurer qu'il s'imposait de ne pas sentir une fleur, de ne pas boire quand
il avait soif, de ne pas chasser une mouche, de ne jamais manifester de dégoût,
de ne jamais s'asseoir et de ne pas s'accouder lorsqu'il était à genoux. Il ne
cherchait pas à se garantir du froid, qu'il craignait beaucoup, et il ne voulut
jamais accepter de coussin dans son confessionnal, où il passait de seize à
dix-huit heures par jour.
Je
lui ai entendu dire que dans la voie de la pénitence, il n'y a que le premier
pas qui coûte. La mortification a un baume et des saveurs dont on ne peut plus
se passer quand on les a connues. On veut épuiser la coupe et aller jusqu'au
bout. Il disait encore: Je pense souvent que je voudrais pouvoir me perdre et
ne plus me retrouver qu'en Dieu.
Quoad
Paupertatem, testis respondit:
Le
Serviteur de Dieu avait un grand amour pour la pauvreté et il cherchait à se
dépouiller de tout. Les pauvres meubles qui garnissaient sa chambre avaient
tous été vendus et rachetés plusieurs fois. Quand son lit eut été brûlé par le
démon, comme il le croyait, il se réjouit de n'avoir point de lit: Il y a
longtemps, me dit-il, que je demandais cette grâce au bon Dieu. Je pense que
cette fois, je suis bien le plus pauvre de la paroisse: ils ont tous un lit, et
moi je n'en ai plus. On lui offrit alors plusieurs lits et plusieurs
couvertures; il choisit ce qu'il y avait de plus mauvais.
Dans
sa chambre, il n'y avait que le strict nécessaire et tout était d'une extrême
pauvreté. Un jour, Catherine Lassagne lui acheta une tasse en faïence; 1153 il
la refusa en disant: On ne pourra donc pas venir à bout d'avoir la pauvreté dans
son ménage! Sa soutane, ses souliers, tout dans sa personne était d'une extrême
pauvreté. Sa devise était de tout donner et de ne rien garder. Ayant brûlé un
jour par mégarde un billet de banque de cinq cents francs: Oh! s'écria-t-il, il
y a moins de mal que si j'avais commis le plus petit péché véniel.
1155 Session 129-27 Novembre 1863 à 2h de l'après-midi
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
A l'exemple
des saints, le Serviteur de Dieu regardait l'humilité comme le fondement de
toutes les vertus; aussi s'attacha-t-il à la pratiquer de toutes les manières
et dans toutes les circonstances. 1156 Il n'y avait en lui rien de contraint,
rien d'affecté, rien absolument de l'homme qui veut paraître. Mais une simplicité
et une modestie d'enfant. Les choses merveilleuses qui s'accomplissaient autour
de lui ne faisaient que de le rendre plus humble.
Je lui disais
un jour que cette vénération publique devait être pour lui une grande épreuve.
Oh! mon ami, me répondit-il, si seulement je n'étais pas tenté de désespoir...
Il était impossible de découvrir sur son visage des traces de préoccupation
personnelle, d'un retour sur lui-même; on eût dit que le moi n'existait
plus en lui; aussi recherchait-il l'obscurité et le silence avec autant
d'ardeur que d'autres en mettent à courir après la réputation et la gloire;
rien ne lui déplaisait comme les éloges. A quelque chose d'agréable, il
répondait par une courte et humble parole. Un jour, Mgr Devie, lui adressant la
parole, lui dit: Mon saint curé. Ce fut une vraie désolation. Il n'y a pas
jusqu'à Mgr, s'écriait-il, qui ne se trompe sur moi. Faut-il que je sois
hypocrite?... Si un prédicateur disait quelques mots à sa louange, il prenait
la fuite et se réfugiait à la sacristie. Il ne parlait jamais de lui le premier
et si, dans la conversation, on voulait faire son éloge, il se hâtait de former
des accusations contre lui-même. Dieu l'avait choisi pour la conversion des
pécheurs, parce qu'il était le prêtre le plus misérable du diocèse.
Son portrait,
malgré lui, était étalé devant les maisons du village; il en était très peiné
et passait en baissant la tête. Il échappait à cette importune vision par une
aimable saillie: Toujours ce carnaval, disait-il! Voyez comme je suis
malheureux: on me pend, on me vend... Pauvre curé d'Ars! On vendait deux ou
trois francs une lithographie faite d'après le dessin d'un artiste d'Avignon
qui avait assez bien réussi à reproduire ses traits: On est bien averti, dit le
Curé d'Ars, du peu que l'on vaut. Quand on me donnait pour deux sous, j'avais
des acheteurs; 1157 depuis que l'on me vend trois francs, je n'en ai plus. Il
refusa constamment d'apposer sa signature sur un ouvrage où il y avait quelques
phrases à sa louange.
Il
s'affligeait jusqu'à verser des larmes en voyant la vénération dont il était
entouré et la publicité que l'on donnait à son nom. A la vue d'un de ses
portraits, au bas duquel on avait fait figurer son camail et sa croix
d'honneur, il s'écria: On aurait dû mettre encore: Mensonge, orgueil, néant: ce
serait complet.
Mr le Curé,
lui disait un jour une personne, comment faudrait-il faire pour être sage? -
Mon ami, il faudrait bien aimer le bon Dieu. - Eh! comment faire pour aimer le
bon Dieu? - Ah! mon ami, humilité, humilité! Il disait souvent: Ceux qui nous
humilient sont nos amis, et non ceux qui nous louent. Un ecclésiastique lui
écrivit un jour: Mr le Curé, quand on a aussi peu de théologie que vous, on ne
devrait jamais entrer dans un confessionnal. Le reste était à l'avenant. Le
Serviteur de Dieu se hâta d'y répondre qu'il était le seul qui l'eût bien
connu, et il le pria de lui obtenir la grâce de quitter un poste qu'il n'était
pas digne d'occuper à cause de son ignorance, afin qu'il pût se retirer dans un
petit coin et y pleurer sa pauvre vie. Je tiens ce fait de plusieurs témoins
dignes de foi.
En butte aux
contradictions, aux dénonciations, il s'attendait à être interdit. Une pièce
accusatrice rédigée contre lui tomba entre ses mains; il l'envoya lui-même,
après l'avoir apostillée, à ses supérieurs. Cette fois, dit-il, ils sont bien
sûrs de réussir, puisqu'ils ont ma signature.
Les
personnages les plus éminents et les plus haut placés venaient à Ars. Il
semblait ne pas y faire attention. Après une visite du Père Lacordaire, Mr
Vianney disait: Ce qu'il y a de plus grand dans la science est venu s'abaisser
devant ce qu'il y a de plus petit dans l'ignorance. Les deux extrêmes se sont
rapprochés. 1158
Il fut très
embarrassé lorsque Mgr Chalandon lui donna le camail de chanoine honoraire.
Aussi ne porta-t-il le camail que le jour de la cérémonie. Il fallut, pour lui
faire accepter la croix de la légion d'honneur, lui laisser croire que l'écrin
qui la renfermait contenait des reliques. Hélas! dit-il en l'ouvrant, ce n'est
que ça... Tenez, mon ami, dit-il à Mr Toccanier en la lui remettant, l'empereur
s'est trompé. Ayez autant de plaisir à la recevoir que j’en ai à vous la
donner.
Quoad
castitatem, testis respondit:
Le Serviteur
de Dieu montra toujours une grande prédilection pour la sainte vertu de
chasteté. Il n'avait que sept ans lorsque Marie Vincent, qui m'a raconté ce
fait, lui dit: Si un jour vos parents voulaient, nous nous marierions ensemble.
- Oh! pour ce qui est de moi, n'en parlons pas, n'en parlons jamais, reprit
aussitôt le jeune Vianney.
Ses paroles,
ses actions, ses démarches ont toujours montré le grand amour qu'il avait pour
la chasteté. On n'a jamais pu rien surprendre chez lui qui méritât le moindre
blâme, ou pût faire naître l'ombre d'un soupçon. Si quelques méchants osèrent
l'attaquer sur ce point, ils n'ont pu se faire écouter.
Interrogatus
demum an aliquid cognoscat contrarium virtutibus de quibus supra, respondit:
Je ne connais
rien et je n'ai rien entendu dire qui puisse ternir l'éclat des vertus sur
lesquelles je viens de déposer.
Juxta decimum nonum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je sais qu'il
a pratiqué les vertus dont je viens de parler à un degré héroïque. J'entends
par vertus héroïques celles à la pratique desquelles on ne s'élève que par des
grâces extraordinaires auxquelles on est toujours fidèle et par de suprêmes
efforts. C'est de cette manière qu'il les a pratiquées sous mes yeux pendant
l'espace de six ans. Il a persévéré dans cette pratique jusqu'à la mort, et à
ma connaissance, il ne s'est jamais relâché de sa ferveur et n'a jamais rien
fait qui pût ternir l'éclat des vertus qui l'ont toujours fait regarder comme
un saint.
1159 Juxta vigesimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je sais et
j'ai entendu dire que le Serviteur de Dieu a été comblé de dons surnaturels ou
de grâces données gratuitement.
1° Il avait
le don des larmes. Je l'ai vu pleurer souvent quand il prêchait, quand il
confessait, quand il disait la sainte messe, quand il parlait de Dieu et du
péché.
2° Toutes les
fois que j'ai été à Ars, j'ai vu plusieurs personnes qui m'assuraient que le
Serviteur de Dieu avait lu au fond de leur coeur et avait connu des choses dont
elles ne lui avaient pas parlé. Il avait reçu un don merveilleux de consoler
les affligés, de toucher les pécheurs. Aussi on ne saurait compter les
conversions éclatantes qui se sont opérées par son entremise.
3° Je puis
affirmer qu'il a annoncé des choses futures. Il rencontra un matin, en entrant
dans l'église, une jeune fille et lui dit de partir à l'instant pour rentrer
chez elle. Elle demanda à son confesseur, qui était un missionnaire, ce qu'elle
devait faire. Il l'engagea à partir et à lui écrire quand elle serait arrivée.
Elle lui écrivit effectivement et lui dit qu'en arrivant, elle avait trouvé sa
soeur morte.
Pendant la
guerre d'Italie de mil huit cent cinquante-neuf, il avait rassuré un grand
nombre de personnes en leur disant de la manière la plus formelle que les
soldats auxquels elles s'intéressaient reviendraient en France. Je ne sache pas
qu'aucune de ces prédictions ait été démentie par l'événement.
Mr l'abbé
Perdreau, aumônier des carmélites de l'avenue de Saxe à Paris, avait été
condamné par les médecins. Il vint à Ars en se rendant à Nice. Il dit à Mr
Vianney que des inquiétudes rendaient sa piété moins fervente. Sans attendre
des explications, le Serviteur de Dieu lui mit la main sur l'épaule en lui
disant: Mon ami, c'est votre maladie; soyez tranquille: vous n'en mourrez pas.
Contre l'attente des médecins, Mr l'abbé Perdreau revint à la santé.
4° J'ai
entendu dire par Catherine Lassagne et Melle de Belvey que Ste Philomène lui
était apparue. C'est aussi l'opinion commune que pendant sa maladie de mil huit
cent quarante-deux, il avait été favorisé de la même vision. 1160
Mr Toccanier
m'a raconté qu'il tenait du Curé d'Ars que dans un moment de tristesse et
d'ennui, il avait entendu plusieurs fois distinctement une voix prononcer ces
paroles: In te Domine speravi, non confundar in aeternum. Il fut
grandement consolé.
5° J'ai
entendu parler plusieurs fois de guérisons miraculeuses. Je vais en citer
quelques unes qui sont à ma connaissance.
Un enfant de
huit ans, nommé Dévoluet, de St Romain, diocèse d'Autun, était atteint d'une
affection scrofuleuse dont son frère était mort. Il ne pouvait pas marcher
depuis huit mois. Sa mère l'amena à Ars sur une petite charrette. Elle
s'acharna pendant toute une journée à suivre Mr le Curé d'Ars avec son enfant.
Le malade fut béni plusieurs fois par le Serviteur de Dieu. Il dit à sa mère: Mr
le Curé m'a dit que je marcherai demain, il faut m'acheter des sabots. Le
lendemain, le pauvre enfant courait en effet par l'église, au grand étonnement
de la foule. Le Serviteur de Dieu ne voulut pas recevoir la mère, qui désirait
le remercier, et me dit: Ste Philomène aurait bien dû guérir ce petit chez lui.
La guérison a persévéré.
Le jeune
Michel, de Coligny, diocèse de Belley, fut guéri instantanément d'une fièvre
typhoïde pendant que Mr le Curé disait la messe pour lui.
Melle Zoé
Pradelle, de la Palude, diocèse d'Avignon, atteinte d'une maladie nerveuse que
les médecins les plus célèbres de Montpellier et d'Avignon avaient traitée sans
succès, fut radicalement guérie à Ars à la fin d'une neuvaine, en mil huit cent
cinquante-huit. Et depuis, elle jouit d'une santé exceptionnelle.
6° J'ai
entendu dire à Mr Mandy, à Catherine, que il y avait eu une multiplication de
blé à la Providence, à la suite des prières qu'il avait faites à St François
Régis, dont il avait mis les reliques dans le peu de blé qui restait.
1161 Jeanne-Marie Chanay et Catherine Lassagne m'ont raconté qu'elles
avaient mis, par ordre de Mr le Curé, un peu de farine dans le pétrin, et que
la pâte augmentait à mesure qu'elles pétrissaient. Elles firent ce jour-là une
bonne fournée de pains.
1163 Session 130 - 28 Novembre 1863 à 8h du matin
Juxta
vigesimum primum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je puis
affirmer que Mr le Curé d'Ars n'a jamais rien écrit pour le public, et si
quelque ouvrage, quelque livre de prières a paru sous son nom, ce livre n'est
certainement pas de lui. 1164 Quant à
sa correspondance, elle se réduit à un très petit nombre d'autographes. C'était
des lettres de bienveillance ou d'affaires, qui mettent en relief son humilité
et son désintéressement.
Juxta vigesimum secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'étais à Ars
au mois de Juin mil huit cent cinquante-neuf. Les forces du Serviteur de Dieu
commençaient à le trahir. Il m'a avoué qu'il était tombé plusieurs fois dans le
trajet de sa chambre à l'église; qu'il ne pouvait marcher qu'en s'appuyant
contre les murs de sa chambre et contre les murs de son escalier. Et cependant
il ne se plaignit jamais et n'interrompit jamais son travail. Les chaleurs
exceptionnelles du mois de Juillet l'achevèrent. Dans la nuit du vingt-neuf au
trente, en se levant à l'heure accoutumée pour aller au confessionnal, il tomba
pour ne plus se relever. Il répondit aux personnes qui, inquiètes de son
absence, vinrent le trouver dans sa chambre: Je crois que c'est ma pauvre fin.
A partir de ce moment, il ne parla presque plus. Dès le lendemain, il demanda à
recevoir les derniers sacrements. La cérémonie eut lieu devant une réunion
nombreuse de prêtres et de fidèles. Mr le Curé bénit ensuite ses paroissiens,
mais sans pouvoir leur adresser la parole. Dès lors, la vie alla en
s'éteignant. Le trois Août à une heure, j'arrivais avec un confrère. Mr Vianney
venait de faire son testament, dans la plénitude de sa connaissance, mais ne
répondant plus que par signes. Il me reconnut, me bénit, témoigna son
contentement. Quelques instants après, il pleura en recevant la visite de son
Évêque; ce furent ses dernières larmes. À minuit, je fus appelé auprès du lit
du vénéré malade; il n'y avait rien de changé dans son état, et je crus qu'il
passerait la nuit. Cependant sa respiration devint tout à coup plus lente et
plus faible. Je recommençais les prières de la recommandation de l'âme qui, je
crois, lui avaient déjà été faites. 1165 J'appliquais ma croix sur ses lèvres;
il la baisa. Au moment où je prononçais ces paroles: Veniant illi obviam sancti
Angeli Dei, etc., sans agonie, sans lutte, sans secousse, sa respiration
s'éteignit et il s'endormit paisiblement dans le sein du Seigneur. Il était
deux heures du matin.
Mr Vianney
avait prévu sa mort. En recevant, au mois de Juin, un ruban pour soutenir à la
procession du Saint Sacrement le lourd ostensoir d'Ars, il avait dit: Je ne
m'en servirai qu'une fois. Quelques jours après, en signant son mandat de
traitement, il avait ajouté: C'est la dernière fois. On m'a rapporté qu'il
avait communiqué ses pressentiments à plusieurs personnes de son entourage.
Juxta vigesimum tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai eu la
consolation de rendre au corps du Serviteur de Dieu les derniers devoirs. J'ai
remarqué avec attendrissement qu'il était arrivé au dernier degré
d'exténuation. Après qu'il eût été lavé et revêtu des habits sacerdotaux, il
fut exposé dans une salle basse du presbytère à la vénération de la foule, qui
ne cessa pendant quarante-huit heures de se renouveler autour de cette sainte
dépouille, y apportant des fleurs et des couronnes, y appliquant des croix et
des chapelets, etc. Dès que la fatale nouvelle se fut répandue, la
consternation des paroisses voisines répondit à celle de la paroisse; les
cloches de tous les villages voisins sonnèrent le glas; les journaux de la
France annoncèrent sa mort; de toute part, des foules énormes accoururent à
Ars, si bien que le jour des funérailles, qui eurent lieu le six Août, on
évalue à près de six mille les étrangers qui se trouvèrent réunis dans un
village de quatre cents âmes. Mgr l'Évêque de Belley, à la tête de deux cents
prêtres et d'un grand nombre de religieux, présida la cérémonie. 1166 A la
levée du corps, on vit éclater dans la foule le même mouvement irrésistible qui
se manifestait à la présence du Serviteur de Dieu lorsqu'il était vivant, et
dès ce moment, il fut impossible de contenir la multitude et de mettre de
l'ordre dans le cortège, tous voulant approcher du cercueil et contempler une
dernière fois les traits de l'homme de Dieu. Mgr adressa devant le cercueil un
discours très touchant à l'immense multitude réunie sur la place de l'église.
Ce discours était un hommage éclatant rendu à la sainteté du Serviteur de Dieu.
Juxta vigesimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Après la
messe solennelle des funérailles, pendant laquelle on remarqua le recueillement
profond de cette grande foule qui assiégeait les murailles de l'église, les
prêtres seuls et quelques privilégiés ayant pu être admis dans l'intérieur, le
corps fut déposé provisoirement dans la chapelle de St Jean Baptiste, pendant
qu'on préparait le caveau qui devait le renfermer. Ce caveau est au milieu de
la nef, entre la chaire et la petite estrade de laquelle Mr le Curé avait
coutume de catéchiser la foule. L'empressement des fidèles à venir vénérer le
cercueil pendant qu'il était déposé dans la chapelle de St Jean Baptiste et
depuis qu'il est renfermé sous les dalles de l'église, ne s'est pas ralenti. Le
pèlerinage dure encore et on a calculé que dans le cours de l'année mil huit
cent soixante-trois, qui n'est pas encore finie, il était venu à Ars quarante
mille étrangers. On a eu de la peine à empêcher les pèlerins de manifester leur
vénération pour ce saint tombeau par des hommages qui auraient trop ressemblé à
un culte anticipé. Ils apportaient continuellement des couronnes au tombeau;
ils auraient voulu y faire brûler des cierges. On a été obligé de protéger la
pierre du tombeau au moyen d'une balustrade, qui a été enlevée depuis. 1167
Juxta
vigesimum quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je ne crois
pas que personne ait joui dans notre siècle d'une aussi grande popularité que
le Curé d'Ars, et celle popularité, il la devait toute à sa sainteté. Tous les
étrangers qui venaient à Ars emportaient cette impression. Tous voulaient lui
parler, recevoir sa bénédiction, posséder un objet qui lui avait appartenu ou
du moins qu'il avait touché. Son portrait est allé dans tous les lieux où son
nom a pénétré, et l'on peut dire que son nom a pénétré partout. Cette
réputation était si bien établie qu'il n'est pas à ma connaissance qu'elle ait
rencontré un seul contradicteur. Son tombeau est demeuré le centre d'un
mouvement considérable, auquel la vénération, la confiance, l'espoir d'obtenir
des faveurs extraordinaires, des conversions et des guérisons, a la plus grande
part. Je crois que cette vénération a pour fondement les vertus héroïques du
Serviteur de Dieu et les grâces obtenues par ses prières. Quant à moi, j'estime
que la sainteté ne m'est jamais apparue sous des formes plus visibles, plus
aimables et plus éclatantes.
Juxta vigesinmm sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Ainsi que je
viens de le dire, je ne connais personne qui ait attaqué la réputation de
sainteté du Serviteur de Dieu.
Juxta
vigesimum septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai entendu
raconter plusieurs guérisons miraculeuses qui se sont opérées depuis la mort du
Serviteur de Dieu. On m'a dit que Mme de Larnage avait été guérie d'une tumeur
déclarée très grave, par le contact d'un objet qui avait appartenu au Curé
d'Ars. La même faveur a été obtenue par une petite fille des hospices de Lyon
dont le bras était ankylosé. Je sais qu'une petite Soeur des Pauvres de
Bordeaux, que son médecin avait abandonnée, qui avait reçu les derniers
sacrements, a obtenu son complet rétablissement, sans passer par la
convalescence, à la suite d'une neuvaine au Curé d'Ars. 1168 J'ai vu un enfant
de huit ans, de St Laurent lès Macon, atteint d'une paralysie complète par
suite de crises nerveuses qui se succédaient presque sans interruption,
recouvrer du jour au lendemain l'usage de ses membres et de la parole, qu'il
avait perdu. Cette guérison eut lieu après que l'enfant eût été apporté sur le
tombeau du Serviteur de Dieu.
Juxta
vigesimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n'ai rien
à ajouter à mes précédentes dépositions.
Et
expleto examine super Interrogatoriis, deventum est ad Articulos, super quibus
testi lectis, dixit se tantum scire, quantum supra deposuit ad Interrogatoria,
ad quae se retulit.
Sic
completo examine, integra depositio jussu Rmarum Dominationum suarum perlecta
fuit a me Notario a principio ad finem testi supradicto alta et intelligibili
voce. Qua per ipsum bene audita et intellecta respondit se in eamdem
perseverare, et illam iterum confirmavit.
PROCES DE BEATIFICATION ET
CANONISATION D E
SAINT JEAN MARIE BAPTISTE VIANNEY
CURE D'ARS
PROCES INFORMATIF ORDINAIRE
1171 Session 131 - 4 Février 1864 à 9h du matin
1176 Juxta primum Interrogatorium, testis monitus de vi et natura juramenti
et gravitate perjurii praesertim in causis Beatificationis et Canonizationis,
respondit:
Je connais la
nature du serment que je viens de prêter et la gravité du parjure dont je me
rendrais coupable si je ne disais pas toute la vérité telle que je la connais.
Juxta secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je m'appelle
Louis Beau. Je suis né à Ambronay le trente Décembre mil huit cent huit, de
Louis Beau et Marguerite Masson. Je suis prêtre, curé de Jassans dans le
diocèse de Belley. J'ai été le confesseur du Serviteur de Dieu pendant ses
treize dernières années.
Juxta tertium
Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai le
bonheur de célébrer la sainte messe tous les jours.
Juxta quartum
Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n'ai
jamais été traduit en justice.
Juxta quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n'ai
jamais, du moins à ma connaissance, encouru les peines ou les censures
ecclésiastiques.
Juxta sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
1177 Personne ne m'a instruit de la manière dont je devais
déposer dans cette cause. Je n'ai pas lu les Articles du Postulateur. Je ne
dirai que ce que j'ai vu ou entendu de témoins dignes de foi.
Juxta
septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'avais une
grande affection pour le Serviteur de Dieu. Je désire vivement sa
Béatification, et en cela je n'ai en vue que la gloire de Dieu et de la Ste
Église. Je ne suis mu par aucun motif humain.
1183 Session 132 - 4 Février 1864 à 3h de l'après-midi
Juxta octavum
Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je sais que
le Serviteur de Dieu est né à Dardilly de parents chrétiens. J'ai entendu dire
qu'il avait été très pieux dès bon enfance. Je ne puis donner de détails, ne
l'ayant connu que lorsque je suis venu dans le pays, en mil huit cent
trente-quatre.
1184 Juxta nonum Interrogatorium, testis
interrogatus respondit:
Je m'en
réfère à la réponse au précédent Interrogatoire.
Juxta decimum
et undecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je ne sais
rien sur ces deux Interrogatoires.,
Juxta duodecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai ouï
dire que le Serviteur de Dieu avait fait ses études avec beaucoup de
difficultés et qu'il s'était préparé avec une très grande piété à la réception
des saints ordres.
Juxta decimum tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai entendu
dire qu'il avait été vicaire à Ecully chez Mr Balley et qu'ils menaient tous
deux une vie de prière et de pénitence.
Juxta decimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai ouï dire
que le Serviteur de Dieu fut nommé Curé de la paroisse d'Ars et que, lorsqu'il
y arriva, il y avait des abus, comme le travail du dimanche, les danses, et
qu'il s'appliqua à les supprimer. Dès le commencement, il passait presque tout
son temps à l'église.
Juxta decimum quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je sais qu'il
a fondé des écoles pour élever chrétiennement les jeunes filles et les jeunes
garçons. Ces établissements eurent d'excellents résultats; je ne crois pas
qu'il leur ait donné des règles particulières.
Juxta decimum sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je sais et
j'ai ouï dire qu'il avait toujours observé les commandements de Dieu et de
l'Église avec une scrupuleuse exactitude, et je ne crois pas qu'on puisse
pousser cette exactitude plus loin. Il remplissait ses devoirs de prêtre et de
pasteur avec une délicatesse de conscience admirable, et il a persévéré jusqu'à
la mort dans l'accomplissement rigoureux de tous ses devoirs. Je ne sache pas
que jamais il se soit relâché dans l'observance des commandements de Dieu et de
l'Église, et de ses devoirs de prêtre et de pasteur. 1185
J'ai entendu
dire qu'il s'était absenté de sa paroisse pour aider les confrères du voisinage
pendant les missions et les jubilés. Sa présence contribuait beaucoup au succès
de ces exercices à cause du parfum de sainteté qu'il répandait autour de lui.
Cependant sa paroisse, d'ailleurs très petite, n'avait pas à souffrir, parce
qu'il y revenait aussi souvent qu'il était nécessaire.
Il était
convaincu qu'il était indigne et incapable de remplir le saint ministère, et
qu'il se sanctifierait plus facilement dans l'état religieux, auquel il se
croyait appelé; ce fut le motif qui l'engagea à quitter sa paroisse. Il ne
croyait point désobéir à ses supérieurs, parce qu'il était persuadé qu'il lui
était permis d'entrer sans autorisation dans un Ordre sévère approuvé par
l'Église. Du reste, il montra son grand esprit d'obéissance en revenant dans sa
paroisse parce que l’Évêque le désirait.
Juxta decimum septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai entendu
parler et je crois que le Serviteur de Dieu m'a parlé lui-même des
contradictions qu'il avait éprouvées pendant plusieurs années, au commencement
de son ministère dans la paroisse d'Ars. Il reçut même des lettres injurieuses;
il supporta tous ces outrages avec une grande patience et une profonde
humilité. Il disait que si ses confrères avaient pu le faire sortir d'Ars, ils
lui auraient rendu un grand service. Il conserva toujours pour tous ses
contradicteurs une charité parfaite. Je ne doute pas qu'il n'ait prié pour eux
et qu'il ne fût disposé à leur faire tout le bien qui dépendait de lui.
Juxta decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je sais et
j'ai ouï dire que le Serviteur de Dieu a pratiqué à un très haut degré de
perfection les vertus chrétiennes et qu'il les a pratiquées jusqu'à la mort.
1186 Quoad Fidem, testis respondit:
J'ai entendu
dire que dès sa plus tendre enfance, le Serviteur de Dieu avait montré une foi
très vive et qu'il s'était fait admirer aux Noës pour sa piété fervente.
Plusieurs de ses condisciples au grand séminaire m'ont assuré qu'il était leur
modèle par l'exactitude et la ferveur qu'ils remarquaient en lui.
Dès son
arrivée à Ars, il fit une impression profonde sur les habitants par la sainteté
de sa vie et par la vivacité de sa foi. Il passait de longues heures en
adoration devant le St Sacrement. Je sais que par son zèle et ses prédications,
il rendit parmi ses paroissiens la sainte Communion plus fréquente.
Le Serviteur
de Dieu ne se contentait pas de ranimer la foi parmi ses paroissiens, il
voulait encore la rendre plus vive parmi les habitants des paroisses voisines.
Dans ce but, il prêta son concours à ses confrères; il prêcha des missions et
des jubilés. Partout il se fit remarquer par l'ardeur de sa foi et la sainteté
de sa vie. Il acquit au milieu des populations la réputation d'un saint.
Il mit un
grand soin à réparer et orner son église; il fit construire des chapelles,
qu'il consacra aux saints auxquels il avait une plus grande dévotion, comme Ste
Philomène, St Jean-Baptiste, les saints anges. Il s'appliqua à se procurer pour
les saints offices les ornements les plus beaux et les vases les plus précieux.
J'ai vu le
Serviteur de Dieu célébrer le saint sacrifice de la messe; chaque fois il m'a
paru un ange au saint autel. J'ai été singulièrement frappé des sentiments de
foi qui paraissaient sur toute sa figure. Quand il donnait la sainte Communion,
toute sa personne indiquait la foi vive dont il était animé; il ne semblait
presque plus toucher la terre.
1187 En parlant de Dieu, du Ciel, des choses de la foi, il semblait
voir ce qu'il disait. Avec quelle émotion il prononçait ces paroles: Aimer
Dieu, être aimé de Dieu, quel bonheur!... Il semblait n'être déjà plus sur la
terre.
1189 Session 133 - 5 Février 1864 à 9h du matin
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai beaucoup
remarqué la manière dont il faisait le signe de la croix, dont il récitait le benedicite
avant le repas et l'Ave Maria quand l'heure sonnait. Le souvenir de ce que j'ai
vu dans ces moments-là m'impressionne encore. 1190 Avec quelle angélique piété
il disait son bréviaire! Sa figure était alors rayonnante et annonçait le
bonheur qu'il éprouvait en parlant à Dieu dans la prière.
Je ne saurais donner beaucoup de
détails sur la foi du Serviteur de Dieu; mais je puis dire d'une manière
générale que toutes les fois que je l'ai vu, j'ai été vivement impressionné des
sentiments de la foi la plus vive qui se manifestaient dans toutes ses paroles
et toutes ses actions. A mon avis, aucune expression ne saurait rendre la
vivacité et l'ardeur de sa foi. Elle était certainement le mobile de toutes ses
actions; elle paraissait au moindre mouvement qu'il faisait.
Quoad Spem,
testis respondit:
Lorsque j'ai
eu le bonheur de connaître le Serviteur de Dieu, j'ai pu admirer sa vive
espérance et sa grande confiance en Dieu. Il n'espérait rien de lui et
attendait tout de Dieu. Sa confiance était aussi grande que possible.
Je me
rappelle l'avoir entendu parler du péché avec horreur et indignation. Il
sentait profondément combien Dieu était offensé et quel était le malheur des
pauvres pécheurs.
Quand il
parlait du Ciel, il le faisait d'une manière ravissante: on eût dit qu'il y
montait.
Je l'ai entendu
parler de la miséricorde de Dieu de manière à montrer combien on devait compter
sur elle. Il avait un don particulier pour ranimer dans l'âme des pauvres
pécheurs la confiance en Dieu. On ne sortait pas d'auprès de lui sans emporter
des pensées plus sereines, un courage plus grand pour supporter les tristesses
de la vie présente. En un mot, on se sentait changé et tout disposé à aimer
Dieu et à faire les sacrifices que le Seigneur demandait.
Tout en
travaillant incessamment au bien des âmes, le Serviteur de Dieu ne négligeait
pas la sienne. Son âme était constamment unie à Dieu. Je crois qu'il ne perdait
jamais de vue la présence de Dieu. Il faisait de fréquentes élévations de coeur
à Dieu; son oraison était continuelle; il travaillait toujours pour Dieu ou
parlait toujours de Dieu.
Son abandon à
la Providence était complet. Jamais il n'a faibli, jamais il n'a perdu courage
dans les épreuves et les traverses qu'il a essuyées.
1191 Le Serviteur de Dieu m'a raconté les attaques dont il avait été
l'objet de la part du démon. Celui-ci faisait du bruit de différentes manières,
tantôt en frappant à la porte et en l'appelant par son nom: Vianney! Vianney!
tantôt en imitant le bruit que feraient plusieurs chevaux au galop, tantôt en
tirant les rideaux de son lit. Mr Vianney a senti le coussin de son lit se
ramollir sous sa tête. Je crois même me rappeler que le démon prononçait
quelques paroles dérisoires pour le porter à la sensualité. Je lui demandais
une fois comment il repoussait ces attaques. Il me répondit: Au commencement,
j'avais peur; puis je m'y suis habitué: Je me tourne vers Dieu, je fais le
signe de la croix; j'adresse quelques paroles de mépris au démon. Du reste,
j'ai remarqué que le bruit est plus fort et les attaques du démon plus
multipliées, lorsqu'il doit venir le lendemain quelque grand pécheur.
Le Serviteur
de Dieu montra une égale confiance en Dieu dans les attaques qu'il eut à
supporter de la part des hommes et en particulier de quelques confrères. Jamais
il ne se plaignit; il priait et s'abandonnait entre les mains de Dieu.
Il éprouva
aussi de grandes peines intérieures. Il se croyait indigne et incapable; il
voyait à peine ou bien rarement les effets prodigieux de son ministère à Ars.
L'attention de son esprit ne s'arrêtait qu'à ses misères. Il avait une grande
crainte de la mort. Tout cela explique son désir de la solitude et sa constante
préoccupation de quitter sa paroisse. Mes visites et mes paroles le consolaient
et le fortifiaient. Mais je dois faire remarquer qu'il n'y avait en lui aucun
découragement et que les fidèles ne s'apercevaient pas de cette idée qui le
poursuivait sans cesse. Il était toujours aussi exact à remplir son ministère
que s'il y eût trouvé le plus grand bonheur et la plus grande consolation.
Quoad
Charitatem, testis respondit:
J'ai toujours
ouï dire que le Serviteur de Dieu avait montré une grande piété dans tout le
cours de sa vie. Je puis attester que depuis que je l'ai connu, il me semble
n'avoir eu qu'une seule pensée: Aimer Dieu et le faire aimer.
1192 Son amour pour Dieu se manifestait dans l'accomplissement de tous
ses devoirs: récitation du bréviaire, célébration de la sainte messe,
administration des sacrements, catéchismes et instructions. J'ai toujours été
frappé de la manière dont il paraissait à l'église et dont il faisait la
génuflexion devant le saint Sacrement. On voyait alors le tendre amour qu'il
portait à Notre Seigneur. Le bréviaire, il le récitait toujours à genoux, et de
temps en temps, s'arrêtant, il portait les yeux sur le tabernacle pour y puiser
pour ainsi dire une nouvelle ferveur. A l'autel, pendant les saints mystères,
il ressemblait non seulement à un ange par la foi, mais encore a un séraphin
par l'amour. Au moment de la communion, il était surtout pénétré d'un sentiment
d'amour plus sensible. Lorsqu'il administrait les sacrements, sa tendre
dévotion apparaissait et frappait les assistants. Tout respirait son amour pour
Dieu dans son air et dans ses paroles.
Sa charité
pour Dieu se montrait encore dans ses instructions, ses catéchismes et ses
conversations. Ses paroles étaient simples, mais enflammées. On voyait qu'elles
sortaient d'un coeur brûlant de l'amour de Dieu, qui ne pouvait avoir d'autres
sentiments et qui ne pouvait parler d'autres choses. Tous les auditeurs qui se
réunissaient chaque jour autour de lui étaient ravis d'admiration et sortaient
pleins du désir d'aimer Dieu davantage.
Le grand
nombre de ceux qui se sont adressés à lui au confessionnal ont éprouvé
l'heureux effet de son amour pour Dieu. Ses paroles pénétraient tellement leur
âme, qu'ils en conservaient un souvenir ineffaçable: on les voyait disposés à
mener une vie plus chrétienne et plus fervente.
La grande
charité que Mr Vianney avait pour Dieu, et qui produisait une union si étroite
avec lui, le rendait supérieur à tout trouble, à toute agitation. Aussi il
était toujours calme au milieu de la foule et du bruit. 1193 Qu'il fût pressé,
assailli par une multitude indiscrète, que les questions les plus disparates,
les plus bizarres, les plus contradictoires lui fussent adressées, jamais on ne
surprit en lui le moindre signe d'impatience, de mécontentement. Toujours égal
à lui-même, toujours gracieux, toujours bon: en un mot, il répondait de son
mieux, et toujours à la satisfaction de ceux qui lui adressaient la parole.
Tout son
plaisir dans les conversations était de parler des choses spirituelles. Si la
politesse l'obligeait à entendre discourir sur les choses temporelles, on
sentait qu'il n'y prenait que l'intérêt commandé par la bienveillance; dès
qu'il le pouvait, il revenait à ses sujets favoris. J'ai été témoin du bonheur
qu'il éprouvait lorsqu'on lui annonçait quelque bonne nouvelle concernant
l'Église ou le salut des âmes, par exemple lorsqu'on lui apprenait qu'une
mission avait réussi. J'ai été aussi témoin de la peine qu'il ressentait en
apprenant quelque scandale, quelque nouvelle fâcheuse.
La grande
charité envers Dieu que Mr Vianney montrait dans toute sa conduite, l'a porté à
se sacrifier lui-même en embrassant la voie des mortifications et des pénitences.
Il n'épargnait rien de ce qu'il y avait en lui de sensible. Je suis encore
comme effrayé en pensant au genre de vie que l'amour de Dieu lui avait fait
embrasser.
1197 Session 134 -5 Février 1864 à 3h de l'après-midi
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai ouï dire
que le Serviteur de Dieu avait dès son enfance exercé la charité spirituelle et
corporelle envers le prochain; mais je n'ai aucun détail précis à communiquer.
Je ne saurais même rapporter les moyens qu'il employa, pour renouveler sa
paroisse. 1198 Mais ce que je puis dire, c'est que depuis mil huit cent
trente-quatre, époque à laquelle j'étais vicaire de la paroisse de Genay, et
surtout depuis mil huit cent quarante-quatre, j'ai vu constamment le Serviteur
de Dieu remplir tous ses devoirs de pasteur. Il allait même bien au-delà. Il
avait à s'occuper non seulement de la direction des âmes confiées à ses soins,
mais encore d'une foule nombreuse de pèlerins que la réputation de sa sainteté
lui amenait de tous les côtés. Pour satisfaire le désir que tous ces fidèles
témoignaient de lui faire leur confession ou de lui exposer leurs peines, Mr
Vianney se levait à une heure du matin et quelquefois plus tôt; il se rendait à
l'église, où l'attendait une foule nombreuse. Il passait au confessionnal tout
le temps qui n'était pas employé à la récitation de l'office, à la célébration
de la Ste Messe, etc. Quinze heures en moyenne étaient consacrées à entendre
les confessions. A onze heures, il faisait chaque jour le catéchisme. Le soir,
il faisait en chaire la prière, récitait le chapelet, et souvent adressait une
instruction aux fidèles qui se réunissaient pour cet exercice.
Ce qui
m'étonne, c'est que le Curé d'Ars ait pu suivre si longtemps un genre de vie si
pénible à la nature. Il souffrait beaucoup. Il m'a avoué dans les dernières
années qu'il souffrait autant qu'il est possible de souffrir. Il m'a
pareillement avoué qu'il ne dormait jamais d'un sommeil complet. Une nuit qu'il
souffrait davantage, il entendit distinctement une voix lui dire: In te,
Domine, speravi, non confundar in aeternum. Cette parole le remplit de courage
et de consolation.
Son zèle pour
le salut des âmes l'a porté à fonder un grand nombre de missions. C'était son
oeuvre de prédilection. Il en a fondé dans la plupart des paroisses voisines.
Les autres ont été établies dans différentes paroisses du diocèse.
Une des
premières oeuvres que son zèle lui fit entreprendre fut l'établissement de sa
Providence. Par cette fondation, il se proposait de réunir les enfants pauvres,
afin de les tirer de la misère, de les préserver du vice, de les élever
chrétiennement et de leur apprendre à travailler. Pour soutenir cet
établissement, il n'avait que les dons qu'on lui faisait. 1199 Il comptait
ainsi uniquement sur la Providence divine, qui ne lui a jamais fait défaut. Une
soixantaine de jeunes filles étaient logées, nourries et entretenues dans cette
maison. Afin d'en assurer l'avenir, Mgr l'Évêque de Belley proposa au Serviteur
de Dieu d'en confier la direction à une congrégation religieuse. Mr Vianney
entra dans les vues de son Évêque en appelant les soeurs de St Joseph, qui se
chargèrent de donner l'instruction gratuite aux jeunes filles de la paroisse.
Le Serviteur
de Dieu voulut faire pour les jeunes garçons ce qu'il venait de régler pour les
jeunes filles. Peu de temps après la transformation de sa Providence, il
fonda l'école gratuite des garçons et en confia la direction aux Frères de la
Sainte Famille.
Sa charité le
poussa à favoriser l'établissement des écoles dans les paroisses voisines. Il
donna pour cela à ses confrères des sommes plus ou moins considérables. Il m'a
donné pour l'école de Jassans trois mille francs.
Il a fait don
à de pauvres églises d'ornements et de vases sacrés.
Son amour pour
les pauvres le dépouillait de tout; il vendait ses habits, ses meubles; il
vendit jusqu'à son camail, afin d'avoir de l'argent pour ses pauvres. Il
vendait souvent à un prix très élevé des objets ayant en eux-mêmes peu de
valeur, mais c'était à des personnes qui voulaient contribuer à ses bonnes
oeuvres. Il donnait à tous les pauvres qui sollicitaient sa charité.
Quoad
Prudentiam, testis respondit:
J'ai pu
admirer par moi-même la Prudence du Serviteur de Dieu. Elle lui avait fait
rechercher les moyens les plus propres pour assurer son salut. C'est dans cette
intention et dans celle de plaire plus parfaitement à Dieu qu'il avait embrassé
la voie de la pénitence et de la mortification.
Il ne
négligea rien pour procurer le salut des âmes confiées à ses soins. Au zèle
animé par la charité la plus ardente, il joignait la plus grande prudence. Il
savait admirablement donner un conseil. Je ne sache pas que personne se soit
plaint d'avoir suivi ses avis. 1200 On venait cependant le consulter sur toutes
sortes d'affaires. J'ai admiré moi-même son tact et son jugement.
Les personnes
qui avaient le bonheur de s'adresser à lui pour la confession ont pu remarquer
la direction douce, éclairée et prudente qu'il savait donner.
J'admirais,
quand j'étais avec lui, la réserve et la prudence qu'il montrait dans les
conversations; il ne disait rien qui fût contraire à la charité. Il s'abstenait
de parler des questions de politique.
1203 Session 135 - 6 Février 1864 à 8h du matin
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Le Serviteur
de Dieu a toujours rempli très exactement tous les devoirs que la religion
impose. Il était très fidèle à observer tout ce qui est du service de Dieu.
1204 Il ne s'en tint pas seulement aux choses de précepte; il s'efforça de
pratiquer les conseils évangéliques. A l'égard du prochain, ses procédés
étaient pleins de charité et de cordialité; il s'oubliait lui-même pour rendre
service et être agréable aux autres. Il ne s'asseyait jamais quand il recevait
une visite, et faisait asseoir les personnes qui le visitaient. Il n'aimait
point les marques de respect. Je ne mérite le respect de personne, disait-il:
donnez-moi un peu de votre amitié, c'est bien assez.
Avec les
ecclésiastiques, et les religieux, il était encore plus empressé, plus
affectueux et plus poli. Son sourire était plus gracieux et sa conversation
plus expansive. Il s'entretenait alors volontiers des choses de Dieu et des
choses célestes. Il avait pour chacun les égards qui lui étaient dus. Il
honorait les grands et les puissants de la terre.
Ordinairement,
il ne sortait pas de sa paroisse; il restait habituellement dans l'église et
dans sa cure. Cependant, en mil huit cent cinquante-deux, j'étais gravement
malade; il vint me visiter; il avait fait toute la route à pied par une chaleur
excessive, quoiqu'il eût déjà présidé à la procession du St Sacrement. La
charité le rendait infatigable.
Il
accueillait les pauvres, les infirmes, les ignorants et les pécheurs avec une
extrême bonté. Il était pour eux plein de respect et de tendre compassion.
J'ai ouï dire
qu'il obéissait à ses parents, lorsqu'il était auprès d'eux, avec une grande
docilité.
Il conserva
toute sa vie une grande reconnaissance pour les habitants des Noës à cause de
l'hospitalité qu'il avait reçue d'eux. Il n'oublia jamais non plus les marques
d'affection et d'intérêt que Mr Balley lui avait données dans sa jeunesse. Il
tenait beaucoup à une glace qui avait appartenu à ce saint prêtre, parce
qu'elle lui rappelait le souvenir de ses vertus et de sa bonté.
Jamais il ne
demandait rien à personne pour ses besoins particuliers, mais il était très
sensible aux services qu'on pouvait lui rendre.
Quoad
Obedientiam, testis respondit:
1205 J'ai ouï dire que le Serviteur de Dieu, dans son enfance,
obéissait à ses parents avec une rare ponctualité et que dans les séminaires il
fut un modèle d'exactitude dans l'obéissance à ses maîtres et dans
l'observation du règlement. Quoiqu'il désirât vivement aller dans la solitude
pleurer sa pauvre vie, il se soumit cependant toujours à la volonté de ses
supérieurs et resta dans la paroisse d'Ars jusqu'à la fin de sa carrière.
Il montra
toujours pour les représentants de l'autorité civile le respect et l'obéissance
qui leur sont dus. Mais ce qu'il respectait par dessus tout, c'était l'autorité
du Souverain Pontife. Il versait des larmes quand il prononçait ou qu'il
entendait prononcer le nom de l'Eglise Mère et Maîtresse de toutes les Eglises.
J’ignore les
détails et les raisons de sa fuite aux Noës; mais je regarde ce qui se passa
alors comme une intervention admirable de la divine Providence.
Quoad
Religionem, testis respondit:
Le Serviteur
de Dieu recherchait avec empressement tout ce qui, de près ou de loin, se
rapportait au culte ou à la gloire de Dieu. Le plus petit objet lui devenait
cher et sacré dès qu'il avait une signification religieuse. Il aimait les
images, les croix, les scapulaires, les chapelets, les images, les croix, l'eau
bénite, les confréries et les reliques surtout; il en avait rempli sa chapelle
de la Providence et sa chambre. La parole de Dieu avait pour lui des délices
particulières; il ne manquait jamais de l'entendre toutes les fois qu'il le
pouvait.
J'ai dit avec
quel soin il avait embelli son église et acheté de magnifiques ornements.
Le Serviteur
de Dieu avait pour le saint sacrement une ardente dévotion. Sa figure
s'illuminait lorsqu'il en parlait dans ses conversations bu dans ses
instructions, et lorsqu'il était prosterne au pied des autels.
Il aimait
beaucoup les pratiques de dévotion, il les remplissait avec une piété fervente.
J'étais frappé toutes les fois que je lui voyais faire le signe de la Croix. Il
conseillait aux autres toutes les pratiques de dévotion. Il était du
tiers-ordre de saint François.
Dès son enfance,
il fut très dévot à la Ste Vierge; il récitait l'Ave Maria toutes les fois que
l'heure sonnait et il était très exact à cette pratique. Il célébrait les fêtes
de la Mère de Notre Seigneur avec une grande solennité; les paroissiens des
alentours accouraient ces jours-là à Ars; les pèlerins étaient plus nombreux et
la sainte table était fréquentée par un plus grand nombre de personnes. 1206
Bien avant la définition du dogme de l'Immaculée Conception, il avait placé une
statue de Marie Immaculée sur le pignon de l'église paroissiale.
Le Coeur
Sacré de la très sainte Vierge était le refuge du Serviteur de Dieu. Une de ses
grandes pratiques était de conseiller une neuvaine au saint Coeur de Marie; il
conseillait souvent aussi des neuvaines au Saint Esprit.
Le Serviteur
de Dieu invoquait souvent les saints, particulièrement Ste Philomène, St
François d'Assise, St François - Régis. Il aimait, dans les conversations, à
citer des traits tirés de la vie dés saints. Il avait érigé une chapelle à Ste
Philomène; il conseillait de lui faire des neuvaines et il attribuait à
l'intercession de cette sainte toutes les faveurs signalées et tous les
prodiges qui ont contribué à la célébrité du pèlerinage d'Ars.
Il avait une
grande dévotion envers les âmes du purgatoire; il aimait à prier et à faire
prier pour elles. Il a fondé dans plusieurs paroisses des octaves de messes
pour le soulagement de ces saintes âmes.
Quoad
Orationem, testis respondit:
L'oraison de
Mr Vianney était continuelle; il était sans cesse uni à Dieu et ne perdait
jamais de vue sa sainte présence. L’expression de sa figure pieuse et
recueillie annonçait son union intime et constante avec Dieu.
Quoad
Fortitudinem, testis respondit:
Mr Vianney a
montré une grande force d'âme dans les épreuves, les peines et les
tribulations; il était ferme dans les résolutions qu'il prenait et les mettait
en pratique. C'est grâce à cette force soutenue par le secours de Dieu, qu'il a
pu suivre sans faillir le genre de vie si sévère qu'il avait embrassé.
Le Serviteur
de Dieu était patient au milieu des souffrances; son visage restait toujours
calme et souriant. J'ai été appelé plusieurs fois auprès de lui, lorsqu'il
souffrait plus vivement. Qu'avez-vous, lui disais-je? - Je suis un peu malade,
me répondait-il, je veux me confesser. Et rien ne trahissait la vivacité des
douleurs qu'il éprouvait. 1207 Quelque souffrant qu'il fût, il ne s'arrêtait
jamais, et s'il était demandé par quelque malade, il se rendait auprès de lui
avec empressement. Les douleurs et les insomnies augmentèrent avec l'âge, mais
la patience augmentait aussi. Il ne se plaignait point; au contraire, il se
réjouissait de pouvoir offrir ses souffrances pour la conversion des pécheurs.
Il n'était jamais plus près de recouvrer sa vigueur, que lorsqu'il était le
plus affaissé. La foule, la chaleur, la longueur des séances au confessionnal,
tout ce qui aurait dû anéantir ses forces, les lui rendait. On le voyait se
multiplier et devenir supérieur à lui-même.
Sa patience
ne brillait pas moins au milieu des humiliations et des contradictions. Le
prêtre qui lui avait été donné pour vicaire se permit de le contredire
publiquement en chaire. Le Serviteur de Dieu ne s'en offensa point et ne
témoigna aucun mécontentement. Il savait que cet ecclésiastique voulait obtenir
le titre de Curé d'Ars; il était sollicité par lui de donner sa démission. Il
supporta des procédés si peu convenables avec calme et résignation; il fut pour
lui bon et cordial comme à l'ordinaire et ne diminua en aucune manière
l'affection qu'il avait pour lui.
J'ai parlé
déjà des contradictions qu'il avait éprouvées au commencement de son ministère
à Ars. On alla même jusqu'à attaquer la pureté de ses moeurs; mais rien ne
pouvait troubler le calme habituel de son âme.
J'ajouterai
que Mr Vianney était naturellement vif et nerveux, et ma conviction est qu'il
n'est arrivé à ce degré de patience que par les efforts constants qu'il fit
pour se vaincre lui-même.
Quoad
Temperantiam, testis respondit:
J'ai ouï dire
que dès son enfance, Mr Vianney aimait à se mortifier; il trouva dans Mr Balley
un excellent maître de la vie pénitente. On m'a raconté qu'arrivé à Ars, il
couchait à la cave, la tête appuyée sur une poutre, et qu'il ne quitta cette
chambre à coucher que lorsque les douleurs se firent sentir. On m'a dit aussi
que pour sa nourriture, il faisait cuire des pommes de terre; 1208 il les
mangeait pendant qu'il y en avait de cuites. Elles manquèrent une fois. Il alla
chez un voisin. Comme il avait la figure altérée, celui-ci lui demanda ce qu'il
avait. Le Serviteur de Dieu lui avoua qu'il n'avait pas mangé depuis trois
jours, parce qu'il n'avait plus de pommes de terre. Cet homme s'empressa de lui
envoyer la moitié d'un pain.
Mr le Curé
d'Ars ne se mettait point en peine du lendemain, il était sans inquiétude, sans
aucun souci du manger, du boire et des autres choses nécessaires à la vie.
J'ai assisté
souvent à son dîner; il ne s'asseyait jamais; sur une table sans nappe était un
plat en terre, dans lequel se trouvait un peu de légumes, quelquefois deux
oeufs, un peu de viande s'il était très fatigué (il ne mangeait pas de la
viande sans m'avoir demandé la permission), un pot à eau, une bouteille de vin
et un peu de pain. En moins de dix minutes, le repas était pris; il mangeait de
manière à ne pas sentir le goût des aliments. Il restait toujours dans le plat
la plus grande partie de ce qu'on avait servi; il n'avait bu qu'un peu d'eau
rougie de vin et n'avait mangé que très peu de pain. J'étais vivement frappé de
cette sobriété excessive.
Il résulte de
mes impressions qu'il a pratiqué la pénitence et la mortification à un degré
inexprimable.
1211 Session 136 - 6 Février 1864 à 2h de l'après-midi
Et
prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Le Serviteur
de Dieu avait une véritable prédilection pour la vertu de pauvreté. Tout dans
sa personne, dans l'ameublement de son presbytère respirait de la plus grande
pauvreté. 1212 Je ne crois pas qu'il ait jamais rien dépensé pour acheter ce
qui était nécessaire pour sa nourriture. Quelques bonnes personnes se
chargeaient de ce soin. Je n'ai jamais vu ceux qui le servaient lui demander la
moindre pièce de monnaie pour acheter ce dont il avait besoin. J'ai vu qu'il
comptait souvent sur le traitement qu'il recevait comme curé pour commencer,
continuer ou achever une bonne oeuvre. Plus d'une fois il m'a dit: Quand
j'aurai reçu mon traitement, je ferai telle bonne oeuvre.
Il était vêtu
simplement mais proprement et convenablement, portant toujours au complet le
costume ecclésiastique. Je ne l'ai jamais vu avec un chapeau.
Sa chambre
était très pauvre; elle n'était garnie que d'images pieuses, de reliquaires et
de meubles excessivement pauvres. Son lit se composait d'un simple garde-paille
sur lequel on étendait les draps et les couvertures nécessaires. La chose la
plus importante de sa chambre était la bibliothèque renfermant un certain
nombre d'ouvrages de piété, de théologie, d'Écriture Sainte.
Le Serviteur
de Dieu reçut, pendant sa vie, des sommes considérables; mais il les employa
toujours en bonnes oeuvres. Un prêtre, comme on me l'a rapporté, lui demanda un
jour quel était son secret pour trouver de l'argent. Mon secret est bien
simple, répondit Mr Vianney, c'est de tout donner et de ne rien garder.
Le Curé d'Ars
méprisait encore toutes les choses matérielles dont on parle tant et qu'on
estime tant de nos jours. Il n'avait aucun désir de connaître les inventions
modernes. :
Quoad
Humilitatem, simplicitatem et Modestiam, testis respondit :
La Modestie
et la simplicité brillaient d'une manière toute particulière dans le Serviteur
de Dieu. Chez lui, point d'ostentation, rien de contraint, rien d'affecté, rien
de l'homme qui veut paraître. Une simplicité d'enfant, un mélange d'abandon,
d'ingénuité, de candeur, de grâce naïve se combinaient admirablement avec la
finesse de son tact, la sûreté de son jugement et donnaient à sa conversation
et à toute sa personne un charme inexprimable. 1213 A la vue de tout le
mouvement qui se faisait à Ars, à la vue de la vénération dont on entourait le
Serviteur de Dieu, il était naturel de penser que l'orgueil devait être sa
grande tentation. Mais il n'en était rien. A le voir, on aurait dit que le moi
n'existait plus en lui. Il semblait n'être pour rien dans tout ce qui se
faisait à Ars par son ministère. Il était impossible de surprendre en lui
l'expression de la gêne, les traces d'une préoccupation personnelle, l'ombre
d'un retour sur lui-même. Pour relever son courage, je me permettais
quelquefois de parler du bien qu'il faisait. Il semblait ne point faire
attention à ces paroles de louanges; il ne répondait rien ou il faisait un
simple mouvement qui indiquait que le souvenir de ses grandes misères était
présent à sa pensée.
Ce qui le
fatiguait le plus et ce qu'il me répétait sans cesse, c'est qu'il était un
ignorant. Il avait aussi peur de passer pour plus pieux qu'il ne le croyait. Ce
qui était pour lui l'occasion de beaucoup de gémissements; mais cependant,
ainsi que je l'ai dit, il ne se décourageait pas. Je lui adressais les paroles
convenables à la circonstance et il paraissait content.
Le Serviteur
de Dieu ne parlait point de lui; si on l'interrogeait, il répondait avec une
modestie qui commandait la réserve. Puis il coupait court pour tout ce qui le
concernait.
Il souffrit
beaucoup de voir, dans le commencement, son portrait, qu'il appelait son
carnaval, s'étalant aux devantures des boutiques d'Ars. Il ne voulait pas le
bénir; il ne voulait pas y apposer sa signature. A la fin, il céda aux
importunités des pèlerins, et il ne leur refusa plus cette consolation.
Un certain
nombre d'ecclésiastiques se plaignaient de la direction que Mr Vianney donnait
aux personnes de leur paroisse qui allaient trouver le Serviteur de Dieu; ils
en parlaient souvent entre eux. Un jour, un de ces ecclésiastiques osa lui dire
en face qu'il ferait bien de se retirer du saint ministère. Mr Vianney lui
répondit: 1214 Il y a longtemps que je demande à mes supérieurs la permission
d'aller dans la solitude ou dans quelque ordre religieux. Si vous vouliez
joindre vos instances aux miennes, nous pourrions réussir. Je tiens ce fait
d'une personne digne de foi, et il me semble même me rappeler que le Serviteur
de Dieu m'en a parlé.
Quoad
Castitatem, testis respondit:
Je n'ai
jamais rien entendu dire, qui pût faire soupçonner que le Serviteur de Dieu
avait manqué en aucune manière à cette vertu. Tout dans lui annonçait l'estime
qu'il en faisait. Ses rapports avec les personnes du sexe, quoique simples,
étaient toujours dignes et très réservés. Il ne leur parlait qu'autant que cela
était nécessaire. Tout le monde admirait sa haute vertu.
Interrogatus
demum an aliquid sciret contrarium virtutibus supra dictis, respondit:
Non seulement
je ne connais rien qui puisse ternir l'éclat des vertus dont je viens de
parler, mais je n'ai que faiblement rendu ma pensée. Il me semble que jamais on
ne pourra peindre complètement la manière dont il a pratiqué ces différentes
vertus. Il me semble qu'il les a portées aussi loin qu'il est possible d'aller.
Juxta decimum nonum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Ma conviction
profonde est que le Serviteur de Dieu a pratiqué toutes les vertus au degré
héroïque. Pratiquer la vertu au degré héroïque est, à mon avis, la porter aussi
loin que possible. J'estime que le Serviteur de Dieu a pratiqué les vertus de
cette manière. Je n'ai pas pu toujours rendre mes impressions; les expressions
me faisaient défaut. Ainsi que je l'ai insinué, je ne crois pas qu'il soit
possible d'aller plus loin. Il a persévéré jusqu'à la mort dans la pratique des
vertus héroïques. 1215 Je ne sache pas qu'il se soit relâché dans sa ferveur.
Je ne connais absolument rien qui puisse ternir l'héroïcité de ses vertus. Je
lis de temps en temps la vie des saints et je n'y trouve rien qui soit au dessus
de ce que j'ai vu dans Mr le Curé d'Ars.
1217 Session 137 - 8 Février 1864 à 8h du matin
Juxta
vigesimum Interrogatoriun, testis interrogatus respondit:
Le Serviteur
de Dieu avait reçu des dons extraordinaires. Ma conviction intime est qu'il
voyait et connaissait souvent ce qui se passait à distance. 1218 Un jeune
prêtre de Yenne, âgé de vingt-sept ans, économe au petit séminaire du
Pont-de-Beauvoisin, a été trouvé noyé dans le Rhône. Sa tante était alors à
Ars. Mr le Curé lui dit: Allez-vous en, sans lui donner la raison. Cette femme
lui répondit: Mais pourquoi m'envoyez-vous? Je n'ai pas encore terminé mes
affaires. - Allez-vous en, reprit Mr Vianney. Elle partit de suite et arrivée chez
elle apprit le malheur qui venait d'arriver. Quelque temps après, on demanda à
Mr Vianney les causes de cet accident, il répondit que ce prêtre avait été
victime. Plus tard, la montre du prêtre fut rendue à sa famille. Je tiens ce
fait d'une religieuse de St Jospeh, cousine germaine du jeune prêtre.
J'ai entendu
parler d'autres faits prouvant que le Serviteur de Dieu connaissait et voyait
ce qui se passait à distance. Le jour de la bataille de Solferino, vingt-quatre
Juin mil huit cent cinquante-neuf, Mr Vianney, contre son habitude, dit la
messe à l'autel de la Ste Vierge. On fut surpris de cela. Une mère dont le fils
faisait partie de l'armée d'Italie lui demanda si son fils était encore vivant.
Oui, répondit-il, mais il y en a beaucoup qui sont morts.
J'ai
pareillement entendu parler de nombreuses guérisons; mais je ne connais pas
assez les détails pour citer les faits. Je rappellerai seulement que Mr Claude
Viret de Couzances, diocèse de St Claude, m'a rapporté qu'il avait au cou une
loupe dont il était fatigué depuis longtemps. Après avoir servi la messe de Mr
Vianney, il eut la pensée de laver sa loupe avec l'eau dont le Serviteur de
Dieu s'était servi au lavabo. La loupe disparut, sans l'application d'aucun
autre remède.
Juxta
vigesimum primum Interrogatorium, testis interrogatus (respondit) :
Je ne connais
aucun écrit du Serviteur de Dieu. J'ai seulement cinq ou six lettres, que je
n'ai pas ici, mais dont je donnerai communication dès qu'on le désirera.
Juxta vigesimum secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Voici ce que
je sais concernant les derniers moments du Serviteur de Dieu. Le trente Juillet
mil huit cent cinquante-neuf, de grand matin, se sentant fatigué, il me fit
appeler pour le confesser. 1219 J'arrivais vers les cinq heures et demie; il
avait toute sa connaissance et il la conserva jusqu'à la fin. Il me fit sa
confession avec sa piété ordinaire, sans trouble et sans s'inquiéter de son
mal. La crainte de la mort, qu'il avait manifestée si souvent et si vivement
pendant sa vie, l'avait abandonné et avait complètement disparu. Depuis ce
moment, la maladie fit de rapides progrès. Le Serviteur de Dieu jouissait d'un
calme parfait, on n'entendait aucune plainte; on aurait dit qu'il ne souffrait
pas. Les habitants d'Ars et les pèlerins entraient continuellement dans sa
chambre pour lui faire bénir divers objets de piété et lui demander sa
bénédiction. Il se prêtait très volontiers à ces pieux désirs, mais sans
prononcer aucune parole. On ne voyait pas ses lèvres prononcer des prières,
mais ses yeux étaient continuellement fixés vers le Ciel et faisaient croire
qu'il était en contemplation. Je crois qu'il y avait alors chez lui quelque
chose d'extraordinaire. Aux différentes questions qu'on lui adressait, il se
contentait de répondre: Oui, ou non.
La maladie
avait fait de tels progrès que le mardi deux Août vers trois heures du soir, je
crus qu'il était prudent d'administrer au malade les derniers sacrements. Je ne
sais s'il me demanda lui-même à les recevoir, mais ce que je me rappelle très
bien, c'est que lorsque je lui en fis la proposition, il l'accepta avec
empressement et avec joie. Je fis immédiatement tout préparer. Une vingtaine de
prêtres, le cierge à la main, accompagnèrent le saint sacrement. Je donnai au
malade la sainte communion et l'extrême onction. Il les reçut avec sa foi et sa
piété ordinaire.
Le lendemain
à trois heures je lui fis la recommandation de l'âme, en présence de plusieurs
ecclésiastiques. C'était toujours le même calme et le même état de
contemplation. Mgr l'Évêque de Belley vint le visiter vers sept heures du soir.
Le malade sourit et remercia le prélat de sa charité et de son empressement.
Mgr lui dit qu'il allait à l'église prier pour lui. Le malade sourit encore.
C'est le seul moment où il parut sortir de son union avec Dieu. J'étais présent
au moment de la visite de Monseigneur. La même nuit, à deux heures du matin, il
rendit son âme à Dieu, sans agonie et après avoir reçu l'indulgence plénière.
Juxta vigesimum tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
1220 Le corps du Serviteur de Dieu fut placé dans un appartement de la
cure, au rez-de-chaussée. Il y resta jusqu'au moment des funérailles. La
nouvelle de sa mort se répandit comme l'éclair; le télégraphe la porta partout.
Une foule nombreuse, venant de tous les côtés, se dirigea vers Ars. Il serait
impossible de dire le nombre d'objets de piété qu'on fit toucher au corps du
Serviteur de Dieu. Tous voulaient le voir et le vénérer. Cette nouvelle
produisit partout un sentiment d'étonnement, de regrets et de consternation.
Les
funérailles, qui eurent lieu le samedi matin six Août, furent présidées par
l'Évêque diocésain. Une foule immense, accourue de tous les côtés, assista à
cette cérémonie, qui fut plutôt un triomphe qu'un convoi funèbre. Chacun
répétait: Le Saint est mort.
Juxta
vigesimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Le corps du
Serviteur de Dieu fut enseveli dans un caveau creusé au milieu de la nef de
l’église. Une simple pierre recouvre son tombeau. La foule ne cesse de venir
s'y agenouiller et solliciter quelques grâces particulières par sa puissante
intercession. Il a fallu l'intervention de l'autorité diocésaine pour empêcher
les fidèles de faire brûler des cierges ou de donner d'autres marques d'un culte
public, tant la conviction de son éminente sainteté était profonde et
universelle.
Juxta vigesimum quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je ne crois pas qu'aucun saint
ait joui pendant sa vie d'une plus grande réputation de sainteté. Ce qui est
vraiment étonnant, c'est que sans sortir de sa paroisse, le Serviteur de Dieu
ait attiré chaque année, vers la fin de sa vie, jusqu'à quatre-vingt mille
personnes. Chacun voulait posséder un objet qui lui eût appartenu en propre, ou
qu'il eût béni de sa main. On poussait cette vénération jusqu'à s'emparer
furtivement de quelques objets qui avaient été à son usage; quelquefois même on
coupait quelques mèches de ses cheveux, ou quelques parcelles de ses vêtements.
1221 Ces marques de vénération n'émanaient pas seulement du commun des fidèles:
les personnages les plus haut placés ne se montraient pas moins jaloux que les
autres de donner ces marques de vénération au Serviteur de Dieu.
Cette réputation de sainteté, si
bien acquise, n'a jamais rencontré aucun contradicteur; elle a été universelle
et a persévéré jusqu'à la fin. Cette même réputation de sainteté, c'est-à-dire
cette pensée qu'il est un saint, n'a point diminué après sa mort. Elle attire à
Ars un concours incessant.
Quant à moi, je puis affirmer que
pendant trente ans que j'ai connu le Serviteur de Dieu, je n'ai jamais rien vu
qui ne fût excessivement édifiant. La sainteté éclatait dans ses paroles, dans
ses actions, dans sa tenue, dans son regard et dans l'expression de sa figure.
On peut dire qu'il était entouré d'une auréole de sainteté, qui faisait une
impression aussi profonde sur les mauvais chrétiens que sur les personnes
pieuses. Je ne pourrais exprimer à quel point il m'inspirait la vénération et
le respect, et je puis dire que ma conviction est qu'il ne s'est jamais rendu
coupable d'une faute grave. Il avait, d'après mon opinion, conservé la grâce du
baptême, et cette grâce, il l'avait constamment augmentée par la sainteté
éminente de sa vie.
Juxta vigesimum sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je ne connais
personne qui ait jamais attaqué la réputation de sainteté dont je viens de
parler.
Juxta
vigesimum septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'ai entendu
parler de plusieurs miracles opérés par l'intercession du Serviteur de Dieu
depuis sa mort. J'ai entendu parler en particulier de la guérison miraculeuse
d'un enfant de St Laurent-lès-Macon et d'une dame de Tain; mais je ne connais
pas assez les détails.
1222 Une chose extraordinaire est à ma connaissance, c'est qu'on a
recueilli du sang provenant de plusieurs saignées pratiquées sur le Serviteur
de Dieu, plusieurs années avant sa mort, et que ce sang, au lieu de se
coaguler, comme il arrive ordinairement, s'est conservé à l'état liquide et
dans une parfaite limpidité. J'en conserve moi-même dans un flacon une petite
quantité.
Juxta
vigesimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n'ai rien
à ajouter à ma déposition.
Et
expleto examine super Interrogatoriis, deventum est ad Articulos, super quibus
testi lectis, dixit se tantum scire, quantum supra deposuit ad Interrogatoria,
ad quae se retulit.
Sic
completo examine, integra depositio jussu Rmarum Dominationum suarum perlecta
fuit a me Notario a principio ad finem testi supradicto alta et intelligibili
voce. Qua per ipsum bene audita et intellecta respondit se in eamdem
perseverare, et illam iterum confirmavit.
PROCES DE BEATIFICATION ET CANONISATION D E
SAINT JEAN MARIE BAPTISTE VIANNEY
CURE D'ARS
PROCES INFORMATIF ORDINAIRE
1321 Session 148 - 4 Juin 1864 à 8h du matin
1326 Juxta primum Interrogatorium, monitus testis de vi et natura juramenti,
et gravitate perjurii, praesertim in causis Beatificationis et Canonizationis,
respondit:
Je connais la
nature et la force du serment que je viens de faire, et la gravité du parjure
dont je me rendrais coupable si je ne disais pas toute la vérité.
Juxta secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je m'appelle
André Verchère. Je suis né à Savigneux le deux Septembre mil sept cent
quatre-vingt dix-huit. Non père se nommait Pierre Verchère et ma mère Claudine
Lhotte. Je vis de mon travail.
Juxta tertium
Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je m'approche
des sacrements de pénitence et d'Eucharistie trois fois par an. J'ai communié
la dernière fois à Pâques.
1327 Juxta quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n'ai
jamais été traduit devant aucun tribunal.
Juxta quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n'ai
jamais encouru les censures ou les peines ecclésiastiques.
Juxta sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Personne ne
m'a jamais dit ce que je devais déposer dans cette cause. Je n'ai lu aucun des
Articles. Je ne dirai que ce que je sais très bien.
Juxta
septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'avais une
grande affection pour le Serviteur de Dieu. Depuis sa mort, je l'invoque de
temps en temps; je le regarde comme un saint, car s'il n'est pas saint il n'y
en aura point; il a mené la vie d'un saint. Que je serais heureux si je pouvais
lui voir rendre les honneurs des bienheureux!
Et quoniam praedictus
testis accitus fuit ad explicanda quae spectant daemonis vexationes, omissis
caeteris Interrogatoriis, interrogatus fuit super Interrogatorio decimo octavo,
super quo ei lecto, respondit:
Ma conviction
profonde est que le Serviteur de Dieu a rempli tous ses devoirs et qu'il a
pratiqué les vertus chrétiennes. Ce qui m'a le plus impressionné, c'est sa
manière de prier, son grand amour pour les pauvres, sa vie pauvre et mortifiée.
Quand il priait, il regardait de temps en temps le tabernacle en souriant. Il
ne cessait de nous porter à aimer Dieu. Il travailla à faire d'Ars une
excellente paroisse. Avant lui, elle ressemblait aux paroisses environnantes;
on travaillait de temps en temps le dimanche au moment des récoltes; on faisait
pour la fête patronale une vogue ou fête balladoire. Il parvint à obtenir la
suppression complète de la danse. On a répété que une fois il avait donné de
l'argent au musicien qui venait faire danser et qu'une autre fois il avait
donné ou offert au cabaretier du village la somme qu'il espérait gagner.
Sa charité
était connue de tout le monde; il secourait les malheureux qui avaient recours
à lui; il donnait sans compter et autant qu'il avait. 1328 Je sais qu'il payait
les loyers de pauvres familles. J'avais pour locataire une nommée Marie Beugon.
C'est Mr le Curé qui lui remettait le prix du loyer. Ma femme était malade, je
l'étais pareillement; Mr Vianney vint me visiter et voyant que je n'étais pas à
l'aise, il me donna six francs. Il remettait souvent de l'argent aux personnes
qui venaient à Ars en pèlerinage et qui n'avalent pas de quoi payer les frais
du séjour ou du retour. Je sais que des personnes lui ont donné des souliers
neufs; au lieu de les porter, il les remettait aux pauvres.
J'ai entendu
parler bien des fois du peu de nourriture qu'il prenait. Il m'a fait manger
plus d'une fois à la Providence lorsque j'y travaillais. Il me faisait
servir convenablement; il versait à boire avec gaîté, en ajoutant que ça me
ferait de bien. Comme lui ne buvait pas, je lui disais: Et vous, Mr le Curé,
vous ne buvez pas. - Non, mon ami, je ne puis pas boire le vin. Pendant tout ce
temps, il se tenait debout.
Il ne prenait
point de précaution contre le froid; il ne portait point de manteau, ne voulait
point de chauffe-pieds au confessionnal. Il faisait pitié de voir quand il
sortait du confessionnal et venait dire sa messe. Tous ses membres tremblaient.
Le soir seulement, quand il rentrait dans sa chambre, il se chauffait auprès
d'un feu qu'on lui avait préparé.
C'était
pendant l'hiver de mil huit cent vingt-sept, je crois. Depuis plusieurs jours,
Mr Vianney entendait dans sa cure un bruit extraordinaire. Il ne savait d'où il
provenait et soupçonnait qu'il avait à faire à des voleurs. (On avait reçu
depuis peu des ornements d'église de grande valeur, qu'on tenait à la cure.) Il
vint me trouver et me dit: J'entends la nuit beaucoup de bruit; je ne sais si
ce sont des voleurs. Voudriez-vous venir coucher à la cure? - Très volontiers,
Mr le Curé; je vais charger mon fusil.- La nuit venue, je me rendis à la cure.
Je causais et me chauffais avec Mr le Curé jusqu'à dix heures. A ce moment,
j'allais me coucher dans la chambre qui m'était destinée. Vers une heure et
demie du matin, j'entendis secouer avec violence la poignée et le loquet de la
porte de la cour. 1329 En même temps, j'entendis comme des coups de massues
contre la même porte, et ils retentissaient dans le presbytère comme le bruit
du tonnerre. Je sautai à bas de mon lit, saisis mon fusil et ouvris la croisée
pour voir ce que c'était. Je n'ai rien vu. Le bruit continua quelques moments,
mais moins fortement, dans une autre partie du presbytère. Pendant tout le
temps que dura le bruit, c'est-à-dire l'espace de cinq minutes, toute la maison
trembla. Mes jambes se mirent à trembler et je m'en suis ressenti pendant huit
jours. Dès que le bruit commença, Mr le Curé éclaira une lampe et vint dans ma
chambre. Avez-vous entendu du bruit, me dit-il? - Oui, certainement; j'ai
ouvert la croisée et n'ai rien vu. - Qu'en pensez-vous? - Je crois que c'est le
diable. - Eh bien! Verchère, il faut retourner nous coucher. Je le fis et
n'entendis plus rien. Dans la journée, il me proposa de revenir à la cure.-
Non, Monsieur le Curé, à moins que nous ne soyons deux.
Mr Vianney
s'adressa à deux autres jeunes gens, qui passèrent au presbytère huit nuits
consécutives. Ils couchèrent ensemble dans la même chambre, entendirent du
bruit comme moi, à ce qu'ils m'ont assuré, mais ils ne se levèrent pas. Il y
avait de la neige et le lendemain il n'y avait aucune trace de pas. Des jeunes
gens montèrent au clocher pour faire la garde mais ils ne virent et
n'entendirent rien.
Qua
responsione accepta, omissis caeteris Interrogatoriis, completum esse examen
praedicti testis, qui aliunde ut circa primos annos Servi Dei deponeret
inductus fuerat, Rmi Judices Delegati decreverunt, et per me Notarium
Actuarium, de mandato Dominationum suarum Rmarum, perlecta fuit eidem testi
integra depositio ab ipso emissa a principio usque ad finem, qua per ipsum bene
audita et intellecta, in ea(m)dem perseveravit, illamque in omnibus
confirmavit. 1330
PROCES DE BEATIFICATION ET CANONISATION D E
SAINT
JEAN MARIE BAPTISTE VIANNEY
CURE D'ARS
PROCES INFORMATIF ORDINAIRE
1333 Session 149 - 6 Juin 1864 à 9h du matin
1334 Juxta primum Interrogatorium, monitus testis de vi et natura
juramenti, et gravitate perjurii, praesertim in causis Beatificationis et Canonizationis,
respondit:
Je connais la
nature et la force du serment que je viens de faire et la gravité du parjure
dont je me rendrais coupable si je ne disais pas toute la vérité.
Juxta secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je m'appelle
Marie Ricotier. Je suis née à Gleizé, diocèse de Lyon, le douze octobre mil
sept cent quatre-vingt dix-huit. Mon père se nommait Claude Ricotier et ma mère
Benoîte Marpot. Je vis de mon travail et d'une petite rente.
Juxta tertium
Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je m'approche
des sacrements de pénitence et d'Eucharistie quatre ou cinq fois par an. J'ai
communié vendredi dernier, fête du Sacré Coeur.
Juxta quartum
Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n'ai
jamais comparu devant les tribunaux que comme témoin.
Juxta quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je ne sache
pas avoir encouru aucune peine ou censure ecclésiastique.
Juxta sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Personne, de
vive voix ou par écrit, ne m'a instruite de ce que j'avais à dire dans cette
cause. Je n'ai pas lu les Articles du Postulateur. Je ne dirai que ce que je
sais très bien.
Juxta
septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J'étais
dévouée au Serviteur de Dieu et j'avais pour lui la plus grande estime. 1335
Depuis sa mort, je l'invoque et le prie avec confiance. J'ai obtenu à peu près
tout ce que j'ai demandé par son intercession. Je le regarde comme un saint; je
désire sa Béatification pour la plus grande gloire de Dieu.
Et quoniam
praedictus testis accitus fuit ad explicanda quae spectant caritatem erga
pauperes, omissis caeteris Interrogatoriis, interrogatus fuit super
Interrogatorio decimo octavo, super quo ei lecto, respondit:
Entendant
parler du Curé d'Ars comme d'un saint, je me transportai à Ars pour le voir. Il
était alors à l'église, dans un petit banc à côté de l'autel, occupé à prier.
Je fus singulièrement frappée de son air recueilli et surtout de la manière
dont il jetait les yeux de temps en temps sur le tabernacle. Il semblait
converser avec Dieu. En sortant, il me vit et me dit: Voulez-vous me parler? -
Ne sachant trop que lui répondre: Venez voir quelque chose de très beau; mais
c'est encore plus beau dans le Ciel. Il me fit voir les ornements de grand prix
qu'il avait reçus du vicomte d'Ars. Depuis, je suis revenue souvent à Ars,
jusqu'à ce qu'enfin, d'après son conseil, je m'y sois fixée, en mil huit cent
trente-deux. J'achetai une maison; comme quelquefois j'entendais du bruit, j'en
parlai au Serviteur de Dieu, qui me répondit que c'était le démon. Une fois en
particulier, un bruit extraordinaire avait eu lieu à une heure après minuit.
Dès le matin, j'allai raconter à Mr le Curé ce qui s'était passé. - J'ai
entendu cette nuit à la cure et à la même heure le même bruit. Ce sont
probablement des pécheurs qui se dirigent vers Ars pour se convertir; le démon
en est irrité. J'ai remarqué que lorsqu'il doit venir quelque grand pécheur,
des bruits semblables se font entendre. - Le Serviteur de Dieu m'a parlé
souvent des bruits qui avaient lieu au presbytère pendant la nuit et il m'a dit
qu'ils avaient commencé lors de l'établissement de la Providence.
Mr Vianney me
chargeait souvent de faire différents achats pour lui et surtout pour la
Providence. Il m'envoyait aussi vendre à Villefranche, chez Mr Dupont,
différents objets en or ou en argent qu'on lui avait donnés. 1336 Le prix était
employé à ses bonnes oeuvres, à l'érection et à la décoration de ses chapelles.
Il ne gardait rien pour lui et se dépouillait de tout afin d'avoir de l'argent
pour ses pauvres.
J'étais
souvent à la Providence et j'aidais les directrices de cet établissement. Mr
Vianney, en venant prendre ses repas, se plaignait de temps en temps de n'avoir
point d'argent pour ses oeuvres ou pour ses pauvres. Eh bien, Mr le Curé, lui
dis-je, si vous vendiez quelque chose, je pourrais bien acheter. La
proposition, faite en riant, fut acceptée sérieusement. Depuis ce moment, le
Serviteur de Dieu m'a offert différents objets, que j'ai achetés et payés
comptant, au-delà de leur valeur. C'est ainsi que j'ai eu d'abord des objets
ayant appartenu à Mr Balley, puis des souliers, un chapeau, une soutane, des
meubles, etc. Voici comment avaient lieu ces marchés. Il m'apportait toutes
sortes d'objets; s'ils étaient petits, il les cachait sous son bras; s'ils
étaient plus considérables, il les faisait porter à la Providence.
Un jour, il
m'apporta une petite boîte en me disant: J'ai besoin de quarante sous; voici
une boîte en carton avec une jolie fleur, elle les vaut bien; et si elle ne les
vaut pas, elle les pèse bien. - Que voulez-vous que je fasse de cela? - Mais il
y a là un pauvre qui m'attend... Je m'exécutai aussitôt.
Un autre
jour, il me dit: Je suis à chercher ce que j'ai encore à vendre. Comme il
m'avait déjà vendu la poêle dans laquelle il faisait ses matefaims, la marmite
qui lui servait à faire cuire ses pommes de terre, je lui répondis: Et votre
panier dans lequel vous mettiez votre pain des pauvres? - Ah! c'est vrai! Il
l'envoya chercher au grenier par Catherine Lassagne. Ce panier n'avait point
d'anse, point de couvercle et était percé au fond. Il vaut bien trente sous,
dit-il en me le présentant. - Que voulez-vous que j'en fasse? Il est tout
percé. - Oh! je sais bien le raccommoder!... A l'instant, il détache son rabat
et le met sur le trou. Je lui comptai les trente sous.
1337 Un autre jour, il se plaignait, à la Providence, de n'avoir
plus rien à vendre et cependant il avait besoin d'argent: Je ne puis vendre ma
soutane, elle n'est pas à moi... - Mais, Mr le Curé, lui dis-je en riant, vous
avez vos dents! - Eh bien! combien m'en donnerez-vous? - Cinq francs pièce,
répondis-je en pensant que la proposition ne serait pas acceptée. - Cinq
francs, reprit-il, c'en vaut la peine! Et il se mit en devoir d'arracher les
deux dents qui étaient ébranlées. - Oh! Monsieur le Curé, ne les arrachez pas,
je vous en laisse la jouissance; voulez-vous toutes me les vendre? - M'en
donnerez-vous cinq francs? - Très volontiers. - Me les donnerez-vous de suite?
- Oui, Mr le Curé.- Il se mit à les compter; elles étaient au nombre de douze:
Eh bien! c'est soixante francs! Allez les chercher de suite, je vous attends.
J'allai aussitôt chercher les soixante francs et les lui donnai en présence des
trois directrices, témoins de ce marché. Un médecin lui arracha une dent et la
garda pour sa peine. Mr Vianney vint m'offrir cinq francs en restitution, car
il devait me les livrer lorsqu'elles tomberaient. Le même fait se renouvela une
autre fois. Il va sans dire que je ne voulus pas reprendre l'argent.
L'Évêque
diocésain avait revêtu le Curé d'Ars des insignes du canonicat; cette cérémonie
eut lieu à l'entrée de l'église d'Ars. Mr Vianney refusait de le recevoir et
priait Mgr de le donner à son compagnon. Pour toute réponse, Mgr mit le
camail sur ses épaules et entonna le Veni Creator. Le Serviteur de Dieu
dut le garder et accompagner sa Grandeur à l'autel, mais à son air triste et
abattu, on voyait la peine intérieure qu'il ressentait. Après le départ de
l'Évêque, il chercha immédiatement à le vendre pour en employer le prix à ses
oeuvres. Je revenais de Villefranche et je lui rendais compte d'une commission
dont il m'avait chargée. Vous arrivez bien à propos, dit-il, je veux vous
vendre mon camail. Je l'ai offert à Mr le Curé d'Ambérieux, qui n'a pas voulu
m'en donner douze francs; vous m'en donnerez bien quinze. - Mais il en vaut
plus. - Vous m'en donnerez vingt alors. - Je lui en donnai vingt-cinq, en
ajoutant: Ce n'est pas sa valeur; mais je m'informerai du prix. Je sus qu'il
avait été confectionné au noviciat des soeurs de St Joseph à Bourg et qu'il
avait coûté cinquante francs. Je comptai encore vingt-cinq francs, en lui
disant que je lui en laissais la jouissance. Mr le Curé fut si content qu'il me
dit: Que Mgr m'en donne encore un autre, et j'en ferais l'argent! Il voulut que
je l'emportasse tout de suite. Si Mgr, ajouta-t-il, exige que je le porte, je
le trouverai bien chez vous. Sachant que Mgr avait été un peu peiné de ce
marché, il écrivit une lettre d'excuses où se peignait toute son humilité et où
il exposait qu'il ne l'avait vendu que parce qu'il avait besoin d'argent. Mgr
Chalandon, célébrant lui-même le service de la quarantaine, fit connaître le
contenu de cette lettre, les larmes aux yeux. 1338 Mr le Curé vint me trouver
un jour en me disant: Je veux envoyer le prix d'une fondation; il me manque
deux cents francs; voudriez-vous me les donner pour cette aube qui
m'appartient? Je consentis encore à ce marché. J'ai en ma possession une foule
d'objets que j'ai achetés ainsi pour contribuer à ses bonnes oeuvres.
Après un
marché assez important comprenant différents meubles, le Serviteur de Dieu m'a
donné le reçu suivant:
J'ai
reçu de Melle Ricotier la somme de soixante francs pour le prix d'un lit à
quatre colonnes rondes de trois pieds de hauteur, avec une paillasse de toile
ordinaire et une couverture bleue, le dessin en forme de petites corbeilles,
déjà déchirée, les rideaux bleus aussi déchirés; le ciel de lit de même choix,
les tringles en fer, une pente simple, une petite mauvaise table en bois
cerisier, une chaise à grand dossier. Bien convenu que la dite Melle Marie
Ricotier ne pourra prendre possession qu'après ma mort. Si dans le cas elle
meurt avant moi, les dits objets me resteront pour toujours, sans que ses
héritiers puissent jamais les réclamer.
Fait
à Ars 25 9bre 1841. Jean Marie Baptiste Vianney, curé d'Ars.
Après la
vente de sa montre, dont je lui laissais pareillement la jouissance, il me
donna le titre suivant:
Ma
montre, qui est en argent et à répétition, appartiendra à mademoiselle Marie
Ricotier, demeurant à Ars, après ma mort. 30 Juin 1842. Jean Marie B. Vianney,
curé d'Ars.
Je connais un
beau trait de charité de la part de Mr Vianney. Une orpheline, qui avait été
élevée à la Providence, vola dans cet établissement, le jour de Noël,
l'argent de la Propagation de la foi, le gage des enfants et du linge en assez
grande quantité. En l'apprenant, Mr le Curé défendit de la poursuivre. Elle
revint au bout de six mois, paraissant bien convertie et très malheureuse. Mr
Vianney, sachant qu'elle était près du village et se cachait, lui envoya par
une personne de confiance de la nourriture et des vêtements, en l'assurant
qu'il lui pardonnait de tout son coeur. Le jour de l'Assomption de la même
année, elle prit à la cure une somme de quatre cent dix-huit francs, honoraires
de messes, et cinq cents francs destinés à la Providence. Mr le Curé refusa de
la faire poursuivre. Elle venait d'être placée sur sa recommandation à la
maison du Bon Pasteur à Bourg, lorsque l'autorité judiciaire, avertie, la fit
saisir et juger. Mr Vianney fut obligé de faire sa déposition auprès du juge
d'instruction, qui eut la bonté de se transporter à Ars. Cette déposition était
si pleine des sentiments de charité et de bonté, qu'on la lut deux fois au
tribunal, tant elle excita l'admiration des juges.
La soutane
que je tiens du Serviteur de Dieu est tellement usée qu'elle a perdu sa
couleur; elle est toute rapiécée avec des morceaux d’étoffe différente et
cousus de sa propre main.
Qua
responsione accepta, omissis caeteris Interrogatoriis, completum esse examen
praedicti testis, qui aliunde ut circa quaedam facta Servi Dei deponeret
inductus fuerat, Rmi Iudices delegati decreverunt, et per me Notarium
Actuarium, de mandato Dominationum suarum Rmarum perlecta fuit eidem testi
integra depositio ab ipso emissa a principio usque ad finem, qua per ipsum bene
audita et intellecta, in eadem perseveravit, illamque in omnibus confirmavit.